SENEGAL
 

INTERVENTION DE

S.E. M. CHEIKH TIDIANE GADIO,
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES,
DE L'UNION AFRICAINE ET DES SENEGALAIS DE L'EXTERIEUR,

DEVANT LA 56ème SESSION ORDINAIRE
DE L'ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES

New York, le 12 novembre 2001

sous réserve de modifications

 

Monsieur le Président,

Le Sénégal, par ma voix, a le plaisir de vous adresser ses chaleureuses félicitations, à l'occasion de votre brillante élection à la Présidence de la cinquante-sixième session ordinaire de l'Assemblée générale.

A l'évidence, cette élection est un hommage rendu à vos éminentes qualités de diplomate et d'Homme d'Etat, et traduit aussi la reconnaissance unanime des membres de notre Organisation à votre pays, la République de Corée, pour son engagement constant au service de la paix universelle et de la coopération internationale.

A votre prédécesseur, Son Excellence Monsieur Harri HOLKERI de la Finlande, je voudrais exprimer nos sentiments de profonde gratitude pour la compétence, l'engagement et l'esprit d'ouverture avec lesquels il s'est acquitté de son mandat, au cours d'une année particulièrement chargée.

Enfin, je suis heureux de redire la haute appréciation du Sénégal au Secrétaire général, Son Excellence Monsieur Kofi ANNAN et, du même coup, lui réitérer tous mes compliments pour sa réélection historique, éclatante consécration des qualités exceptionnelles d'un Homme de bien, de conviction et de vision, qui a dédié sa vie aux nobles causes de l'Organisation des Nations Unies. Je le félicite également pour la brillante consécration dont il vient d'être auréolé, en même temps que l'ONU, comme Lauréat du Prix Nobel de la Paix.

Il mérite notre soutien total dans la poursuite et le parachèvement de l'œuvre exceptionnelle de réformes dans laquelle, avec ses appréciés Collaborateurs du Secrétariat général, il s'est totalement investi, pour arrimer notre Organisation aux réalités du XXIème siècle.
 

Monsieur le Président,

Les attentats terroristes du 11 septembre qui ont tragiquement frappé New York, siège de notre Organisation, Washington et la Pennsylvanie, ont radicalement changé, en nous tous, notre vision du monde et des relations internationales. Mon pays, le Sénégal, exprime à nouveau sa compassion au Peuple américain et renouvelle ses condoléances attristées aux familles éplorées.

Disons-le sans ambage, il n'est pas de cause, morale, religieuse ou politique assez noble pour justifier le terrorisme et ses manifestations toujours barbares que nous devons, tous, sans exception, et dans une unanimité sans faille, condamner avec la dernière énergie.

Composé à plus de 90% de Musulmans, le Sénégal, Pays laic et démocratique, rejette toute forme de confrontation entre religions et civilisations. Convaincu que l'Islam, à l'instar des autres confessions révélées, est une religion de paix et de tolérance, le Sénégal condamne tout aussi énergiquement toute forme d'assimilation de l'Islam au terrorisme, ainsi que toute tentative d'invocation ou d'instrumental isation de la religion à des fins criminelles. Massacrer des femmes enceintes et faire effondrer des buildings occupés par des civils innocents, tous créatures de Dieu, sont des actes qui ne sauraient trouver une justification dans aucune religion, et surtout pas dans l'islam dont nous brandissons, avec fierté, le drapeau de paix et de concorde entre les hommes, les peuples, les cultures et les civilisations.
 

Monsieur le Président,

Au-delà de la simple condamnation du terrorisme dans toutes ses formes, méthodes et manifestations, la Communauté internationale doit agir avec fermeté pour éradiquer le terrorisme, ses sources de financement, ses bases d'action à travers le monde.

Le Sénégal s'est engagé dans cette voie et c'est ce qui justifie l'initiative de Son Excellence le Président Abdoulaye WADE, qui a, comme on le sait, réuni à Dakar, le 17 octobre dernier, une Conférence africaine contre le terrorisme, instance devant laquelle il a soumis un projet de Pacte africain contre le terrorisme comme complément nécessaire à la Convention de l'OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme.

A l'issue de des travaux de la Conférence, il a été adopté la Déclaration de Dakar qui a fermement condamné le terrorisme sous toutes ses formes, réitéré notre solidarité avec toutes les victimes des actes terroristes, en particulier celles du 11 Septembre, et invité l'Organisation de l'Unité africaine à tenir très prochainement une session extraordinaire sur le terrorisme pour examiner notamment le projet de Pacte africain contre le terrorisme soumis par le Sénégal, avec le soutien d'autres Pays.

Qu'on se le dise, ceux qui arguent que l'Afrique a d'autres priorités que les problèmes de Terrorisme, oublient certainement que la tragédie que provoquent les actes de tuerie aveugle, a d'abord frappé les provinces africaines du Kenya et de la Tanzanie. Avec un manque notoire de considération et de respect pour la vie des Africains, les poseurs de bombe avaient tué à Nairobi 12 Américains et 212 Kenyans, et avaient fait plus de 3000 blessés parmi nos frères et sueurs. A ce jour, ils n'ont exprimé aucun regret, encore moins des remords pour l'évident mépris qu'ils ont manifesté en notre endroit. Lutter contre le Terrorisme international, c'est affirmer haut et fort, que les Africains, comme les Européens, les Américains, et tous les autres peuples de ce monde, ont un droit égal à la sécurité, à la stabilité et à la Paix. C'était cela, le message fort que Son Excellence le Président Abdoulaye WADE entendait faire résonner dans le monde entier.

Rappelons seulement que son Initiative pour une véritable politique de sécurité en Afrique, est venue s'ajouter à son Initiative pour une radioscopie de la dette africaine, et à son Initiative OMEGA, véritable stratégie africaine de la globalisation, aujourd'hui fondue avec le MAP dans la Nouvelle Initiative Africaine, rebaptisée dernièrement le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique.
 

Monsieur le Président,

S'il est des années que la longue marche du monde ne saurait occulter, ni oblitérer, la période des douze mois qui vient de s'écouler participerait, sans aucun doute, de celles là, tant elle aura été fertile en évènements de haute portée, pour notre Organisation et pour l'Afrique, le Continent aîné de l'Humanité.
Ainsi, le Sommet du Millénaire aura-t-il réuni, dans le cadre de la cinquante-cinquième session ordinaire de l'Assemblée générale et dans cette auguste enceinte, d'illustres Chefs d'Etat et de Gouvernement pour, selon l'heureuse formule de Kofi ANNAN, « identifier les grands problèmes du monde et agir pour y remédier ».

Dans une extraordinaire convergence de vues, nos Dirigeants ont réaffirmé leur foi dans l'ONU et dans sa mission irremplaçable pour la sauvegarde de la paix et de la sécurité internationales, la lutte contre la pauvreté, la promotion du développement économique et social, le renforcement de la démocratie et la primauté du droit, partant, le règne de la justice et de l'équité entre citoyens, peuples, cultures et civilisations.
 

Monsieur le Président,

Prenant en compte l'universalité qui est la marque distinctive des Nations Unies, universalité réaffirmée par le Sommet du Millénaire, le Sénégal appuie fermement la demande légitime de la République de Chine à Taiwan à reprendre sa place au sein de notre Organisation et de ses Institutions spécialisées.

Si cette requête, qui n'est dirigée contre aucun Etat membre des Nations Unies, devenait effective, elle représenterait alors une contribution fondamentale à la consolidation de l'idéal de l'universalité des Nations Unies, ainsi qu'à l'avènement d'une ère de paix et de stabilité dans cette partie névralgique du monde.
 

Monsieur le Président,

L'Afrique est toujours la région où certains conflits semblent s'inscrire dans une éternité tragique, la seule où l'on dénombre près de la moitié du total des réfugiés et des personnes déplacées du monde, la région où se retrouvent 33 des 48 Pays les Moins Avancés du monde.

L'Afrique est également la seule région dont les habitants sont les plus atrocement affectés par les pandémies du VIH/SIDA et de la malaria.

Cette situation plus que préoccupante interpelle indiscutablement l'ensemble de la Communauté internationale, et en premier lieu, les Africains. C'est pourquoi, il importe de mettre en oeuvre les conclusions de la vingt-sixième session extraordinaire de l'Assemblée générale consacrée à la lutte contre le VIH/SIDA.
 

Monsieur le Président,

En juillet dernier, lors du Sommet historique de l'OUA, tenu à Lusaka, l'Union africaine a été portée sur les fonts baptismaux. Par cet acte historique, l'Afrique s'engage, dans un élan volontariste et unitaire, à trouver des solutions africaines aux nombreux défis qui l'assaillent, par la mise en place d'un cadre institutionnel moderne, viable, ouvert, à même de répondre aux urgences et exigences africaines pour le siècle qui s'amorce.

C'est le lieu de renouveler mes chaleureuses félicitations à l'ami et au frère, Amara ESSY, à qui les Chefs d'Etat et de Gouvernement africains viennent de confier, dans le sillage de son illustre prédécesseur Salim Ahmed SALIM, la responsabilité capitale de conduire les destinées du Secrétariat général de l'OUA et la mise en place des nouvelles structures de l'Union africaine.
 

Monsieur le Président,

Le second événement majeur, qui a scandé le Sommet de Lusaka, se situe dans la même dynamique panafricaine, avec l'adoption d'un Plan pour le développement économique et social de l'Afrique, dénommé « La Nouvelle Initiative africaine » et rebaptisé « Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique ».

Celle-ci offre la particularité d'être conçue par les Africains et pour l'Afrique, fondée sur la synthèse de deux projets inédits : le Plan OMEGA du Président sénégalais Abdoulaye WADE et le Programme pour la Renaissance de l'Afrique, des Présidents sud-africain Thabo MBEKI, algérien Abdelaziz BOUTEFLIKA et nigérian Olusegun OBASANJO.

Cette initiative commune devrait contribuer à créer les synergies nécessaires pour l'éradication de la pauvreté en Afrique, et à jeter les bases d'un développement économique et social durable, « condition sine qua non » de l'ancrage du Continent au processus de mondialisation en cours.

Et pour la première fois dans l'histoire des Plans de renouveau du Continent, il est prévu en janvier prochain, à Dakar, une Conférence internationale sur le financement de la Nouvelle Initiative Africaine. Véritable Davos africain, ce forum devra permettre un dialogue fécond entre le secteur privé africain, le secteur privé international et tous les partenaires du développement qui ont compris le printemps annoncé par ce nouveau Plan, bilan de nos expériences et symbole de nos espoirs, nous tous qui aimons l'Afrique, sans préalable et sans conditions. Une innovation majeure de la NIA.
 

Monsieur le Président,

Les progrès réalisés en Afrique ont été impressionnants au cours de cette année, compte tenu de la nécessité urgente de s'attaquer aux causes profondes des nombreux conflits qui secouent le Continent et d’œuvrer pacifiquement à leur résolution définitive.

Qu'il s'agisse de la crise en République démocratique du Congo, au Burundi ou en Sierra Leone, des étapes significatives ont, il importe de s'en féliciter, été franchies dans la mise en oeuvre, par tous les protagonistes, des Accords de paix ultérieurement conclus.

De ce point de vue, constituent de réels motifs d'encouragement, les débuts du processus de dialogue inter-congolais à Gaberone au Botswana et la formation récente, avec le concours de l'incomparable Nelson MANDELA, du Gouvernement burundais de transition et de réconciliation nationale. Il appartient désormais au Conseil de sécurité d'assumer toute ses responsabilités dans le cadre du Chapitre 7 de la Charte.

Ces efforts méritent d'être intensifiés et soutenus diplomatiquement par la Communauté internationale, par le biais d'actions concrètes destinées au financement des stratégies de consolidation de la paix après les conflits. Il importe, dans le même esprit, d'accompagner les efforts du Gouvernement angolais et ceux de l'OUA pour le règlement rapide du conflit angolais.

Par ailleurs, face à la crise de l'endettement aggravée par la baisse exponentielle de l'Aide Publique au Développement, la Communauté internationale doit explorer de nouvelles voies pour le financement du développement du Tiers Monde, singulièrement de l'Afrique, par, entre autres, un accroissement de l'investissement étranger direct. C'est en fait cette rupture -disons « épistémologique » - que Son Excellence le Président propose à l'Afrique et à ses partenaires. Il milite pour que le binôme AIDE/CRÉDITS, comme mode privilégié de financement du développement en Afrique, et qui a mené le continent à l'impasse que nous connaissons tous, soit remisé au vestiaire au profit d'une approche qui consiste à rendre l'Afrique attrayante et compétitive pour l'arrivée massive de l'investissement privé international et domestique. Le cycle de l'endettement/rééchelonnement, suivi de toujours plus d'endettement, ce cycle classé par notre Président, parmi les fléaux, qui comme l'esclavage, ont dévasté l'Afrique, doit être rompu au profit d'une approche comme celle qui propose des investissements massifs, dans un environnement fiscal et légal adéquat, pour combler les gaps dans des secteurs prioritaires parmi d'autres, comme les infrastructures, l'éducation, la santé, l'agriculture, les nouvelles technologies, l'accès au marché des pays développés, etc. Le tout bien sûr, avec une stratégie de bonne gouvernance politique et économique et de respect sans compromis de l'état de droit, de la démocratie et des droits humains.
 

Monsieur le Président,

L'Afrique compte beaucoup sur les résultats de la Conférence ministérielle de l'Organisation Mondiale du Commerce, qui vient de s'ouvrir à Doha, la Conférence internationale sur le Financement du Développement à Monterrey, prévue en mars 2002, et le Sommet mondial du Développement durable à Johannesburg programmé pour septembre en vue d'apporter des réponses novatrices aux défis qui interpellent le Continent en ce début de millénaire.
 

Monsieur le Président,

Posant un regard attristé sur le Moyen-Orient, le Sénégal en suit - avec une profonde affliction - les derniers développements et vit solidairement le nouveau drame du Peuple palestinien. Horrifié devant l'ampleur de cette tragédie, le Sénégal condamne l'occupation israélienne de territoires palestiniens, en même temps que l'intensification des actes de violence contre des civils innocents. Il lance un appel pressant à toutes les parties, aux co-parrains du processus de paix, à l'Union Européenne, au Conseil de sécurité et à la Communauté internationale,

- pour le retrait des forces israéliennes des zones palestiniennes occupées,
- pour la cessation immédiate de tous les actes de violence et de provocation,
- pour le respect de la Convention de Genève sur la protection des personnes civiles en temps de guerre et des résolutions pertinentes des Nations Unies,
- pour la reprise des négociations de paix selon le calendrier déjà convenu, et
- pour la conclusion d'un accord de règlement global, juste et durable, conformément aux résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité.
Car la paix ne saurait prospérer, ni le développement de la région assuré, tant qu'Israéliens et Palestiniens échoueront dans leur tentative de forger des rapports de confiance, dans le cadre d'Etats souverains, à l'intérieur de frontières sûres et internationalement garanties, tant il est vrai que l'Etat d'Israel et le futur Etat de Palestine ont chacun droit à l'existence, à la paix et au développement, dans la sécurité et la dignité.
 

Monsieur le Président,

La consolidation de l'Etat de droit, la promotion et la protection des droits de l'Homme et des libertés fondamentales demeurent l'un des axes majeurs de notre politique nationale et étrangère. L'importance particulière que le Président Abdoulaye WADE accorde à ces questions, s'est traduite avec éloquence par la nomination d'une femme au poste de Haut-Commissaire aux droits humains.

La Conférence mondiale contre le racisme a pu malgré tout se tenir et épuiser son agenda, malgré la complexité des questions à. l'ordre du jour et les conditions particulièrement ardues dans lesquelles se sont déroulées les négociations.

Mon pays, qui a eu l'honneur d'en présider les travaux du Comité préparatoire, lance, à nouveau, un appel solennel à tous les acteurs de la vie internationale pour que la Déclaration et le Plan d'action issus de Durban soient traduits en actes, pour que le monde, en ce début du 21è` siècle, se libère définitivement du fléau du racisme qui représente une grave atteinte à la dignité de l'être humain et une violation flagrante des droits de l'Homme.
 

Monsieur le Président,

En évoquant les droits de l'Homme, nous pensons naturellement, aussi, aux droits de la Femme et de l'Enfant.

La vingt-septième session extraordinaire de l'Assemblée générale, prévue du 8 au 10 mai 2002, devrait adopter un nouvel agenda de la Communauté internationale visant à mieux assurer, sauvegarder, défendre les droits de l'Enfant et promouvoir la Convention y relative. Les engagements, auxquels nos Gouvernements vont adhérer, doivent être mis en oeuvre, au même titre que les conclusions du quatrième Forum mondial des Jeunesses du Système des Nations Unies dont le Sénégal a abrité les assises au mois d'août de cette année.

Devant impérativement relever les défis du développement et de la paix, nous n'avons d'autre choix que d'emprunter la voie du multilatéralisme et de l'universalisme. C'est dire combien le monde a besoin de l'Organisation des Nations Unies qui incarne ces valeurs en tant qu'organisme universel unique en son genre.

Telle est la conviction du Sénégal qui proclame qu'une Organisation des Nations Unies bien restructurée et plus représentative serait mieux outillée pour relever les défis avec lesquels l'Humanité est confrontée. Ces défis semblent être des montagnes, mais tout est possible dans un monde de solidarité, de fraternité, de sécurité et de respect du caractère sacré de la vie humaine, de la dignité et droit non négociable des peuples, de tous les peuples, au bonheur et à la liberté.

Je vous remercie.