8685e séance – matin
CS/14050

Conseil de sécurité: Les A3 appellent à prévenir une « déferlante terroriste »

Les A3, les trois pays africains membres du Conseil de sécurité, ont prévenu, ce matin, que le Mali et le Burkina Faso constituent aujourd’hui les dernières digues contre l’expansion des groupes jihadistes vers les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, et qu’en cas de rupture de cette digue, « la déferlante terroriste » aurait l’occasion de contrôler les ports et les énormes potentiels économiques de la sous-région et d’y installer un califat islamique. 

« L’Afrique de l’Ouest et le Sahel deviendraient alors le point de diffusion du « cancer terroriste », dont les métastases pourraient se répandre dans d’autres contrées du monde », a prévenu la Côte d’Ivoire, également au nom de l'Afrique du Sud et de la Guinée équatoriale. 

Cette analyse a fait suite au tableau alarmant dressé par le Représentant spécial du Secrétaire général et Chef du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS), M. Mohamed Ibn Chambas et le Commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine, M. Smail Chergui.  Les deux dignitaires ont tous deux alerté que malgré les efforts, la situation se dégrade toujours, marquée par des violences intercommunautaires et des actes de terrorisme qui « hantent » la région d’Afrique de l’Ouest.  La récente attaque contre un camp militaire au Niger qui a fait plus de 70 morts a notamment été évoquée.

M. Chambas a attribué cette violence à de nombreux facteurs, citant notamment la mauvaise gouvernance, la corruption, l’absence de respect des droits de l’homme, ou encore la présence massive d’armes et de groupes criminels.

Notant en outre que près de 70% de la population de l’Afrique de l’Ouest continue de dépendre de l’agriculture et de l’élevage pour vivre, le Représentant spécial a appelé à trouver des équilibres entre ces deux activités, de façon à éviter les conflits intercommunautaires opposant les populations d’éleveurs à ceux de cultivateurs, notamment au Mali, au Burkina et au Niger. 

De son côté, M. Chergui a prévenu que les liens entre les groupes armés de la région sont de plus en plus sophistiqués.  Ces derniers alimentent les conflits locaux, agissant même parfois en médiateurs pour les régler, et participent à des trafics d’armes, d’or, de combustibles et d’espèces animales sauvages dans plusieurs pays pour financer leurs activités. 

Face à une situation aggravée par la vulnérabilité de la sous-région aux changements climatiques et la pénurie alimentaire, M. Chergui a appelé le Conseil de sécurité à repenser le soutien militaire qui y est apporté, mais aussi à appuyer la Déclaration de Bamako sur l'accès aux ressources naturelles et conflits entre les communautés, adoptée en novembre par l’Union africaine, un texte qui, a-t-il expliqué, encourage notamment les États membres à élaborer un cadre politique pour gérer les conflits locaux.

« Ensemble, l’Union africaine et l’ONU devraient coprésider un mécanisme coordonné sur la stratégie au Sahel et condamner la stigmatisation de certains groupes dans la région, a-t-il estimé, avant d’exhorter à redoubler d’efforts, car, a-t-il prévenu, « l’absence de solidarité aux niveaux régional et national est préoccupante ».

Mais pour les A3, le Conseil de sécurité doit également porter son attention sur la Libye.  En leur nom, la Côte d’Ivoire a notamment demandé une implication décisive du Conseil afin de trouver une solution durable au conflit libyen, véritable « boîte de pandore », dont l’ouverture, a-t-elle souligné, a exacerbé l’insécurité et l’instabilité en Afrique de l’Ouest et au Sahel.

« Le fait est que les pays de l’Afrique de l’Ouest payent aujourd’hui le prix de l’intervention militaire de l’OTAN en Libye », a renchéri la Fédération de Russie qui a rejeté l’idée que le terrorisme dans cette sous-région a des causes internes.  « Mais au lieu de répondre à la question de savoir d’où viennent ces arsenaux d’armes lourdes, nos partenaires occidentaux préfèrent parler d’extrémisme violent et élaborer des concepts nouveaux, tout en cherchant à sous-traiter la lutte contre ce phénomène à des entités étrangères », a déploré la délégation.

La France, le Royaume-Uni ou encore l’Allemagne ont toutefois souligné que les causes profondes de la situation « alarmante » au Sahel et autour du bassin du lac Tchad sont connues.  Ces délégations ont ainsi cité les fragilités économiques, la faiblesse des États, les trafics et les impacts des changements climatiques qui exacerbent les antagonismes entre communautés.  La délégation française a notamment réclamé « un sursaut » et appelé le Conseil à encourager les États concernés à améliorer leur gouvernance et à favoriser la cohésion sociale. 

La bonne gouvernance et des forces de sécurité capables et responsables sont en effet essentielles à la prévention de la violence, ont acquiescé les États-Unis qui ont souligné qu’une réponse militaire à elle seule ne suffit pas.  La délégation a aussi insisté sur l’impératif que les citoyens aient confiance en la capacité de leurs gouvernements à les protéger, sinon, « ils chercheront d’autres moyens de protection, y compris l’adhésion à des groupes violents ou criminels ».

Pour sa part, la Belgique a relevé que le sentiment d’injustice est un facteur majeur d’instabilité, évoquant notamment les cas de règlement des conflits fonciers sur la base d’intérêts personnels et de corruption.  « Il est indispensable d’éviter les amalgames entre terrorisme, extrémisme, violences intercommunautaires, conflits interethniques ou religieux et violence insurrectionnelle pour ne pas tomber dans le piège d’une lecture simpliste de la région », a estimé la délégation.

Un autre moyen de répondre à la situation est d’accélérer le rythme du développement pour éliminer les ferments de la violence intercommunautaire, a de son côté assuré la Chine.

PAIX ET SÉCURITÉ EN AFRIQUE

Déclarations

M. MOHAMED IBN CHAMBAS, Représentant spécial du Secrétaire général et Chef du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS), intervenant par visioconférence depuis Dakar au Sénégal, a déclaré que les violences intercommunautaires, de même que les actes de terrorisme en Afrique de l’Ouest hantent la région.  La récente attaque contre un camp militaire au Niger est un exemple de cette violence qui fait de lourdes pertes y compris dans les forces de sécurité.

Il a également signalé que les incidents dans la région montrent comment les actes de terrorisme et les violences intercommunautaires s’entrecroisent parfois.  Mais, a-t-il aussi insisté, il faut éviter de faire des amalgames, car les causes profondes des conflits ont été clairement identifiées.  Ces causes sont relatives à l’absence d’opportunités, la mauvaise gouvernance, la mauvaise gestion des ressources naturelles, la corruption, l’absence d’alternance politique ou encore l’absence de respect des droits de l’homme.  À cela il faut ajouter la présence massive d’armes et de groupes criminels.

M. Chambas s’est ensuite livré à une analyse des conflits intercommunautaires opposant les populations d’éleveurs à ceux de cultivateurs, notamment au Mali, au Burkina et au Niger.  Il a insisté sur le fait que près de 70% de la population de l’Afrique de l’Ouest continue de dépendre de l’agriculture et de l’élevage pour vivre.  Cela implique, a-t-il expliqué, qu’il faut trouver des équilibres entre ces deux activités, de façon à éviter les conflits.  Il s’est également inquiété de la situation au Burkina Faso, en proie à une montée de la violence extrémiste et intercommunautaire dans ses régions du nord, provoquant le déplacement de 500 000 personnes. 

Chacune de ces situations est spécifique et exige donc des réponses spécifiques, a poursuivi le Représentant spécial, ajoutant que dans ce domaine, les organisations régionales sont analogues à l’ONU.  À son niveau, le Secrétaire général a adopté le cadre de conformité de la Force conjointe du G5 Sahel et l’Union africaine a adopté, en novembre dernier, la Déclaration de Bamako sur l'accès aux ressources naturelles et conflits entre les communautés que le Conseil de sécurité se doit d’appuyer.  La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) recense pour sa part les bonnes pratiques, y compris les outils traditionnels de résolution des différends, a indiqué M. Chambas.

Mais, a estimé le Représentant spécial, il faudrait faire plus encore pour lutter contre la violence intercommunautaire, notamment avec les jeunes, les réseaux sociaux ou les initiatives locales.  Dans le même temps, il faut réduire les capacités financières des groupes armés, a-t-il indiqué, insistant sur le rôle des sanctions dans ce domaine. 

M. Chambas a souligné que le Conseil de sécurité a un rôle décisif à jouer pour appuyer tous les possibles domaines d’interventions.  Il a notamment insisté sur le soutien aux efforts de renforcements de la sécurité et de l’application de la loi, ainsi que sur la lutte contre la criminalité et le commerce illicite, notant que le trafic de l’or a enregistré une augmentation notable.

M. SMAIL CHERGUI, Commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine, s’exprimant par visioconférence depuis Addis-Abeba, a averti que la situation sécuritaire s’aggrave dans la région malgré les efforts déployés par les États et la communauté internationale pour y rétablir la sécurité.  Il a notamment prévenu que les liens étroits entre groupes armés de la région sont de plus en plus sophistiqués: ils participent à des trafics d’armes, d’or, de combustibles et d’espèces sauvages pour financer leurs activités et alimentent les conflits locaux, agissant même parfois en médiateurs pour les régler.  Ces groupes utilisent le Mali et le Niger pour la vente de motos, de pièces détachées et de carburant et vendent également du bétail volé au Nigéria, en Côte d’Ivoire et au Ghana, entre autres.  La situation est aggravée par la vulnérabilité de la région aux changements climatiques et la pénurie alimentaire débouche sur une augmentation des déplacements dans la région et rend les jeunes plus sensibles à la propagande extrémiste.

Cette situation gravissime a également provoqué la fermeture de 2 850 écoles au Burkina Faso, au Mali et au Niger à cause des violences, et des centaines d’écoliers ont été enlevés, violés, tués par des extrémistes.  La présence de l’État est faible dans de nombreuses régions et l’autorité gouvernementale est remise en cause même là où elle est présente.

M. Chergui a rappelé que le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine avait demandé, en avril dernier, l’élaboration d’un cadre crédible pour prévenir et régler les conflits locaux et intercommunautaires comme ceux liés à la transhumance.  L’UA a également convoqué une conférence sur les ressources naturelles et les conflits communautaires et adopté la Déclaration de Bamako qui encourage notamment les États membres à élaborer un cadre politique pour gérer les conflits locaux.  Elle appelle aussi à un plan d’action pour appuyer les efforts nationaux et régionaux de règlement des conflits locaux et demande aux gouvernements de faire preuve d’unité.  La Déclaration demande aussi que soient élaborées des pratiques exemplaires et recommande le lancement d’un processus de réflexion pour collecter les données relatives aux conflits et promouvoir une solution africaine, conforme aux pratiques et traditions.  Elle insiste en outre pour rétablir la confiance entre l’État et la population. 

Le 13 décembre dernier, a poursuivi M. Chergui, le Conseil de paix et de sécurité a estimé que la Déclaration de Bamako le dotait d’une feuille de route a même de l’aider à répondre aux conflits locaux.  Mais malgré ces efforts, la tendance n’est pas inversée et la situation se dégrade toujours, a-t-il déploré. 

M. Chergui a appelé le Conseil de sécurité à appuyer la Déclaration de Bamako, mais aussi à reprendre et repenser le soutien militaire apporté à la région.  Selon lui, il importe d’adopter une approche socioéconomique globale qui intègre le renforcement de la présence de l’État.  Ensemble, l’Union africaine et l’ONU devraient coprésider un mécanisme coordonné sur la stratégie au Sahel et condamner la stigmatisation de certains groupes dans la région a-t-il estimé, avant d’exhorter à redoubler d’efforts, car l’absence de solidarité aux niveaux régional et national est préoccupante. 

Mme CHERITH NORMAN-CHALET (États-Unis) a commencé par présenter ses condoléances aux familles des plus de 70 soldats nigériens tués lors de l’attaque terroriste du 10 décembre.

Elle a constaté que l’Afrique de l’Ouest est en proie à une « explosion » de l’extrémisme violent et des conflits intercommunautaires alors que les cellules jihadistes tentent de prendre racine.  Ces groupes alimentent la violence en exploitant les griefs locaux, l’absence de l’État et les tensions intercommunautaires existantes.  Elle s’est inquiétée de la fréquence et de la complexité grandissante des attaques menées par l’État islamique dans le Grand Sahara contre les Forces de sécurité au Mali et au Sahel, des agissements de Boko Haram et du groupe État islamique en Afrique de l’Ouest dans la région du lac Tchad et des menaces que fait peser le conflit libyen à la région du sahel.  Cette violence touche les civils de la manière la plus aiguë, réduisant la sécurité alimentaire et déplaçant plus de 900 000 personnes. 

Lorsque les communautés sentent qu’elles doivent rivaliser pour des ressources limitées ou qu’elles ne peuvent pas compter sur leurs gouvernements pour fournir des infrastructures de base, des opportunités économiques et une protection, elles sont plus susceptibles de se sentir lésées.  Les citoyens doivent avoir confiance que leurs gouvernements peuvent les protéger et les protégeront.  Sinon, ils chercheront d’autres moyens de protection, y compris l’adhésion à des groupes violents ou criminels.  La bonne gouvernance et des forces de sécurité capables et responsables sont essentielles à la prévention de la violence, a argumenté Mme Norman-Chalet. 

Pour inverser cette tendance et créer des conditions de paix et de stabilité, Mme Norman-Chalet a souligné qu’une réponse militaire à elle seule ne suffit pas, notant qu’une résilience des sociétés aux menaces de l’extrémisme violent nait des efforts communautaires.  Il faut également une gouvernance inclusive et représentative dans l’ensemble de l’Afrique du l’Ouest et du Sahel, y compris en ce qui concerne l’accès aux services et aux ressources.  Les dirigeants doivent par ailleurs être responsabilisés à tous les niveaux et jouer un rôle actif dans le respect du contrat social entre les citoyens et leurs gouvernements. 

La représentante a ensuite indiqué que les États-Unis financent nombre de programmes pour appuyer ces solutions.  En 2017 et 2018, ils ont déboursé plus de 5,5 milliards de dollars pour soutenir la stabilité et la sécurité à long terme en Afrique de l’Ouest.  Dans la région du lac Tchad, ils ont fourni près de 470 millions de dollars d’aide pour lutter contre les facteurs sous-jacents des conflits et lutter contre les menaces terroristes.  Elle a aussi cité les initiatives « Jeunes leaders africains » et « Prosper Africa », de même que le Partenariat pour le développement du Sahel du Département d’État investissent dans le renforcement des capacités et le soutien au commerce et à l’investissement.  Mais pour combattre la violence régionale et renforcer la stabilité, un plus grand engagement des gouvernements régionaux s’impose, a-t-elle souligné.

Intervenant au nom des trois pays africains (A3) élus au Conseil de sécurité, M. KACOU HOUADJA LÉON ADOM (Côte d’Ivoire) a dit que l’année 2019 restera sans aucun doute pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, du point de vue sécuritaire et humanitaire, l’une des années les plus sombres du fait des violences intercommunautaires et des attaques des groupes terroristes.  Il a déclaré que les réponses aux problématiques sécuritaires et humanitaires actuelles doivent être élaborées dans le cadre d’une approche pluridimensionnelle, fondée sur la promotion d’un dialogue national inclusif.  Le représentant a réitéré son soutien au G5-Sahel et à la Commission du bassin du lac Tchad, afin d’opérationnaliser davantage la Force conjointe et la Force multinationale mixte, mais aussi de soutenir les initiatives de développement, devant permettre le relèvement économique et social des zones affectées par les violences intercommunautaires.  Il a souligné l’importance de la société civile et des médias pour battre en brèche l’idéologie et la rhétorique radicale des groupes terroristes.  « Les pays africains élus au Conseil de sécurité sont également d’avis que le caractère transnational et transrégional des violences intercommunautaires et de l’extrémisme violent exige une coopération renforcée en matière de sécurité, de défense et de développement économique et social », a dit le représentant des A3. 

Par ailleurs, M. Adom a salué les « efforts héroïques » du Mali et du Burkina Faso pour lutter contre les violences intercommunautaires et l’extrémisme violent, en dépit de conjonctures économiques particulièrement difficiles.  « Le Mali et le Burkina Faso constituent les dernières digues contre l’expansion des groupes jihadistes vers les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest », a estimé le représentant avant de prévenir que la rupture de ces digues offrirait à la déferlante terroriste l’occasion de contrôler les ports et les énormes potentiels économiques de la sous-région et d’y installer un califat islamique.  « L’Afrique de l’Ouest et le Sahel deviendraient alors le point de diffusion du cancer terroriste, dont les métastases pourraient se répandre dans d’autres contrées du monde », a-t-il craint avant d’ajouter que les enjeux de la lutte contre les violences intercommunautaires et de l’extrémisme vont bien au-delà de l’espace géographique ouest-africain et sahélien. 

Citant une urgence sécuritaire régionale et internationale, le représentant des pays africains élus au Conseil a lancé un appel pressant à la communauté internationale et aux partenaires au développement, afin qu’ils accroissent leurs contributions multiformes aux initiatives de développement en cours dans la région.  Il a demandé une implication décisive du Conseil afin de trouver une solution durable au conflit libyen, véritable « boîte de pandore », dont l’ouverture a exacerbé l’insécurité et l’instabilité en Afrique de l’Ouest et au Sahel et créé les conditions propices à l’installation des groupes terroristes.  Il a salué l’engagement pris par les chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le 14 septembre 2019 à Ouagadougou, et ceux de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le 1er décembre dernier à Dakar, pour lutter contre l’extrémisme violent et le terrorisme. 

M. JUN ZHANG (Chine) a noté que la situation en Afrique de l’Ouest demeure stable « en général » et que l’économie se développe bien, mais que la région se heurte à des menaces qui méritent le soutien de la communauté internationale.  Les violences communautaires en sont une, ainsi que la prolifération des armes et le terrorisme.  Ainsi, Boko Haram s’est développé en Afrique de l’Ouest et en même temps, les liens entre les deux phénomènes –terrorisme et violences communautaires- se sont multipliés et la communauté internationale doit y répondre.

Il faut, selon le représentant, accélérer le rythme du développement pour éliminer les ferments de la violence intercommunautaire liée aux rivalités pour les ressources naturelles.  Les droits des communautés doivent être garantis et les services publics fournis à tous.  La Chine aide les communautés locales en renforçant les infrastructures et les possibilités d’éducation et de formation, mais il faut aussi favoriser les réponses pacifiques aux crises et promouvoir la déradicalisation, endiguer le flux de terroristes étrangers et les réseaux qui les financent, a-t-il insisté en appelant sur ce point à la coopération des services de renseignement.  M. Zhang a encore souligné la nécessité de trouver une « réponse africaine aux problèmes africains ».  Le G5 Sahel et la Force conjointe constituent une réponse précieuse et la communauté internationale doit soutenir les Nations Unies pour qu’elles apportent leur soutien à ces efforts, notamment via la Mission de l’ONU en Afrique de l’Ouest et au  Sahel.

M. GENNADY V. KUZMIN (Fédération de Russie) a estimé que le thème abordé aujourd’hui ne correspond pas à l’ordre du jour.  Il était question de discuter du terrorisme et non de l’extrémisme violent, un concept qui, a-t-il affirmé, ne fait pas l’objet d’une reconnaissance internationale.

Le représentant a ensuite déclaré que son gouvernement était davantage préoccupé par la création et l’implantation du groupe État islamique en Afrique de l’Ouest.  Il rejette aussi l’idée, véhiculée ici, que le terrorisme en Afrique de l’Ouest a des causes internes.  Or, il faudrait élargir l’analyse et inclure la question de l’ingérence extérieure dans les affaires internes, « comme c’est le cas en Syrie ».

Le fait est, a expliqué M. Kuzmin, que les pays de l’Afrique de l’Ouest payent aujourd’hui le prix de l’intervention militaire de l’OTAN en Libye.  Mais au lieu de répondre à la question de savoir d’où viennent ces arsenaux d’armes lourdes, nos « partenaires occidentaux » préfèrent parler d’extrémisme violent et élaborer des concepts nouveaux, tout en cherchant à sous-traiter la lutte contre ce phénomène à des entités étrangères. 

Si les promoteurs de la prévention de l’extrémisme violent sont si convaincus de l’efficacité de cette approche, ils n’ont qu’à l’accepter dans leurs propres pays, où des idées racistes, xénophobes et néonazis prolifèrent, au lieu de cherche à l’imposer aux pays en développement, a poursuivi le représentant.

Pour sa part, la Fédération de Russie suit de près la situation en Afrique de l’Ouest et apporte son aide aux pays de la région, notamment en appuyant la formation des forces de sécurité locales.  M. Kuzmin a appelé les promoteurs de la prévention de l’extrémisme violent à faire de même, sans ingérence dans les affaires internes de ces pays.

Après avoir présenté ses condoléances aux familles des soldats nigérians tués la semaine dernière dans une attaque jihadiste, Mme JOANNA WRONECKA (Pologne) a souligné combien cette réunion est importante.  L’Afrique de l’Ouest reste confrontée à de graves défis transnationaux: changements climatiques, extrémisme violent et terrorisme, pauvreté, migration irrégulière, trafic d’êtres humains, d’armes et de drogue.  C’est pourquoi elle a jugé important de renforcer la résilience de ces pays face aux menaces émergentes, y compris celles d’ordre ethnique et religieux.  À  cet égard, la représentante a souligné le rôle des institutions religieuses et la nécessité de renforcer les capacités des gouvernements locaux face aux tentatives de déstabilisation de la région.  Autonomiser les communautés marginalisées qui sont extrêmement vulnérables à l’influence des groupes extrémistes violents peut constituer, à ses yeux, une partie de la solution.  Elle a également évoqué l’inégalité des genres qui est une autre source de préoccupation.  « Nous devons investir dans la capacité des femmes à prévenir l’extrémisme violent dans leurs communautés. »

Mais au-delà, a conclu Mme Wronecka, faire face à tous ces défis requiert une approche holistique de toutes les parties prenantes, notamment à travers la mise en œuvre de la stratégie de stabilisation en faveur des pays sous la menace de Boko Haram, le plan d’investissement prioritaire pour le G5 Sahel et la stratégie intégrée des Nations Unies pour le Sahel. 

M. LUIS UGARELLI (Pérou) a insisté sur les liens étroits entre terrorisme et crime organisé et sur la nécessité de renforcer la coordination des États.  Les mesures doivent être conformes au droit international humanitaire et aux droits de la personne pour garantir la légitimité de la réponse, a-t-il souligné.  S’il a salué la réunion de la CEDEAO sur ce thème en septembre dernier, le représentant a aussi jugé important de démanteler les structures qui permettent le trafic de drogue en Afrique de l’Ouest ainsi que le trafic d’armes légères et de ressources naturelles, qui favorisent la corruption des institutions.  De même, il est impératif de lutter contre les causes profondes des violences communautaires, aggravées par les groupes terroristes qui détruisent les possibilités de proposer des solutions pacifiques en favorisant un groupe par rapport à un autre et en jouant des tensions et des conflits entre communautés pour mener des attaques aveugles.  Pour le Pérou, il faut conjuguer la riposte au terrorisme et une approche multidimensionnelle pour garantir de meilleures conditions de vie aux civils.  À cette fin la communauté internationale doit apporter son concours au développement dans la sous-région.  Car il n’y a pas d’autre activité préventive à mener pour l’édification d’une paix durable que de créer des sociétés plus ouvertes, notamment aux femmes et aux jeunes.

M. JAMES ROSCOE (Royaume-Uni) a déclaré que les initiatives militaires ne peuvent à elles seules venir à bout de l’extrémisme violent, tant il y a de causes internes à ce phénomène, notamment la mauvaise gouvernance, la corruption et l’absence d’opportunités.  En ce qui le concerne, le Royaume-Uni, qui soutient les efforts entrepris dans cette lutte, enverra 250 soldats au Mali en 2020.  Le pays a versé 6,6 millions de dollars au titre de l’aide bilatérale et plusieurs autres millions à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).  Au nord du Nigéria, le Royaume-Uni a déployé 15 millions de dollars et 28 autres millions dans l’État de Borno pour lutter contre l’enrôlement des jeunes dans les groupes armés.  Le Royaume-Uni mise également sur l’investissement économique, comme le montre la tenue prochaine, le 28 janvier, à Londres, du sommet Afrique-Royaume-Uni pour stimuler les investissements économiques.

Le représentant a déclaré que les Nations Unies aussi ont un rôle à jouer, notamment par le biais de la coordination entre les acteurs de développement présents dans la région et le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS).  Les Nations Unies peuvent aussi se servir du régime des sanctions pour lutter contre les sources de financement des groupes terroristes et l’accès aux armes, a-t-il conclu. 

M. CHRISTOPH HEUSGEN (Allemagne) a dit la nécessité de bien comprendre et identifier les racines de la violence pour pouvoir les combattre.  Il s’est dit optimiste et encouragé par les progrès mis en évidence par l’examen stratégique du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) s’agissant de l’état de la démocratie, de la justice, de l’état de droit et des droits de l’homme.  En même temps, il s’est inquiété de la détérioration de la situation sécuritaire en raison de l’augmentation de l’extrémisme violent, des activités criminelles et terroristes et de l’exploitation des conflits liées aux ressources, phénomènes qui sont exacerbés par les changements climatiques et les développements démographiques.  Il a cité le déplacement de 4,4 millions de personnes rien qu’au Sahel en raison de la vulnérabilité alimentaire, de la malnutrition, des épidémies et de la violence.  Les tensions entre éleveurs et fermiers et autres acteurs, en raison de la raréfaction des ressources, forment des terreaux propices à la propagation de la violence et du terrorisme.  Tout en notant l’importance de promouvoir la parité entre les genres pour prévenir la violence, le représentant a fait remarquer que les femmes ne sont pas seulement des victimes et qu’il est temps de se pencher plus avant sur leur radicalisation. 

Par ailleurs, M. Heusgen a souligné la nécessité d’une nouvelle perspective « holistique » pour appuyer les secteurs de la sécurité et de la justice afin d’augmenter l’acceptation de l’autorité de l’État.  Une approche intégrée est particulièrement nécessaire pour tacler la criminalité transnationale organisée, dont le trafic de drogue et d’armes ainsi que la traite des êtres humains.  L’Allemagne, a-t-il assuré, est engagée à soutenir des mesures de stabilisation, de concert avec des partenaires internationaux, afin de restaurer et de maintenir la paix et la sécurité dans l’ensemble de la région. 

M. MANSOUR AYYAD SH. A. ALOTAIBI (Koweït) a estimé que la dernière attaque au Niger montre l’ampleur des défis auxquels sont confrontés les pays de la région.  Il faut donc s’attaquer aux causes profondes, notamment en matière de développement, et renforcer la gouvernance.  Il a constaté que plusieurs initiatives de l’ONU visent ces objectifs et a appelé à renforcer la cohésion entre elles afin de lutter contre l’extrémisme violent et consolider les gains de la Force du G5 Sahel et de la Force conjointe. 

Pour le représentant, il faut mettre l’accent sur les aspects sociaux des conflits et œuvrer à la réconciliation entre les communautés pour appuyer la stabilité « comme on l’a vu pratiqué avec succès au Mali ».  Les Nations Unies ont plusieurs bureaux et missions en Afrique de l’Ouest, donc le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest (UNOWA) qui a besoin d’appui pour renforcer son mandat et ses ressources pour s’acquitter de sa mission au mieux.  Il a aussi salué les efforts des pays de la région via la CEDEAO notamment lors de son sommet de septembre dernier.  Le rôle de prévention de conflit de l’ONU doit être renforcé, a par ailleurs estimé le représentant. 

M. NICOLAS DE RIVIÈRE (France) a évoqué une situation « alarmante » au Sahel et autour du bassin du lac Tchad avec des populations civiles en première ligne face aux violences, notamment les femmes et les enfants.  Les causes profondes de cette instabilité sont connues, a-t-il insisté, citant les fragilités économiques, les faiblesses des États, les trafics et les impacts des changements climatiques qui exacerbent les antagonismes entre communautés.  Réclamant « un sursaut », le représentant a appelé le Conseil de sécurité à encourager les États concernés à améliorer leur gouvernance et à favoriser la cohésion sociale. 

Au Mali, a constaté M. de Rivière, la mise en œuvre de l’accord de paix a pris trop de retard.  Car la solution appartient d’abord aux États concernés qui doivent développer des stratégies politiques alliant sécurité et réponse humanitaire.  Alors que la France réunira les cinq pays du G5 Sahel début 2020 pour poursuivre la lutte contre le terrorisme, le représentant a demandé un soutien, y compris de la part de l’ONU, aux initiatives régionales comme la Force conjointe du G5.  Cependant la réponse militaire n’est qu’une partie de la réponse, a-t-il rappelé.  Certains mécanismes de règlement des conflits ont fait leur preuve, et il convient de les soutenir.  De même, il faut aider les États à installer des services publics et à réaliser le potentiel des pays, notamment sur le plan agricole. 

M. DIAN TRIANSYAH DJANI (Indonésie) a souligné la nécessité de remédier aux causes profondes de l’insécurité dans la région.  Il a plaidé pour un appui aux efforts régionaux et nationaux, en particulier la Force conjointe G5 Sahel et la Force multinationale mixte.  Il est important que ces initiatives bénéficient d’un soutien accru au sein de la population, a-t-il dit.  La poursuite des auteurs de violations et l’application du principe de responsabilité aux forces de sécurité sont des aspects importants de toute stratégie visant à « gagner les cœurs ». 

Le délégué a ensuite rappelé l’importance de la réconciliation des communautés, au moyen du dialogue et de la médiation, afin de s’assurer que les griefs sous-jacents soient bien identifiés.  Il a enfin estimé que toute réponse sécuritaire doit s’inscrire dans une stratégie plus large visant à contrer l’extrémisme violent.  En restaurant la légitimité de l’État, en remédiant aux causes profondes et en promouvant la cohésion et l’unité nationale, nous pourrons parvenir à une stabilité durable, a conclu M. Djani.

M. JOSÉ MANUEL TRULLOLS YABRA (République dominicaine) s’est dit préoccupé par la grave détérioration de la sécurité en Afrique de l’Ouest et au Sahel, résultat de la propagation de réseaux extrémistes violents, qui exacerbent les tensions entre communautés, et de leurs liens avec la criminalité transnationale organisée.  Il a également relevé l’impact des changements climatiques comme facteur de risque pour la sécurité puisqu’une grande partie de la population de la région doit chaque jour faire face au manque d’eau, à la diminution des surfaces cultivables, à l’érosion des sols ou aux sécheresses, ce qui affecte la sécurité alimentaire, la santé et les moyens de subsistance.  Aussi, a-t-il jugé nécessaire de continuer à soutenir les pays de la région dans l’évaluation des risques et la conception de stratégies d’atténuation et de résilience.

Par ailleurs, le représentant a fait observer que la prolifération d’armes légères de petit calibre exige une attention particulière.  Il a mis en avant la collaboration avec les organismes régionaux, qui renforcent les mécanismes locaux et se concentrent sur le maintien de la paix et la consolidation de la cohésion sociale.  En outre, l’investissement dans les zones rurales est essentiel pour créer des opportunités, en particulier pour les jeunes, afin de prévenir et atténuer les conflits pour les ressources naturelles. 

Pour M. MARC PECSTEEN DE BUYTSWERVE (Belgique), il est indispensable d’éviter les amalgames entre terrorisme, extrémisme, violences intercommunautaires, conflits interethniques ou religieux et violence insurrectionnelle pour « ne pas tomber dans le piège d’une lecture simpliste de la région ».  Dès lors, et alors que le contexte général est bien connu, la réponse sécuritaire ne saurait suffire, a-t-il insisté.  Il a relevé que le sentiment d’injustice est un facteur majeur d’instabilité, citant les cas de règlement des conflits fonciers sur la base d’intérêts personnels et de corruption: l’État est alors perçu non seulement comme partial mais surtout, il perd sa légitimité aux yeux de ses concitoyens, a-t-il insisté.  Les communautés nomades connaissent le même sentiment d’injustice par exemple dans le cas de vols de bétails, qui se multiplient. 

Pour la Belgique, la réponse à ce sentiment d’injustice et d’impunité est le renforcement de l’état de droit et en stimulant les synergies entre justice formelle et traditionnelle afin qu’elles se complètent et apportent une réponse aux racines profondes des violences.

Le représentant a également prévenu que l’absence de sécurité des populations civiles favorise l’apparition de milices et cette défaillance de l’État impose à la communauté internationale de continuer de renforcer son appui aux forces de sécurité et de défense d’Afrique de l’Ouest.  Il a souligné que c’est aux États eux-mêmes qu’incombe la responsabilité première d’assurer la sécurité de leurs citoyens.

Mme Norman-Chalet (États-Unis) a repris la parole en fin de réunion suite à la déclaration de la Fédération de Russie et a reconnu que le titre de la séance n’était pas correct.  En conséquence, il sera corrigé comme suit dans le procès-verbal: « Paix et sécurité en Afrique de l’Ouest. »

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