Soixante-quatorzième session,
36e & 37e séances plénières, matin & après-midi
AG/SHC/4276

Troisième Commission: le respect des données médicales et le versement de réparations pour l’esclavage dominent le débat

La Troisième Commission, chargée des questions sociales, culturelles et humanitaires,  s’est penchée, aujourd’hui, sur l’utilisation des données personnelles sur la santé et ses conséquences sur le respect de la vie privée.  Elle a également scruté l’impact des entreprises transnationales sur les droits des individus, clôturant ainsi près de deux semaines de discussions de fonds sur la promotion et la protection des droits de l’homme, avant d’inaugurer, dans l’après-midi, un dialogue avec les titulaires de mandat sur le racisme et l’autodétermination. 

Dans un premier temps, le Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée, M. Joseph Cannataci, a alerté que la nature très sensible des données sur la santé ainsi que leur énorme valeur commerciale rendent extrêmement préoccupante l’industrie « largement cachée » de collecte, d’utilisation, de vente et de sécurisation de ces données, notamment au vu de son impact sur la vie privée.

Aussi a-t-il appelé les États à veiller à ce que l’intelligence artificielle, les algorithmes médicaux et les mégadonnées soient régulés de manière transparente, contrôlés pour éviter tout effet délétère et conformes à l’état de droit.  Il a également évoqué la question « complexe » de l’automatisation de la prise de décisions.

Toujours dans le domaine médical, le Rapporteur spécial sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, M. Dainus Puras, s’est préoccupé, de son côté, de la nécessité de dispenser une formation médicale basée sur les droits de la personne afin de contribuer à la réformer des systèmes de santé et à les rendre plus participatifs, plus équitables, plus réactifs et non discriminatoires. 

Plaidant pour une éducation médicale qui prêterait attention aux conditions dans lesquelles les gens sont nés et vivent, et qui privilégierait la disponibilité des soins de santé primaires au sein même des communautés, le Rapporteur a pointé la « glorification » des spécialisations médicales et du pouvoir des spécialistes, estimant que cela éloigne de la nécessité de fournir des soins aux personnes les plus vulnérables et marginalisées.  Il a également alerté des risques que représentent le recours excessif à la médicalisation et l’asymétrie de pouvoir entre les médecins et les patients ou les autres agents de santé.

Pour surmonter ces défis, il a estimé que le personnel de santé devrait non seulement être formé au diagnostic et au traitement de maladies et de pathologies biomédicales, mais aussi recevoir une formation qui mette l’accent sur les facteurs décisifs responsables des problèmes de santé et des inégalités en la matière.  Il a également recommandé de revenir à l’idée proposée, il y a 20 ans, par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), de former des médecins « 5 étoiles » qui, outre l’octroi de soins, seraient également de bons communicants et occuperaient un rôle de leadership, notamment en matière d’administration et de prise de décisions éthiques. 

Les délégations se sont ensuite préoccupées de l’impact « significatif » que les activités des entreprises peuvent avoir sur les droits de l’homme.  Elles ont notamment entendu un membre du Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises s’inquiéter du manque de cohérence entre les politiques d’achat et les lois, d’une part, et les obligations des États en matière de droits de l’homme, de l’autre.  Cette situation pâtit également du manque de directives pratiques sur la façon d’opérationnaliser le devoir de protection des droits dans les politiques d’achat, a signalé M. Dante Pesce.  Il a en outre alerté que les entités de promotion des exportations et du commerce ne divulguent pas d’orientations sur la façon dont les entreprises doivent respecter les droits de l’homme dans le commerce transfrontière. 

Dans l’après-midi, c’est la question du versement des réparations dues au titre de la discrimination raciale qui trouve son origine dans l’esclavage et le colonialisme qui a mobilisé l’attention des États Membres.  À ce sujet, la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée a souligné que ces réparations doivent non seulement viser la reddition de comptes et à réparer des torts historiques, mais aussi éliminer les structures persistantes d’inégalité raciale, de subordination et de discrimination qui ont été érigées à l’époque de l’esclavage et du colonialisme.

Mme Tendayi Achiume a déploré que les réparations soient trop souvent considérées comme des mesures d’exception, alors qu’elles sont un recours fondamental consacré par la juridiction internationale.  Parmi les principaux obstacles aux versements de réparations, elle a cité le manque de prise de conscience de l’opinion publique, voire des dirigeants, quant à l’héritage racialement discriminatoire de l’esclavage et du colonialisme, décriant par ailleurs les programmes scolaires qui présentent une « histoire partielle » qui efface le rôle fondamental de l’esclavage et de la domination coloniale dans la prospérité, passée et présente, des puissances esclavagistes et coloniales. 

Les États Membres ont, en outre, dialogué avec le Président du Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine, M. Ahmed Reid, qui a appelé les États à prendre d’urgence des mesures pour freiner l’actuelle vague de haine et de discrimination, propagée en grande partie sur Internet et les réseaux sociaux.  En la matière, le Président du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, M. Nourredine Amir, s’est notamment inquiété des discours racistes tenus par des figures politiques et de la multiplication d’organisations qui promeuvent ouvertement les discriminations raciales et l’idéologie de la suprématie raciale, notant que les États ne sont pas suffisamment outillés pour les contrer. 

La Troisième Commission, qui a également entendu le Directeur du Bureau de New York du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, M. Craig Mokhiber, poursuivra ses travaux mercredi 30 octobre, à partir de 10 heures. 

PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

Application des instruments relatifs aux droits de l’homme (A/74/40, A/74/44, A/74/48, A/74/55, A/74/56, A/74/146, A/74/148, A/74/228, A/74/233, A/74/254, A/74/256)

Questions relatives aux droits de l’homme, y compris les divers moyens de mieux assurer l’exercice effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales (A/74/147, A/74/159, A/74/160, A/74/161, A/74/163, A/74/164, A/74/165, A/74/167, A/74/174, A/74/176, A/74/179, A/74/181, A/74/183, A/74/185, A/74/186, A/74/190, A/74/191, A/74/197, A/74/198, A/74/212, A/74/213, A/74/215, A/74/226, A/74/227, A/74/229, A/74/243, A/74/245, A/74/255, A/74/261, A/74/262, A/74/178, A/74/189, A/74/270, A/74/271, A/74/277, A/74/285, A/74/314, A/74/318, A/74/335, A/74/349, A/74/351, A/74/358, A/74/460)

Situations relatives aux droits de l’homme et rapports des rapporteurs et représentants spéciaux (A/74/166, A/74/188, A/74/196, A/74/268, A/74/273, A/74/275, A/74/276, A/74/278, A/74/303, A/74/311, A/74/342)

Application intégrale et suivi de la Déclaration et du Programme d’action de Vienne (A/74/36)

Exposé du Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée

M. JOSEPH CANNATACI, Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée, a expliqué que son rapport avait pour objet de fournir des principes directeurs concernant le traitement des données de santé et servir de norme de référence internationale pour les normes minimales dans ce domaine. 

Il a souligné que la nature très sensible des données sur la santé, ainsi que leur énorme valeur commerciale, rendent extrêmement préoccupante l’industrie « largement cachée » de collecte, d’utilisation, de vente et de sécurisation de ces données, notamment au vu de son impact sur la vie privée.

Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible et a le droit au niveau le plus élevé possible de protection de ses données de santé, a-t-il rappelé.

Le Rapporteur a indiqué que ses recommandations prévoient de solides protections des données sur la santé, ainsi que des dispositions pour appuyer leur utilisation pour des raisons d’intérêt public telles des recherches scientifiques.  Il a toutefois regretté que le temps qui lui est imparti et la « limite arbitraire du nombre de mots » allouée aux rapports annuels des titulaires de mandat rendent impossible une discussion détaillée sur la recommandation.

M. Cannataci a ensuite décrit certaines de ses activités au cours de l’année écoulée, dont des consultations avec la société civile, les gouvernements, les représentants de l’ordre, les services de renseignement, les autorités chargées de la protection des données, les universitaires et les entreprises sur de nombreuses dimensions de la vie privée. 

Il a rappelé la publication, en mars dernier, de son rapport liminaire sur la perspective de genre et la vie privée.  Une coopération est également en cours avec le Comité des droits de l’enfant en vue de la préparation de nouveaux principes directeurs sur la protection de la vie privée des enfants, en insistant sur les méfaits commis en ligne et les garde-fous qui s’imposent.

Le titulaire de mandat a également parlé de l’organisation, en septembre dernier à Bruxelles, de la deuxième réunion de l’Équipe spéciale consacrée à l’utilisation des données privées par les entreprises, avec la participation de grandes sociétés internationales et européennes.  Cet événement a été suivi par la tenue, en octobre, de la quatrième édition du Forum international de contrôle des services de renseignement au cours duquel les délégations ont échangé sur les meilleurs moyens d’améliorer la protection de la vie privée à travers le contrôle de la surveillance. 

Le Rapporteur spécial a également expliqué qu’il travaille à la création d’une initiative multipartite sur le développement et le renforcement du cryptage, en réponse aux appels « bien intentionnés mais erronés » lancés par certains États aux entreprises les engageant à affaiblir ou à cesser de rendre disponibles aux citoyens des techniques de cryptage robuste.

M. Cannataci a d’autre part précisé avoir été saisi, cette année, de 31 communications soulevant des questions sur des pratiques apparemment contraires au droit à la vie privée, ainsi que de demandes croissantes d’États pour les épauler dans la rédaction de nouvelles législations relatives à ce droit.  Il a enfin évoqué ses visites en Argentine et en République de Corée dont les rapports sont disponibles en ligne. 

Dialogue interactif

En tant que porte-plume de la résolution sur cette question au Conseil des droits de l’homme, le Liechtenstein s’est félicité que le Rapporteur spécial ait retenu le droit à la vie privée à l’ère numérique comme thème de son rapport.  Il a souhaité connaître les conséquences du recours à l’intelligence artificielle sur le droit à la vie privée à l’ère numérique. 

L’Union européenne a indiqué qu’elle s’emploie à protéger les données à caractère personnel par le biais notamment de son règlement général sur la protection des données (RGPD).  Selon elle, il est essentiel que toute détention et tout partage de données relatives à la santé soient protégés, d’autant plus que l’utilisation des données par les industries de collecte est préoccupante.  Il importe de prévoir des voies de recours en cas d’accès illégitime à des données personnelles, a-t-elle souligné, plaidant pour une coopération internationale dans ce sens.  Elle a souhaité savoir comment les États Membres peuvent mieux protéger les données sanitaires et biométriques des enfants. 

L’Allemagne a souligné l’importance d’obtenir le consentement des personnes avant l’utilisation, par des entreprises, de données privées les concernant.  Elle a indiqué que le projet de résolution qu’elle a cosigné avec le Brésil sur le droit à la vie privée porte, cette année, sur l’intelligence artificielle, laquelle peut avoir des conséquences néfastes.  Relevant que les données à caractère personnel peuvent se retrouver à être utilisées pour établir des devis pour les assurances, elle a demandé au Rapporteur spécial comment il aborde l’intelligence artificielle dans le cadre de ses travaux. 

Le Brésil a précisé qu’au plan national, une législation sur la protection des données prévoit d’obtenir le consentement des personnes avant l’utilisation de données à caractère personnel.  Après être revenu sur le projet de résolution susmentionné qu’il présentera avec l’Allemagne, il a voulu en savoir plus sur la façon dont les États Membres peuvent s’assurer que leurs entreprises protègent les données et la vie privée lorsque leurs bases de données se situent dans d’autres pays. 

La Fédération de Russie a estimé que le respect de la vie privée à l’ère numérique est l’une des questions les plus pertinentes en matière de droits de l’homme, compte tenu notamment des grandes atteintes à ce droit sur Internet et à l’indépendance des médias, et du fait que les technologies de l’information permettent d’avoir accès à des listes de numéros de téléphone et d’adresses numériques.  Il importe que les États se dotent de normes de protection juridique fortes, a-t-elle plaidé.  Elle s’est aussi prononcée pour l’élaboration de normes de comportement des États se fondant sur la Charte des Nations Unies et les principes de non-emploi de la force et de non-ingérence dans les affaires d’autres États. 

La République de Corée a expliqué s’être dotée d’un plan d’action comportant une législation sur la protection des données permettant de prendre en compte les effets de l’intelligence artificielle et l’utilisation malveillante des données personnelles.  Elle a souhaité connaître les pratiques optimales en la matière. 

Dans ses réponses, le Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée s’est attardé sur la problématique de l’intelligence artificielle, une question « essentielle » sur laquelle il travaille depuis 30 ans.  L’intelligence artificielle, les algorithmes et les mégadonnées font l’objet d’une attention toute particulière et doivent être régulés de manière transparente, a-t-il souligné.  Tous les algorithmes médicaux doivent être suivis pour garantir les résultats et, en même temps, contrôlés pour éviter tout effet délétère dans le cadre du respect des principes établis.  En effet, a poursuivi M. Cannataci, toutes les décisions prises en utilisant les algorithmes doivent être explicables et conformes à l’état de droit.  Il a également évoqué brièvement la question de l’automatisation de la prise de décisions, un sujet complexe qui, a-t-il indiqué, figure dans son rapport.

S’adressant à l’Union européenne, il s’est voulu rassurant, rappelant que toutes les préoccupations mentionnées sont conformes aux recommandations contenues dans le document, objet de deux ans de recherche.  À tous les pays qui décident de mettre en œuvre ses recommandations, ce qu’il « souhaite vivement », il a dit: « Nous avons fait de notre mieux pour les rendre conformes. »  S’agissant des données relatives aux enfants, le Rapporteur travaille sur des recommandations séparées sur le respect de leur vie privée.  Il a souligné que la question du consentement est la base même sur laquelle les données médicales doivent être traitées. 

Quant à savoir comment les gouvernements peuvent bénéficier de davantage d’appui pour garantir le respect de la vie privée lorsque les données sont hors de leur juridiction, il a encouragé les États à travailler pour développer le droit international dans ce domaine.  À la Fédération de Russie, qui s’interrogeait sur les normes de comportement des États face aux données, il a conseillé des discussions sur le droit à la vie privée qui doivent plutôt porter sur les droits de l’homme que leur instrumentalisation. 

Exposé du Rapporteur spécial sur le droit à la santé

Pour M. DAINIUS PURAS, Rapporteur spécial sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, les objectifs et engagements des États Membres à une couverture sanitaire universelle ne pourront être atteints qu’au travers d’un investissement dans le personnel de santé et d’une approche basée sur les droits de la personne.

Il a expliqué que son rapport met en avant les effets qu’une formation médicale fondée sur les droits de la personne pourraient avoir sur le personnel de santé.

Selon lui, l’éducation dans le domaine de la santé doit prêter attention aux conditions dans lesquelles les gens sont nés et vivent, et mettre l’accent sur l’importance d’offrir des soins de santé primaire au sein même des communautés au risque d’exacerber les problèmes et déséquilibres.  Il a notamment alerté du risque de saper le principe de ne causer aucun préjudice, d’un recours excessif à la médicalisation et d’une asymétrie de pouvoir entre les médecins et les patients ou les autres agents de santé.

Pour surmonter ces défis, a-t-il poursuivi, le personnel de santé ne devrait pas seulement être formé à comment diagnostiquer, traiter et soigner les maladies et pathologies biomédicales.  Il devrait aussi recevoir une formation basée sur les droits de la personne qui mette l’accent sur les facteurs décisifs responsables des problèmes de santé et comment ils contribuent aux inégalités en matière de santé.

M. Puras a pointé la « glorification », au sein des facultés de médecine, des spécialisations médicales et du pouvoir des spécialistes, relevant que cette focalisation éloigne de la nécessité de fournir des soins aux personnes les plus vulnérables et marginalisées.  Il s’agit, a-t-il expliqué, des personnes vivant dans la pauvreté, handicapées, nécessitant des soins palliatifs, souffrant de troubles mentaux ou encore utilisateurs de drogues.

Les agents de santé de niveau intermédiaire ne sont souvent pas reconnus à leur juste valeur et sous-utilisés, notamment en raison d’une réglementation très stricte qui leur interdit d’effectuer de simples procédures pour lesquelles ils pourraient être formés.  Ces derniers, a-t-il appuyé, peuvent fournir des soins aussi efficacement que les médecins et sont souvent plus réceptifs aux attentes des usagers. 

Aussi, M. Puras a appelé les États à faire une meilleure utilisation des agents de niveau intermédiaire pour assurer un équilibre plus rationnel des compétences afin d’atténuer les conséquences des pénuries de personnel et de progresser vers la couverture sanitaire universelle.

Poursuivant, M. Puras a expliqué qu’une formation basée sur les droits de la personne peut, de plus, contribuer à réformer les systèmes de santé et à les rendre plus participatifs, plus équitables, plus inclusifs, plus réactifs et non discriminatoires.  Cela permettrait à chacun de s’exprimer, y compris les usagers des services, et permettrait au personnel de santé de s’acquitter de sa mission de manière optimale, en mettant pleinement à profit sa formation et son expérience, ce qui contribuerait au final à une plus grande disponibilité des services de santé.

Par ailleurs, a regretté M. Puras, la formation en santé mentale continue de s’appuyer excessivement sur le modèle biomédical pour expliquer la détresse émotionnelle et de favoriser les traitements pharmacologiques.  La formation des personnels de santé mentale doit être adaptée pour mettre l’accent sur les déterminants sociaux et sous-jacents de la santé et doter les personnels de santé des comportements, des connaissances et des compétences nécessaires pour nouer des relations et éviter le paternalisme inhérent au système.

M. Puras a donc appelé les États à garantir que les programmes de formation médicale et sanitaire assurent un équilibre entre les droits de l’homme, la santé publique et la médecine sociale et communautaire, sans oublier la promotion de la santé mentale et des soins de santé mentale, les soins palliatifs et la déontologie médicale.  Il a aussi cité le droit médical et les compétences en matière d’encadrement et de communication. 

De leur côté, a-t-il poursuivi, les écoles de médecine, de santé publique et tous les établissements d’enseignement supérieur qui forment des agents de santé doivent veiller à ce que les programmes de santé soient fermement ancrés dans des cadres de droit à la santé, reflétant les stratégies nationales et les priorités émergentes.

Selon M. Puras, doter tous les agents de santé de compétences et d’aptitudes fondées sur les droits aurait non seulement pour effet d’éviter les violations des droits de la personne dans la prise en charge des patients, mais aussi de promouvoir et de protéger les droits desdits agents de santé, dans la mesure où, a-t-il expliqué, cela réduirait l’inégalité des rapports de force au sein du personnel de santé, éviterait la corruption dans le secteur de la santé et contribuerait à l’établissement de conditions de travail décentes et à l’instauration d’un climat de confiance et de respect mutuels dans les systèmes de santé.

Dialogue interactif

Dans un premier temps, Bahreïn a souhaité savoir comment les États Membres pourraient tirer parti des agences des Nations Unies dans le domaine de la formation médicale.  Le Bangladesh a ensuite déclaré avoir récemment recruté 10 000 infirmières et 6 000 médecins afin de garantir la disponibilité de praticiens dans toutes les régions du pays.  Il s’est interrogé sur les possibilités de coopération entre le Conseil des droits de l’homme et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour faire progresser le droit à la meilleure santé physique et mentale possible. 

Les Maldives ont expliqué qu’elles s’efforcent d’assurer que chaque île de l’archipel dispose d’un système sanitaire communautaire, mais que compte tenu de l’éloignement de certaines communautés, il faut utiliser des technologies comme la télémédecine pour remédier aux écarts de services.  Comment un État comme les Maldives peut-il surmonter les défis qu’il rencontre sur le plan médical en raison de son insularité?

Déplorant la pénurie actuelle en agents de santé, l’Union européenne a insisté, de son côté, sur l’importance du consentement informé dans le domaine des soins de santé.  Elle a voulu des précisions sur les priorités que s’est fixé le Rapporteur spécial en matière de mesures de santé pratiques. 

La République islamique d’Iran s’est enorgueillie des progrès réalisés sur le plan national, notamment en matière d’élargissement des services de soins de santé primaires et de disponibilité de médecins de proximité.  Elle a toutefois averti que les mesures unilatérales prises par les États-Unis à son encontre sapent les mesures visant à promouvoir la santé, le matériel médical étant une des cibles de ces sanctions.

Appelant les États à rendre des comptes s’agissant du respect du droit à la santé, la Lituanie a demandé au Rapporteur spécial d’expliquer en quoi consiste l’obligation redditionnelle des États.  De son côté, le Maroc a demandé au Rapporteur spécial de clarifier dans quelle mesure investir dans des systèmes de santé peut permettre à des pays en développent de progresser dans la réalisation des objectifs de développement durable.  La délégation a par ailleurs indiqué que 64% de sa population est désormais couverte par le système d’assurance maladie qui couvre notamment les travailleurs non salariés.

Le Rapporteur spécial sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible a indiqué qu’en matière de formation des personnels sanitaires, il existe d’ores et déjà de bonnes pratiques qui pourraient être, selon lui, des sources d’inspiration, citant notamment la riposte mondiale à l’épidémie du sida.  Il a appelé les États à faire preuve du même degré de volonté politique face aux maladies non transmissibles, à la santé mentale et à la santé reproductive.

S’agissant de la question de l’éducation, il a fait observer que les écoles médicales forment au traitement des pathologies sans se soucier des droits de l’homme.  Il a appelé à revitaliser la formation du personnel médical, suggérant notamment de revenir à l’idée proposée, il y a 20 ans, par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), de former des médecins « 5 étoiles » qui, outre l’octroi de soins, seraient également de bons communicants et occuperaient un rôle de leadership, notamment en matière d’administration et de prise de décisions éthiques. 

Il a ensuite souligné que la santé mentale est une priorité mondiale, mais qui pèche par l’existence d’une approche paternaliste.  Il a toutefois fait observer que les pays développés disposent d’un « avantage paradoxal » pour modifier le cap en matière d’enseignement médical car ils ne dépendent pas des mêmes traditions d’enseignement médical.  De ce fait, ils peuvent effectuer des changements importants, notamment dans le domaine de la santé mentale, sans se heurter à autant de résistance que dans les pays développés.  M. Puras a par ailleurs espéré que le Conseil des droits de l’homme et l’OMS réussiront à surmonter leurs « tentatives fragmentées » de travailler ensemble.

Présentation du rapport du Groupe de travail sur les entreprises et les droits de l’homme

M. DANTE PESCE, membre du Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, a souligné que les activités des entreprises peuvent avoir un impact significatif sur pratiquement l’ensemble des droits de l’homme.  Dans ce contexte, il est de l’obligation des États de protéger les individus et les communautés des abus des entreprises et de l’impact, actuel et potentiel, de leurs activités dans tous les secteurs, ce qui exige des mesures tant préventives que de réparations. 

Reconnaissant que l’ampleur de la tâche requière une cohérence des politiques et des mesures dans tous les ministères, le Groupe de travail s’emploie à analyser la cohérence des politiques et les voies et moyens de l’améliorer dans le but de garantir le respect, tant par les organismes publics que par le secteur privé, des obligations liées aux droits de l’homme. 

Le Groupe de travail a relevé des lacunes et des contradictions dans la mise en œuvre de cadres de réglementation, et a pris comme exemple des situations où l’État fonctionne comme un acteur économique, en tant qu’acheteur, propriétaire, investisseur, ou s’engage dans des activités commerciales. 

Dans un tel cas de figure, l’État dispose d’un important levier pour veiller à ce que la législation et les règles relatives aux droits de l’homme soient effectivement mises en œuvre.  Il a cependant relevé un manque de cohérence entre les politiques d’achat et les lois, d’une part, et les obligations des États en matière de droits de l’homme, de l’autre.  Cette situation pâtit également du manque de directives pratiques sur la façon d’opérationnaliser le devoir de protection des droits dans les politiques d’achat.

Il s’est également inquiété du fait que des allégations d’abus des droits de l’homme par des entreprises d’État perdurent et du fait que les entités de promotion des exportations et du commerce ne divulguent pas d’orientation sur la façon dont les entreprises doivent respecter les droits de l’homme dans le commerce transfrontière. 

Parmi les individus et groupes qui risquent de subir des atteintes aux droits de l’homme, le Groupe de travail cite les défenseurs des droits de l’homme, les femmes et les filles, les peuples autochtones, les travailleurs dans les secteurs à faible salaire et les migrants.  Ces groupes sont bien souvent affectés sans mesure par l’absence ou par la conception et l’application inconsistante des politiques et règles afférentes aux activités des entreprises. 

La bonne nouvelle est que de plus en plus d’États ont reconnu la nécessité de meilleure cohérence des politiques et qu’ils prennent des mesures d’ordre pratique, en particulier par l’élaboration de plans d’action nationaux, qui marquent, de l’avis du Groupe de travail, une avancée majeure dans la bonne direction pour les pouvoirs publics.  De tels plans sont de précieux outils d’élaboration des politiques visant à promouvoir l’amélioration de la coordination et de la cohérence au sein des pouvoirs publics pour toute une série de domaines d’action publique, a-t-il expliqué. 

Il note également que le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et les Principes directeurs ont de nombreux points de convergence pour ce qui est des entreprises et des droits de l’homme, ce qui offre des possibilités de planification intégrée à l’échelle nationale.  M. Pesce a cependant appelé à éviter que l’élaboration d’un plan d’action national ne devienne un simple exercice de cochage de cases ou un prétexte à l’inaction.  Ils doivent avant tout fournir aux entreprises des mesures obligatoires en termes de respect des droits de l’homme et de la diligence requise en l’espèce, a-t-il souligné.

M. Pesce a ensuite indiqué que le Groupe de travail a identifié des facteurs critiques essentiels à l’amélioration de la cohérence des politiques: un engagement au plus haut niveau politique; une participation concrète de toutes les institutions publiques et parties prenantes; l’octroi de financements, de ressources et de capacités adéquates; la formation et la sensibilisation de l’ensemble des acteurs étatiques; la gestion de l’information et des connaissances concernant la politique des entreprises et des droits de la personne; et enfin, le suivi et l’évaluation.

Dialogue interactif

L’Espagne a expliqué avoir lancé, en juillet 2017, un plan d’action national sur les entreprises et les droits de l’homme, dans le cadre duquel des réunions impliquant l’État et les entreprises sont organisées avec des représentants de la société civile.  Elle a demandé au Groupe de travail de lui fournir des observations quant à la façon d’améliorer les méthodes de travail au-delà de la qualification des personnels. 

L’Union européenne a jugé que l’absence de leadership des entreprises dans le domaine des droits de l’homme reste préoccupante.  Dès lors, comment être plus efficace pour traduire les engagements politiques dans la pratique, en veillant à protéger les droits de l’homme sur le terrain?  Et quelles mesures prises par les pays permettraient d’améliorer la coordination entre les gouvernements, les entreprises et la société civile pour mieux protéger les droits de l’homme? ont demandé à leur tour les États-Unis.  Pour sa part, la Norvège s’est interrogée sur les mesures concrètes que les États devraient prendre pour garantir une mise en œuvre plus efficiente des Principes directeurs. 

En la matière, la Fédération de Russie a relevé que l’application des Principes directeurs peut varier en fonction de la législation en vigueur et des traditions et usages locaux.  Elle a par ailleurs indiqué ne pas encore disposer de plan d’action national sur cette question, tout en considérant que sa législation et les acquis dans la pratique des entreprises constituent un point de départ.  À cet égard, elle a invité le Groupe de travail à se rendre en Fédération de Russie pour se familiariser avec le contexte national. 

Le membre du Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, a affirmé qu’il reste encore un énorme travail à abattre dans le domaine des entreprises et les droits de l’homme en raison de l’inaction des gouvernements.

Afin de renforcer la mise en œuvre des plans d’action, M. Pesce a estimé qu’une approche participative incluant les gouvernements, la société civile et les entreprises s’impose.  Il a exhorté toutes les parties prenantes à rester mobilisées afin d’élaborer ensemble des solutions fondées sur une compréhension commune des défis. 

ÉLIMINATION DU RACISME, DE LA DISCRIMINATION RACIALE, DE LA XÉNOPHOBIE ET DE L’INTOLÉRANCE QUI Y EST ASSOCIÉE (A/74/18)

Élimination du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l’intolérance qui y est associée (A/74/253)

Application intégrale et suivi de la Déclaration et du Programme d’action de Durban (A/74/274, A/74/312, A/74/321, A/74/173, A/74/308)

DROIT DES PEUPLES À L’AUTODÉTERMINATION (A/74/244, A/74/309)

Présentation des rapports

M. CRAIG MOKHIBER, Directeur du Bureau de New York du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, a présenté le rapport (A/74/308) du Secrétaire général sur l’exécution des activités relatives à la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, expliquant que celui-ci met l’accent sur le droit au développement de ces dernières.  Il a fait observer que dans de nombreux pays, les personnes d’ascendance africaine comptent parmi les principaux contributeurs au développement socioéconomique, mais que leur apport n’est pas entièrement reconnu.  Elles ne reçoivent pas non plus leur part équitable des bénéfices du développement.  Le rapport recommande aux États de reconnaître que le racisme, la discrimination raciale et la xénophobie continuent de représenter des barrières structurelles et systémiques à leur développement.  Il appelle aussi à adopter des mesures spéciales pour répondre aux questions de l’inégalité d’accès des personnes d’ascendance africaine en matière de droits de l’homme.

Passant au rapport (A/74/312) sur l’appel mondial à l’action pour l’élimination totale du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l’intolérance qui y est associée et pour l’application intégrale et le suivi de la Déclaration et du Programme d’action de Durban, M. Mokhiber a expliqué que celui-ci souligne qu’une volonté politique plus ferme et une action concertée s’imposent face à la montée de la violence raciste et xénophobe.  Les États Membres sont notamment encouragés à prendre des mesures pour analyser les tendances des discours de haine et en comprendre les causes afin de prendre les mesures qui s’imposent pour y faire face.

Il a ensuite présenté le rapport (A/74/309) sur les droits des peuples à l’autodétermination qui fournit un aperçu des principales évolutions en la matière, dans le cadre des activité des principaux organes de l’ONU.

Exposé du Président du Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine

M. AHMED REID, Président du Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine, a déclaré d’emblée que cette année a été marquée par les appels adressés aux États en vue de prendre, d’urgence, des mesures pour freiner la vague de haine et de discrimination, protéger les populations vulnérables et garantir l’égalité raciale.  Il a évoqué à cet égard l’assaut terroriste islamophobe perpétré par un blanc suprémaciste contre deux mosquées à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, preuve s’il en faut que le populisme ethnonationaliste et les idéologies suprémacistes aboutissent à la violence raciale, à l’exclusion et à la discrimination.  Il a souligné que l’usage de propos qui divisent et les tentatives de marginalisation des minorités raciales, ethniques et religieuses dans le discours politique ont encore fonctionné comme un appel de passage à l’acte lors des attaques au Texas et dans l’Ohio.  Dès lors, il a exhorté la communauté internationale à agir vite et résolument compte tenu du fait qu’aucun pays n’est exempt de racisme. 

Le Président du Groupe de travail a ensuite présenté le rapport thématique du Groupe de travail (A/74/274), consacré à la lutte contre les stéréotypes raciaux et les représentations négatives associés aux personnes d’ascendance africaine.

Ce document comprend des contributions reçues à l’occasion de la réunion du Groupe de travail consacrée à la lutte contre les stéréotypes raciaux visant les personnes d’ascendance africaine, qui s’est tenue à Genève les 25 et 26 novembre 2017, ainsi que des informations recueillies par le Groupe sur ce phénomène.  Les experts s’y penchent sur le contexte historique des stéréotypes raciaux et leurs liens avec les discours de haine, ainsi que sur l’obligation des États d’y remédier à partir d’une approche axée sur les droits de l’homme. 

Dans ses conclusions, le Groupe de travail affirme que la perpétuation, la tolérance et la validation des préjugés raciaux par le biais de stéréotypes négatifs ancrés dans la vie quotidienne portent atteinte aux droits de l’homme des personnes d’ascendance africaine.  La capacité de ces dernières à jouir de leurs droits fondamentaux est considérablement entravée par des préjugés raciaux fondés sur de fausses croyances qui entachent la prise de décisions. 

Il formule des recommandations engageant en particulier les États à rejeter et condamner de manière claire et incontestable les propos et crimes haineux racistes visant les personnes d’ascendance africaine, où qu’ils se produisent.  Il les engage en outre à prendre des mesures énergiques pour combattre toute tendance à viser, stigmatiser ou stéréotyper les personnes d’ascendance africaine sur la base de la race de la part des agents des forces de l’ordre, des responsables politiques et des éducateurs.  Il a également appelé à un plus grand appui à la Décennie internationale pour les personnes d’ascendance africaine. 

Dialogue interactif

L’Union européenne (UE) a rappelé qu’elle a promu, dans le cadre de la Décennie internationale 2015-2024, un débat thématique du Groupe de haut niveau de l’UE sur la lutte contre le racisme, la xénophobie et d’autres formes d’intolérance.  À cette lumière, elle a souhaité savoir quelle influence peut avoir l’interaction de ces discriminations sur les femmes d’ascendance africaine.  Appelant à une action concrète de la communauté internationale pour garantir que les personnes d’ascendance africaine aient droit au développement, l’Afrique du Sud s’est interrogée sur la valeur éventuelle des réparations pour la réalisation de leurs droits fondamentaux. 

Le Mexique a déclaré avoir pris une série de mesures destinées à éliminer la discrimination à l’égard de la population afro-mexicaine dont les droits sont reconnus par la Constitution.  Son gouvernement reconnaît en outre les apports de la communauté afro-mexicaine à la société et à la formation de l’État mexicain, ainsi qu’à l’identité et la culture mexicaines.  

L’Angola a voulu avoir l’avis de M. Reid sur la manière dont la stratégie des Nations Unies sur les discours haineux pourrait contribuer à accélérer la prise en compte de la problématique des personnes d’ascendance africaine.  Une déclaration sur la promotion et le plein respect des droits fondamentaux des personnes d’ascendance africaine serait un grand pas en avant, a commenté pour sa part le Brésil

Dans ses réponses, le Président du Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine a tout d’abord indiqué que le Groupe de travail s’associe au plan en 10 points de la CARICOM pour la justice réparatoire, tout en soulignant que la question de réparation ne couvre pas seulement des réparations financières, mais est beaucoup plus vaste.  Il s’agit en fait, a-t-il dit, d’un cadre de développement. 

Il a rappelé que la Déclaration de Durban souligne l’importance qu’il y a, pour les États Membres, de disposer de plans nationaux de lutte contre le racisme, regrettant que 18 ans plus tard, peu d’entre eux en disposent.  Il a donc suggéré que davantage d’États disposent d’un tel plan national. 

Il a par ailleurs fait observer que les droits fondamentaux des personnes d’ascendance africaine n’ont jamais été définis auparavant par les Nations Unies.  L’articulation de ces nouveaux droits est donc essentielle, a-t-il estimé.

Après avoir évoqué les discriminations à l’égard des femmes musulmanes, en raison de leur sexe, de leur religion, de leur origine et race, M. Reid a souligné que les objectifs de développement durable (ODD) ont leur place dans cette discussion.  Il a jugé essentiel de supprimer les obstacles systémiques qui entravent la réalisation du Programme 2030.  « Tant que la discrimination ne sera pas éliminée, le Programme 2030 sera menacé! » a-t-il déclaré.  Il a en outre estimé qu’un État Membre ne peut s’engager en faveur des ODD d’une part, et d’autre part, dire qu’il ne collecte pas de données ventilées.  Car sans données ventilées, il n’est pas possible d’identifier ceux qui font face à des difficultés. 

Exposé de la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée

Mme E. TENDAYI ACHIUME, Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, a indiqué que son rapport thématique (A/74/321) porte sur la nécessité, pour les États Membres, de reconnaître leur obligation de verser les réparations dues au titre de la discrimination raciale qui trouve son origine dans l’esclavage et le colonialisme.  Elle a expliqué que ces réparations doivent non seulement viser la reddition de comptes et à réparer des torts historiques, elles doivent aussi éliminer les structures persistantes d’inégalité raciale, de subordination et de discrimination qui ont été érigées à l’époque de l’esclavage et du colonialisme et qui nourrissent encore la discrimination raciale et l’inégalité.

La Rapporteuse a souligné que les réparations sont un remède fondamental consacré par la juridiction internationale, déplorant qu’elles soient trop souvent considérées comme des mesures d’exception.  Au contraire, les États y ont régulièrement recouru pour réparer tel au tel tort à l’encontre de leurs citoyens.  Dès lors, pourquoi les réparations pour la discrimination raciale qui trouve son origine dans l’esclavage et le colonialisme demeurent-elles inaccessibles et divisent-elles les États Membres? a-t-elle lancé.

Elle a signalé que l’opposition juridique et politique à l’allocation de réparations a établi un schéma de discrimination raciale.  À titre d’exemple, la Rapporteuse spéciale a indiqué qu’à ce jour, les individus ayant le plus bénéficié des réparations après l’abolition de l’esclavage sont les familles d’esclavagistes et leurs descendants.  En revanche, les descendants des personnes vendues en esclavage et traitées comme des marchandises ne parviennent pas à faire entendre leurs voix et, dans certains cas, sont vilipendés dans leur quête de réparations pour l’injustice raciale, a-t-elle déploré. 

Mme Achiume a souligné que, parmi les principaux obstacles aux réparations, figurent l’ignorance et le manque de prise de conscience de l’opinion publique, voire des dirigeants, quant à l’héritage racialement discriminatoire de l’esclavage et du colonialisme.  Elle a relevé, à cet égard, que dans bien des pays, les programmes scolaires présentent des histoires partielles qui effacent le rôle fondamental de l’esclavage et de la domination coloniale dans la prospérité, passée et présente, des puissances esclavagistes et coloniales. 

Dans ses recommandations, la Rapporteuse spéciale a conseillé aux États de tirer parti de l’expérience de ceux qui ont conçu, administré ou obtenu des réparations pour les actes perpétrés du temps de l’Allemagne nazie, ainsi que pour l’oppression britannique des Mau Mau, au Kenya, ou encore les violations commises par le Canada envers les personnes autochtones soumises à son programme d’internat.

La Rapporteuse spéciale a également fait observer que le « formalisme juridique » obscurcit le potentiel qu’a le droit international d’appuyer les réparations.  Les lois qui perpétuent les dynamiques néocoloniales, y compris l’échec à éliminer les legs de l’esclavage et du colonialisme, doivent être condamnées en tant que lois néocoloniales, a-t-elle affirmé.

Elle a aussi insisté sur la création d’une plateforme mondiale dotée de financements suffisants en vue de mener des études à long terme sur la voie à suivre pour prendre des mesures à l’échelle internationale aux fins de l’octroi de réparations.  L’esclavage et le colonialisme étaient des projets de portée mondiale, c’est pourquoi les réparations au titre de ces deux phénomènes doivent passer par une action mondiale, a-t-elle affirmé. 

Mme Achiume a également présenté son rapport sur la lutte contre la glorification du nazisme et du néonazisme qui passe notamment en revu la mise en œuvre de la résolution 73/157 de l’Assemblée générale.  Face à la résurgence répandue de l’antisémitisme et de la flambée de violences antisémites et de discours de haine, elle a appelé les États à adopter une action urgente et efficace.  À moins d’une action immédiate de leur part pour honorer l’ensemble de leurs obligations au titre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, cette tendance se poursuivra, a-t-elle prévenu. 

Dialogue interactif

La Belgique a exprimé les excuses de l’État belge à l’égard des victimes du colonialisme, espérant que celles-ci permettront de renforcer l’engagement du pays contre toutes les formes de racisme.  Elle a demandé à la Rapporteuse spéciale quelles initiatives elle envisage de mettre en exergue à l’occasion du dixième anniversaire de la Déclaration et du Programme d’action de Durban. 

Le Mexique a indiqué qu’au plan national, la lutte contre le racisme ciblait en particulier les théories de suprémacistes blancs, les discriminations contre les personnes LGBTI et les manifestations d’antisémitisme.  À ce sujet, il a voulu savoir quelles meilleures pratiques Mme Achiume avait recensées en matière de collecte relative à ce type d’infractions. 

Les États-Unis ont indiqué que le Département de la justice a récemment intenté un procès à la ville de Baltimore pour avoir recruté des agents de police sur la base de critères raciaux.  Un site Internet a été lancé en janvier pour sensibiliser le grand public sur les crimes haineux, tandis qu’une commission sur l’égalité des chances aide les employés victimes de discrimination raciale à obtenir une indemnisation.

L’Afrique du Sud a voulu obtenir des informations supplémentaires sur la plateforme internationale que Mme Achiume propose de mettre en place pour indemniser les personnes victimes de racisme, alors que l’Union européenne s’est interrogée sur les meilleures pratiques en termes d’éducation et de sensibilisation sur l’importance d’éliminer le legs du colonialisme et de l’esclavage. 

L’Azerbaïdjan, qui s’exprimait au nom du Mouvement des pays non alignés, est revenu sur la dix-huitième conférence ministérielle du Mouvement organisée en octobre à Bakou, précisant que celle-ci avait débouché sur une condamnation des formes de racisme et d’intolérance véhiculées notamment par Internet. 

Préoccupée par l’impact des vestiges de l’esclavage, la République islamique d’Iran a relevé qu’aux États-Unis, les jeunes Noirs ont ainsi 5,9% de plus de chances d’être emprisonnés que les jeunes Blancs.  Évoquant la question des dédommagements, elle a demandé à la Rapporteuse spéciale quelle était l’évolution de la résistance à cette idée.  Serait-il possible de faire de ces réparations une obligation juridique et pas seulement morale?

La Roumanie a dit avoir adopté un cadre juridique contre les formes contemporaines de racisme, parachevées par la loi spéciale contre l’antisémitisme.  Précisant à son tour qu’il a l’une des populations de descendants d’esclaves les plus importantes au monde, le Brésil a déclaré avoir pris une série de mesures pour lutter contre les discriminations raciales, ce qui a notamment bénéficié aux femmes.  À propos de la mise en œuvre du Programme d’action de Durban, il a demandé à la Rapporteuse spéciale quelles pratiques optimales elle a observées au cours de ses visites. 

La Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée a tout d’abord indiqué que sa priorité est de lutter contre la marginalisation du Programme d’action de Durban, en mettant l’accent sur les actions juridiques dans la lutte contre les manifestations de l’intolérance.

Elle a insisté sur l’importance de la collecte de données ventilées, notant que celles-ci doivent être utilisées pour combattre les discriminations, et non pas pour en produire davantage.  Elle a également souligné, en ce qui concerne les réparations, qu’une action mondiale permettrait de compléter les actions nationales, mais ne pouvait pas les remplacer.  Cependant, une coopération est nécessaire, a-t-elle ajouté, insistant sur l’utilité d’établir une plateforme à cette fin.  Elle a relevé des évolutions concernant les dédommagements dans certains contextes nationaux, déplorant toutefois la persistance d’obstacles et l’insuffisance des débats sur cette question.  « On n’a pas utilisé tous les recours du droit international », a-t-elle souligné, appelant au lancement d’initiatives pour l’adoption de nouveaux textes.

Exposé du Président du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

M. NOURREDINE AMIR, Président du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, a relevé qu’au cours de l’année écoulée, les discours de haine se sont propagés, notamment à travers Internet et les médias sociaux.  Il s’est notamment inquiété des discours racistes tenus par des figures politiques et qui ont largement contribué à alimenter la haine contre les plus vulnérables, à commencer par les migrants sans papiers, les réfugiés et les demandeurs d’asile.  Les législations ne sont pas toujours assez robustes pour contenir ce genre de discours, ce qui laisse la place à l’impunité, et lorsqu’elles existent, leur application n’est pas toujours effective et les sanctions ont tendance à être indulgentes. 

Il s’est également soucié de la multiplication d’organisations qui promeuvent ouvertement les discriminations raciales et l’idéologie de la suprématie raciale, s’inquiétant en outre du fait que les États ne sont pas suffisamment outillés pour les contrer. 

M. Amir a examiné, par ailleurs, la situation des non-citoyens, y compris ceux sous protection internationale.  Il s’agit en particulier des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile qui continuent de subir les discriminations en matière d’accès à l’emploi, à la santé et au logement. 

Il s’est aussi soucié du sort des femmes et filles appartenant à des ethnies minoritaires, autochtones et d’ascendance africaine ou qui sont réfugiées, alertant qu’elles sont particulièrement vulnérables à la discrimination et à la stigmatisation.  Elles peinent à obtenir un emploi ou des soins et sont également victimes de violences sexuelles et sexistes, a-t-il déploré.  Il a appelé les États à prendre des mesures concrètes pour appuyer leur intégration. 

M. Amir a ensuite annoncé que trois nouveaux pays ont ratifié la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, portant à 182 le nombre d’États parties.  Cependant, il s’est plaint des retards dans la présentation des rapports, précisant que 44 pays accusent un retard de 10 ans, et 18, de 5 ans. 

Le Comité a par ailleurs reçu, en 2018, les premières communications inter-États, deux envoyées par le Qatar contre, respectivement, les États d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, ainsi qu’une de la part de l’État de Palestine contre Israël.  Le Comité s’est estimé compétent pour les deux premières communications.  Quant à la dernière, le Comité a décidé de reporter sa considération à la prochaine session. 

S’agissant des procédures d’alerte rapide et d’intervention d’urgence, le Comité a examiné la situation relative à neuf États parties en lien avec les droits des peuples autochtones, la discrimination en matière d’éducation et des discours de haine.  M. Amir a aussi attiré l’attention sur la situation financière précaire du Comité et a exhorté les États Membres à s’acquitter de leurs responsabilités en la matière. 

Dialogue interactif

Le Bélarus, au nom d’un groupe de 54 pays, a dénoncé la politisation des droits de l’homme.  Il s’est par ailleurs félicité des mesures prises par la Chine pour lutter contre le terrorisme et la radicalisation, notamment la création de centres de formation professionnelle dans le Xinjiang.  Il a appelé les pays qui accusent la Chine de commettre des violations dans le Xinjiang à vérifier leurs renseignements. 

Le Royaume-Uni, au nom d’un groupe de 23 pays, a dénoncé les exécutions extrajudiciaires dont sont l’objet les Ouïghours dans le Xinjiang.  Il a demandé au Gouvernement chinois de respecter ses engagements internationaux, notamment en ce qui concerne la liberté religieuse et de s’abstenir d’emprisonner arbitrairement des Ouïghours et des membres d’autres minorités.  Il a enfin exhorté le Gouvernement chinois à coopérer avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, tout comme la Turquie qui a déclaré vouloir débattre avec la Chine sur la question du Xinjiang par le biais d’un dialogue bilatéral.  À leur tour, les États-Unis ont condamné les détentions arbitraires de plus d’un million d’Ouighours dans des camps du Xinjiang, en Chine. 

Par ailleurs, la République de Corée a souhaité savoir comment le Comité a coopéré avec les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme.  Le Mexique a évoqué le mécanisme d’alerte rapide et d’action urgente et a demandé quels ont été les résultats obtenus jusqu’à présent, tandis que la Colombie a insisté sur l’importance du Programme d’action de Durban.

À son tour, le Qatar a évoqué des « révélations graves » touchant des citoyens qataris en Arabie saoudite et a insisté sur la nécessité de respecter les droits des Qataris expatriés. 

Au nom d’un groupe de pays, le Koweït a réitéré que le débat sur la question des droits de l’homme doit se faire sans politisation ni ingérence dans les affaires internes des États. 

Le Cameroun a dit faire confiance à la Chine dans la gestion de la situation des droits de l’homme dans son pays, de même que le Cambodge, pour qui les mesures prises pour favoriser le développement en Chine devraient être reconnues par la communauté internationale.  Le Burundi a salué les réalisations de la Chine dans le domaine des droits de l’homme et l’a appuyée dans sa lutte contre le terrorisme. 

Il est inadmissible que ces dialogues soient utilisés pour montrer du doigt certains pays, comme la Chine, a renchéri Cuba, alors que la République arabe syrienne a fait part de ses préoccupations au sujet des menaces terroristes qui pèsent sur la région du Xinjiang, précisant appuyer les efforts de lutte contre le terrorisme de la Chine.

Également préoccupé par la politisation des droits de l’homme, le Viet Nam a souhaité que le Président du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale partage des bonnes pratiques relatives à l’élaboration d’un cadre juridique en vue de la défense des minorités. 

La République islamique d’Iran a, pour sa part, déclaré que le maintien des discours de haine fait partie des défis qui empêchent l’élimination du racisme. 

Le Venezuela a rejeté les tentatives de certains pays de s’ingérer dans les affaires intérieures de la Chine.  Selon lui, l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme est le mécanisme idoine pour traiter de ce genre de questions, une perspective également partagée par le Kenya, l’Algérie, la République démocratique populaire lao et l’Arménie.  Le dialogue et le partenariat seraient des moyens plus constructifs pour éviter la confrontation et la politisation de la question des droits de l’homme, a aussi acquiescé le Zimbabwe, qui s’est félicité de l’attachement de la Chine à la protection des droits de l’homme et au respect des minorités, notamment dans la région du Xinjiang. 

L’Union européenne a réitéré son engagement à lutter contre la discrimination raciale et les discours de haine. 

Suite à cela, le Kirghizistan a salué les efforts de la Chine pour promouvoir la sécurité et le développement dans le Xinjiang, la Guinée équatoriale a rejeté les tentatives de certains pays visant à faire honte à la Chine et à son peuple, tandis que le Myanmar a dit partager les inquiétudes exprimées sur l’extrémisme religieux et les influences pouvant nuire à l’unité de la Chine.  De son côté, le Nicaragua s’est félicité que la création de centres d’éducation et de dialogue confessionnel au Xinjiang ait permis de prévenir des actes terroristes dans cette province chinoise. 

Constatant que les médias contribuent à la xénophobie, l’Érythrée s’est interrogée sur la marge d’action des États Membres pour empêcher la propagation de fausses nouvelles.  Elle a d’autre part réitéré son refus de traiter de questions propres à certains pays lors d’un débat thématique. 

À son tour, la Chine a déploré que les États-Unis et le Royaume-Uni aient prononcé des accusations non fondées, y voyant une ingérence grossière dans ses affaires intérieures.  Elle a également regretté que les droits de l’homme aient toujours été un outil aux « mains tâchées du sang d’ethnies » des États-Unis, qui, par leurs agissements, portent atteinte à la stabilité de la Chine. 

La Fédération de Russie a regretté que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale ait choisi de traiter de façon sélective la situation de certains pays, l’appelant à s’inspirer strictement des dispositions de la Convention.  Le Pakistan a lui aussi dénoncé les pressions exercées sur la Chine.

L’Indonésie a estimé que 18 ans après la Conférence de Durban, la lutte contre le racisme est plus importante que jamais.  Elle a aussi souligné l’importance de respecter les approches des États Membres et leurs choix politiques, notamment en ce qui concerne les questions sécuritaires et la lutte contre le terrorisme.  À cet égard, la Guinée a estimé que la question des droits de l’homme dans la province du Xinjiang relève des affaires intérieures de la Chine et, à l’instar de l’Éthiopie, a invité les organes de traités à faire montre de davantage d’objectivité.  La République populaire démocratique de Corée (RPDC) a elle aussi dénoncé les tentatives visant à déstabiliser la Chine et souligné que les questions ayant trait aux droits de l’homme ne doivent pas être utilisées comme un moyen de pression politique. 

L’Arabie saoudite a souligné que le terrorisme n’a ni religion ni couleur, appelant au respect des musulmans partout dans le monde.  Elle a également rendu hommage à la Chine pour avoir relevé le niveau de vie de sa population.  Pour sa part, la République du Congo s’est félicitée que des diplomates, des représentants d’organisations internationales, des journalistes et même des hommes politiques aient été invités à effectuer des visites dans le Xinjiang.  Elle a salué à cet égard les mesures prises par la Chine pour assurer la paix et la sécurité dans cette région menacée par le terrorisme. 

La Tunisie a réaffirmé son engagement à lutter contre le racisme et sa volonté de coopérer avec les institutions internationales dans ce cadre. 

« Notre comité a une doctrine, une praxis et une expérience.  Cinquante ans d’expérience.  L’impartialité est la règle fondamentale de chacun des membres de notre comité.  C’est un serment qu’il fait quand il prend position », a déclaré le Président du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, en réponse aux commentaires et questions des États Membres. 

Il a souligné que le Comité est constitué de juristes et que ses décisions ne sont pas des décisions de justice, puisque le Comité n’est pas un tribunal.  Il a expliqué que des questions sont soulevées et que des conclusions sont adoptées sous forme de recommandations.

Le Comité ne va donc pas dans le sens d’une politisation, et il n’est pas question de politiser son travail, a martelé M. Amir.  Ce n’est pas un organe politique, mais un organe juridique.

M. Amir a par ailleurs fait observer que la communication, les vidéos Internet et autres jouent intensément dans la production de la haine et du racisme.  Pour lui, ce sont des fléaux qui alimentent la pensée humaine, la continuation des crises, des tensions et des guerres. 

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.