8224e séance – après-midi
CS/13279

Attaque de Salisbury: Royaume-Uni et Fédération de Russie se renvoient des accusations devant un Conseil de sécurité hanté par l’usage d’armes chimiques

Un mois après l’attaque menée à Salisbury, au Royaume-Uni, contre deux ressortissants russes, M. Sergei Skripal et sa fille Yulia, à l’aide d’un agent neurotoxique, le Conseil de sécurité s’est de nouveau penché aujourd’hui sur cette affaire, à la demande cette fois de la Fédération de Russie, mise en cause.  Le représentant russe a, de nouveau, véhémentement nié toute implication de son pays dans une « affaire bien trouble, inventée de toutes pièces, voire une véritable conspiration », qualifiant les accusations comme un « théâtre de l’absurde » et soupçonnant les pays occidentaux de chercher à discréditer la Fédération de Russie.  Au-delà de l’agression de Salisbury, c’est aussi le spectre d’une utilisation croissante des armes chimiques qui hantait le Conseil. 

Le 14 mars, c’était le Royaume-Uni qui avait porté l’affaire devant le Conseil de sécurité, estimant que cette agression -opérée avec un agent neurotoxique de qualité militaire appartenant à la famille des Novitchok, mis au point à l’époque de l’Union soviétique– indiquait, selon les termes de la Première Ministre britannique, Mme Theresa May, une implication « hautement probable » de l’État russe. 

Cet après-midi, le représentant de la Fédération de Russie, M. Vassily Nebenzia, a rappelé que le recours à une arme chimique, « s’il y en a eu », constitue bien une menace à la paix et la sécurité internationales et justifie la saisine du Conseil de sécurité.  Faisant observer que le Royaume-Uni n’avait pas donné de nouvelles informations depuis le 14 mars, il a annoncé d’entrée que son pays souhaitait « informer en détail » le Conseil. 

M. Nebenzia s’est longuement attaché à dénoncer les « accusations odieuses et absolument pas prouvées » à l’encontre de son pays.  Convoquant successivement le Docteur Goebbels et le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carrol, il a dénoncé un « théâtre de l’absurde », dans lequel la Russie se voyait sommée de reconnaître son implication avant d’avoir le droit de coopérer à l’enquête sur l’agression. 

Raillant le « niveau intellectuel des accusations, qui ferait presque sourire », M. Nebenzia a dénoncé « une guerre de propagande » menée par le Royaume-Uni et ses alliés, entraînés par lui dans son « exemple dangereux ».  Guerre qui, a-t-il ajouté, est menée en utilisant les médias occidentaux, présentés comme « l’arme la plus dangereuse de notre époque » et accusés de « répéter constamment le même mensonge, afin qu’il devienne la vérité », selon la « méthode du Docteur Goebbels ».  Le représentant a d’ailleurs affirmé que « le Novitchok n’est pas une substance d’origine russe », mais un nom « inventé en Occident » pour qualifier des agents neurotoxiques « fabriqués aux États-Unis et au Royaume-Uni », ajoutant que le laboratoire de Porton Down, proche de Salisbury, possède bien des agents. 

Si le Royaume-Uni n’avait pas demandé cette réunion, il est heureux de « faire la lumière sur l’attaque de Salisbury », a rétorqué sa représentante, Mme Karen Pierce, qui a détaillé « l’enquête très complexe » lancée par son pays et expliqué l’ampleur des moyens déployés par le fait qu’une « arme de destruction massive a été utilisée dans mon pays ». 

Opposant aux « 30 versions » de l’incident, que M. Nebenzia reprochait au Royaume-Uni d’avoir présentées depuis un mois, les « 24 théories » de la Russie pour se disculper, Mme Pierce a insisté sur la responsabilité « hautement probable » de la Russie, y compris le fait que l’État russe a commandité des assassinats par le passé.  Une accusation reprise par les États-Unis qui ont rappelé la « longue tradition russe d’assassinats d’État, notamment au Royaume-Uni ».

La représentante britannique a aussi répondu aux allégations de la Russie selon lesquelles son pays n’aurait pas respecté les procédures prévues par la Convention sur les armes chimiques.  Elle a vu dans la demande russe d’une enquête conjointe une démarche de « pompier pyromane ».  « Je n’accepte aucune leçon de morale au sujet de cette Convention de la part d’un pays qui ne recule devant rien pour faire obstacle à tout établissement des responsabilités dans l’emploi d’armes chimiques en Syrie », a-t-elle ajouté.

Au-delà de l’agression de Salisbury et du soutien sans faille apporté au Royaume-Uni par les États-Unis et les membres européens du Conseil, lors d’une réunion qui n’a « rien appris », selon les mots du représentant russe, c’est la question du recours croissant à des armes chimiques dans le monde qui se trouvait en toile de fond. 

La « campagne de discrédit lancée contre la Russie » vise d’ailleurs, selon son représentant, à discréditer la position de son pays sur le volet « armes chimiques » de la crise syrienne.  De fait, Mme Pierce a accusé la Russie de s’évertuer à « saper l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) », après avoir provoqué la fin du Mécanisme d’enquête conjoint ONU-OIAC sur les attaques chimiques en Syrie.

C’est pourquoi, de la Chine à l’Éthiopie et du Kazakhstan au Koweït, les membres du Conseil ont condamné une nouvelle fois toute utilisation des armes chimiques.  Face à la « réémergence tous azimuts, au Moyen-Orient, en Asie, et désormais en Europe », de ces armes « barbares aux conséquences meurtrières », le représentant de la France a appelé à l’engagement de tous pour rétablir l’interdiction absolue des armes chimiques et dénoncer des « tentations, jeux tactiques et politiques qui ne sont pas à la hauteur des enjeux et des responsabilités d’un membre du Conseil de sécurité ». 

La France, a martelé le représentant, n’acceptera jamais de laisser dans l’impunité ceux qui utilisent ou développent des agents toxiques.  Dans le même sens, les États-Unis ont rappelé qu’ils avaient, lors de la séance d’hier du Conseil sur les armes chimiques en Syrie, pressé la communauté internationale de réagir et d’empêcher la banalisation de ces armes. 

LETTRE DATÉE DU 13 MARS 2018, ADRESSÉE AU PRÉSIDENT DU CONSEIL DE SÉCURITÉ, PAR LE CHARGÉ D’AFFAIRES PAR INTÉRIM DE LA MISSION PERMANENTE DU ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D’IRLANDE DU NORD AUPRÈS DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES (S/2018/218)

Déclarations

M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) a rappelé que le Conseil de sécurité a organisé, le 14 mars dernier, une séance d’information sur la base « d’accusations odieuses et absolument pas prouvées » sur une attaque commise contre deux ressortissants russes vivant au Royaume-Uni, M. Sergei Skripal et sa fille Yulia.  Faisant observer qu’il n’y a pas eu depuis lors de nouvelle séance d’information sur le sujet, il a exprimé le souhait d’« informer en détail » le Conseil de sécurité.

M. Nebenzia a rappelé les faits: le recours à une arme chimique, s’il y en a eu, constitue une menace à la paix et la sécurité internationales et justifie la saisine du Conseil de sécurité.  Il a rappelé que M. Skripal avait été condamné en 2006 pour espionnage au profit du Royaume-Uni, puis gracié en 2010.  Il vit depuis lors au Royaume-Uni et pour la Russie, il ne présente aucune menace, a affirmé le représentant qui a estimé que, dès lors, toute une série de questions se posent.  Pourquoi, même si pour prendre une attitude cynique, la Russie aurait-elle attendu huit ans et choisi d’agir à deux semaines de l’élection présidentielle et à quelques semaines de la Coupe du monde de football?  Nous connaissons tous les histoires d’espionnage et les romans policiers mais « pourquoi aurait-on choisi le moyen le plus dangereux »?

« De plus en plus de questions se posent », a avoué le représentant, qui a rappelé que tant la Première Ministre que le Ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni avaient parlé d’entrée de jeu d’un agent neurotoxique russe, le Novitchok.  Si cet agent a été placé sur la porte de la maison de M. Skripal, comment se fait-il que lui et sa fille n’auraient été affectés que quelques heures plus tard alors que le policier qui s’est rendu sur les lieux a été tout de suite gravement affecté?  Pour M. Nebenzia, la seule explication, c’est la présence d’un antidote.  Il a rappelé que le centre de Porton Down, connu pour avoir élaboré des armes chimiques, était très proche. 

Le laboratoire de Porton Down a parlé d’un agent neurotoxique de qualité militaire mais dont l’origine exacte n’a pas été identifiée, a poursuivi le représentant.  Il a ajouté que, selon le laboratoire, aucun antidote n’avait été administré aux Skripal.  Il a aussi déclaré que le médecin du centre avait ajouté qu’une telle substance n’aurait pas pu quitter les murs du laboratoire.  Qu’est-ce qui ne pourrait en aucun cas quitter les murs du laboratoire? s’est étonné M. Nebenzia.

« Le Novitchok n’est pas une substance d’origine russe », a-t-il affirmé.  Ce nom « de consonance russe » a été « inventé en Occident » pour qualifier des agents neurotoxiques fabriqués aux États-Unis et au Royaume-Uni.  Le laboratoire de Porton Down possède bien des agents de ce type.  Citant diverses « prétendues informations » de la presse britannique, le représentant a affirmé qu’on est dans « un théâtre de l’absurde » et a demandé s’il existait encore des « informations ». 

Plutôt que d’utiliser « le mégaphone de la diplomatie », il faut fournir des réponses claires à des questions précises, a conseillé le représentant, qui a estimé que toute l’affaire souffre d’un « manque de réflexion » de la part des autorités politiques britanniques qu’il a accusées d’avoir fait le choix des « déclarations sensationnelles » sans songer qu’elles leur « reviendraient comme un boomerang ».

Le représentant a en outre accusé Londres d’avoir entraîné ses alliés dans son « exemple dangereux », en provoquant des expulsions de diplomates par dizaines, y compris des membres de la mission diplomatique de la Fédération de Russie auprès des Nations Unies à New York.  Le représentant s’en est pris aux États-Unis qu’il a accusés d’avoir « fait preuve d’un dédain total vis-à-vis du fonctionnement du Siège des Nations Unies » puis d’avoir violé à de multiples reprises leurs engagements diplomatiques, y compris en saisissant des propriétés diplomatiques de la Fédération de Russie, notamment à New York, ou encore en limitant la liberté de mouvement des diplomates russes en poste au Siège des Nations Unies à New York.  Le représentant a demandé aux États-Unis de revenir sur ces mesures et de ne plus en prendre. 

Il a répété qu’on a affaire à un « nouveau système de droit » dans lequel on « accuse sans preuve, sur la base de simples soupçons ».  « Où est passé la bonne Angleterre?  S’agit-il d’une perte de professionnalisme ou d’une nouvelle culture politique? » a lancé le représentant qui a reproché au Royaume-Uni de se moquer de son pays en présentant « 30 versions différentes ».

M. Nebenzia a poursuivi sa série de questions.  Où se trouvaient les Skripal pendant les quatre heures qui se sont écoulées entre la prétendue contamination et le moment où on les a retrouvés?  Où a-t-on trouvé si rapidement un antidote contre une substance inconnue?  Avec qui Sergei Skripal était-il en contact?  Où sont les enregistrements des caméras de surveillance?  Où sont les animaux de compagnie qui vivaient dans la maison des Skripal et dans quel état sont-ils? a-t-il demandé, trouvant très rapides les conclusions de Scotland Yard alors qu’il faudrait normalement, selon lui, « des semaines » pour en tirer.  Pourquoi les autorités britanniques n’autorisent-elles pas les autorités russes à entrer en contact avec des ressortissants russes? a-t-il encore demandé.

Pour le représentant, l’enquête est « très loin d’être finie ».  Il a réaffirmé que son pays est prêt, conformément aux accords internationaux, à répondre dans un délai de 10 jours.  Au lieu de cela, Londres a préféré lancer un ultimatum, exigeant des explications complexes dans un délai de 24 heures.  « On ne peut pas s’adresser à la Russie de cette manière », s’est indigné le représentant.  Mon pays, a-t-il dit, a réclamé, hier, une enquête conjointe russo-britannique lors de la réunion du Conseil exécutif de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) mais la demande a été bloquée.  Le représentant a fait observer que « la majorité des États Membres » avaient en fait refusé de soutenir la position britannique.

Le niveau intellectuel des accusations contre la Russie ferait presque sourire, a-t-il raillé, en s’en prenant notamment au Ministre britannique des affaires étrangères, M. Boris Johnson, qui avait, entre autres, comparé la prochaine Coupe du monde de football en Russie aux Jeux olympiques de Berlin de 1936, sous le régime nazi.  L’URSS avait boycotté les Jeux, alors que le Royaume-Uni y été représenté officiellement, a taclé le représentant. 

M. Nebenzia a réaffirmé, comme le 14 mars, que le Royaume-Uni mène une « guerre de propagande » contre la Russie.  Il a décrit les médias occidentaux comme « l’arme la plus dangereuse de notre époque », les accusant de « répéter constamment le même mensonge, pour qu’ils deviennent la vérité », et estimant que c’était là la « méthode du Docteur Goebbels ».

« Tout ce qui se passe correspond à ce que nous avons dit depuis le début », à savoir que l’affaire Skripal fait partie d’une « campagne de discrédit lancée contre la Russie » que l’on accuse aujourd’hui de cacher certains arsenaux et de violer la Convention sur les armes chimiques.  Il s’agit, a-t-il tranché, de remettre en question la légitimité politique de la Russie et de discréditer notre position sur le volet « armes chimiques » de la crise syrienne. 

Face à cette « affaire bien trouble, inventée de toutes pièces, voire une véritable conspiration », nous « arriverons à la vérité, sur la base de la Convention sur les armes chimiques, a affirmé M. Nebenzia, qui a insisté sur le respect des procédures prévues par la Convention et réclamé l’accès consulaire aux deux membres de la famille Skripal, estimant qu’un « acte odieux, peut-être même terroriste », a été commis contre deux de nos ressortissants au Royaume-Uni. 

Mme KAREN PIERCE (Royaume-Uni) a déclaré qu’elle ne souhaitait pas cette réunion mais s’est dite heureuse de faire la lumière sur l’attaque de Salisbury.  Après celle-ci, mon pays a lancé une enquête très complexe, forte de 250 enquêteurs, comprenant l’examen de 5 000 heures de vidéos, de 1 300 éléments de preuve et l’audition de 500 témoins, a-t-elle dit, avant de souligner l’indépendance de la police britannique.  De tels moyens ont été déployés parce qu’une arme de destruction massive a été utilisée dans mon pays, a-t-elle poursuivi.  La déléguée a indiqué que Yulia Skripal est désormais en mesure de parler et poursuit sa convalescence.  Elle devrait bientôt pouvoir se prononcer sur l’offre de protection consulaire formulée par la Russie, a-t-elle poursuivi. 

La déléguée a ensuite étayé la très probable responsabilité de la Russie par le fait que la Russie a produit l’agent neurotoxique incriminé, le « Novitchok ».  Nous savons aussi que l’État russe a pu commanditer des assassinats par le passé, a-t-elle rappelé.  La déléguée a expliqué l’emploi de l’expression « hautement probable » pour pointer la responsabilité de la Russie en raison du fait que, dans son pays, seule une juridiction peut établir une responsabilité.  Mais cela ne doit en aucun cas jeter de doute sur la culpabilité de la Russie, a-t-elle dit. 

Elle a rappelé que le laboratoire britannique qui a examiné les échantillons prélevés sur les lieux de l’attaque a conclu qu’il s’agit bien du « Novitchok ».  Elle a ensuite dénoncé les différentes théories avancées par la Russie - 24 plus précisément.  L’attaque a ainsi été présentée par la Russie, tour à tour, comme l’acte de groupes terroristes ou bien comme une diversion pour détourner l’attention du Brexit, a-t-elle dit.

Elle a indiqué que son pays a demandé une aide auprès de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), sur la base de l’article 8 de la Convention sur les armes chimiques.  Tout ce que nous avons fait est conforme à la Convention, a-t-elle tranché.  « Je n’accepte aucune leçon de morale au sujet de cette Convention de la part d’un pays qui ne recule devant rien pour faire obstacle à tout établissement des responsabilités dans l’emploi d’armes chimiques en Syrie. »  Elle a précisé que l’OIAC a dépêché, le 21 mars, une équipe technique chargée de prélever des échantillons environnementaux et médicaux.  Les analyses vont ensuite être renvoyées à l’OIAC qui préparera son rapport, a-t-elle dit, ajoutant que son pays s’empressera de diffuser les informations contenues dans ledit rapport. 

Concernant la demande russe relative à une enquête conjointe, la déléguée a utilisé la métaphore du « pompier pyromane ».  Maintenant qu’elle n’a pas pu obtenir son enquête conjointe, la Russie s’évertue désormais à saper l’OIAC, a-t-elle dit.  Elle a dénoncé la demande du Ministre russe des affaires étrangères que des experts russes participent à l’enquête sur l’attaque de Salisbury.  « Cela ne sera plus une enquête indépendante alors. »

La déléguée a dénoncé le discrédit jeté par la Russie sur le Mécanisme d’enquête conjoint, les actes d’agression russes en Crimée et en Géorgie ou bien encore les tentatives de coup d’État au Monténégro.  Chacune de ces actions est accompagnée d’une campagne de désinformation orchestrée par la Russie, a-t-elle accusé.  Elle a conseillé au Conseil de rester saisi de cette question, avant d’accuser la Russie de saper les institutions internationales qui « nous protègent tous ».  Nous n’avons rien à cacher, mais je pense que la Russie a beaucoup à craindre, a-t-elle conclu. 

Mme KELLEY A. ECKELS-CURRIE (États-Unis) a rappelé que son pays avait saisi l’occasion de la séance d’hier sur les armes chimiques en Syrie pour inviter la communauté internationale à réagir et empêcher la banalisation de ces armes.  Elle a vu dans la séance d’aujourd’hui une tentative de la Russie « d’utiliser le Conseil de sécurité à des fins politiques et de semer le doute » sur ce qui s’est passé à Salisbury.  Nous discutons, a-t-elle rappelé, de l’utilisation « odieuse » d’un agent neurotoxique contre deux personnes qui vivaient paisiblement au Royaume-Uni.  La représentante a réaffirmé l’appui « infaillible » et la solidarité « totale » des États-Unis au Royaume-Uni.  Soit la Russie a utilisé sciemment un agent neurotoxique militaire, soit elle ne contrôle pas ses armes, a tranché la représentante.  Pour elle, l’expulsion de plus de 130 agents russes par plus de 20 pays témoigne de la profonde préoccupation de la communauté internationale face au comportement de la Russie. 

« La Russie a une longue tradition d’assassinats d’État notamment au Royaume-Uni », a estimé la représentante qui a rappelé que les plus hautes autorités russes avaient averti que « les traitres » seraient « des cibles ».  La vérité de l’implication de la Russie dans l’affaire de Salisbury demeure, a-t-conclu, en prévenant que le Conseil de sécurité ne saurait être utilisé pour « hypothéquer la vérité ». 

M. TEKEDA ALEMU (Éthiopie) a rappelé que l’usage d’armes chimiques est « inacceptable » et constitue une grave violation du droit international.  Il a noté que 20 ans après l’entrée en vigueur de la Convention sur les armes chimiques, le respect des normes est de plus en plus sapé.  Il est de l’intérêt de tous, a-t-il prévenu, de tout mettre en œuvre pour maintenir l’usage d’armes chimiques dans la catégorie des tabous et préserver l’intégrité du régime pour la paix et la stabilité mondiales.  Le représentant a réitéré sa solidarité avec les deux victimes et avec le peuple et le Gouvernement du Royaume-Uni.  Il a espéré qu’une enquête indépendante sera menée et que la coopération prévue par la Convention sera de mise afin de traduire les auteurs en justice.  L’Éthiopie prend note du fait que l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a été saisie par le Gouvernement britannique et espère que le rapport de cette organisation spécialisée clarifiera les faits.  En attendant, M. Alemu a invité les parties impliquées à coopérer avec l’OIAC et à n’épargner aucun effort pour résoudre cette question selon les normes prévues par la Convention.  Le manque de confiance et la détérioration des relations entre les grandes puissances ne feront que contribuer à saper davantage l’ordre international établi, a-t-il dit craindre. 

M. FRANÇOIS DELATTRE (France) est revenu sur les faits « choquants, graves et inacceptables ».  Le représentant a renouvelé le soutien « plein et entier et la totale solidarité » de la France au Royaume-Uni.  Alors que le laboratoire britannique de Porton Down a confirmé l’appartenance du gaz identifié à la famille des Novitchok, alors que le Royaume-Uni poursuit son enquête dans le plein respect de la Convention sur les armes chimiques, je tiens à redire toute la confiance de la France dans les travaux menés par les enquêteurs britanniques », a déclaré M. Delattre.

La France, a-t-il dit, se tient à la disposition du Royaume-Uni, s’il souhaite avoir recours à l’expertise française.  Je souhaiterais également saluer la décision du Directeur général de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) d’accéder à la demande britannique de dépêcher une mission d’assistance au Royaume-Uni.  L’enquête engagée doit être menée à son terme, en toute indépendance et sans aucune interférence.  Au vu des éléments que le Royaume-Uni a communiqués jusqu’ici, a poursuivi le représentant, « nous partageons son évaluation selon laquelle il n’y a pas d’autre explication plausible que la responsabilité de la Russie ».

La Russie prône la coopération et la France s’étonne donc du refus russe de répondre aux questions du Royaume-Uni.  Nous invitons la Russie à faire toute la lumière sur les responsabilités liées à l’inacceptable attaque de Salisbury et à déclarer à l’OIAC d’éventuels programmes qui ne l’auraient pas été, a ajouté le représentant pour qui l’interdiction des armes chimiques est au cœur du régime de non-prolifération « qui fonde notre système de sécurité collective ».  Dans ce contexte, la réémergence tous azimuts, au Moyen-Orient, en Asie, et désormais en Europe, de ces armes « barbares aux conséquences meurtrières » ne peut pas être tolérée.

La gravité des enjeux nous impose de nous engager, ensemble, pour rétablir l’interdiction absolue des armes chimiques et impose à chacun de coopérer, de se ressaisir et de s’affranchir des tentations, des jeux tactiques et politiques, qui ne sont pas à la hauteur des enjeux et des responsabilités d’un membre du Conseil de sécurité.  La France, a martelé le représentant, n’acceptera jamais de laisser dans l’impunité ceux qui utilisent ou développent des agents toxiques.  « Nous rappelons notre plein soutien aux institutions existantes, en particulier l’OIAC », a dit le représentant, promettant que la France restera pleinement engagée pour soutenir leur action et par tous les moyens à sa disposition.  C’est notamment l’objet du « Partenariat international contre l’impunité en cas d’utilisation d’armes chimiques » créé en janvier dernier.

M. WU HAITAO (Chine) a dit suivre de très près l’affaire de Salisbury et a rappelé que son pays avait dûment réaffirmé sa position devant le Conseil exécutif de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC).  Il a noté que ce dernier n’a pu parvenir à une conclusion commune et que les parties n’ont pas pu s’entendre.  Pour la Chine, toute utilisation d’arme chimique est « inacceptable » et tout auteur d’une attaque doit être poursuivi.  La Chine réclame une enquête « impartiale et objective » afin de tirer des « conclusions irréfutables ».  Elle invite les parties concernées à coopérer et à éviter les mesures qui pourraient aggraver les tensions.  Alors que la communauté internationale est confrontée à de nombreux défis, toutes les parties devraient renoncer à la mentalité des confrontations et de la guerre froide au profit d’une coopération bénéfique pour tous, a conclu le représentant. 

M. KAIRAT UMAROV (Kazakhstan) a rappelé que son pays a une réputation internationale bien connue comme farouche opposant aux armes de destruction massive, y compris les armes chimiques et les substances toxiques.  Le Kazakhstan condamne donc de manière « catégorique » toute utilisation d’armes de destruction massive qu’il juge « immorale, inhumaine et contraire aux principes de l’humanité ».  Le représentant a condamné l’incident de Salisbury et a dit espérer des éléments « factuels » confirmant l’usage d’agents chimiques et les individus impliqués, acteurs étatiques ou pas.  Il a appelé à une enquête approfondie, objective et impartiale, conforme aux normes du droit international et menée en vertu de la Convention sur les armes chimiques. 

Le représentant a dit aussi souhaiter la normalisation des relations, le rétablissement de la confiance entre les parties, la préservation de l’intégrité de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), la poursuite des efforts communs contre les menaces à la sécurité et l’abandon de la mentalité des « prétendus blocs ».  Il a enfin souhaité que cette question soit résolue dans les normes internationales et selon l’esprit et les principes de la Déclaration d’Astana de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) sur « la vision d’une communauté de sécurité euro-atlantique et eurasienne ».

M. CARL ORRENIUS SKAU (Suède) a dit partager l’opinion de la délégation britannique selon laquelle il est très probable que la Russie soit responsable de l’attaque de Salisbury.  « Il n’y a pas d’autre explication plausible », a-t-il admis.  Il a noté que le Royaume-Uni coopère avec l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) dans le cadre de son enquête policière et agit conformément à la Convention sur les armes chimiques.  Nous appelons la Russie à répondre aux questions du Royaume-Uni, a-t-il encouragé, avant de réclamer l’établissement des responsabilités dans chaque cas d’emploi d’armes chimiques. 

M. PAWEL RADOMSKI (Pologne) a rappelé que la position de son pays a été dûment présentée par les plus hautes autorités nationales dès le lendemain de l’attaque et que des mesures diplomatiques ont été prises pour confirmer la solidarité totale de la Pologne avec le Royaume-Uni.  Le représentant a vu dans l’incident de Salisbury « un autre exemple de la violation de la Convention sur les armes chimiques ».  Tout acte de ce type ne saurait rester impuni, a-t-il poursuivi, y voyant une menace à la sécurité de tous puisqu’il sape le régime international de désarmement. 

Le représentant a félicité le Gouvernement britannique pour la transparence dont il a fait preuve et de sa coopération avec l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC).  Il a dit attendre avec intérêt les résultats de l’enquête indépendante de l’OIAC.  Il a en outre rappelé que le Conseil européen a pleinement appuyé la position du Royaume-Uni sur la « probabilité élevée » de l’implication de la Russie dans l’attaque, estimant, à son tour, qu’il n’y a pas d’autre explication plausible. 

M. MANSOUR AYYAD SH. A. ALOTAIBI (Koweït) s’est inquiété des menaces pesant sur le régime de non-prolifération et a dénoncé l’attaque de Salisbury.  Il a demandé une enquête et souligné le rôle de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), en tant qu’institution « neutre ».  Il a condamné l’emploi d’armes chimiques et rappelé que le Koweït est partie à la Convention sur les armes chimiques depuis 1997.

M. PEDRO LUIS INCHAUSTE JORDÁN (Bolivie) a rejeté de manière catégorique l’emploi d’agents chimiques comme arme, y voyant une grave menace à la paix et la sécurité internationales.  Le représentant a demandé une enquête impartiale, indépendante et « dépolitisée », dans le respect de la Convention sur les armes chimiques et a appelé à la coopération des parties concernées, « essentielle pour avancer ». 

M. ANATOLIO NDONG MBA (Guinée équatoriale) a demandé une enquête indépendante et impartiale sur l’attaque de Salisbury.  Les conclusions de cette enquête devront être rendues publiques et les auteurs traduits en justice, a-t-il dit.  Il a appelé la Russie et le Royaume-Uni à assumer leurs responsabilités de membres permanents du Conseil et à régler leur différend de manière pacifique.  Le délégué a souhaité l’apaisement et rappelé l’opposition de son pays à la production et à l’emploi d’armes chimiques. 

M. KAREL JAN GUSTAAF VAN OOSTEROM (Pays-Bas) a apporté son soutien à la déclaration faite par la représentante du Royaume-Uni en insistant sur trois points.  En premier lieu, l’attaque de Salisbury est inacceptable et les Pays-Bas l’ont déjà condamnée fermement lors de la séance du 14 mars.  Ils sont pleinement solidaires du Royaume-Uni. 

En deuxième lieu, les Pays-Bas apportent leur plein soutien à l’enquête dirigée par le Royaume-Uni: les auteurs de ce crime odieux doivent être poursuivis en justice.  Les autorités britanniques travaillent en ce sens et ont reçu l’assistance technique de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), ce qui a été reconfirmé hier à l’occasion de la réunion du Conseil exécutif de l’Organisation, lors de laquelle son Directeur général a confirmé que le Royaume-Uni avait respecté les procédures prévues.  Il n’y a donc aucune raison pour que quiconque retarde, écarte, mette en cause ou tente de discréditer l’enquête en cours. 

Enfin, les Pays-Bas estiment comme le Royaume-Uni qu’il est « hautement probable » que la Fédération de Russie soit responsable de l’attaque et qu’il n’existe aucune autre explication plausible.  En conséquence, les Pays-Bas demandent à la Fédération de Russie de collaborer pleinement avec l’enquête, en fournissant à l’OIAC toutes ses informations sur le programme Novitchok.  Toute utilisation d’armes chimiques constitue une menace à la paix et la sécurité internationales que le Conseil de sécurité ne peut ignorer, a prévenu le représentant. 

M. BERNARD TANOH-BOUTCHOUÉ (Côte d’Ivoire) a réitéré la position de principe de sa délégation qui est celle de la condamnation de toute utilisation d’armes chimiques, quelle qu’en soit la forme, en temps de paix comme de guerre.  Le représentant a souligné qu’il était impérieux de faire toute la lumière sur l’utilisation d’agent chimique neurotoxique à Salisbury, en collaboration avec les organes compétents en la matière, notamment l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC).  À cet égard, le représentant a exhorté tous les États à fournir toutes les informations nécessaires à l’OIAC, en vue de situer les différentes responsabilités.

M. GUSTAVO MEZA-CUADRA (Pérou) a condamné tout emploi d’armes chimiques, lequel constitue une menace à la paix internationale.  L’attaque de Salisbury doit faire l’objet d’une enquête dans le cadre de la Convention sur les armes chimiques, a-t-il dit, souhaitant que les résultats soient connus de tous. 

Reprenant la parole, M. NEBENZIA (Fédération de Russie) a regretté que l’on n’ait « rien appris » aujourd’hui.  Il faut avancer sur la voie de la vérité, a-t-il conseillé, en remerciant les Pays-Bas pour avoir invité son pays à coopérer avec le Royaume-Uni.  Mais, a-t-il fait observer, la coopération ne peut fonctionner de la manière dont l’a proposée le Royaume-Uni: on nous demande, « pourquoi avez-vous fait cela? », on répond « nous ne l’avons pas fait », on nous rétorque, « non, comment l’avez-vous fait?  Fournissez-nous des preuves - et reconnaissez que c’est vous! »  Personne ici ne se rend-il compte que c’est réellement le théâtre de l’absurde? s’est impatienté le représentant qui a, en conséquence, présenté au Conseil un exemplaire d’Alice au pays des merveilles et lu le passage du jugement en citant le grand lapin blanc.  M. Nebenzia a encore noté que la représentante du Royaume-Uni a annoncé sa volonté de diffuser les conclusions de l’enquête de l’OIAC.  Il a dit attendre ces conclusions avec impatience et espérer qu’elles seraient « plus concrètes que ce qui a été entendu aujourd’hui ». 

La représentante du Royaume-Uni a confirmé que sa délégation partagerait avec les membres du Conseil toutes les informations sur l’enquête. 

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.