8203e séance – après-midi
CS/13247

Conseil de sécurité: vifs échanges entre la Fédération de Russie et le Royaume-Uni sur l’attaque à l’agent neurotoxique perpétrée à Salisbury le 4 mars

Le délégué du Royaume-Uni a, cet après-midi, devant le Conseil de sécurité, accusé la Fédération de Russie d’être responsable de l’empoisonnement de M. Serguei Skripal et de sa fille, Yulia, lors d’une attaque à l’agent neurotoxique le 4 mars, à Salisbury, au Royaume-Uni.  « La Russie n’a rien à voir avec cet incident », s’est défendu le délégué russe, au cours d’une séance marquée par de vifs échanges entre les deux délégations. 

Le Conseil de sécurité était saisi d’une lettre* envoyée le 13 mars par la Première Ministre britannique, Mme Theresa May, dans laquelle elle indique que la Fédération de Russie est « très probablement » à l’origine de l’empoisonnement et exige une réponse du Gouvernement russe avant le 13 mars.  Premier orateur à prendre la parole, le représentant britannique a indiqué que le produit utilisé à Salisbury est un neurotoxique issu d’une classe d’agents de guerre chimiques appelée « Novitchok » mis au point par l’Union soviétique et passée à la Fédération de Russie. 

« L’État russe est responsable de cette tentative d’assassinat », a-t-il réitéré, ajoutant que le mode opératoire correspond à celui utilisé dans de nombreuses autres agressions commises par l’État russe.  « Il n’y a que deux explications possibles: soit l’État russe s’est rendu coupable d’une tentative de meurtre sur le sol britannique à l’aide d’une arme chimique, soit il a perdu le contrôle de ses stocks d’agents neurotoxiques. »

Le délégué a rappelé que son pays a exhorté la Russie à communiquer immédiatement l’intégralité des informations relatives au programme de production des Novitchok à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), l’accusant de n’avoir révélé ni mis fin au programme.  « La Russie a déjà interféré dans les affaires des autres pays, la Russie a déjà bafoué le droit international en Ukraine, la Russie méprise la vie des civils, la Russie protège l’emploi par Assad d’armes chimiques », a-t-il énuméré. 

« Nous ne tirons pas de conclusion hâtive », a-t-il dit, ajoutant que l’OIAC allait apporter son concours lors de l’enquête sur cette attaque et que son pays ne se laissera pas intimider par les menaces de la Russie.  Nous demandons à tous les États de se tenir à nos côtés, a-t-il conclu. 

Un appel entendu par la déléguée des États-Unis, qui a rappelé la « relation spéciale » entre les deux pays.  « Quand le Royaume-Uni fait face à une difficulté, nous sommes à ses côtés, toujours », a-t-elle assuré.  « La Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, se doit de maintenir la paix et la sécurité internationales et en conséquence, être comptable de ses actes », a dit la représentante. 

Les délégations de la Suède, de la France, de la Pologne, de l’Éthiopie et des Pays-Bas ont également affiché leur solidarité avec le Royaume-Uni.  « La réémergence tous azimuts de ces armes barbares aux conséquences meurtrières, dont témoigne leur emploi récurrent en Syrie et au Moyen-Orient, mais aussi en Asie et désormais en Europe, ne peut pas être tolérée », a martelé le représentant français.  Rappelant que c’est la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’un agent neurotoxique a été utilisé en Europe, son homologue néerlandais a dit « comprendre » les mesures de rétorsion prises par Londres en l’absence de réponse. 

« Nous n’acceptons pas que l’on s’adresse à nous sur ce ton », a tonné le représentant de la Fédération de Russie, « absolument inacceptable » que l’on somme son pays de « passer aux aveux » dans les 24 heures.  « La lettre de la Première Ministre britannique contient des affirmations irresponsables », a affirmé le représentant qui a dit « avoir du mal à la commenter en langage diplomatique ».  Pourquoi le Royaume-Uni veut-il que la question soit « traînée » au Conseil de sécurité?  Parce qu’il sait déjà qu’il ne se satisfera pas des conclusions des vrais experts en la matière, ceux de l’OIAC, a soupçonné le délégué russe. 

Dénonçant une « guerre de propagande », il a souligné que son pays a répondu aux Britanniques, confirmé qu’il n’a « rien à voir » avec l’incident et demandé des échantillons.  « On nous parle d’une cyberattaque en préparation contre la Russie », a-t-il révélé, avertissant que son pays ne resterait pas inactif.  Sans des preuves irréfutables, nous n’avons pas à nous justifier, a-t-il tranché.  Comment, s’est-il demandé, peut-on techniquement identifier un agent comme le « Novitchok » sans formule pour effectuer une comparaison?  Si les Britanniques ont les moyens d’identifier l’agent, c’est qu’ils en ont la formule et qu’ils sont capables de le produire eux-mêmes.  M. Skripal, a-t-il aussi affirmé, « ne représentait plus aucune menace pour notre pays » mais en revanche c’était « la victime parfaite ».  Le représentant a accusé le Royaume-Uni de vouloir « délibérément et sans scrupule » ternir l’image de la Russie, avant que le délégué britannique ne rappelle la déclaration faite en 2010 par le Président Vladimir Putin dans laquelle il prévenait que les traîtres paieront leur trahison de leur vie.  Plusieurs délégations ont prôné l’apaisement, la Chine appelant les deux pays à gérer la situation par les canaux diplomatiques appropriés. 

*     S/2018/218

LETTRE DATÉE DU 13 MARS 2018, ADRESSÉE AU PRÉSIDENT DU CONSEIL DE SÉCURITÉ PAR LE CHARGÉ D’AFFAIRES PAR INTÉRIM DE LA MISSION PERMANENTE DU ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D’IRLANDE DU NORD AUPRÈS DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES (S/2018/218)

Déclarations

M. JONATHAN GUY ALLEN (Royaume-Uni) a rappelé que le 4 mars dernier, à Salisbury, M. Sergei Skripal et sa fille Yulia Skripal ont été empoisonnés et sont toujours dans un état critique.  Le sergent-détective Nick Bailey, un officier de police également exposé à l’agent contaminant lors de l’attaque, est, lui aussi, toujours dans un état grave, a indiqué le représentant, ajoutant que cette attaque a touché plusieurs centaines de citoyens britanniques.  La police britannique a déterminé que le produit utilisé était un neurotoxique issu d’une classe d’agents de guerre chimiques appelée « Novitchok » mis au point par la Fédération de Russie qui est très probablement à l’origine de l’empoisonnement.  Le mode opératoire, s’est expliqué le représentant, correspond à celui utilisé dans de nombreuses agressions commises par l’État russe.  Il n’y a que deux explications possibles: « soit l’État russe s’est rendu coupable d’une tentative de meurtre sur le sol britannique à l’aide d’une arme chimique, soit il a perdu le contrôle de ses stocks d’agents neurotoxiques ».  Le délégué a rappelé que son pays a exhorté la Russie à communiquer immédiatement l’intégralité des informations relatives au programme de production des « Novitchok » à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC).

« L’État russe est responsable de cette tentative d’assassinat », a-t-il réitéré, ajoutant qu’il s’agit d’une violation de l’Article 2 de la Charte de l’ONU.  Selon la Convention sur les armes chimiques, a poursuivi le délégué, les parties doivent déclarer leurs stocks d’armes chimiques et les détruire.  Il a accusé la Russie de ne pas avoir révélé et mis fin au programme de production des « Novitchok » entamé à l’ère soviétique.  « La Russie a déjà interféré dans les affaires des autres pays, la Russie a déjà bafoué le droit international en Ukraine, la Russie méprise la vie civile comme le montre l’attaque d’un avion commercial au-dessus de l’Ukraine par des mercenaires russes, la Russie protège l’emploi par Assad d’armes chimiques », a énuméré le représentant.  Nous ne tirons pas de conclusion hâtive, a-t-il affirmé, ajoutant que l’OIAC allait apporter son concours lors de l’enquête sur cette attaque.  Le délégué a déclaré que son pays ne se laissera pas intimider par les menaces de la Russie et restera ferme dans la défense de la démocratie et de la liberté.  Nous demandons à tous les États Membres de se tenir à nos côtés, a-t-il conclu. 

Mme NIKKI R. HALEY (États-Unis) a noté que le Conseil était réuni pour traiter du « recours à une arme chimique par un membre du Conseil sur le territoire d’un autre membre du Conseil ».  La représentante a apporté le plein soutien des États-Unis au Royaume-Uni, rappelant la « relation spéciale » entre les deux pays.  « Quand le Royaume-Uni fait face à une difficulté, nous sommes à ses côtés, toujours », a-t-elle assuré.  Mme Haley a noté que « l’affaire de Salisbury » se plaçait dans le contexte d’un recours croissant et inquiétant aux armes chimiques, citant l’assassinat du demi-frère du Président de la République populaire démocratique de Corée en Malaisie et l’utilisation de telles armes par le « régime syrien ».  Elle a rappelé que le Mécanisme d’enquête conjoint OIAC-ONU mis en place dans ce dernier cas avait été « tué par la Russie », qui avait mis cinq fois son veto face aux rapports du Mécanisme sur le recours aux armes chimiques par le « régime d’Assad » et s’était opposé à son renouvèlement. 

Si la Russie coopérait avec l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, nous ne la critiquerions plus, a affirmé Mme Haley, qui a demandé à ce pays « d’arrêter de donner autant de raisons de le critiquer ».  La Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, se doit de maintenir la paix et la sécurité internationales et en conséquence, d’être comptable de ses actes, a poursuivi la représentante.  Si nous ne prenons pas des mesures, Salisbury ne sera pas le dernier endroit où des armes chimiques seront utilisées, a averti Mme Haley, pour qui, si nous ne faisons pas rendre des comptes à la Russie, nous le regretterons. 

« Soyons clairs », a dit d’emblée M. FRANÇOIS DELATTRE (France), « cette tentative d’assassinat dans un lieu public par le recours à un agent neurotoxique de qualité militaire, telle qu’elle nous a été rapportée, et qui a affectée d’autres civils sur le territoire britannique, est totalement inacceptable ».  Mme Theresa May a établi la responsabilité de la Russie dans cette attaque.  « Nous faisons pleinement confiance à l’enquête britannique pour faire rapidement toute la lumière sur les circonstances précises de cette utilisation d’une arme chimique. »  

Il est impératif que ceux qui en sont à l’origine soient clairement identifiés et poursuivis, et que toutes les réponses adéquates soient apportées au plus vite aux questions soulevées par le Royaume-Uni dans le cadre de cette enquête.  « Ne nous y trompons pas », a encore indiqué M. Delattre, « les faits et les enjeux sont d’une extrême gravité.  L’interdiction d’emploi d’armes chimiques se trouve au cœur du régime de non-prolifération qui fonde notre système de sécurité collective, tel que créé et encadré par le Conseil de sécurité, et tous ses membres. »

La réémergence tous azimuts de ces armes barbares aux conséquences meurtrières, dont témoigne leur emploi récurrent en Syrie et au Moyen-Orient, mais aussi en Asie et désormais en Europe, ne peut pas être tolérée.  Elle bafoue les principes qui fondent la paix et la sécurité, elle sape l’architecture de non-prolifération et elle remet en cause la stabilité stratégique. 

Nous avons alerté à de multiples reprises, devant ce Conseil, du risque de réémergence de ces armes, de leur prolifération vers tous les types d’acteurs et de la menace que cette situation faisait peser sur le système de sécurité collective que nous avons graduellement bâti.  « Nous atteignons ici une dimension encore nouvelle: celle de l’utilisation d’une substance jamais déclarée à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques dont l’emploi est interdit par la Convention, dans un lieu public, sur le territoire d’un pays européen », a indiqué le représentant. 

La France n’acceptera jamais de laisser ceux qui utilisent ou développent des agents toxiques dans l’impunité.  « Nous rappelons dans ce contexte notre plein soutien aux institutions existantes, en particulier l’OIAC.  C’est également la raison pour laquelle la France a lancé en janvier dernier un partenariat international destiné à appuyer les instruments existants dans la lutte contre l’impunité dans l’usage de ces armes, a rappelé M. Delattre. 

M. MANSOUR AYYAD SH. A. ALOTAIBI (Koweït) a condamné la production, le transport et l’emploi d’armes chimiques et demandé à tous les États de détruire leurs stocks d’armes chimiques.  L’attaque du 4 mars constitue un acte hostile, a-t-il dit, en appuyant le droit du Royaume-Uni de prendre toutes les mesures nécessaires dans le cadre de l’enquête.  Le délégué a appelé tous les États à se conformer à la Charte des Nations Unies et à prendre des mesures claires et sincères pour faire advenir un monde débarrassé des armes de destruction massive. 

M. ANATOLIO NDONG MBA (Guinée équatoriale) a dit espérer que l’attaque de Salisbury ferait l’objet d’une enquête dont les conclusions seront rendues publiques et les responsables, traduits en justice.  Le représentant a souhaité que le Royaume-Uni et la Fédération de Russie puissent trouver un accord et fassent montre de retenue.  Il a invité les deux pays à coopérer avec les enquêtes indépendantes qui procéderont aux analyses nécessaires et en tireront les conclusions.  La Guinée équatoriale est totalement opposée à la production, au stockage, à la distribution et à l’utilisation de tout agent biologique, chimique, bactériologique ou connexe et condamne l’utilisation de tels agents, quel que soit l’utilisateur, a conclu le représentant. 

Mme JOANNA WRONECKA (Pologne) s’est dite très préoccupée par l’emploi d’armes chimiques et a condamné l’attaque du 4 mars, première attaque chimique commise en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.  Elle a apporté le plein appui de son pays au Royaume-Uni, avant d’enjoindre la Russie à répondre aux questions du Royaume-Uni et à coopérer avec l’OIAC.  Il ne saurait y avoir d’impunité pour les responsables d’attaques chimiques, a-t-elle conclu. 

M. GUSTAVO MEZA-CUADRA (Pérou) a déclaré que l’utilisation d’armes chimiques constitue en soi une menace à la paix et à la sécurité internationales et une violation du régime de non-prolifération qui met en danger la vie de civils.  Il a exprimé sa « vive préoccupation » devant l’utilisation d’agents innervants dans un lieu public, estimant que cet incident doit faire l’objet d’une enquête de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), conformément à l’état de droit et aux procédures en vigueur.  Le représentant a appelé à une pleine collaboration à l’enquête des parties concernées afin d’identifier les responsables et imposer les sanctions qui s’imposent, insistant sur la nécessité d’éviter l’escalade et de maintenir un dialogue ouvert afin de remédier à la situation.

M. OLOF SKOOG (Suède) a condamné, dans les termes les plus forts, la tentative de meurtre sur le sol du Royaume-Uni à l’aide d’un agent neurotoxique.  Le représentant a souligné la gravité de l’incident qui n’a pas de précédent en Europe, ces dernières années.  Les responsables de l’attaque doivent être identifiés et tenus pour responsables de leurs actes.  Étant donné qu’un agent neurotoxique transformé en arme chimique a été utilisé, et la possibilité que la tentative de meurtre ait peut-être des liens avec des acteurs étatiques, la Suède soutient la décision du Royaume-Uni de porter l’affaire à l’attention du Conseil de sécurité et d’autres organes pertinents comme l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques.

Le Royaume-Uni étant un ami proche et un partenaire européen de la Suède, le représentant a exprimé sa solidarité avec le Gouvernement britannique et a appuyé ses efforts dans la gestion de cette grave question de sécurité.  Il a noté que la Première Ministre britannique, dans sa lettre au Secrétaire général, indique que la catégorie d’arme chimique utilisée était présente en Union soviétique et passée à la Fédération de Russie.  Cela dit, et en prenant en compte l’histoire des principales victimes, nous soutenons la demande du Royaume-Uni que la Russie fournisse un compte rendu de la façon dont l’agent neurotoxique aurait pu se retrouver à Salisbury. 

M. BERNARD TANOH-BOUTCHOUÉ (Côte d’Ivoire) a dit avoir appris avec émotion, l’utilisation d’un agent neurotoxique sur le sol britannique, le 4 mars, et a exprimé sa solidarité avec les autorités britanniques.  La Côte d’Ivoire a toujours condamné tout usage d’armes chimiques, qu’elle qu’en soit la forme, a déclaré le représentant, qui a demandé que « toute la lumière soit faite sur ces actes ». 

M. KAIRAT UMAROV (Kazakhstan) a dit s’être toujours opposé à toute arme de destruction massive, y compris les armes chimiques, et a condamné tout recours à de telles armes, qu’il a jugé « immoral ».  Il a toutefois appelé à « la vigilance et la prudence » avant d’en tirer les conclusions et a demandé une « enquête impartiale et exhaustive ».  Il a espéré que les deux parties seraient en mesure de « dissiper les contradictions et les différends » par des moyens diplomatiques « pour le bien de la stabilité internationale ». 

M. PEDRO LUIS INCHAUSTE JORDÁN (Bolivie) a noté l’incident qui s’est produit à Salisbury et condamné l’emploi d’armes chimiques en toutes circonstances.  Il a appelé de ses vœux une enquête dépolitisée, complète et impartiale. 

M. TEKEDA ALEMU (Éthiopie) a affiché sa solidarité avec le peuple britannique et noté la lettre du 13 mars envoyée par la délégation britannique à la Présidence du Conseil.  Il a condamné l’utilisation d’armes chimiques, qui constitue une grave violation du droit international.  Il a demandé une enquête approfondie sur l’incident de Salisbury et que ses auteurs soient traduits en justice.  La coopération de bonne foi entre la Russie et le Royaume-Uni est essentielle pour que la situation reste sous contrôle et pour éviter une autre dégradation des relations entre les deux pays, a-t-il dit.  Enfin, le délégué a évoqué les préoccupations légitimes du Royaume-Uni et appelé toutes les parties à coopérer à l’enquête. 

M. MA ZHAOXU (Chine) a pris note de l’empoisonnement qui s’est produit à Salisbury.  Il a espéré qu’une enquête minutieuse, objective et impartiale serait menée afin d’aboutir à des conclusions irréfutables.  Il a appelé les pays concernés à gérer la situation par les canaux diplomatiques appropriés. 

M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) a expliqué que c’est son pays qui a demandé que la réunion du Conseil de sécurité initialement prévue en consultations à huis clos soit publique.  La lettre de la Première Ministre britannique contient des « affirmations irresponsables », a estimé le représentant, qui a dit « avoir du mal à la commenter en utilisant le langage diplomatique ».  Il y a vu des « menaces à l’encontre d’un État souverain, membre du Conseil de sécurité qui plus est ».  Pourquoi les représentants du Royaume-Uni voulaient-ils que la question soit « traînée » au Conseil de sécurité, ignorant les procédures que Londres « est tenu de respecter », conformément aux traités internationaux? 

Pour M. Nebenzia, le Royaume-Uni a agi ainsi car il sait déjà qu’il ne « se satisfera pas » des conclusions des vrais experts, ceux de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques.  La Fédération de Russie, a prévenu le représentant, juge « absolument inacceptable » de lancer des accusations comme l’a fait la Première Ministre britannique le 13 mars en sommant la Russie de « passer aux aveux » dans les 24 heures.  « Nous n’acceptons pas que l’on s’adresse à nous sur ce ton », a-t-il dit.

Le représentant a affirmé que la Fédération de Russie avait répondu aux Britanniques, confirmé qu’elle n’avait « rien à voir » avec l’incident et demandé des échantillons.  On nous parle déjà d’une cyberattaque en préparation contre la Russie, a révélé le représentant qui a averti que son pays ne resterait pas inactif.  Il a aussi dénoncé une « guerre de propagande » pour instrumentaliser l’opinion publique. 

Ce n’est pas la première fois qu’un ressortissant russe est attaqué sur le territoire britannique, a poursuivi M. Nebenzia, qui a fait observer que de nombreuses enquêtes sont restées sans conclusion et que la Russie n’avait pas été associée à ces enquêtes. 

Le représentant a demandé au Royaume-Uni de fournir des preuves matérielles d’une trace russe dans l’incident de Salisbury.  Sans des preuves irréfutables, nous n’avons pas à nous justifier, a-t-il martelé, en rappelant que la seule chose qu’il a entendue jusqu’aujourd’hui, c’est une implication russe « hautement probable ». 

Il n’y a pas eu en Russie de recherche scientifique sur un agent nommé « Novitchok », a rectifié le représentant.  Dans les années 1970, des programmes chimiques avaient été menés, surtout aux États-Unis et en URSS.  Ces recherches ont été arrêtées et, en 2017, la Fédération de Russie avait détruit tous ses stocks, une destruction confirmée par l’OIAC.  En revanche, a fait observer le représentant, les États-Unis n’ont toujours pas fini de détruire les leurs.  Il a également affirmé que les pays occidentaux avaient recruté des spécialistes russes des substances toxiques.  Leurs noms sont connus car ils figurent dans des documents publics.  La présence de l’agent mis en cause a été identifiée dans un laboratoire occidental, a poursuivi le représentant, qui a parlé de recherches effectuées sur ces substances, « y compris au Royaume-Uni ». 

Comment, techniquement, s’est demandé le représentant, peut-on identifier un agent tel que le « Novitchok ».  Il faut avoir la formule pour pouvoir effectuer une comparaison, ce qui veut dire que si les Britanniques l’ont identifié, c’est qu’ils en ont la formule.  Ils sont donc capables de le produire eux-mêmes.

M. Nebenzia s’est élevé contre cette tendance à nommer les coupables avant toute enquête.  Rappelant que la lettre de la Première Ministre du Royaume-Uni parle d’une responsabilité « hautement probable » de la Russie, il a reproché à la représentante des États-Unis d’être allée plus loin et d’avoir accusé directement son pays.  Il semble que pour condamner un pays, il suffit simplement non plus d’agiter des éprouvettes devant le Conseil mais de présenter une simple lettre, a ironisé M. Nebenzia.  Il a dénoncé les pays qui recourent aux assassinats ciblés à l’aide de drones ou qui déclenchent des conflits meurtriers sur la base d’informations fausses, citant notamment la Serbie et la Libye. 

« À qui profite le crime? » s’est demandé le représentant.  « À quel pays peut profiter une condamnation de la Russie? »  M. Skripal, a-t-il expliqué, n’était plus une menace pour la Fédération de Russie.  En revanche c’était « la victime parfaite ».  Parlant de « provocation », le représentant a accusé le Royaume-Uni de vouloir « délibérément et sans scrupule » ternir l’image de la Russie. 

La Russie, a-t-il répété, « n’a rien à voir avec cet incident ».  Les ultimatums de Londres « n’ont aucun sens » et « sont nuls ».  Le représentant a demandé au Royaume-Uni de se conformer aux procédures de l’OIAC et de respecter tous les autres traités internationaux, avant de redire en conclusion que la Fédération de Russie était prête à collaborer avec l’OIAC et d’annoncer que son pays allait présenter un projet de déclaration à la presse, à laquelle il a demandé aux autres membres du Conseil de souscrire. 

M. KAREL JAN GUSTAAF VAN OOSTEROM (Pays-Bas) a apporté son soutien à la déclaration du représentant du Royaume-Uni et a souligné la solidarité de son pays avec le Royaume-Uni, sa préoccupation face à l’utilisation d’armes chimiques et la nécessité de faire en sorte que les auteurs de ce crime soient tenus de rendre des comptes.  En ce début de mois, il est difficile, a confié le représentant, d’imaginer un endroit au monde plus paisible que Salisbury.  Il s’est donc dit choqué par l’attaque qui y a été commise contre un homme et sa fille à l’aide d’un agent neurotoxique.  Après avoir exprimé ses vœux de prompt rétablissement à M. Sergei Skripal et sa fille et s’être joint à l’indignation des autorités britanniques, il a déclaré qu’aucun État ne pouvait accepter que de telles attaques aient lieu sur son territoire.  Le Royaume-Uni peut compter sur la pleine solidarité des Pays-Bas, a-t-il ajouté.

M. van Oosterom a exprimé sa préoccupation face à l’arme utilisée, un agent neurotoxique de qualité militaire, « pas une substance à la portée d’un criminel ordinaire ».  C’est la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’un agent neurotoxique est utilisé en Europe, a-t-il rappelé, jugeant cet acte « au-delà des mots » et faisant observer que l’utilisation d’un tel agent, dans un espace public fréquenté par de nombreux civils, aurait pu avoir « des effets encore plus horribles ».  L’utilisation d’armes chimiques est « odieuse », a martelé le représentant, considérant, en conséquence, cet acte comme une menace à la paix et la sécurité internationales, relevant de la compétence du Conseil de sécurité.  Le représentant a également estimé qu’après le recours à des armes chimiques en Syrie, l’attaque au Royaume-Uni devait servir d’avertissement: nous devons renforcer notre vigilance pour empêcher l’utilisation de ces armes de destruction massive.  Il a aussi rappelé le rôle important que joue l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) à cet égard.

Il ne peut y avoir d’impunité pour un tel crime, a encore ajouté M. van Oosterom, qui a apporté le plein soutien de son gouvernement au Royaume-Uni dans la recherche de la vérité et a dit compter sur l’appui de tous les autres pays.  Rappelant que le Royaume-Uni avait demandé à la Fédération de Russie de fournir des réponses à certaines questions posées hier, il a dit « comprendre » les mesures de rétorsion prises par Londres devant le silence russe.  Ne voyant pas pourquoi la Russie continue de rejeter la demande britannique, le représentant a dit ne pas non plus voir de raison légitime de retarder, dévier ou discréditer l’enquête menée par les autorités du Royaume-Uni.  Il s’est donc dit déçu par le ton et la substance de l’intervention du représentant de la Fédération de Russie.  La communauté internationale ne peut se contenter de hausser les épaules face à ce crime.  Les Nations Unies, ce Conseil et tous les États Membres doivent coopérer avec le Royaume-Uni pour que les auteurs du crime soient remis à la justice, a conclu le représentant. 

Le délégué du Royaume-Uni a repris la parole pour indiquer que le Conseil était l’enceinte idoine pour discuter de toute atteinte à la sécurité internationale et nous comptons coopérer avec la Russie pour atteindre nos objectifs dans ce Conseil.  Il a rappelé la teneur de l’article 9 de la Convention sur les armes chimiques et déploré que la Russie n’ait pas fourni d’explications.  Aucune disposition de la Convention ne prévoit que le Royaume-Uni partage ses échantillons dans le cadre d’une enquête criminelle, a-t-il dit.  Il a mentionné la tactique dilatoire utilisée par la Russie dans l’affaire Litvinenko, ce pays ayant tout fait pour détourner l’attention de l’opinion publique et retarder l’enquête, en particulier l’extradition du suspect.  Nous ne ferons pas deux fois la même erreur, a prévenu le représentant.  Répondant à la question « à qui profite le crime », il a mentionné une déclaration faite en 2010 par le Président Vladimir Putin dans laquelle celui-ci indique que les traîtres paieront leur trahison de leur vie. 

Le représentant de la Fédération de Russie a affirmé que son pays n’a reçu aucune demande officielle de coopération de la part du Royaume-Uni.  Nous ne répondons pas aux ultimatums et aux accusations infondées, surtout quand elles sont proférées sur ce ton, a-t-il répété.  Nous sommes néanmoins prêts à coopérer avec le Royaume-Uni, a promis le représentant. 

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