Soixante et onzième session,
Commémoration de la Journée de la Terre - matin & après-midi
AG/11909

Assemblée générale: les délégations profitent de la Journée de la Terre nourricière pour réclamer une « déclaration des droits de la nature »

Aujourd’hui à l’Assemblée générale, plusieurs intervenants, dont les délégations de la Bolivie et de l’Équateur, ont plaidé pour l’adoption d’une déclaration des droits de la nature, pour passer d’une vision de la Terre comme propriété à une vision dans laquelle elle est détentrice de droits.

Dans le cadre d’un dialogue interactif sur le thème « la jurisprudence de la Terre », organisé à l’occasion de la Journée internationale de la Terre nourricière, commémorée chaque année le 22 avril, les orateurs ont salué les efforts de certains pays pour développer un droit de la Terre.

L’idée n’est pas nouvelle.  En 1972, dans « Should Trees Have Standing: Toward Legal Rights for Natural Objects », Christopher D. Stone attirait déjà l’attention sur l’élargissement de la « sphère d’inquiétude » de la société qui s’est traduit par la reconnaissance des droits juridiques des femmes, des enfants, des autochtones d’Amérique et des Afro-Américains.  L’écrivain faisait valoir que la préoccupation croissante du public pour la préservation de la nature devrait déboucher sur la reconnaissance des droits de la nature, ce qui permettrait d’engager des poursuites au nom des arbres et autres « objets naturels », notamment d’obtenir réparation.

Depuis, l’Inde vient de reconnaître aux fleuves du Gange et du Yamuna une personnalité juridique et de nommer des autorités publiques pour défendre ses droits.  La Nouvelle-Zélande a doté le fleuve Whanganui et le site naturel de Te Urewera, actuellement sans « propriétaires », d’une personnalité spirituelle et holistique.

L’Équateur a amendé sa Constitution en 2008 pour mieux protéger la nature ou « Pachamama », qui incarne les aspects physiques mais aussi spirituels du monde naturel.  Dans le même ordre d’idées, il faut signaler la création du Tribunal international des droits de la nature grâce à la signature d’une Convention des peuples, en décembre 2015 à Paris, soit un pas en avant dans le développement de la « jurisprudence de la Terre ».

Inventé par Thomas Berry, un des pionniers de l’« écologie profonde », ce terme vise à reconnaître la Terre, qui n’est pas une « collection d’objets » mais bien « une communion de sujets », comme détentrice de droits inaliénables.  Dans notre vision du monde anthropocentrée, a expliqué le Président du dialogue interactif, nos lois et nos économies partent du postulat que nous vivons sur un puits de ressources à exploiter à notre guise et pour notre bénéfice exclusif. 

Par contraste, la vision centrée sur la Terre reconnaît que le bien-être de l’humanité découle de celui de la planète et que l’harmonie avec la nature est un moyen de garantir le bien-être de l’homme et ses droits.  Le Ministre des affaires étrangères de la Bolivie a indiqué que son pays s’attache à promouvoir une « culture de la vie », à rebours d’un paradigme capitaliste « en crise ».  De nombreuses critiques ont fusé contre une civilisation occidentale « anthropocentrique », dénuée d’« éthique terrestre » et n’ayant plus qu’une relation « brisée » avec la nature.

Comme le rappelle le rapport* du Groupe d’experts sur l’harmonie avec la nature, demandé par l’Assemblée générale, une « Déclaration universelle des droits de la Terre nourricière », s’inspirant de la Déclaration universelle des droits de l’homme, a été adoptée à la Conférence mondiale des peuples sur les changements climatiques et les droits de la Terre nourricière organisée en 2011.

Les intervenants ont repris certaines recommandations du Groupe d’experts visant à prendre en compte la jurisprudence de la Terre dans l’application du Programme de développement durable à l’horizon 2030.  Parmi celles-ci, ont été mentionnées la fin de la privatisation de la nature, la promotion des cultures autochtones qui vivent déjà en harmonie avec la Terre ou bien encore un « serment économique » similaire au serment d’Hippocrate, obligeant les économistes à fournir des conseils dans l’intérêt de la planète.

Les intervenants, en tête desquels la Bolivie et l’Équateur, ont surtout rebondi sur une autre recommandation du Groupe d’experts pour demander à l’ONU de faciliter l’adoption d’une « déclaration sur les droits de la nature ».  Le Groupe d’experts recommande en effet un cadre juridique et de politique générale nouveau et intégré sur ces droits et son association avec les autres combats pour la justice raciale, climatique et environnementale et avec le rééquilibrage des inégalités croissantes des richesses.

* A/71/266

DIALOGUE INTERACTIF SUR L’HARMONIE AVEC LA NATURE EN COMMÉMORATION DE LA JOURNÉE INTERNATIONALE DE LA TERRE NOURRICIÈRE

Déclarations liminaires

Le Président du dialogue a indiqué que la « jurisprudence de la Terre » reconnaît le caractère interdépendant du bien-être de l’humanité et de celui de la Terre et recherche des relations mutuellement bénéfiques entre l’homme et les autres habitants de la planète.  Cette approche est « capitale » pour mettre un terme à la destruction de la biodiversité, réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et honorer les engagements pris en vertu de l’Accord de Paris sur les changements climatiques.  Le Président a insisté sur les profondes implications spirituelles et existentielles de la « jurisprudence de la Terre » pour se comprendre en tant qu’être humain. 

Dans notre vision du monde autocentrée, s’est-il expliqué, nos lois et nos économies partent du postulat que nous vivons sur un puit de ressources à exploiter à notre guise et pour notre bénéfice exclusif.  Par contraste, la vision centrée sur la Terre reconnaît que le bien-être de l’humanité découle de celui de la planète et que l’harmonie avec la nature est un moyen de garantir le bien-être de l’homme et ses droits.  À la lumière des défis écologiques et sociaux sans précédent et de leur impact sur chacun des aspects de notre système terrestre et de notre existence, ce Dialogue va explorer « la jurisprudence de la Terre » et les changements profonds qu’il faut opérer dans les attitudes, comportements et politiques.

Au nom des générations présentes et futures, l’humanité doit promouvoir l’harmonie avec la Terre, a acquiescé M. WU HONGBO, Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales.  La « jurisprudence de la Terre » est, selon lui, ancrée dans la philosophie du droit et de la gouvernance humaine qui nous rappelle que le bien-être de chacun dépend du bien-être de la Terre.  « Nous faisons partie du tissu de la vie », a-t-il rappelé, en saluant les efforts des pays qui veulent donner un statut juridique à la nature.  La Bolivie et l’Équateur ont en effet adopté plusieurs lois conférant des droits à la nature.  Le Secrétaire général adjoint a aussi évoqué la vision chinoise de la « jurisprudence de la Terre ».  La culture chinoise, a-t-il dit, souligne l’importance de l’unité entre le paradis et l’homme, c’est-à-dire entre la nature et l’homme.

Comment sortir l’humanité de sa crise et promouvoir une culture de paix et de justice? s’est demandé M. FERNANDO HUANACUNI MAMANI, Ministre des affaires étrangères de la Bolivie.  Les guerres et les crises financières illustrent à la perfection les limites de « l’approche individualiste » du développement, fondée sur la recherche effrénée du profit.  Le paradigme capitaliste a fini par prouver qu’il n’est pas viable, a insisté le Ministre, exhortant au retour à l’équilibre entre toutes les composantes de la Terre et à la complémentarité entre toutes les espèces.  La Bolivie, a-t-il dit, s’attache à promouvoir le bien-vivre, une « culture de la vie » et une vision selon laquelle l’être humain n’est pas propriétaire de la nature mais seulement l’une de ses composantes.  « L’être humain, mais aussi tous les êtres vivants, partagent un destin commun, le destin de la Terre nourricière. ».

Le Ministre a prévenu que l’humanité ne pourra pas assurer sa survie si elle ne protège pas les droits de la Terre nourricière.  Il a appelé les États à adopter une déclaration universelle sur ces droits, louant une nouvelle fois le modèle bolivien de développement.

« La Terre est la maison de l’humanité. »  C’est la définition qu’en a donné Mme HELENA YÁNEZ LOZA (Équateur).  Au nom du G77 et de la Chine, elle a estimé qu’une gestion durable des ressources naturelles, dans le respect de la souveraineté des États, est cruciale pour promouvoir une meilleure harmonie avec la nature et sa régénération pour le bien des générations futures.  Pour combattre la dégradation de l’environnement, la déléguée a plaidé pour le renforcement des capacités nationales et la promotion d’un système commercial international fondée sur des règles et non discriminatoire.  Il faut, a-t-elle conclu, garantir les droits de la nature pour permettre un développement durable et restaurer l’intégrité et la santé des écosystèmes de la Terre. 

Réunion-débat sur la jurisprudence de la Terre et le programme de développement durable: les rôles des droits de la nature, de l’économie écologique, de l’éducation, de l’éthique, de la philosophie, de la science holistique et des médias

La « jurisprudence de la Terre », ce terme inventé par Thomas Berry, un des pionniers de l’« écologie profonde », a été repris par l’une des panélistes, Mme LIZ HOSKEN, Directrice de la Fondation Gaia, en Afrique du Sud, qui a expliqué qu’il s’agit de reconnaître la Terre comme une personnalité juridique détentrice de droits inaliénables.  Le processus industriel est en phase terminale, et c’est là la conséquence inévitable d’une civilisation qui détruit son système de survie.  La différence cette fois-ci, c’est qu’une civilisation dominante a colonisé les régions les plus reculées de la planète, a-t-elle dit en prêtant ces propos à Thomas Berry qui se définissait comme un « écothéologien » et un « géologien ».  Car de droit, il n’a pas seulement été question aujourd’hui, mais aussi de spiritualité, puisque la planète que nous occupons n’est pas, selon les dires de M. Berry, « une collection d’objets, mais une communion de sujets ».

Experts et intervenants ont tous convenu de la nécessité de consacrer en droit un « changement de paradigme » ou plutôt d’opérer un retour à un paradigme dont l’existence est attestée depuis toujours par les coutumes de tous les peuples autochtones du monde.  Mme CHANDHRA ROY-HENRIKSEN, Chef du Secrétariat de l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations Unies –dont la seizième session se tiendra du 24 avril au 5 mai 2017–, a rappelé que ces peuples détiennent la plus grande diversité culturelle du monde, avec un vivier de 5 000 cultures et langues différentes, riche d’innombrables savoirs et pratiques dont la viabilité se fonde sur une vision écosystémique de la vie humaine sur la Terre nourricière.  Mme Roy-Henriksen a rappelé que le Secrétaire général de l’ONU avait lui-même recommandé de « soutenir et promouvoir les cultures autochtones qui vivent déjà en harmonie avec la Terre et tirer parti de leur expérience », et d’« appuyer et promouvoir les efforts faits, depuis les niveaux nationaux jusqu’à ceux des communautés locales, pour intégrer dans leurs lois et systèmes de gouvernance la protection de la nature et faire appliquer ces lois au profit des hommes et du monde naturel ».  Albert Einstein l’avait compris en son temps, a résumé la Directrice de la Fondation Gaia: « Il est impossible de résoudre un problème en puisant dans la pensée qui est à l’origine même de ce problème. »

Au cours de cette table ronde, modérée par M. JORGE ISLAS, professeur de droit constitutionnel à l’Université autonome nationale du Mexique, les sociétés occidentales ont essuyé de nombreuses critiques, notamment de la part de M. PETER G. BROWN, Directeur du projet Economics for the Anthropocene, à McGill University.  Il a d’emblée rejeté les « conceptions stupides » et « préjudiciables à la planète » en cours dans la plupart des sociétés modernes, selon lesquelles les êtres humains seraient les seuls à « avoir un rôle » à jouer ou que l’économie est un système déconnecté de la « réalité biophysique » et des « lois de l’univers ».  M. Brown a au contraire appelé à une « éthique terrestre » reposant sur l’interdépendance de ses « coexistants », ce que Mme Hosken a formulé autrement, en soulignant l’importance d’une transition de l’« anthropocentrisme » à une compréhension du rôle de l’humanité au sein des écosystèmes.

C’est là le sens d’un certain nombre d’initiatives qui ambitionnent de former une jurisprudence, comme celle lancée par la Fondation Gaia en Amazonie pour promouvoir les traditions ayant permis aux peuples autochtones de vivre en harmonie « jusqu’à l’époque coloniale », a relevé la Directrice de la Fondation.  Elle a fait part de programmes d’apprentissage participatifs triennaux, notamment en Colombie, destinés à « exporter » à l’étranger des façons de faire –systèmes d’autosuffisance alimentaire ou semences, par exemple– ayant prouvé leur viabilité comme leur efficacité.  Pour le bien-être des générations futures, a-t-elle ajouté, reconnaissons maintenant « les droits des rivières, des forêts, des montagnes et des lacs ».

Rien qu’au cours des dernières semaines, a fait observer Mme LINDA SHEEHAN, Directrice exécutive de l’organisation américaine Planet Pledge, des lois ont été adoptées en Nouvelle-Zélande et des décisions rendues par des tribunaux en Inde pour reconnaître la « personnalité juridique » des écosystèmes et des espèces, conformément aux conclusions de la Commission sur le droit de l’environnement de l’Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources, pour laquelle la nature jouit d’un droit inaliénable « d’exister, de s’épanouir et d’évoluer », condition sine qua non d’un « développement écologiquement viable ».  

Président de cette Commission, professeur de droit et Directeur du Centre pour le droit environnemental de l’Université d’Auckland, M. KLAUS BOSSELMANN, a cité en exemple une loi néo-zélandaise, adoptée le 15 mars 2017, et qui confère une personnalité juridique au fleuve Whanganui, reconnu comme un « être vivant unique », en phase avec la vision des tribus maorie et crown.  Selon lui, la légitimité de l’État en tant qu’institution juridique repose avant tout sur sa capacité à prendre soin de ses citoyens.  « À cette fin, l’État a des obligations fiduciaires et agit, en réalité, comme le curateur de son peuple et de ses coutumes, naturelles et culturelles.  Pour renforcer cette légitimité, l’État souverain du XXIe siècle doit agir comme un curateur de l’environnement », a expliqué M. Bosselmann.

Au cours de la discussion interactive qui a suivi, le Ministre des affaires étrangères de la Bolivie s’est fait l’écho de cette philosophie juridique.  Fustigeant la fausse « dichotomie occidentale », le chef de la diplomatie bolivienne s’est lancé dans un plaidoyer en faveur du rétablissement d’une harmonie « brisée » et de l’« équilibre » de vie.  Plusieurs États Membres se sont enorgueillis des mesures prises en ce sens par leurs gouvernements respectifs.  Ainsi, le Costa Rica a dit s’être doté, depuis 1994, d’un « droit à un environnement sain », axé sur une approche qualifiée d’« écocentrique ».  En outre, une jurisprudence constitutionnelle y rend désormais obligatoire l’utilisation viable des ressources hydriques, a souligné le représentant costaricain, en exhortant à « décarboner » complètement les économies modernes.  Le Nicaragua a d’ailleurs rappelé que ce sont les pays en développement qui mettent en œuvre, « sur la base de nos propres ressources », les mesures d’atténuation des effets des changements climatiques, alors qu’un groupe de 17 pays est responsable de 75% des émissions de carbone.  

Cuba a abondé en ce sens, invoquant le principe de « responsabilités communes mais différenciées », et appelant à la volonté politique des pays développés pour qu’ils respectent leurs engagements en matière de transferts de technologies.  Interrogé par le Népal, qui se demandait comment préserver l’harmonie avec la nature sans porter atteinte aux aspirations de développement, le Président de la Commission sur le droit de l’environnement de l’Union internationale pour la conservation de la nature a appelé la communauté internationale à définir juridiquement le concept même de développement durable, ce qui n’a pas été fait au moment de l’élaboration du Programme de développement durable à l’horizon 2030, a-t-il observé.  Sollicité par plusieurs intervenants, le professeur de droit constitutionnel a défendu le principe d’une « codification » inspirée des approches en vigueur en Bolivie et en Équateur, où la Terre, mise « sous la tutelle » des États, ne peut être exploitée que de manière durable, sans préjudice aux États voisins.  Justement, l’Équateur a évoqué le « Code pénal intégral organique » qu’il a adopté pour définir les délits perpétrés contre l’environnement et la nature, assorti d’un manuel sur le droit pénal environnemental.

En somme, nous sommes confrontés au défi de concilier perception ancestrale et perception développementale, a simplifié Mme GERMANA DE OLIVEIRA MORAES, professeur de droit constitutionnel à l’Université fédérale de Ceara au Brésil, juge fédéral et Guide de la Nation Pachamama du Mouvement écospirituel et culturel « Violeta Molina ».  « Un développement qui fait du mal à la nature n’est pas un développement », a-t-elle asséné en paraphrasant le professeur Cristiane Derani, une spécialiste brésilienne.

La mise en œuvre des 17 objectifs de développement durable du Programme 2030 dépend des principes et des valeurs de l’harmonie avec la nature, à savoir l’harmonie entre l’homme et lui-même et entre lui-même et les autres hommes, les autres êtres vivants et la Terre nourricière.  La pauvreté, la faim, les inégalités entre les sexes sont tous des exemples de l’absence d’harmonie avec la nature, a expliqué l’intervenante.

S’agit-il de promouvoir, dans un désir d’inertie, l’illusion d’une proposition anthropocentrée?  Comprenons-nous les limites biophysiques de l’activité humaine?  Nous voyons-nous vraiment comme parties intégrantes de la Terre, ses filles et ses fils?

Au Brésil, a répondu l’intervenante, nous n’avons pas attendu les gouvernements et les multinationales pour répondre à ces questions.  Les mouvements sociaux, les réseaux, les écoles et les universités se sont réveillés et ont éveillé la conscience d’une harmonie avec la nature comme condition préalable au développement durable.  Dans la plus grande ville du pays, São Paulo, les gens se mobilisent pour proposer des lois conformes au paradigme anthropocentré comme la « Semaine du citoyen écolo ».  Le Réseau des constitutionnalistes démocratiques d’Amérique latine a lancé des recherches, des dialogues, des manifestations et des essais sur les droits de la nature.  En matière d’économie, des expériences écologiques se multiplient comme les écovillages ou le mouvement de l’économie solidaire. 

Le monde des arts, des médias, du design et de l’architecture n’a pas été en reste, a rassuré M. JEAN-PAUL MERTINEZ, producteur et Directeur d’Illumina Studios&Media Ltd à Londres.  Ces différentes disciplines, qui sont liées entre elles, ont la capacité unique d’agir comme véhicule des principes sous-jacents de l’harmonie avec la nature.  Elles doivent maintenant créer un réseau mondial, à l’instar des juristes et des économistes de l’environnement.  Dans nos disciplines, a dit l’intervenant, nous nous rendons compte de la crise de la consommation, qui est en réalité une crise « spirituelle », une recherche du sens, moteur même de l’art, du design et des médias. 

Mais il est clair, a reconnu M. Mertinez, que le monopole de la création aux mains des grandes « major » rend difficile la diffusion de vues alternatives, à savoir passer de la question « comment maintenir notre niveau de consommation? » à « comment maintenir la biosphère? ».  Il a salué des artistes comme Sir David Attenborough qui ont su faire apprécier au monde les merveilles de la nature. Créer des contenus alternatifs est « crucial », a-t-il insisté, voulant que le divertissement pour amuser cède la place au divertissement pour éduquer.

Le BAFTA, a-t-il indiqué, a par exemple fait l’effort d’éduquer les chaînes de télévision et de radio et les sociétés de production à leur empreinte carbonique, une initiative qui s’étend depuis 2016 aux films eux-mêmes.  Si l’on pouvait encourager la profession à s’impliquer davantage dans ce type de scenarii, on planterait alors les graines d’un avenir plus équilibré.

Une telle transition serait plus facile dans le monde de l’art et de l’architecture qui par essence est ancré dans la célébration et le rituel.  C’est un peu plus compliqué pour les médias et le design qui sont les expressions vitales de la culture et du sens.  La nouvelle histoire à raconter doit donc avoir un support solide qui lui permette de contribuer au changement de paradigme.  L’ONU, a dit l’intervenant, pourrait être ce support et ce lien nécessaire pour créer, alimenter et faciliter un réseau international et avancer vers un design et des médias « bienveillants et pleins de compassion ».  

L’ONU doit aller plus loin, a encouragé le professeur de droit constitutionnel à l’Université fédérale de Ceara au Brésil et Guide de la Nation Pachamama du Mouvement écospirituel et culturel.  L’ONU doit faciliter un plan d’action solide, sous la forme d’une « déclaration des droits de la nature ».  Mais pour un écosystème naturel, qu’est-ce qu’« être détenteur de droits » ?

Depuis le mois de mars dernier, le Gange et le Yamuna, entre autres fleuves, glaciers ou forêts, ont une personnalité juridique, a confirmé M. PALLAV DAS, Cofondateur du Groupe d’action environnementale « Kalpavriksh ».  L’idée est de passer d’une perception de la nature comme propriété à une perception où la nature est reconnue comme détentrice de droits inhérents, comme ceux d’être préservée et conservée.  

Dans sa décision, la Haute Cour de l’Uttar Akhand a nommé le Directeur « Namani Gange », le Secrétaire en chef de l’État et le Procureur général comme les personnes qui doivent agir « à la place des parents » du Gange et du Yamuna.  Ils sont tenus de préserver le statut des fleuves et de promouvoir leur santé et leur bien-être.  Ce faisant, la Haute Cour a porté le débat sur la protection de l’environnement à un autre niveau et soulevé des questions fondamentales.

Car être détenteur de droits veut dire qu’on peut saisir la justice, qu’un préjudice est reconnu, que l’auteur du préjudice doit réparation et que cette réparation bénéficie à la victime.  Le fleuve doit donc avoir un protecteur totalement indépendant de ceux qui violé ses droits.  Or, les autorités publiques remplissent-elles ces critères?  Comment résoudre cette contradiction?

Quels sont les droits d’un fleuve?  Peut-il refuser d’être un dépotoir?  A-t-il le droit de ne pas être défiguré par un barrage, vidé ou détourné?  Si oui, qui va poursuivre qui en justice?  Le Secrétaire en chef de l’État peut-il poursuivre une société municipale de l’Uttar Pradesh ou du Bihar pour déchargement illégal de déchets?  Le Directeur « Namani Gange » peut-il porter plainte contre le Gouvernement central pour avoir approuvé un autre projet hydroélectrique?

La logique de la décision de la Haute Cour peut-elle être élargie à d’autres fleuves?  Tous les écosystèmes doivent-ils bénéficier du même type de protection?  Est-ce qu’il faut créer un organe véritablement indépendant de « parents » de tous les fleuves de l’Inde pour garantir l’application de la loi?  Telles sont les questions dont les réponses viendront de la pratique.

Déjà, a ajouté le Cofondateur du Groupe d’action environnementale « Kalpavriksh », la décision de la Haute Cour a obligé le Gouvernement indien à réorienter l’action du Ministère de l’eau.  Les peuples autochtones, a-t-il avoué, nous disent que notre mode de production et de consommation « c’est du n’importe quoi ».  « Allons-nous poursuivre sur cette route ou changer de direction? »  C’est la question que se posent ces peuples autochtones depuis 500 ans, a souligné l’intervenant.  Comment concilier droits des peuples autochtones, droit coutumier et droits de la nature? a demandé une représentante d’une ONG au professeur brésilien de droit constitutionnel.  La meilleure façon, a-t-elle estimé, est de « suivre son cœur » car pourquoi ne pas parler d’amour et de paix comme le font les peuples autochtones.  La Terre doit être perçue comme notre mère et n’oublions pas que nous sommes en vie parce que nos grands-parents ont su prendre soin de la nature. 

Les tribus équatoriennes, par exemple, ont, en se basant sur leurs croyances religieuses, reconnu des droits aux rivières.  On peut en déduire que pour elles, la nature et ses composantes sont plus importantes que les droits de l’homme, a constaté l’intervenante.  Pour de nombreux peuples autochtones, a confirmé le Cofondateur du Groupe d’action environnementale « Kalpavriksh », il n’y a pas de séparation entre le monde spirituel et le monde physique.  Il a pris l’exemple de la lutte menée par une tribu de l’Inde contre l’implantation d’une usine d’extraction minière anglaise sur son territoire.  La tribu n’était pas forcément opposée au projet.  Elle voulait juste être consultée.  Elle voulait que l’on respecte son environnement, « ses terres sacrées ».  Ses membres sont donc allés jusqu’au Royaume-Uni, sans l’aide de personne, pour réclamer un dialogue avec l’entreprise britannique, provoquant le fléchissement des investisseurs qui ont dû les rencontrer.   

Qu’en est-il de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones?  Le Cofondateur du Groupe d’action environnementale « Kalpavriksh » a répondu qu’en Inde, les peuples autochtones n’attendent plus que l’élite politique ou économique agisse.  Ils s’attaquent eux-mêmes aux problèmes.  « Ces peuples posent les vraies questions et je suis confiant qu’à moyen terme, nous aurons recours à leur sagesse.  Ce n’est qu’une question de temps », a-t-il estimé.  Le Directeur d’Illumina Studios&Media Ltd s’est souvenu que dans un documentaire qu’il a réalisé pour la BBC sur l’une des dernières tribus colombiennes pré-aztèques, il avait découvert qu’il n’y a pas d’opposition automatique entre le monde scientifique et les connaissances autochtones.  On a été surpris, a-t-il avoué, de voir que tout le monde a le même respect et le même enchantement devant la nature.  Scientifiques et autochtones ont été surpris de voir qu’ils avaient en fait les mêmes connaissances.  « Ça, c’est le message qu’il faut diffuser et propager », car ce qui est important, a-t-il poursuivi, c’est de raconter ces histoires.  Il est vrai que beaucoup d’artistes et de médias sont encore réservés sur la question de la relation entre l’homme et la nature.  Il a dit placer beaucoup d’espoir dans les médias sociaux pour faire évoluer les choses.  Il y a déjà un mouvement en marche et l’étape suivante sera de montrer tout cela dans les médias.  Comme les juristes et les économistes avant eux, les professionnels des médias doivent se montrer responsables et s’appuyer sur le public des jeunes. 

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