Quatorzième session,
8e & 9e séances – matin & après-midi
DH/5247

Experts, statisticiens et autochtones préconisent des indicateurs de développement humain s’appuyant sur les spécificités des peuples autochtones

L’importance de disposer d’indicateurs « spécifiques aux autochtones » qui s’appuient sur l’expérience des indicateurs de développement humain a été soulignée, aujourd’hui, par de nombreux participants aux différentes discussions de l’Instance permanente sur les questions autochtones. 

Militante des droits des aborigènes d’Australie, Mme Ngaire Brown, a en effet demandé si les indicateurs actuels, portant notamment sur l’espérance de vie à la naissance, le nombre d’années passées à l’école, la mesure du produit intérieur brut ou la bonne gouvernance, étaient valables pour mesurer les conditions de vie des peuples autochtones. 

Prennent-ils en compte le bien-être et le confort individuel des peuples autochtones, s’est-elle interrogée.  Mme Maria Eugenia Choque, experte de l’Instance, a jugé prioritaire de tenir compte des connaissances traditionnelles, dont la spiritualité. 

« L’indicateur le plus important est celui qui mesure la pratique de la langue maternelle autochtone au sein du foyer », a insisté Mme Andrea Carmen, de l’International Indian Treaty Council, en rappelant les liens entre langue, identité et développement.

Pour ce débat, l’Instance a entendu des interventions liminaires de statisticiens, en particulier celle de M. Milorad Kovacevic, du Bureau du rapport sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lequel a affirmé que les rapports publiés depuis 1990 pouvaient constituer des outils pertinents en vue d’améliorer les conditions de vie des peuples autochtones. 

Des intervenants ont jugé indispensable d’associer les autochtones aux services statistiques au niveau national pour élaborer des indicateurs et statistiques spécifiques aux autochtones, comme Mme Linda Hooper, de la Division de la statistique du Département des affaires économiques et sociales, qui a expliqué la méthodologie utilisée et les étapes suivies à l’ONU pour alimenter en données statistiques le débat actuel sur l’élaboration du programme de développement pour l’après-2015.

D’autres ont appelé à s’appuyer sur ce qui existe déjà en citant par exemple des indicateurs spécifiques aux autochtones mis en place depuis 1991 à Sainte-Lucie ou au Canada en direction des populations Inuits.  La représentante du Réseau continental des femmes autochtones d’Amériques a fait état, à cet égard, des accords conclus entre les autochtones et le Gouvernement colombien. 

« Les statisticiens et les autochtones ont tout à gagner d’une meilleure collaboration », a estimé le Coordonnateur des travaux sur les indicateurs des droits de l’homme du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, M. Nicolas Fasel.  Il a préconisé une institutionnalisation du dialogue entre statisticiens et autochtones en estimant qu’il aurait aussi comme finalité de renforcer la fiabilité des statistiques d’ensemble.

« Si nous ne sommes pas capables de disposer de mesures, personne ne fera attention à la situation des autochtones », a prévenu M. Kovacevic.  Mme Choque a, elle, souhaité des indicateurs qui tiennent compte des réalités culturelles ainsi que de la participation des femmes autochtones aux processus de prise de décisions aux niveaux local, national et international. 

Ancienne Présidente de l’Instance, Mme Sambo Dorough a suggéré que l’on diffusât, la semaine prochaine, une enquête visant à recueillir des propositions d’indicateurs auprès des représentants des peuples autochtones présents. 

L’Instance permanente sur les questions autochtones entamera lundi 27 avril la deuxième semaine de sa session annuelle.

TRAVAUX FUTURS DE L’INSTANCE PERMANENTE, NOTAMMENT SUR LES QUESTIONS INTÉRESSANT LE CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL ET SUR LES NOUVEAUX PROBLÈMES

Discussion sur les indicateurs du développement humain et des droits de l’homme des peuples autochtones

Les membres de l’Instance permanente sur les questions autochtones et les experts du système des Nations Unies se sont interrogés, ce matin, lors d’une table ronde, sur le fait de savoir si les indicateurs actuels de développement humain étaient adaptés aux peuples autochtones.

Mme NGAIRE BROWN, militante des droits des aborigènes d’Australie, s’est ainsi demandée si des indicateurs portant notamment sur l’espérance de vie à la naissance, le nombre d’années passées à l’école, la mesure du produit intérieur brut ou la bonne gouvernance étaient valables pour les peuples autochtones.  Prennent-ils en compte notamment le bien-être et le confort individuel des peuples autochtones?

Le bien-être des peuples autochtones évolue avec le temps et en fonction des évènements dans lesquels ils vivent, a estimé Mme Brown, ajoutant: « Nos cultures qui reflètent notre passé, notre présent et notre avenir ne cessent de s’adapter ».  Les indicateurs du développement humain d’un point de vue autochtone devraient, selon elle, tenir compte notamment de leur droit à la propriété foncière, à la participation et au consentement libre et préalable, à l’accès aux services sociaux de base, au respect de leurs cultures et traditions et à leurs modes de vie. 

M. MILORAD KOVACEVIC, statisticien en chef du Bureau du Rapport sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), a répondu que les rapports sur le développement humain publiés depuis 1990, consacraient des chapitres sur la situation des peuples autochtones.  Ces rapports peuvent constituer des outils destinés à prendre les mesures adéquates afin d’améliorer les conditions de vie des peuples autochtones.  Ils peuvent aussi servir d’outils de communication aux gouvernements et aux acteurs de la société civile pour stimuler le débat et aider les décideurs politiques dans l’élaboration de politiques.  Ils sont également utiles dans la lutte contre les inégalités et la pauvreté dont sont victimes les peuples autochtones.

M. NICOLAS FASEL, Coordonnateur des travaux sur les indicateurs de développement humain du Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, a pour sa part déclaré que les indicateurs étaient utiles dans le domaine des droits de l’homme.  Ce sont des outils qui aident à l’élaboration de politiques en vue de la mise en œuvre notamment de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, au renforcement de la transparence et la reddition de comptes.  Ils aident aussi à établir des ponts entre les différents acteurs du développement.  Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a élaboré un guide sur les indicateurs des droits de l’homme dont l’objectif est de mesurer les engagements des États dans ce domaine.  Le guide insiste aussi sur la mise en œuvre des engagements pris par les États et sur l’évaluation des résultats des mesures prises en faveur des conditions de vie des peuples autochtones. 

Il faut s’intéresser aux efforts consentis par les gouvernements en vue d’améliorer la situation des peuples autochtones dans leur pays notamment l’accès aux biens et aux services sociaux, aux institutions publiques et aux programmes de développement, a-t-il dit.  Selon M. Fasel, un indicateur universel n’existe pas, et à la place, il faut créer des indicateurs à l’échelle nationale qui devraient être élaborés par un processus participatif. 

Mme LINDA HOOPER, statisticienne de la Division de la statistique du Département des affaires économiques et sociales, a expliqué la méthodologie utilisée et les étapes suivies par sa Division pour alimenter en données statistiques le débat actuel sur l’élaboration du programme de développement pour l’après-2015.  Il a été recommandé de ne prendre en compte qu’un nombre limité d’indicateurs pour qu’ils soient bien ventilés et pour tenir compte de la situation des droits de l’homme dans tous les pays.  Il a aussi été question de renforcement des capacités des pays pour la collecte des données et l’établissement d’indicateurs. 

Mme JOAN CARLING, membre de l’Instance permanente, a fait état d’un comité rassemblant diverses entités de défense des droits des peuples autochtones.  Celui-ci a publié le « Navigateur autochtone », un guide pour aider les États, les agences des Nations Unies et la société civile à évaluer ce qui a été réalisé en matière de droits des peuples autochtones depuis l’adoption de la Déclaration des droits des peuples autochtones.  Cet outil intègre les principes de l’égalité, de l’intégrité culturelle, de la participation des peuples autochtones, de la protection juridique, de la liberté d’expression et de communication, de l’accès à l’éducation, de l’emploi et du droit à l’autodétermination des peuples autochtones.  Ce sont des éléments clefs liés au bien-être des peuples autochtones, a-t-elle dit. 

Débat interactif

Sur les moyens d’aider les statisticiens à élaborer des indicateurs pouvant mesurer les besoins ou les progrès des autochtones, Mme Linda Hooper, de la Division des statistiques du Département des affaires économiques et sociales, a estimé que la première étape consistait à rassembler autour des statisticiens les acteurs intéressés et les décideurs pour débattre d’indicateurs prenant en compte les spécificités et contextes autochtones locaux. 

Mme Sambo Dorough a suggéré que l’on diffusât la semaine prochaine, au sein de l’Instance, une enquête pour recueillir des propositions d’indicateurs auprès des représentants des peuples autochtones présents.  

« Si nous ne sommes capables de mesurer, personne ne fera attention à la situation des autochtones », a prévenu le Chef statisticien du Bureau du rapport sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), M. Milorad Kovacevic.  

Mme Maria Eugenia Choque, Membre de l’Instance, a souhaité des indicateurs qui tiennent compte de la composante et des réalités culturelles ainsi que de la participation des femmes autochtones aux processus de décisions aux niveaux local, national et international.  Elle s’est interrogée sur la pertinence d’indicateurs mesurant le bien-être en raison de la subjectivité de la notion de bien-être ou bonheur.  Elle a jugé prioritaire de voir comment les connaissances traditionnelles, dont la spiritualité, peuvent être prises en compte et mesurées. 

La Rapporteuse de l’Instance s’est demandée comment promouvoir des indicateurs sur la situation des autochtones dans des pays qui refusent de recourir à des statistiques mettant en évidence des minorités.  Au-delà des individus, le membre de l’Instance, Oliver Loode, a demandé si, sur le plan de la méthode, il était simple ou complexe de mesurer les capacités de groupe. 

Les statisticiens et les autochtones ont tout à gagner d’une meilleure collaboration a estimé le Coordonnateur des travaux sur les indicateurs des droits de l’homme du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, M. Nicolas Fasel.  Ce dernier a appelé à « institutionnaliser le dialogue entre statisticiens et autochtones » en estimant que cette collaboration aurait aussi comme finalité de renforcer la fiabilité des statistiques d’ensemble. 

M. Kobacevic a rappelé que le rapport sur le développement humain est toujours ouvert à toute suggestion avant d’insister sur le fait que le processus de collecte de données devait être inclusif. 

Travaux futurs de l’Instance permanente, notamment sur les questions intéressant le Conseil économique et social et sur les nouveaux problèmes

Mme PUSHPARANI KOIJAM, du Centre de recherche et de plaidoyer de l’État indien du Manipur, a demandé à l’Instance de mener une étude sur l’impact physique et psychologique de la militarisation des terres autochtones de l’État du Manipur avant de l’inviter à proposer à l’Inde de mettre un terme à la militarisation des terres autochtones. 

De son côté, la représentante du Chili a jugé insuffisants des indicateurs sur le seul niveau de revenus.  Elle a indiqué que le Chili disposait d’indicateurs visant à déterminer les carences dans différents secteurs afin de mettre en œuvre des ajustements de politique notamment en ce qui concerne la situation des femmes, des filles et des garçons autochtones.

Le représentant de l’Organisation internationale du Travail (OIT) a invité l’Instance à tenir compte des initiatives déjà prises par l’OIT s’agissant d’indicateurs relatifs aux autochtones.  La représentante du Réseau continental des femmes autochtones d’Amériques a cité les accords conclus entre les autochtones et le Gouvernement colombien. 

La représentante de la Fédération de Russie a dit la grande difficulté de parvenir à des indicateurs communs compte tenu de la grande diversité des spécificités culturelles des autochtones.  Elle a jugé plus pertinent de s’appuyer sur l’expérience russe en généralisant aux niveaux national et local la nomination de points focaux ou d’un ombudsman chargés des droits des populations autochtones. 

M. SINTIAH SAMANDING, de l’organisation Jaringan Orang Asal SeMalaysia, a indiqué que les autochtones étaient désormais associés au Groupe de travail du Gouvernement de la Malaisie sur les forêts.  Il s’est aussi félicité de la création annoncée d’un tribunal environnemental chargé d’examiner l’incidence de constructions qui menacent les modes de vie autochtones.  Malgré ces avancées, il a jugé insuffisante la prise en compte des besoins autochtones, avant d’inviter l’Instance à recommander à la Malaisie de ratifier le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Le représentant du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones a jugé indispensable de recenser ce qui existe déjà au niveau national en termes de collectes de données statistiques relatives aux autochtones.  Illustrant son propos, il a précisé que Sainte-Lucie disposait de statistiques spécifiques aux autochtones depuis 1991. 

Abondant dans ce sens le représentant du Canada a cité des statistiques enregistrées depuis 1991 sur les Inuits de plus de 6 ans.  Il a espéré qu’un nouveau partenariat noué avec des organisations des Premières Nations permettrait de procurer des données plus affinées sur les langues, les revenus, la mobilité et le logement.  Il a aussi fait état de l’élaboration, en 2013, d’un indice de bien-être des communautés autochtones qui a pour but d’affiner les politiques de développement économique et social. 

M. MARIO AGREDA UZEDA, de la Commission juridique pour le développement des peuples originaires des Andes, a exigé la libération de Leonard Peltier en prison depuis 1976 pour un crime qu’il n’a pas commis.  Il a dit que « les gouvernements d’Amérique du Sud ne sont pas nos États mais les ombres de l’Europe ».  « Ne me demandez pas de quel pays je viens, car ma seule nation se sont les Andes », a déclaré M. Uzeda avant d’appeler les autochtones à se libérer des États-nations.  

Débat général (suite)

L’Instance a entendu dans l’après-midi une vingtaine d’intervenants, représentants d’États Membres, d’organismes des Nations Unies et de populations autochtones.  Beaucoup ont souligné les liens entre respect des droits autochtones et développement en mettant l’accent sur le non-respect des droits des peuples autochtones au Brésil, en Équateur, au Nicaragua, en Inde, aux Philippines, au Guatemala ou au Bangladesh.  

« Le développement des populations autochtones ne peut être nourri que par le respect des normes et droits des populations autochtones, notamment les droits collectifs définis par le droit international », a dit M. Brooklyn Rivera, représentant des populations autochtones du Nicaragua

Le représentant de l’Équateur a affirmé que le programme de développement pour l’après-2015 devrait avoir des indicateurs tenant compte des droits des peuples autochtones.  Préoccupée par le taux élevé de suicide des jeunes autochtones, il a souligné la nécessité de programmes de santé mentale ainsi que d’initiatives de renforcement des capacités des décideurs.  La représentante du Réseau mondial des autochtones handicapés a regretté l’insuffisance des efforts en vue d’autonomiser les autochtones handicapés avant de demander des mesures pour favoriser l’inclusion des handicapés. 

Au nom du Réseau des jeunes autochtones de l’Asie et du Pacifique et de l’Organisation « Land is Life », Mme CAHUIYA ITECA a dénoncé l’impact désastreux de l’utilisation des terres autochtones pour des activités militaires, en faisant état de viols, de meurtres et de déplacements forcés de populations.  Elle a demandé que le problème de la militarisation forcée des terres et des populations autochtones, citant l’Inde et les Philippines, y compris ses conséquences psychologiques, soit traité au sein de l’Instance. 

Réagissant à l’intervention de M. LINDOMAR FEREIRA, représentant des populations autochtones du Brésil, Mme DALEE SAMBO DOROUGH, membre de l’Instance, qui en a présidé sa treizième session, s’est dite choquée de constater que rien ne semblait évoluer au Brésil, où l’on observait toujours les mêmes insuffisances de démarcation de territoires autochtones, le non-respect des droits fonciers autochtones en général, sans oublier les arrestations arbitraires. 

Réagissant à ces déclarations, la représentante du Brésil s’est dite « troublée par la dureté des paroles prononcées à l’encontre du Brésil », en rappelant que son pays avait reconnu 1,1 million de kilomètres carrés de terres autochtones.  « Même si ce n’est pas assez, peu de pays au monde ont fait mieux que nous dans ce domaine », a-t-elle estimé, avant d’inviter l’Instance à venir constater au Brésil la qualité du dialogue national avec les autochtones et la réalité des progrès sur le terrain.  La représentante du Brésil a indiqué que son pays accueillerait prochainement les premiers jeux autochtones mondiaux.

La représentante des Guarani de l’Équateur a mis l’accent sur la perte des territoires autochtones au profit de multinationales et de sociétés pétrolières.  Elle a exhorté l’Instance à demander à l’Équateur de solliciter l’avis préalable des autochtones pour tous projets.  

S’agissant des données et des indicateurs, le représentant de l’Association ELLAY de Tombouctou (Mali) a jugé que le recensement devait être un préalable incontournable de l’efficacité et la pertinent des futurs indicateurs.  Le représentant des populations autochtones du Guatemala a dit la nécessité de défendre les peuples autochtones contre les pratiques qualifiées de raciste du Guatemala qui ignore le principe du consentement libre, préalable et éclairé.  Estimant que le terme « autochtone » était péjoratif, une autre représentante des autochtones du Guatemala a suggéré que l’Instance soit rebaptisée des « peuples originaux ».  

Le représentant des peuples autochtones du Bangladesh a souligné l’insuffisance de prise en compte des réalités autochtones dans son pays avant d’appeler à des mesures au niveau international pour éliminer la politique d’assimilation et favoriser la reconnaissance de la diversité. 

« L’indicateur le plus important est celui qui mesure la pratique de la langue maternelle autochtone au sein du foyer », a insisté Mme Andrea Carmen, de l’International Indian Treaty Council, en rappelant les liens entre langue, identité et développement. 

Quels que soient nos objectifs, leur mise en œuvre dépendra de la capacité des populations autochtones d’améliorer le dialogue au niveau régional, a insisté le Vice-Président de l’Instance, M. Alvaro Pop, en saluant les initiatives de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) en matière de dialogue avec les autochtones.  

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