AG/11355

Débat de haut niveau à l’Assemblée générale sur le rôle de la justice pénale internationale dans les processus de réconciliation

10/04/2013
Assemblée généraleAG/11355
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York

Assemblée générale

Soixante-septième

Débat thématique - matin & après-midi


DÉBAT DE HAUT NIVEAU À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE SUR LE RÔLE DE LA JUSTICE PÉNALE

INTERNATIONALE DANS LES PROCESSUS DE RÉCONCILIATION


Avec l’expérience de ces 20 dernières années, la justice pénale internationale

apparaît comme une contribution cruciale -mais insuffisante à elle seule- à la réconciliation


Vingt ans après la mise en place du premier Tribunal spécial des Nations Unies et 11 ans après l’entrée en vigueur du Statut de Rome établissant la Cour pénale internationale (CPI), le système de justice pénale internationale ainsi mis en place permet non seulement de lutter contre l’impunité, mais aussi de favoriser la réconciliation.  C’est ce dernier aspect qui a été débattu aujourd’hui à l’Assemblée générale, au cours d’une réunion thématique de haut niveau sur « Le rôle de la justice pénale internationale dans la réconciliation », qui a vu la participation des Présidents de la Bosnie-Herzégovine et de la Serbie, et des Ministres de la justice de la Namibie et du Rwanda.


« Nous sommes entrés dans l’ère de la responsabilisation », a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, faisant remarquer que l’impunité pour les crimes de guerre n’était plus tolérée et qu’il fallait reconnaitre les erreurs du passé pour parvenir à une paix et une stabilité à long terme.  Il a donc appelé « à renforcer le système de justice pénale internationale et à respecter ses tribunaux et cours plutôt que de remettre en cause leur indépendance, leur impartialité et leur intégrité ».  Il a demandé que ces juridictions « soient préservées de ceux qui cherchent à les saboter pour des raisons politiques ».


La question est de savoir comment la justice pénale internationale peut aider à réconcilier des adversaires du passé dans des sociétés postconflit ou en transition », a déclaré le Président de la soixante-septième session de l’Assemblée générale, M. Vuk Jeremić, de la Serbie.  Les efforts déployés pour atteindre la justice et la réconciliation doivent être mis en œuvre concomitamment, afin de mettre fin aux hostilités et au cercle vicieux de la haine, a-t-il préconisé. 


Mener le processus de réconciliation n’est pas une fonction des tribunaux internationaux, a pour sa part estimé le représentant de la Croatie, qui a ajouté que le travail et les décisions prises par ces juridictions constituent la fondation de la réconciliation.


Reconnaissant que les débats relatifs à la justice pénale internationale impliquent souvent des considérations sensibles telles que les questions de souveraineté et d’impartialité, Le Président de l’Assemblée a invité les participants à n’éviter aucun tabou et à échanger avec franchise.  Les personnalités présentes ne se sont donc pas privées d’exprimer une certaine frustration par rapport au fonctionnement et aux décisions prises par le système actuel de justice pénale qui, du fait de ses imperfections, ne contribue pas suffisamment à la réconciliation.


Le Ministre de la justice du Rwanda, M. Tharcisse Karugarama, a ainsi estimé que la justice pénale internationale traversait une crise de crédibilité par rapport à sa contribution à la réconciliation dans les situations postconflit.  Ses limites résident notamment dans le fait que, mis à part le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, les Tribunaux pénaux internationaux siègent tous en dehors des pays où les atrocités ont été commises.  Plusieurs intervenants ont cependant, apprécié que les Tribunaux pénaux internationaux aient réussi à transférer des affaires aux juridictions nationales.  Le Ministre rwandais s’est ensuite livré à un examen critique des résultats du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), organe qui n’a pas atteint, selon lui, son objectif de contribution au processus de réconciliation nationale.  Il en a donné la preuve en rappelant que la plupart de ceux qui avaient planifié le génocide de 1994 contre les Tutsis étaient encore en fuite. 


Le Président de la Bosnie-Herzégovine, M. Nebojsa Radmanovic, a, lui aussi, souligné l’importance de la mise à disposition des chercheurs et des experts de l’ensemble des archives du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), y voyant un des moyens de contribuer à la réconciliation nationale.  Partageant l’expérience de son pays avec ce Tribunal, il a évoqué l’insatisfaction relative à certains jugements rendus parmi les trois populations en présence.  « Une paix et une réconciliation durables pour les populations de la Bosnie-Herzégovine ne peuvent être réalisées uniquement par des décisions de tribunaux », a-t-il conclu.


Le Président de la Serbie, M. Tomislav Nikolić, s’est à son tour livré à une critique virulente des instances judiciaires internationales qui, selon lui, « ont tendance à favoriser les puissants au détriment de la vérité et de l’impartialité ».  Il a accusé le TPIY de ne pas avoir respecté les droits de la défense, notamment en évitant la confrontation des témoins avec les accusés.  Il a analysé ces éléments comme autant de preuves d’une volonté flagrante de punir la Serbie en omettant de façon délibérée les crimes commis par les autres parties au conflit.  Le représentant de la Fédération de Russie a également jugé durement le TPIY, « dont les activités ne peuvent pas être considérées comme une réussite en ce qui concerne la réconciliation dans les Balkans », a-t-il affirmé. 


En ce qui concerne la Cour pénale internationale (CPI), même s’il ne fait pas de doute qu’elle joue un rôle significatif dans la réconciliation, le Ministre de la justice de la Namibie, M. Utoni Nujoma, a appelé la communauté internationale à veiller à ce qu’elle ne serve pas les intérêts de certains États au détriment d’autres.  Il s’est inquiété à cet égard du « recours sélectif à la CPI », en particulier pour ce qui est des cas déferrés par le Conseil de sécurité.  Si la CPI se veut objective, elle doit mener des enquêtes sur toutes les parties prenantes au conflit et les poursuivre en justice si nécessaire », a estimé le représentant. 


Deux tables rondes organisées dans l’après-midi ont permis aux participants de ce débat d’aborder la question sous les angles de la justice, d’une part, et de la réconciliation, d’autre part.  Les experts se sont notamment accordés pour dire que l’impartialité de la justice était indispensable pour favoriser le dialogue et la concorde entre des populations qui se sont affrontées dans des conflits sanglants.  Si la procédure n’apparait pas juste la réconciliation est mise en question.


Ce débat thématique de l’Assemblée générale se poursuivra demain, jeudi 11 avril, à partir de 10 heures.


DÉBAT THÉMATIQUE SUR LE THÈME « LE RÔLE DE LA JUSTICE PÉNALE INTERNATIONALE DANS LA RÉCONCILIATION »


Ouverture et débat de haut niveau


M. VUK JEREMIĆ, Président de la soixante-septième session de l’Assemblée générale, a relevé que ce premier débat thématique sur la justice pénale internationale se déroule deux décennies après la mise en place du premier tribunal spécial des Nations Unies, et 11 ans après l’entrée en vigueur du Statut de Rome établissant la Cour pénale internationale (CPI).  Il a ensuite reconnu que les débats relatifs à la justice pénale internationale impliquent souvent des considérations  sensibles telles que les questions de souveraineté et d’impartialité, et a souhaité qu’il n’y ait aucun sujet tabou au cours du présent débat de l’Assemblée générale qui est, a-t-il indiqué, le lieu par excellence où tous les États Membres sont égaux et échangent des points de vue librement et avec franchise sur des sujets de portée mondiale.


Le Président de l’Assemblée générale a ensuite précisé que la justice pénale internationale n’en est plus à ses débuts, et que les riches expériences qu’elle a accumulées à ce jour peuvent donner lieu à une évaluation.  Il a évoqué quelques sujets de débats relatifs à la justice pénale internationale; notamment le secret de l’instruction, la base juridique sur laquelle les jugements sont rendus, le processus de sélection des personnels du tribunal et la question de la primauté des juridictions.  Il a noté que d’autres sujets, tels que l’équilibre dans l’administration de la justice, la prévention de l’impunité, la promotion de la dissuasion générale ainsi que le respect des droits des victimes et des accusés font également débat.  « De mon avis, la question est de savoir comment la justice pénale internationale peut aider à réconcilier des adversaires du passé dans des sociétés postconflit ou en transition », a précisé M. Vuk Jeremić.  Il a ajouté que les efforts déployés pour atteindre la justice et la réconciliation doivent être mis en œuvre concomitamment et être liés, dans le but de mettre fin aux hostilités et au cercle vicieux de la haine.


La réconciliation exige que les différentes parties acceptent de partager les responsabilités, a relevé par ailleurs le Président de l’Assemblée générale.  Il a expliqué que cela permettrait que la justice pénale internationale ne soit pas perçue comme un instrument de revendication, ou alors comme un outil déguisé utilisé pour essayer de condamner toute une communauté ou une autre.  Il a ajouté qu’une situation pareille nuirait aux efforts visant à renforcer l’état de droit, et qu’aucune tradition légale ne reconnaissait la culpabilité ou l’innocence de toute une nation, quelle qu’elle soit.


Par ailleurs, le Président a souligné que la réconciliation ne peut se faire que si toutes les parties en conflit sont prêtes à se dire la vérité, et si des honneurs sont rendus aux victimes.  Il est crucial, a-t-il noté, de s’assurer que les atrocités ne soient ni niées ni encore moins bizarrement célébrées comme si elles étaient des triomphes nationaux.  Il a en outre rappelé que la réconciliation est centrée sur l’avenir, et qu’elle permet que les tragédies passées ne puissent se répéter pour venir miner les efforts déployés en commun pour bâtir un avenir meilleur et plus inclusif.  M. Jeremić  a conclu son intervention en souhaitant la construction d’un monde dans lequel « aucun homme, aucune nation ne serait privé du règne noble du droit et de la justice ».


M. BAN KI-MOON, Secrétaire général des Nations Unies, a souligné que la réconciliation est l’une des tâches principales à accomplir pendant la période suivant un conflit.  Il a observé que, bien après la fin des combats, les tensions peuvent surgir à la moindre provocation.  C’est là que la justice pénale internationale peut apporter une contribution décisive, a-t-il dit.  Les progrès accomplis dans ce domaine constituent le développement le plus positif des deux dernières décennies en matière de relations internationales, a-t-il déclaré.  Il a rappelé qu’il y a 20 ans, presque 50 ans après les procès de Nuremberg, la communauté internationale avait créé le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et celui pour le Rwanda, créations qui ont été suivies par celles des juridictions pénales spéciales pour la Sierra Leone, le Cambodge et le Liban. 


Nous sommes entrés dans l’ère de la responsabilisation, a souligné le Secrétaire général, faisant remarquer que l’impunité pour les crimes de guerre n’est plus tolérée.  Ceux qui ont enflammé les sentiments de haine et de division ne savent plus où se cacher, tandis que les femmes et les filles, qui sont souvent les plus vulnérables, reçoivent une protection supplémentaire.


Le Secrétaire général a indiqué qu’il avait rencontré, il y a deux jours à La Haye, les présidents des cours et tribunaux pénaux internationaux.  « Je leur ai exprimé mon plein soutien », a-t-il dit.  Il a aussi rappelé que, lors de la Réunion de haut niveau sur l’état de droit qui s’est tenue en septembre dernier, l’Assemblée générale a déclaré que les violations du droit international humanitaire et les graves violations de droits de l’homme doivent être sanctionnées de manière appropriée.


Mais la justice n’est pas seulement une question de punition pour les criminels, a poursuivi M. Ban Ki-moon.  L’Histoire a montré que pour arriver à une paix et une stabilité à long terme, il faut reconnaitre les erreurs du passé, a-t-il relevé.  La responsabilisation peut empêcher de nouvelles tragédies, a-t-il expliqué.


Le système de justice pénale internationale a donné une voix aux victimes, s’est également réjoui le Secrétaire général.  Il a rappelé qu’en Europe, en Afrique et en Asie, des dirigeants militaires et politiques qui étaient auparavant tout puissants sont maintenant inculpés et doivent répondre de leurs actes.  Il a aussi apprécié que, ces dernières années, les Tribunaux pénaux internationaux aient transféré des affaires aux juridictions nationales, permettant ainsi de garantir la reddition de la justice.  Si la Cour pénale internationale (CPI) continue à contribuer à nos efforts en vue de promouvoir la paix et la sécurité, elle n’est qu’une juridiction de dernier recours, a-t-il précisé, soulignant ainsi la responsabilité première qui repose sur les États Membres en matière de poursuites pénales.


Concluant son allocution, le Secrétaire général a appelé « à renforcer le système de justice pénale internationale et à respecter les tribunaux et les cours plutôt que de remettre en cause leur indépendance, leur impartialité et leur intégrité ».  Il a demandé que ces juridictions « soient préservées de ceux qui cherchent à les saboter pour des raisons politiques ».


M. NEBOJSA RADMANOVIC, Président de la Présidence de Bosnie-Herzégovine, a considéré que l’établissement, par les Nations Unies, de différents tribunaux ad hoc, hybrides ou spéciaux, témoignait de la détermination de l’Organisation à assurer la paix, la sécurité et le respect des droits de l’homme, et cela, en poursuivant tous les auteurs des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.  « Il est cependant difficile de dire ou de mesurer si les 20 années qui se sont écoulées depuis la création de ces tribunaux ad hoc sont suffisantes pour évaluer leur efficacité », a-t-il dit.


Notant que son pays avait toujours collaboré avec le Tribunal de La Haye et que cette collaboration avait été évaluée de manière positive par l’ONU, M. Radmanovic a expliqué que la Bosnie-Herzégovine avait également entrepris des procès en vue de poursuivre les crimes de guerre et les crimes plus complexes commis sur son territoire en 2003 et 2004, et ce, en établissant notamment un département spécial à cet effet, ainsi qu’une stratégie nationale.  « Nous avons bien progressé dans le domaine de la poursuite de ces crimes mais, selon les statistiques nationales et internationales, beaucoup de cas doivent encore être traités devant les cours nationales », a-t-il reconnu.


« Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), à La Haye, a été créé avec l’intention de poursuivre les pires auteurs de crimes commis en ex-Yougoslavie, afin d’éviter que de tels actes ne se reproduisent et afin d’envoyer un message clair, selon lequel ces crimes seront punis sans exception », a-t-il poursuivi.  Ce Tribunal a également été formé afin de déterminer la culpabilité individuelle pour tous les crimes de guerre en évitant une culpabilité collective.  « On ne peut pas rejeter la faute sur une population entière, sur un groupe ethnique ou sur des communautés nationales.  Il n’y a pas de responsabilité collective », a-t-il dit.


M. Radmanovic a jugé que l’évaluation des travaux du TPIY, ainsi que leurs effets sur le processus de réconciliation en Bosnie-Herzégovine, étaient toujours accablés par les tensions politiques croissantes dans le pays et par la méfiance interethnique qui perdure.  « L’insatisfaction relative à certains jugements rendus existe parmi les trois populations qui constituent la Bosnie-Herzégovine », a-t-il dit, « et les représentants politiques des différentes composantes de la population ont des opinions divergentes quant aux travaux du Tribunal ».


De manière générale, il a estimé que de nombreuses personnes, en Bosnie-Herzégovine, étaient insatisfaites du travail du Tribunal et estiment que le traitement des personnes impliquées n’est pas « juste ».  Cependant, a-t-il ajouté, « nous avons un objectif commun qui est de poursuivre tous les crimes commis durant la guerre, de punir leurs auteurs et de rendre la justice en tenant compte du droit des victimes ». 


Avant de conclure, il a fait remarquer que la perception de la population serbe, ainsi que celle de la plupart des dirigeants de la République de Serbie, est que le Tribunal est « discriminatoire » vis-à-vis des Serbes poursuivis.  Il a expliqué que certaines sentences avaient donné l’impression aux Serbes « qu’ils sont les victimes du Tribunal de La Haye, en plus d’avoir été les victimes de la guerre »; tandis que les Bosniaques se sont montrés insatisfaits par la longueur de certaines peines prononcées.  En outre, plusieurs acquittements sont intervenus et ceux-ci ont questionné l’objectivité et les intentions du TPIY, a souligné M. Radmanovic.  Il a encore observé que différentes autorités détournaient le nombre de victimes et interprétaient les circonstances des crimes.


« Comment le TPIY peut-il contribuer à prévenir les crimes et les conflits futurs?  Comment peut-il aider le processus de réconciliation dans les pays qui ont été marqués par les conflits locaux? » a-t-il demandé.  Pour sa part, l’une des réponses à ces questions serait de mettre à la disposition des chercheurs, des experts et de toutes les parties l’ensemble des archives du Tribunal de La Haye.  « Une paix et une réconciliation durables pour les populations de la Bosnie-Herzégovine ne peuvent être réalisées uniquement par des décisions de tribunaux, et ce, quelles qu’elles soient », a-t-il conclu.


M. TOMISLAV NIKOLIĆ, Président de la Serbie, a entamé sa déclaration par une critique virulente des instances judiciaires internationales.  Selon lui, celles-ci ont tendance à favoriser les puissants au détriment de la vérité et de l’impartialité.  Il a fait référence en particulier au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) qu’il a accusé de ne pas avoir respecté les droits de la défense et d’abuser de son accès privilégié aux médias.


Il a également longuement insisté sur les détentions arbitraires dont de nombreux citoyens serbes ont selon lui fait l’objet dans le cadre des poursuites engagées au lendemain du conflit qui a secoué l’ex-Yougoslavie.  Il s’est notamment élevé contre la non-confrontation des témoins avec les accusés ainsi que contre le changement des règles et procédures régissant le fonctionnement du Tribunal.  Il a analysé ces éléments comme autant de preuves d’une volonté flagrante de punir la Serbie en omettant de façon délibérée les crimes commis par les autres parties au conflit.


Selon lui, les crimes des généraux croates et de Bosnie-Herzégovine n’ont pas été reconnus par le Tribunal.  Cette circonstance a justifié le fait, selon lui, que le Gouvernement de son pays eût décidé de limiter la coopération avec le Tribunal à une simple coopération technique en deçà de celle qui avait été définie à sa création. 


Sans nier les nombreuses violations commises par des Serbes, le représentant a dressé une liste de crimes commis selon lui par des responsables des républiques créées au lendemain du conflit.  Ces crimes comprennent, a-t-il dit, des enlèvements et des tortures à grande échelle, la purification ethnique de 300 000 Serbes et le « vol » du Kosovo qui constitue le berceau historique de la nation serbe.  Il a conclu son propos en réaffirmant l’attachement de son pays à la justice internationale tout en réitérant son appel à un respect plus grand de l’histoire de son pays et de l’impartialité dont les instances internationales doivent faire preuve en toutes circonstances.


M. UTONI NUJOMA, Ministre de la justice de la Namibie, a expliqué qu’après avoir obtenu son indépendance du régime d’apartheid d’Afrique du Sud en 1990, son pays avait décidé de ne pas « rouvrir les anciennes blessures » dans un esprit de réconciliation.  La « domestication » des principes du Statut de Rome, est un autre moyen efficace, selon lui, pour faciliter les efforts de réconciliation nationale, à savoir notamment la mise en place de juridictions qui permettent de poursuivre les auteurs de crimes internationaux devant les tribunaux nationaux.  En tant que pays africain, la Namibie appuie l’idéologie selon laquelle il faut tenir compte des approches traditionnelles et religieuses africaines dans la justice et la réconciliation. 


Il ne fait pas de doute pour M. Nujoma que la CPI joue un rôle significatif dans la réconciliation en cherchant à poursuivre les individus qui sont responsables de crimes internationaux et en reconnaissant les droits des victimes.  Cette approche sert à décourager de manière efficace les auteurs de ces crimes.  Toutefois, la Namibie appelle la communauté internationale à veiller à ce que ce type d’institution internationale ne serve pas à faire avancer les intérêts de certains États au détriment d’autres. 


À cet égard, il s’est dit préoccupé par un « recours sélectif à la CPI », en particulier pour ce qui est des cas déferrés par le Conseil de sécurité « qui portent à croire que les intérêts politiques priment devant la poursuite de la justice ».  Ainsi, la Namibie souhaite que les actions de la CPI soient à tout moment guidées par les principes de justice et d’évaluation objective et que l’on évite à l’avenir que cette institution soit soumise à des considérations politiques et influences qui ne servent que les intérêts de certains. 


La Namibie demande à ce que la tendance actuelle selon laquelle, à ses yeux, les vainqueurs bénéficient de la justice alors que les perdants font l’objet des poursuites par la CPI, soit revue.  « Dans tout conflit, des atrocités sont commises par les deux côtés, et, par conséquent, si la CPI se veut objective, elle doit mener des enquêtes sur toutes les parties prenantes au conflit et les poursuivre en justice si nécessaire », a estimé le représentant. 


Le représentant a également condamné l’utilisation des drones à l’encontre de toute personne car, selon lui, cette tactique sape tout effort de paix et de sécurité internationales, l’état de droit et les processus de réconciliation et de justice.


M. THARCISSE KARUGARAMA, Ministre de la justice du Rwanda, a affirmé que la justice pénale internationale traversait une crise de crédibilité en ce qui concerne sa contribution à la réconciliation dans les situations postconflit.  Il est, dès lors, nécessaire de revoir ce qui a été accompli au cours des deux dernières décennies afin de paver la voie pour l’avenir, a-t-il proposé. 


Le Ministre a remarqué que, mis à part le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, les tribunaux pénaux internationaux étaient tous situés en dehors des pays où les atrocités avaient été commises et étaient ainsi vus par ceux-ci comme étrangers et contribuant peu à la réconciliation nationale.  Il a cependant reconnu l’importante jurisprudence qu’ont produite ces tribunaux, notamment pour fournir la définition d’éléments constitutifs des crimes de génocide, contre l’humanité, de guerre, ainsi que le concept de responsabilité supérieure.  Ces travaux ont transformé les résolutions et traités émanant des Nations Unies en outils pragmatiques utilisés pour lutter contre l’impunité, a-t-il noté.


Le Ministre rwandais s’est ensuite concentré sur les travaux menés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), organe chargé de contribuer au processus de réconciliation nationale ainsi qu’à la restauration et au maintien de la paix.  Selon l’expérience du Rwanda, cet objectif n’a pas été atteint, a dit le Ministre, soulignant que la plupart de ceux qui avaient planifié le génocide de 1994 contre les Tutsis étaient encore en fuite. 


En outre, ceux qui ont, selon lui, le plus bénéficié des travaux du TPIR ne sont pas les veuves ou les orphelins rwandais, mais les technocrates qui dirigent cette bureaucratie.  Il a aussi regretté que les personnes condamnées par ce Tribunal ne fussent pas détenues dans les prisons rwandaises mais dans celles de pays lointains, causant une grande frustration aux survivants.  Au contraire, le système judiciaire gacaca a permis aux auteurs du génocide et aux familles d’examiner avec les survivants tous les aspects du génocide et de punir les personnes responsables, créant ainsi les conditions favorables à la réconciliation.


M. Karugarama a aussi déploré le fait que les technocrates à la tête du système du TPIR aient refusé aux Rwandais le droit de conserver les archives du Tribunal qui constituent pourtant une part importante de l’histoire du Rwanda.  Le Rwanda se sent trahi par ce genre d’attitude, a-t-il dit.  Il a également dénoncé la durée et le coût du TPIR par rapport à ceux des juridictions rwandaises. 


En 10 ans, le système gacaca a examiné 1 958 634 affaires pour un coût de 52 millions de dollars, pendant que le TPIR examinait, en 17 ans, 15 286 affaires pour un coût de 1,5 milliard de dollars.  En d’autres termes, les procès menés par le système gacaca coûtent 50 dollars par accusé, contre 20 millions de dollars par accusé avec le TPIR.  En outre, le Ministre a constaté que la justice pénale internationale ne se concentrait pas tellement sur la réconciliation nationale.


Abordant la question de la Cour pénale internationale (CPI), le Ministre a regretté qu’elle adopte des méthodes d’enquête et de poursuites sélectives, ce qui l’empêche de faire la lumière sur des crimes commis dans d’autres parties du monde.  Il a aussi critiqué le fait que des membres du Conseil de sécurité puissent opposer leur veto pour empêcher de saisir la CPI, ce qui pourrait bloquer tout déferrement de l’un de leurs citoyens.  Cela ne peut pas conduire à la réconciliation nationale, a-t-il dit. 


Le Ministre rwandais a également souligné les abus du principe de justice pénale universelle.  Il a rappelé qu’un juge français avait, en 2006, lancé des mandats d’arrêt à l’encontre de dirigeants rwandais sans enquête préalable.  Ce juge, à lui seul, a pris en otage toute la nation rwandaise sous le prétexte de la justice internationale.  Alors même que des manipulations ont été prouvées, ce juge n’a pas été tenu responsable. 


Le Ministre a aussi dénoncé les inculpations de dirigeants rwandais prononcées par un juge espagnol qui niait le génocide rwandais.  Ces pouvoirs accordés aux juges sont dangereux pour la paix et la sécurité internationales, a conclu M. Karugarama.  Il a donc fait une série de propositions pour mettre en place des garde-fous afin d’éviter l’abus du principe de juridiction universelle, notamment en prévoyant la saisine d’un autre juge si une partie s’estime lésée.  L’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) devrait aussi être impliquée systématiquement pour approuver les mandats d’arrêt, ce qui éviterait des manipulations politiques. 


M. RANKO VILOVIĆ (Croatie) a déclaré que dans l’histoire de l’humanité, les crimes et conflits avaient souvent conduit à des actes de vengeance et de punition avant que les tribunaux pénaux internationaux ne soient mis en place il y a une soixantaine d’années avec les Tribunaux de Nuremberg et de Tokyo.  Il a précisé que les décisions de justice n’ont pas ramené à la vie les victimes.  « Mais elles permettent de faire face à la vérité, de poursuivre en justice les auteurs de crimes contre l’humanité et de guérir les blessures des survivants », a estimé M. Vilović.  Il a relevé que depuis le milieu du XXe siècle, la communauté internationale a résolument pris le parti de ne pas laisser impunis les crimes les plus haineux.   Il a ensuite noté que dans cet élan de lutte contre l’impunité, une étape majeure avait été franchie par la communauté internationale avec la mise en place, en 1993, du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, de celui pour le Rwanda l’année suivante et ensuite de celui consacré à la Sierra Leone.  Ce mouvement s’est poursuivi avec la création des chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens et du Tribunal spécial pour le Liban, a relevé le représentant croate.  Il a ensuite indiqué qu’au vu des limites liées aux mandats donnés à ces juridictions, la communauté internationale avait besoin d’un tribunal permanent et universel en charge de poursuivre les cas les plus sérieux de violation du droit international humanitaire.  Il a estimé que l’entrée en vigueur de la Cour pénale internationale (CPI) en 2002 peut être perçue comme « l’une des réalisations majeures de notre civilisation au siècle dernier, et le début d’une nouvelle ère en matière de reddition des comptes ».


M. Vilović a cependant déclaré que ces différents tribunaux ad hoc, ainsi que la CPI ne sont pas des fins en soi, mais que leur objectif sur le long terme doit être de rendre justice aux anciens ennemis et de restaurer une paix durable dans les zones sortant de conflit.  C’est cet objectif, a-t-il précisé, qui a motivé la Croatie à soutenir la mise en place du Tribunal spécial pour l’ex-Yougoslavie en 1993.  Il a ajouté que son pays a été victime d’agressions dont la Croatie souhaiterait que les auteurs soient mis devant leurs responsabilités.  Il a par ailleurs noté que bien que la Croatie ne soit pas toujours d’accord avec les procédures et décisions du Tribunal pénal international sur l’ex-Yougoslavie, elle respecte ses décisions et appelle tous les pays concernés par ce Tribunal à le faire.  Établir les responsabilités individuelles basées sur des faits judiciaires vérifiés est un outil vital dans le processus de réconciliation, a souligné le représentant.  Il a précisé que le processus de réconciliation ne peut être mené par les tribunaux internationaux, mais que leur travail et leurs décisions constituent la fondation de la réconciliation.  Il a également affirmé que les dirigeants nationaux peuvent jouer un rôle dans ce processus, ainsi que les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux.  Le représentant a en outre émis des réserves sur les véritables objectifs du présent débat en estimant que le processus de préparation n’avait pas été assez transparent.


M. LEVENT ELER (Turquie) a mis l’accent sur les conséquences néfastes des violations graves des droits de l’homme commises lors des conflits et il a insisté sur la nécessité de poursuivre les auteurs de tels faits lorsque le conflit prend fin.  « La paix sans la justice laisse les victimes démunies.  Celles-ci ne sont ni entendues, ni reconnues, et elles ne reçoivent aucune réparation.  Cela limite les possibilités de transition et de guérison de la société », a-t-il dit.  Il a souligné que la justice pénale internationale devrait permettre de faire respecter l’état de droit, mais également d’établir un récit historique exact et d’agir en tant que mesure de dissuasion contre des crimes futurs.  Il a souhaité que le débat d’aujourd’hui mette en exergue le rôle que peuvent jouer les tribunaux pénaux internationaux dans ce contexte.


Avant de conclure, M. Eler s’est réjoui de la prise de différentes mesures positives qui ont permis d’instaurer une coopération régionale dans la zone des Balkans, notamment le processus d’intégration à l’Union européenne, ainsi que différents processus de réconciliation et de dialogues bilatéraux initiés par la Turquie, a-t-il indiqué.  Notre pays partage en effet des liens historiques et humains avec la région des Balkans, a-t-il précisé.


M. HENRY LEONARD MAC-DONALD(Suriname) a salué la contribution de la CPI, qui comble des lacunes en matière de justice pénale internationale.  Cette Cour a déjà été confrontée à de nombreux défis, a-t-il noté, espérant que ce débat permettrait de remédier à ces problèmes.  Comment appliquer les principes du Statut de Rome lorsque les parties concernées sont en train de régler des conflits, est une des questions à se poser, a-t-il dit. 


Il a invité la Cour à garder à l’esprit l’impact de ses procédures sur la résolution des conflits.  Onze ans après l’entrée en vigueur du Statut de Rome, il a demandé de se concentrer sur l’objectif de règlement durable des conflits internationaux.  Si la recherche de la justice pour les victimes elles-mêmes doit être l’objectif principal, il ne faut pas saper les processus d’établissement de la paix en cours, a souligné M. Mac-Donald.  Le représentant a insisté pour que les activités de la Cour ne soient pas un obstacle à la paix et à la réconciliation.


M. EDUARDO ULIBARRI (Costa Rica), qui s’exprimait au nom de 14 pays de la région d’Amérique latine et des Caraïbes signataires du Statut de Rome, a tenu à rappeler que les États avaient la responsabilité primordiale, en vertu du droit international, de mener des enquêtes et de poursuivre les crimes les plus graves sur la base du principe de complémentarité.  Il a ensuite insisté sur la nécessité de renforcer les capacités nationales des États à mener des enquêtes et à poursuivre de tels crimes.  L’ONU a également un rôle à jouer à cet égard, a-t-il ajouté.


M. Ulibarri a alors affirmé l’engagement ferme des pays d’Amérique latine et des Caraïbes envers les travaux de la CPI.  À ce jour, 27 États de la région sont parties au Statut de Rome et un grand nombre d’entre eux ont adhéré à l’Accord sur les privilèges et immunités de la CPI (APIC).  Enfin, les amendements de Kampala au Statut de Rome sont examinés dans un certain nombre de ces pays en vue d’une entrée en vigueur rapide, a-t-il expliqué.


Il a ensuite estimé qu’un travail substantiel devait encore être réalisé pour mener à terme les procès des tribunaux pénaux internationaux, en particulier pour réduire leur personnel et transférer leurs tâches vers le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles après la fermeture des Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda (TPIR) et pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). 


S’agissant de la Cour pénale internationale, le représentant a salué les progrès réalisés jusqu’à présent mais il a fait remarquer que la Cour « ne vaincra pas, dans sa lutte contre l’impunité, sans une assistance et une coopération efficaces de la part de tous les États ».  À cet égard, il a regretté que l’absence de coopération avec la CPI eût permis à certains auteurs d’éviter la justice.  « Les États parties au Statut de Rome ont l’obligation d’arrêter et de resituer toute personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt émis par la Cour », a-t-il rappelé. 


Rappelant ensuite que le Statut de Rome reconnaissait le rôle spécifique du Conseil de sécurité de l’ONU, en permettant à celui-ci de déférer des situations à la Cour, le représentant a estimé que les principes du droit pénal international ne devaient pas être « entachés par des préjugés politiques » mais que des « normes transparentes et prévisibles » devraient toujours être appliquées.  


M. VITALY CHURKIN (Fédération de Russie) a relevé les grandes divergences de vues qui existent sur la question de la justice pénale internationale.  La pensée conservatrice tend à nier toute synergie entre la justice et la réconciliation.  Mais un autre point de vue, qui émerge maintenant, reconnait les liens entre les deux, a fait observer M. Churkin.  Le système actuel de justice pénale internationale existant depuis 20 ans, il est temps de se pencher sur ses résultats, a préconisé le représentant de la Fédération de Russie, pays qui a été à l’origine de cette justice en tant que l’un des fondateurs du Tribunal de Nuremberg, a rappelé Vitaly Churkin. 


À chaque cas concret, il faut chercher un équilibre entre les exigences de la justice et celles de la restauration de la paix, a-t-il dit.  Il a plaidé en faveur de processus impartiaux et non politisés.  Au titre des expériences négatives, il a parlé du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) « dont les activités ne peuvent pas être considérées comme une réussite en ce qui concerne la réconciliation dans les Balkans ».  Il a regretté notamment le décès de certaines grandes figures qui étaient jugées, avant même que n’aient été prononcées les sentences les concernant.  Le représentant a également critiqué les lacunes de certains jugements qui ne prennent pas en compte des graves violations du droit international humanitaire.  Ce type de décision contredit toute justice, a-t-il regretté.  Il a dénoncé des intimidations, dans une autre affaire.  Ce processus n’a donc pas pu contribuer à la réconciliation dans les Balkans, a affirmé le représentant de la Fédération de Russie. 


En ce qui concerne la Cour pénale internationale (CPI), M. Churkin a rappelé que le Statut de Rome prévoit, dans son article 16, la possibilité de prolonger les enquêtes et les poursuites en fonction des décisions du Conseil de sécurité.  Il a aussi relevé les lacunes de la Cour, dues au fait que le Statut de Rome n’est pas un texte de consensus.  On reproche notamment à la Cour de ne pas tenir compte des spécificités régionales, a-t-il relevé.  D’un autre côté, il a apprécié la complémentarité de la CPI par rapport aux tribunaux nationaux, qui est un « point fort » de la Cour, a-t-il estimé.  La réunion d’aujourd’hui montre qu’il y a encore des problèmes à résoudre en matière de justice pénale internationale, a conclu le représentant.


M. RIYAD MANSOUR, Observateur permanent de l’État de Palestine, a déclaré que 11 ans après l’entrée en vigueur du Statut de Rome, des défis restent à relever pour assurer le respect universel du Statut et pour réaliser les objectifs de la justice pénale internationale.  La question de la Palestine en est un exemple regrettable, a-t-il souligné.  Soixante cinq ans depuis Al-Nakba et 46 ans après l’occupation militaire israélienne de ce qui reste de la Palestine historique, le droit international continue d’être bafoué sous les yeux de la communauté internationale, et sur de nombreux aspects, il est bafoué avec son assentiment, a accusé M. Mansour.  Le résultat de cette attitude est la négation des droits du peuple palestinien, y compris son droit au retour et à l’autodétermination.  Les droits du peuple palestinien restent otages de la Puissance occupante et sont grossièrement violés par Israël, qui poursuit la colonisation et son hégémonie par tous les moyens à travers le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, a rappelé M. Mansour.  Cette injustice a été exacerbée par l’échec de la communauté internationale à tenir Israël responsable de ses crimes.  La politique de deux poids deux mesures et les protections politiques continuent d’entraver le respect obligatoire de la loi et de favoriser l’impunité d’Israël, avec de graves conséquences sur les recherches de solution au conflit ainsi que pour la paix et la sécurité régionales et mondiales. 


M. IOANNIS VRAILAS, Chef de la délégation de l’Union européenne, a réaffirmé le ferme appui de l’Union européenne à la justice pénale internationale qui, face à des atrocités de masse, a-t-il dit, « est l’une des clefs de la lutte contre l’impunité et de soutien aux efforts de consolidation de la paix, de réconciliation ou de justice ».  Citant le Secrétaire général, M. Vrailas a également estimé que s’ouvrait une « ère de reddition des comptes », car ceux qui commettent les crimes les plus graves doivent savoir « qu’ils en seront tenus pour responsables ».  Il a dit que l’Union européenne voulait particulièrement insister sur ce point « à la lumière des affirmations entendues ce matin ». 


M. Vrailas a ensuite reconnu le rôle joué par les Tribunaux pénaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie dans le développement de la jurisprudence du droit international, en particulier en ce qui concerne la responsabilité individuelle et les crimes de violence sexuelle.  Il a aussi salué le fait que ces Tribunaux spéciaux aient préparé le terrain à la Cour pénale internationale, en 2002.  « La CPI est le point d’orgue de tous nos efforts de promotion de la justice internationale », a-t-il dit, se félicitant que 122 États soient parties aux Statut de Rome et que leur collaboration avec la Cour ait, par exemple, mené à la reddition de Bosco Ntaganda, contribuant ainsi à la restauration de la paix en République démocratique du Congo (RDC).


Rappelant que le Conseil de sécurité remplit un rôle important au regard de la CPI, l’Union européenne a demandé à celui-ci de trouver des solutions afin d’appuyer les efforts de la justice internationale, en particulier à travers l’organisation de débats réguliers à propos de la coopération avec la Cour ou en saisissant, le cas échéant, la Cour pénale internationale, a indiqué M. Vrailas.  En outre, « nous devons travailler sans relâche pour faire en sorte que le Statut de Rome soit universel », a-t-il ajouté, en particulier lorsqu’il s’agit de savoir comment réagir, en temps utile et de manière collective, en cas de non-coopération de la part des États qui violent les obligations qui leur incombent envers la CPI.


Notant que d’autres échanges de vues suivront cet après-midi, sous la forme de tables rondes, M. Vrailas a dit qu’on était en droit d’attendre de ce format « un traitement équilibré » sur les thèmes qui y seront abordés.  Mais, a-t-il regretté, « il semble que cela ne sera pas le cas aujourd’hui ».  Il a estimé qu’il était « indispensable que soit exprimé le plein respect de l’état de droit et du principe de l’impartialité des cours, des tribunaux et des juges ».  `A cet égard, il s’est, une nouvelle fois, dit « déçu » par les déclarations entendues ce matin et qui n’ont pas, selon lui, respecté ce principe.


M. LI BAODONG (Chine) a estimé que le renforcement de l’état de droit est une condition importante pour la réalisation d’une bonne transition pacifique entre une situation de conflit et la phase d’après-conflit, ainsi que pour l’établissement d’une paix durable.  Ce n’est pas seulement une question juridique, a-t-il estimé, mais une question liée aux questions politiques, économiques et sociales.  Il a donc suggéré de ne pas traiter de cette question de façon isolée.  En outre, le respect du droit international humanitaire fait partie intégrante de l’état de droit, a-t-il ajouté.  Les efforts menés sur le plan international pour lutter contre l’impunité ne doivent cependant pas entraver la paix.  La paix et la justice pénale devraient se promouvoir mutuellement, a souligné M. Li.  En cas d’opposition entre les deux, il faut désamorcer les conflits et répondre aux besoins des populations.  La justice pénale ne doit pas être rendue au détriment de la paix, a insisté M. Li.  Il a enfin demandé que les organes judiciaires internationaux respectent les principes d’impartialité et d’indépendance.  Ces institutions doivent faire preuve de prudence et éviter de pratiquer une politique de « deux poids deux mesures », a-t-il souligné.


Mme MARÍA CRISTINA PERCEVAL (Argentine) a rappelé qu’en Argentine, les organisations des droits de l’homme et les victimes du terrorisme d’État avaient réclamé que le silence ne soit pas maintenu sur ces faits et plaidé en faveur de la vérité, de la mémoire, de la justice et de la réparation.  Certains pays ont appris l’importance de la justice à leurs dépens, en raison des crimes graves commis dans leur passé.  « Nous disons non aux crimes graves et aux violations des droits de l’homme », a-t-elle souligné.  Si nous sommes dans une ère de reddition des comptes, nous devons appuyer les tribunaux pénaux internationaux et les juridictions hybrides, ainsi que la CPI, a préconisé Mme Perceval.  Lors d’une table ronde organisée notamment par l’Argentine lors de la Conférence de Kampala de 2010, il est apparu que les deux objectifs de justice et de paix devaient aller de pair, a-t-elle ajouté.  La représentante a invité la communauté internationale à reconnaître les contributions importantes de la justice pénale internationale à la paix.  En ce qui concerne le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), elle a rappelé qu’il y avait toujours neuf fugitifs parmi les accusés. 


Pour ce qui est de la CPI, elle a estimé qu’elle était au cœur du système de justice pénale internationale, avec 122 États parties.  Le Statut de Rome a été renforcé en 2010, a-t-elle rappelé, lorsqu’a été ajouté à sa compétence le crime d’agression.  Mme Perceval a plaidé en faveur d’une plus grande collaboration entre la Cour et les États Membres, pour garantir que ses mandats d’arrêt soient mis en œuvre.  Elle a aussi souligné que le Conseil de sécurité ne peut pas créer d’exception à la compétence de la Cour, par rapport à ce qui a été prévu au Statut de Rome.  La Cour doit aussi être dotée des ressources financières nécessaires, a-t-elle ajouté.  En ce qui concerne le suivi des affaires par le Conseil de sécurité, elle a regretté que celui-ci ne soit pas plus proactif.  Elle a suggéré à cet égard que le Conseil de sécurité crée un organe subsidiaire spécial chargé de ce suivi ou un groupe de travail sur les tribunaux pénaux internationaux. 


Table ronde interactive 1: « Justice »


La question de la réconciliation a été au centre de la première des deux tables rondes du débat thématique, traitée par quatre experts qui ont dénoncé une justice politisée qui serait orientée vers la traduction juridique de rapports de force nés de conflits armés. 


Avocat basé à Genève, et chargé d’animer ce débat, M. MATTHEW PARISH, a raconté que son épouse, qui avait grandi dans un village en Bosnie-Herzégovine, en rentrant un jour de l’école, avait trouvé sa mère assassinée par des milices.  Les assassins n’ont jamais été jugés bien qu’étant connus de tous, a-t-il expliqué. 


Que faire quand de tels crimes ont lieu et dans quelle mesure le droit pénal international peut empêcher ces crimes et contribuer à la réconciliation, s’est-il interrogé en guise d’introduction.


M. SAVO STRBAC, Directeur du Centre d’information et de documentation Veritas de Belgrade, s’est notamment emporté contre ce qu’il a qualifié de « partialité manifeste » du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.  Il a estimé que son pays avait eu raison de boycotter les travaux de ce Tribunal jusqu’en 2001.  Il a estimé que les crimes commis contre les Serbes n’avaient pas été traités de façon satisfaisante, notamment en qui concerne le déplacement de 250 000 Serbes sous la contrainte des forces croates.  Il a estimé en outre qu’une « justice sélective était une injustice ». 


Une opinion partagée par le général de division à la retraite LEWIS MACKENZIE, qui a dirigé le secteur de Sarajevo lors de l’intervention de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en ex-Yougoslavie.  Pour cet officier adepte du franc-parler, le TPIY a pu donner l’impression, à juste titre selon lui, de mettre en œuvre une justice des vainqueurs.  Il a également surpris l’auditoire en estimant que l’intervention à laquelle il prit part, avait été décidée en grande partie dans l’objectif de « célébrer le cinquantième anniversaire de l’Organisation qui n’avait pas grand-chose d’autre à faire à ce moment-là ». 


En réponse à une question du représentant cubain portant sur la légalité de cette intervention, il a indiqué que le débat restait ouvert à ce sujet.


De son côté, M. CHARLES CHERNOR JALLOH, Professeur de droit à l’Université de Pittsburgh, a abordé les problématiques propres au continent africain.  Il a, à ce titre, défendu la création d’une chambre pénale au sein de l’Union africaine en ce qu’elle pouvait compléter la Cour pénale internationale (CPI) et non la concurrencer comme certains ont pu le penser. 


Selon lui, la proximité de cette chambre avec les théâtres de conflits armés ainsi que le mandat qu’elle s’arrogerait en matière de poursuite de crimes non prévus par la CPI permettraient d’élargir le champ de la justice pénale internationale.  Cet élargissement, a-t-il poursuivi, pourrait même inclure les multinationales qui restent pour l’instant exclues du mandat de la CPI.  


Il a en outre jugé que cette chambre pourrait limiter les critiques de politisation et de partialité adressées à la CPI par les pays africains.  La politisation est en effet un reproche récurrent qui remet en question le développement de la justice pénale sur le plan international, a-t-il affirmé, en évoquant également la question des coûts très élevés de cette justice.  Les coûts et le financement font par ailleurs partie des principaux obstacles auxquels la justice pénale internationale est confrontée. 


Le quatrième intervenant a notamment évoqué les difficultés financières rencontrées par les chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens, chargées de juger les crimes commis par le régime des Khmers rouges au Cambodge.  M. JOHN CIORCIARI, Professeur à l’Université du Michigan et expert de la procédure suivie au Cambodge, a, à ce titre, regretté le modèle choisi de contributions volontaires annuelles.  Selon lui, un modèle de financement permanent et fixe permet d’aborder les défis d’une procédure longue et coûteuse.


Il a par ailleurs évoqué la structure hybride de ce tribunal.  En effet, cette juridiction a organisé une coopération entre des organes locaux et des organes internationaux.  Il a déploré la concurrence née de la dualité des organes de direction.  « L’ONU doit être prudente quand elle prête son nom et ses ressources à ces structures lorsqu’elles n’ont pas un degré suffisant d’organisation et d’efficacité », a-t-il prévenu.


Il a également estimé que l’utilisation de procédures nationales était hasardeuse dans la mesure où les lois locales prévoyaient rarement les crimes de masse.  Il a appelé à ne pas imiter ce genre de structures dans d’autres situations.


Enfin, sur le sujet de la réconciliation, les experts se sont accordés pour dire que l’impartialité était indispensable pour favoriser le dialogue et la concorde entre des populations qui se sont affrontées dans des conflits sanglants. 


Ils ont encouragé la participation des autorités et populations locales témoignant d’une volonté de réconciliation et de dialogue notamment par la mise en œuvre de programmes officiels associant la société civile.  M. MacKenzie a estimé que l’équité dans la justice était très importante.  « Si la procédure n’apparait pas juste, la réconciliation est mise en question », a-t-il tranché.


Répondant à une question du représentant du Congo, M. Jalloh, a jugé que le privilège d’immunité dont jouissaient les chefs d’État était de nature à s’incliner en matière de justice pénale internationale.


Table ronde interactive 2: « Réconciliation »


Les participants à la deuxième table ronde du débat thématique ont discuté du rôle des tribunaux pénaux internationaux dans le cadre de la réconciliation au sein des sociétés postconflit.


Le modérateur de cette discussion, M. JOHN SCHINDLER, de l’École supérieure de guerre navale des États-Unis et Maître de recherche à l’Université de Boston (États-Unis), s’est demandé si un comité vérité et réconciliation n’aurait pas été la meilleure initiative pour réconcilier les peuples des Balkans, car le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) semble, 20 ans après sa mise en place, cristalliser un grand nombre de frustrations des populations et de certaines politiques.


Le premier paneliste, M. WILLIAM SCHABAS, Professeur à l’École de droit de l’Université de Middlesex, à Londres (Royaume-Uni), a relevé qu’en plus de la réconciliation, les deux autres objectifs de ces tribunaux juridictions sont la paix et la justice pour les victimes. 


Si ces deux derniers objectifs semblent globalement atteints selon lui, en matière de réconciliation par contre, il a estimé que cette dernière ne pourrait s’évaluer que sur le très long terme, parfois sur la durée d’une vie.  Le professeur a, par la suite, remis en question l’idée selon laquelle la partialité des tribunaux pénaux internationaux serait évaluée par leur capacité à poursuivre les acteurs de toutes les parties en conflit.


M. CEDOMIR ANTIC, de l’Institut des études balkaniques de Belgrade (Serbie), a, pour sa part, affirmé que la réconciliation n’était pas le principal objectif des tribunaux pénaux internationaux.  Il en veut pour preuve le fait que des sondages ont fait voir que près de 70% des populations serbes avaient une idée négative du TPIY.  Il a aussi souligné que le TPIY n’était pas impartial vis-à-vis de la Serbie comme cela s’est vu avec la question de l’extradition de l’ancien Président Slobodan Milosevic qui se serait faite dans un contexte juridique flou. 


Il a en outre dénoncé le fait que la coopération entre la Serbie et le tribunal eût été utilisée comme élément de chantage pour l’octroi de prêts au pays.  Le tribunal de La Haye a soutenu et élargi les dissensions entre les citoyens des pays issus de l’ex-Yougoslavie, a-t-il regretté.  


Mme JANINE CLARK, de l’École des politiques de l’Université de Sheffield (Royaume-Uni) a estimé que les tribunaux pénaux internationaux avaient un rôle important à jouer dans les sociétés postconflit.  Elle a observé que le rôle de ces tribunaux n’était pas fondamentalement de contribuer à la réconciliation, mais que les décisions de justice prises pourraient contribuer à cette réconciliation.


Elle a affirmé que les victimes du conflit yougoslave étaient très remontées vis-à-vis des décisions du TPIY, notamment au sujet de la durée des peines qui semblent assez courtes, ainsi qu’à propos du principe de clémence et de réduction de peine en cas d’aveu. 


Elle a, de même, noté que les versions des faits retenues par le TPIY contribuaient parfois à renforcer les divergences entre communautés, minant ainsi les possibilités de réconciliation.  Elle a regretté, dans ce contexte, le déficit de communication des tribunaux dont le travail n’est pas compris et accepté par les populations.  


M. JOHN LAUGHLAND, Directeur des études à l’Institut de la démocratie et de la coopération, à Paris (France), a évoqué l’illégalité des actes de création des tribunaux pénaux internationaux car étant établis par des décisions politiques.  Il a également souligné que le fait pour la CPI d’inculper les ressortissants des pays ne relevant pas du Statut de Rome était illégal. 


M. Laughland a, par ailleurs, noté que les traités de paix qui avaient été signés jusqu’au début du vingtième siècle comprenaient une clause consacrée à l’amnistie qui renvoyait au concept de pardon.  Tout a changé avec le Traité de Versailles de 1919 qui a condamné une des parties pour le conflit de 1914-1918; ce qui a conduit à la Seconde Guerre mondiale, a-t-il expliqué.  Il a invité la communauté internationale à redécouvrir les rôles régaliens des États et à mettre en valeur le principe de paix.  


Au cours de l’échange interactif, le représentant de Cuba a demandé si les interventions militaires de l’OTAN en ex-Yougoslavie pouvaient faire l’objet de poursuites par le TPIY.  M. Laughland a répondu en estimant que le TPIY aurait dû poursuivre l’OTAN qui a commis des crimes de guerre en ex-Yougoslavie.  Il a en outre estimé que le TPIY n’avait pas été efficace en termes de maintien de la paix puisque les conflits avaient continué après la mise en place de ce Tribunal.


Le représentant de la Serbie a pour sa part constaté que la question des trafics d’organes qui avait été négligée par le TPIY était l’un des points d’ombre du processus de réconciliation dans les Balkans.  Son homologue de la Fédération de Russie s’est quant à lui interrogé sur la longue durée des procédures du TPIY et a invité les experts à faire un bilan du TPIY.


Mme Clark a fait état de forts soupçons de participation active des forces de l’OTAN dans ce qui apparaît comme un vaste trafic d’organes humains sur des populations en majorité serbes et a regretté qu’aucune poursuite judiciaire n’ait été engagée à ce sujet.  Elle a ensuite estimé qu’une certaine justice avait été rendue par le TPIY avec 161 inculpations, mais elle a regretté le fait que les populations, en majorité serbes, eussent sembler désavouer ce Tribunal.


M. Schabas a affirmé pour sa part que le TPIY avait contribué à l’apaisement des tensions dans les Balkans, mais il a ajouté que certains jugements du tribunal semblaient prêtés à interrogation.  Il a relevé que, globalement, il était encore très tôt pour évaluer les tribunaux pénaux internationaux dans leur rôle en matière de réconciliation.  Il a également jugé que la CPI paraissait concentrer son action sur l’Afrique parce que le continent n’est pas assez fort pour s’opposer aux poursuites de ses dirigeants.


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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