DH/CT/694

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME: LA TUNISIE PRÉCISE LES CONDITIONS D’EXERCICE DES DIFFÉRENTES LIBERTÉS

18/03/2008
Assemblée généraleDH/CT/694
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York

Pacte international relatif

aux droits civils et politiques

Comité des droits de l’homme

Quatre-vingt-douzième session                              

2513e et 2514e séances – matin et après-midi


COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME: LA TUNISIE PRÉCISE LES CONDITIONS D’EXERCICE DES DIFFÉRENTES LIBERTÉS


Plusieurs experts expriment leurs inquiétudes au sujet de cas de tortures ou de mauvais traitements


Le Comité des droits de l’homme a achevé aujourd’hui l’examen du cinquième rapport périodique de la Tunisie.  La délégation de ce pays, conduite par le Ministre de la justice et des droits de l’homme, a tenté de répondre aux questions ou aux inquiétudes des experts concernant la liberté d’opinion ou d’expression, le traitement des prisonniers, le droit de réunion pacifique, l’interdiction de la torture ou l’abolition de la peine de mort.


Le Ministre, M. Béchir Tekkari, a ainsi assuré qu’il n’existait pas de prisonniers politiques en Tunisie.  Si certaines personnes détenues ont appartenu à une mouvance politique, elles sont incarcérées pour des raisons indépendantes de cette affiliation et pour des délits de droit commun, a-t-il expliqué.  Le chef de la délégation tunisienne a également affirmé que la liberté d’association en Tunisie était respectée, une association pouvant même assumer un service public car, a-t-il précisé, ce dernier n’a pas le monopole de l’administration.


Le Ministre tunisien de la justice et des droits de l’homme a répondu aux nombreuses interrogations manifestées par les experts concernant des cas de torture ou de mauvais traitements dont ils ont été informés.  M. Tekkari, qui a fait état d’une campagne de désinformation à ce sujet, a néanmoins indiqué que son pays ne cherchait pas à nier la possibilité de tels cas, soulignant qu’il s’agissait là d’une étape dans leur répression et leur élimination.  En tout cas, a-t-il ajouté, chaque fois que l’on constate un acte de torture, les juges n’hésitent pas à le sanctionner.


Le Ministre a en outre rappelé que son pays s’était engagé dans un processus abolitionniste de la peine de mort et a dénoncé l’idée selon laquelle la prise en compte de la durée de détention d’un condamné était une nouvelle sanction infligée à cette personne.  Lorsqu’une personne est condamnée à mort, elle ne sera pas exécutée, a-t-il réaffirmé, citant l’engagement solennel pris par le Chef de l’État tunisien en 1991.


Plusieurs experts ont insisté sur les cas d’atteinte à la liberté d’expression, ce qui, a estimé celui de l’Égypte, constitue un grand écart entre la législation qui garantit la liberté d’opinion et les aspects pratiques de l’exercice de ce droit dans l’État partie.


Pour la délégation tunisienne, le Gouvernement s’emploie depuis 20 ans à encourager la liberté d’expression que la Constitution protège.  Le Code de la presse a été amendé plusieurs fois pour améliorer les conditions d’exercice de ces libertés, a-t-elle affirmé, précisant que le Gouvernement ne cherchait nullement à influencer les choix éditoriaux et invitait même les journalistes à ne pas s’autocensurer.  Près de 90% des magasines et des journaux tunisiens sont des propriétés privées, a-t-elle assuré.


Le Ministre lui-même a abordé les cas de journalistes qui se prétendent victimes de menaces et d’intimidations, déclarant qu’aucun journaliste n’était actuellement détenu, à l’exception d’un journaliste pour une affaire de droit commun après avoir insulté des agents de l’ordre.


Enfin, la délégation tunisienne a affirmé que la liberté de réunion était pleinement garantie en Tunisie et procédait de l’article 8 de la Constitution.  Le droit de réunion est soumis à certaines exigences, comme la nécessité du maintien de l’ordre public, a-t-il été toutefois précisé.


Résumant les commentaires exprimés par ses collègues, le Président du Comité et expert de la Colombie, M. Rafael Rivas Posada, a souligné l’importance de disposer de davantage d’informations sur la question de la torture.  Les accusations précises reçues sur la persistance de ce phénomène proviennent de différentes sources, a-t-il ajouté.  De même, a-t-il dit, le Comité a de bonnes raisons de continuer à suivre de près les questions liées à la liberté d’expression.  Il a, enfin, souhaité que soient fournies à l’avenir des informations complémentaires sur les critères retenus pour interdire des réunions publiques ou restreindre la liberté d’association.


Le Comité des droits de l’homme se réunira demain, mercredi 19 mars à 11 heures, pour examiner le rapport initial du Botswana.


EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE ET DE LA SITUATION DANS DES PAYS


Suite de l’examen du cinquième rapport périodique de la Tunisie (CCPR/TUN/5)


Question des experts


Abordant la question de la liberté d’expression, M. JOSÉ LUIS SANCHEZ-CERRO, expert du Pérou, a noté qu’il n’existe qu’une agence de presse en Tunisie, entreprise publique qui a le monopole de l’actualité nationale et sert de filtre pour les autres moyens d’information.  Cela ne reflète peut-être pas ce que l’article 19 du Pacte dispose sur la liberté d’expression, a-t-il fait observer.  Il a donc voulu savoir s’il existait d’autres organes de presse qui peuvent mieux assurer le respect de ce principe.  Le rapport indique qu’il n’y ait pas de censure en Tunisie, a-t-il relevé, tout en faisant remarquer qu’une certaine pression est exercée pour obliger les journalistes à écrire dans la ligne du Gouvernement.  La définition d’un acte terroriste, telle qu’établie dans la législation nationale, lui semble trop générale.  Il s’est aussi étonné qu’on garantisse l’anonymat des juges et a averti contre les risques de cette pratique de « juges sans visage », autrefois en vigueur dans son pays.


M. NIGEL RODLEY, expert du Royaume-Uni, a soulevé quant à lui la question de la peine de mort, relevant que la Commission de grâce examine le temps passé en détention depuis la condamnation à la peine capitale pour décider de la commutation en peine d’emprisonnement.  Il s’est étonné qu’on prenne en compte cette durée, se demandant si l’intention était de laisser la personne dans la terreur avant de commuer sa peine.  Quelle est la durée moyenne de détention avant la décision de commuer la peine? a-t-il demandé.  De l’avis de l’expert, il serait bon que la peine de mort ne soit pas prononcée dans de tels cas.


En ce qui concerne la torture, l’expert britannique a noté que cela fait neuf ans qu’a été formulée la première demande du Rapporteur spécial sur la torture -fonctions qu’il assumait lui-même à l’époque- de se rendre dans le pays.  Il semble que l’État serait prêt maintenant à accueillir une visite du Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme.  Le Rapporteur spécial pourra-t-il recevoir une invitation? a-t-il demandé.  Il a aussi noté que des preuves solides étaient exigées pour que les juges se penchent sur des allégations de torture et de traitements inhumains et dégradants.  Mais selon lui, le juge ne doit refuser l’examen d’aucune plainte au motif que les preuves n’apparaissent pas suffisamment solides.  Sur la question des agents de l’État ayant commis des actes de mauvais traitement dans l’exercice de leurs fonctions, il a demandé s’il y avait eu des cas de poursuites en vertu de la loi 1999 sur la torture et quels types de condamnation avaient été prononcés.


Mme RUTH WEDGWOOD, experte des États-Unis, a abordé quant à elle la question de l’accès aux prisons.  S’il est normal que les visites du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) soient couvertes par la confidentialité, il devrait y avoir un accès possible pour un organe de contrôle, a-t-elle estimé.


Réponses aux questions orales posées par les experts


La délégation, dirigée par M. BÉCHIR TEKKARI, Ministre de la justice et des droits de l’homme, répondant aux questions orales des experts, a dit espérer une évolution de la jurisprudence vers une application directe des normes internationales, laquelle constituerait une garantie de l’exercice des libertés et du droit en général. 


Le Ministre a, de son côté, apporté des précisions sur l’intention de la Tunisie d’adhérer au Protocole facultatif du Pacte.  Une phase « études » est nécessaire, a-t-il souligné, précisant que cette période n’impliquait pas une volonté de reporter cette adhésion ou ne signifiait pas une attitude craintive de la part de la Tunisie.  Cette intention ne manquera pas, le moment venu, de se transformer en engagement effectif, a-t-il affirmé.   


M. Tekkari est également revenu sur la position abolitionniste de son pays face à la peine capitale.  La Tunisie est un État abolitionniste de fait, a-t-il redit, précisant que la peine de mort n’était pas exécutée.  Ce n’est pas une attitude statique, mais une étape, a déclaré le Ministre.  Celle-ci s’inscrit, a-t-il estimé, dans une dynamique d’ensemble.  Toute personne condamnée à mort est présentée à la grâce présidentielle, a-t-il expliqué.  Il a souligné que des initiatives étaient menées en Tunisie en faveur de l’abolition, certaines, parfois, avec le soutien de l’État.  Mais, malgré cela, l’opinion publique n’est encore pas préparée à l’abolition de la peine de mort, a-t-il assuré. 


S’agissant des cas de torture évoqués, un membre de la délégation a notamment estimé que la Cour européenne des droits de l’homme était influencée par une campagne de désinformation menée en Tunisie.  Les cas soulevés par l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) sont l’objet de suivis par les autorités judiciaires tunisiennes, a-t-il également affirmé, précisant que la Tunisie n’était pas insensible à ces accusations.


Reprenant la question sur l’incrimination de la tentative d’acte de terrorisme, le Ministre de la justice et des droits de l’homme a expliqué que cette tentative n’est punissable que lorsqu’il y a un commencement d’exécution et seulement si la concertation se fait dans le cadre d’une organisation terroriste.  Il est en effet admis en droit que, pour la criminalité organisée, la perception de la tentative soit différente de ce qu’elle est pour des crimes ordinaires.  Concernant la question du secret professionnel des avocats, qui risque d’être violé si on applique la loi qui oblige quiconque à diffuser des informations sur une activité terroriste, le Ministre a assuré que l’avocat est protégé dans son secret professionnel.  Mais si un avocat ou un médecin a connaissance d’informations sur le terrorisme en dehors de ses activités professionnelles, il doit bien entendu communiquer ces informations.


L’anonymat des magistrats et des officiers de police a été soulevé, a poursuivi le Ministre, mais il faut savoir que cette possibilité se situe dans le cadre de la lutte contre la criminalité transnationale, comme la Convention pertinente des Nations Unies le prévoit pour les témoins.  Dans la loi tunisienne, un tel recours n’est possible qu’en cas de « péril en la demeure », a précisé M. Tekkari, qui a aussi rappelé qu’il y avait déjà eu des cas d’assassinat de magistrats ou de témoins, notamment en Italie.  En outre, l’avocat et le prévenu peuvent demander que l’anonymat soit levé.  Cette loi n’a cependant pas été invoquée dans les audiences en Tunisie, a-t-il aussi déclaré.  Mais n’oublions pas que la Tunisie reste un pays visé par le terrorisme.


La Tunisie a beaucoup fait pour les droits de la femme, a poursuivi M. Tekkari.  Elle a aboli la polygamie et la répudiation et a consacré une égalité, même si elle est encore à parfaire.  Mais cela ne plait pas à certains milieux, a-t-il assuré, et beaucoup veulent détruire ces acquis.  En ce qui concerne les critères de nomination des personnalités indépendantes au sein du Comité supérieur des droits de l’homme, il a indiqué qu’elles sont choisies en raison de leur expérience dans le domaine des droits de l’homme et de leur intégrité.  Titulaires d’un mandat de trois ans, ces personnes doivent représenter la diversité de points de vue.  Les représentants du Ministère ne participent pas à cette sélection, a-t-il précisé.  Les recommandations de ce Comité sont prises en considération et souvent appliquées à la lettre.  Les recommandations formulées par l’Ombudsman administratif sont aussi largement suivies.  Le Ministre a ainsi cité une recommandation de prévoir l’appel et la cassation pour les jugements rendus par le tribunal de l’immobilier.


Les visites des prisons ne sont pas uniquement assurées par le CICR, a ensuite indiqué le Ministre.  Le Comité supérieur des droits de l’homme est lui aussi amené à effectuer ce genre de visites.  La confidentialité à laquelle est soumise le CICR n’empêche pas des résultats tangibles et donc une véritable amélioration des conditions de détention.  C’est ce qui nous a encouragés à demander aussi à Human Rights Watch d’intervenir, a expliqué M. Tekkari.


Questions des experts


Mme CHRISTINE CHANET, experte de la France, s’est interrogée sur le critère de la durée avancé par la délégation tunisienne pour remplacer la peine capitale qui n’est pas appliquée.  Elle a notamment qualifié ce système organisé de la durée de dégradant, cruel et inhumain.  De même, elle a estimé que les réponses apportées aux questions relatives à la torture ne sont pas satisfaisantes.  La Tunisie nie le phénomène de la torture, a-t-elle dit.  Lorsque l’on nie le phénomène, on n’apporte pas les éléments de prévention qui permettraient de s’en éloigner, a-t-elle déclaré. 


L’expert du Royaume-Uni s’est interrogé sur les réponses apportées par la délégation concernant les détentions arbitraires et les mauvais traitements, en particulier l’argument invoquant une campagne de diffamation.  Apparemment, les limites ne sont pas respectées, a-t-il dit, ajoutant que les assertions de mauvais traitement avaient peut-être un certain fondement.


M. PRAFULLACHANDRA NATWARLAL BHAGWATI, expert de l’Inde, a demandé si la Police tunisienne bénéficiait d’une formation particulière en matière de respect des droits de l’homme.


Réponses aux questions orales posées par les experts


Le Ministre de la justice et des droits de l’homme a affirmé, s’agissant des cas de mauvais traitements, qu’en matière pénale, la preuve devait être apportée par le juge et non par le plaignant.  Chaque fois qu’il existe des éléments sérieux pour une requête, c’est au juge d’apporter la preuve, a-t-il affirmé.  M. Tekkari a précisé que des individus occupant des postes à responsabilité n’étaient pas à l’abri d’une condamnation lorsque les preuves de leur implication étaient établies.


Le Ministre a rappelé que son pays était engagé dans un processus abolitionniste de la peine de mort et a dénoncé l’idée selon laquelle la prise en compte de la durée de détention d’un condamné était une nouvelle sanction infligée à cette personne.  Lorsqu’une personne est condamnée à mort, elle ne sera pas exécutée, a-t-il réaffirmé, citant l’engagement solennel pris par le chef de l’État tunisien en 1991.  La Commission de grâce a retenu dernièrement un critère de durée depuis le prononcé de la peine jusqu’à une nouvelle grâce, a-t-il expliqué.  Ce temps donne droit à bénéficier de la commutation en peine de prison, a-t-il souligné, qualifiant ce critère d’assouplissement, de nouvelle dynamique visant à favoriser davantage la commutation de la peine capitale.    


Reprenant les questions sur la torture et les mauvais traitements, M.  Tekkari a rappelé qu’il y a non seulement de fausses allégations mais aussi une certaine organisation pour faire de fausses allégations, afin de les présenter devant des organes des Nations Unies par exemple.  Toutefois, chaque fois que l’on constate un acte de torture, les juges n’hésitent pas à les sanctionner, a-t-il assuré avec force.  On ne nie pas la possibilité de cas de torture et reconnaître cela est déjà une étape dans la répression de tels actes et dans l’élimination de ces pratiques, de l’avis du Ministre. 


Pour préciser sa réponse à la question de l’expert du Royaume-Uni, M. Tekkari a assuré que le Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme sur la torture va recevoir une invitation à se rendre sur place.  En ce qui concerne les établissements pénitentiaires, le Ministre a indiqué que le CICR a visité tous les lieux de détention, ayant contacté au moins 5 000 prisonniers à plusieurs reprises.  Nous assurons une formation pour tous les agents chargés de l’exécution des lois et leur distribuons des guides sur les droits des prisonniers.


Réponses aux questions écrites sur les articles 15 à 27 du Pacte


Liberté d’opinion et d’expression (article 19)


Depuis 20 ans, la Tunisie s’emploie à encourager la liberté d’expression, a indiqué un membre de la délégation.  Notre Constitution protège la liberté d’opinion et d’expression.  Le Code de la presse a été amendé plusieurs fois pour améliorer les conditions d’exercice de ces libertés, a-t-il précisé.  On a ainsi aboli les délits de diffamation publique, car c’était un terme trop vague.  On a aussi ramené de 6 à 3 mois le délai maximum de suspension d’une publication par un tribunal.  Dans leurs associations de médias, les journalistes élisent librement leurs membres.  Le délégué a assuré que le Gouvernement ne cherche nullement à influencer les choix éditoriaux et au contraire encourage l’indépendance des médias, en les invitant à ne pas s’autocensurer.  Près de 90% des magasines et des journaux tunisiens sont des propriétés privées.  Les partis d’opposition publient régulièrement leurs journaux et magasines, sans censure.  En 2003, on a vu apparaître les stations de radios privés et l’État n’a plus le monopole de la radio et de la télévision, a aussi informé le représentant tunisien.  En outre, les chaînes de télévision peuvent émettre en sous-traitance par le secteur privé.


Une décision récente a aboli le contrôle administratif sur les livres, a poursuivi le délégué.  Les maisons d’édition reçoivent un soutien de l’État mais celui-ci n’a pas de contrôle sur le contenu des publications.  En outre, l’accès aux satellites est illimité.  Le représentant a aussi fait valoir que la Tunisie est le pays d’Afrique le mieux connecté à Internet.  Des mesures d’incitation sont destinées à encourager le développement de sites Internet et on constate qu’il existe des milliers de sites tunisiens, y compris des journaux en ligne.


Abordant la question de la compatibilité avec l’article 19 du Pacte de la loi organique tunisienne, qui interdit à tout Tunisien de s’exprimer sur un média audiovisuel étranger en faveur ou contre un candidat aux élections présidentielles durant la campagne électorale, le Ministre a précisé que cette interdiction est limitée à la période électorale et que la sanction encourue n’est que pécuniaire et non privative de liberté.  Il a indiqué que l’affichage et le passage télévisé des candidats en période électorale sont organisés par la loi et financés par l’État de façon transparente et égale.  L’ordre des passages à la télévision se décide par tirage au sort.  Si des candidats ou leurs partisans sont autorisés à s’exprimer en dehors de ce cadre, ils pourront recevoir une subvention en nature, ce qui met en cause la transparence de l’opération électorale quant à son financement, a fait valoir le représentant.


Droit de réunion pacifique (art. 21)


La liberté de réunion est pleinement garantie en Tunisie et procède de l’article 8 de la Constitution, a souligné la délégation.  Une loi de 1969 stipule dès son article 1er le droit de réunion, lequel est soumis à certaines exigences, comme la nécessité du maintien de l’ordre public.  Des dizaines de réunions publiques se tiennent chaque jour, sur l’ensemble du territoire national, en toute quiétude, conformément à la loi, a souligné un délégué.  S’il existe une possibilité d’interdire par un arrêté une réunion susceptible de troubler l’ordre public, celui-ci peut faire l’objet d’un recours devant un tribunal administratif.  Aucune entrave n’est opposée à l’exercice du droit de réunion que la Tunisie tient à préserver, a-t-il assuré. 


Liberté d’association (art. 22)


Le Ministre tunisien de la justice et des droits de l’homme a ajouté à la réponse écrite apportée par sa délégation, que toute création d’association était, depuis une loi de 1988, soumise à la simple formalité de déclaration.


Droit des personnes appartenant à une minorité (article 27)


La délégation a ensuite abordé la question des Berbères qui revendiquent la protection et la promotion de leur culture et de leur langue.  Il a parlé de « projet sociétal » qui puise dans l’héritage trois fois millénaire de la Tunisie, et se fonde sur le métissage, le brassage, la citoyenneté et l’ancrage dans l’universel.  L’enseignement de l’histoire dispensé dans les écoles et universités cherche à présenter la société dans une dimension qui permet d’appréhender toute sa diversité.  Les Tunisiens sont à la fois des « Berbères arabisés et des Arabes berbérisés », après les nombreux mélanges.  L’article 6 de la Constitution consacre l’égalité de tous les citoyens sans discrimination en raison de l’identité ethnique ni de la langue.  Le délégué a fait valoir que le taux de scolarisation a atteint 99% et que le taux de pauvreté a été réduit à 3,8%.  Dans l’enseignement supérieur, 57% des étudiants sont des filles, a-t-il ajouté, et on constate que 81% de la population tunisienne constitue la classe moyenne.  Enfin, la société a un projet d’ouverture sur l’universel.  C’est le contexte qui est marqué aujourd’hui par la mondialisation où la frontière entre le local, le national et l’international se trouble.  La mondialisation rime souvent avec la standardisation des esprits, ce qui débouche parfois sur une quête d’identité aveugle.  La Tunisie entend combattre le paradigme du choc des civilisations.


Un autre membre de la délégation a apporté des précisions sur le problème berbère.  Il a d’abord présenté un pays homogène où la grande majorité de la population est arabophone et musulmane de rite maléchite.  C’est le fruit de l’histoire et d’un brassage de populations ethniques très diverses et c’est notre richesse, s’est-il prévalu.  Dans l’île de Djerba, il y a une population qui est à la fois berbérophone et arabophone.  Elle pratique en outre un culte particulier, a-t-il expliqué, sans rencontrer de problème.


Une représentante de la Tunisie a apporté des éléments de réponse complémentaires sur la liberté de religion.  Le chapitre V de la Constitution et l’Accord conclu entre l’État et le Saint-Siège règlent les activités des églises qui sont au nombre de 14 en Tunisie.  La Constitution reconnaît également la liberté pour tous les juifs de pratiquer leur religion.  La majorité de la population tunisienne est musulmane, mais cela ne veut pas dire que la majorité domine les minorités.  Selon la loi islamique, nous devons respecter toutes les religions, a-t-elle précisé.  En ce qui concerne les lieux de culte, elle a indiqué que des subventions sont accordées à diverses églises.  La représentante a insisté sur le fait qu’il n’y a aucune distinction entre les citoyens tunisiens car les minorités ont les mêmes droits et devoirs que les autres.  La carte d’identité, a-t-elle ajouté, ne mentionne pas la religion de son titulaire.  Elle a aussi évoqué la présence de sectes, qui sont également respectées.  Celle qui épouse un musulman, a-t-elle poursuivi, peut exercer librement sa religion.  Elle a aussi abordé la question du fondamentalisme et les efforts faits pour ne pas laisser s’installer cette idéologie.


Un sénateur tunisien, qui a précisé qu’il faisait partie de la communauté juive tunisienne, a indiqué qu’il participait à la vie publique de son pays depuis 40 ans.  Il a affirmé avoir toujours été capable d’exercer ses droits, de façon active.  L’adhésion de la Tunisie aux instruments juridiques internationaux pertinents a seulement permis de consacrer des droits qui existaient déjà, a-t-il estimé.  Il a assuré que les membres de la communauté juive peuvent librement pratiquer leur religion et notamment organiser des pèlerinages.  Dans l’île de Djerba, il y a la plus grande synagogue d’Afrique, a précisé le sénateur.  Les juifs, les chrétiens et les musulmans pratiquent leur religion respective en toute liberté, a-t-il insisté, et leur mode de vie reflète bien leurs caractéristiques.


Diffusion d’informations concernant le Pacte


Un membre de la délégation tunisienne a ensuite donné des précisions sur la formation dispensée aux agents de l’État quant aux dispositions du Pacte.  Il a expliqué que la discipline des droits de l’homme est enseignée à tous les niveaux de l’éducation, en mettant l’accent sur les dispositions du Pacte et les mécanismes nationaux et internationaux.  Répandre la culture des droits de l’homme passe par l’intensification des moyens à cette fin, a-t-il ajouté.


Concernant la diffusion d’informations sur le Pacte et les précédentes observations finales du Comité, il a indiqué qu’un nouvel organe, qui dépend du coordonnateur des droits de l’homme est spécialement chargée de ce suivi.  Un grand nombre d’organisations non gouvernementales et la société civile participent aux travaux de cet organe.  En outre, la Tunisie se prépare actuellement à l’examen de son rapport devant le Conseil des droits de l’homme.


Questions des experts


M. AHMED TAWFIK KHALIL, expert de l’Égypte, s’est notamment dit frappé par le nombre relativement élevé de cas d’atteinte à la liberté d’expression, ce qui, a-t-il souligné, constitue un grand écart entre la législation qui garantit la liberté d’opinion et les aspects pratiques de l’exercice de ce droit dans l’État partie.  En outre, il a fait état d’accusations portées par des organisations non gouvernementales selon lesquelles le Gouvernement tunisien utiliserait la menace que feraient porter certains sites Internet sur les droits de l’homme pour les supprimer.  Il s’est déclaré préoccupé par le nombre d’informations relativement important selon lesquelles des défenseurs des droits de l’homme et d’autres personnes auraient été menacés pour leur participation à des groupes non reconnus par les autorités ou pour l’exercice de leur droit d’expression.


M. RAJSOOMER LALLAH, expert de Maurice, est en particulier revenu à la question écrite portant sur la liberté d’association pour regretter le manque d’informations apportées par la délégation.  De l’avis de l’expert, le problème des défenseurs des droits de l’homme est l’un des sujets de préoccupation les plus importants.  De même, la Tunisie est confrontée selon lui au problème du terrorisme.  Les lois et les gouvernements ne sont pas forcément les mieux à même de traiter de cette situation et ont besoin de la collaboration de la société pensante représentée dans les associations, a-t-il estimé.


L’experte des États-Unis a estimé que le Code de la presse tunisien donnait une définition trop large de la diffamation.  D’autres articles, a-t-elle dit, obligent la presse à être prudente pour critiquer le Gouvernement.  De même, s’agissant des élections, elle s’est étonnée du fait qu’un électeur tunisien était interdit d’exprimer une opinion à une station de radio ou à une chaîne de télévision étrangère.


Mme IULIA ANTOANELLA MOTOC, experte de la Roumanie, a rejoint l’opinion de ses collègues concernant le rôle de la société civile en Tunisie.  Elle a par ailleurs demandé à la délégation de préciser les moyens à la disposition du pays pour traiter de la situation des personnes handicapées.


Réponses aux questions orales des experts


Le Ministre de la justice et des droits de l’homme a rectifié les reproches des experts selon lesquels des procès n’avaient pas été équitables.  Il a précisé qu’il s’agissait de cas où un grand nombre d’avocats demandaient de changer de salle d’audience afin de permettre l’accès à un plus grand nombre de personnes ou pour accommoder la participation de tous les avocats concernés.  Dans le dernier cas, le juge avait demandé aux avocats de se présenter par petits groupes, car ils étaient une centaine, et ceux-ci, n’acceptant pas cette demande, avaient invoqué le non-respect du droit à un procès équitable.  Dans l’autre procès, le tribunal avait entendu les plaidoiries pendant 22 heures continues, donnant le temps qu’il fallait à chaque avocat.


Concernant la torture, le Ministre a indiqué précédemment que la victime pouvait saisir le juge si le parquet avait rejeté la plainte, ce qui oblige le juge à se saisir de l’affaire.  S’agissant de la liberté d’expression, des subventions directes sont accordées à certains journaux naissants, a-t-il ensuite expliqué.  Il a aussi fait valoir que si certains se plaignent d’atteintes à la liberté d’expression, aucun journal n’a pourtant été suspendu.  Les sites Internet dont nous demandons la fermeture sont les sites pornographiques ou ceux qui incitent à la violence, a-t-il précisé.  Il y a trois ans, 10 Tunisiens ont été déférés devant la justice pour avoir été impliqués dans des actes terroristes, car ils avaient appris sur Internet comment fabriquer des explosifs, avaient fait des essais devant un lycée et repéré les lieux de l’attentat prévu.  Deux d’entre eux, après leur relaxe ou leur libération, ont été impliqués peu après dans des actions terroristes en Somalie et en France.  Abordant les cas des personnes qui se prétendent victimes de menaces et d’intimidations, il a indiqué qu’aucun journaliste n’est actuellement détenu, sauf un qui l’est pour une affaire de droit commun après avoir insulté des agents de l’ordre.


Pour ce qui est des réunions qui auraient été empêchées, le Ministre a précisé que si un juge avait ordonné l’annulation du congrès de la Ligue des droits de l’homme tunisienne, c’est parce que ses préparatifs violaient un jugement précédent.  Cette annulation a donc été ordonnée pour faire exécuter une décision de justice qui n’était pas respectée.  Avant de tenir une réunion publique, il faut la déclarer à l’administration, a-t-il ajouté.  En deuxième lieu, l’administration peut l’interdire si elle considère qu’elle est illégale.


Pour ce qui est des prisonniers politiques, il n’y a pas en Tunisie de personnes détenues parce qu’elles ont exprimé une opinion politique.  Il y a certes parmi les personnes détenues certaines qui ont appartenu à une mouvance politique, mais elles sont incarcérées pour des raisons indépendantes de cette affiliation et pour des délits de droit commun.  Le Ministre a aussi affirmé que la liberté d’association en Tunisie est respectée, une association pouvant même assumer un service public, car celui-ci n’est pas le monopole de l’administration.


Répondant aux questions sur la diffamation, M. Tekkari a précisé qu’il faudrait se rappeler la définition de ce délit, qui comprend une atteinte à l’honneur et à la réputation et non une simple allégation.  Le Code électoral prévoit que l’incitation à voter pour tel ou tel candidat, donc l’acte de faire campagne pour un candidat, ne peut se faire de façon parallèle au système établi.  Ce système s’applique d’ailleurs aussi bien aux élections présidentielles que législatives.  À la question relative aux sites Internet, un autre membre de la délégation a assuré que les activistes et chefs de l’opposition disposent d’une liberté très large pour s’exprimer.  Cependant, certains d’entre eux font un usage abusif de l’Internet, a-t-il constaté.


Enfin, M. Tekkari a partagé l’avis de l’experte roumaine quant à l’importance de la société civile.  Il a aussi tenu à rappeler que la Tunisie a adhéré à la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées et à son Protocole facultatif.  La Tunisie pratique une sorte de discrimination positive pour ces personnes, en organisant notamment des cours adaptés, en créant des écoles spécialisées ou en leur réservant certains emplois.


M. RAFAEL RIVAS POSADA, expert de la Colombie, qui préside le Comité, a souligné les dangers que l’application de nombre de dispositions pourrait créer en matière de droits de l’homme si l’anonymat des personnes jugeant les terroristes était maintenu.  Cela limite indûment beaucoup de garanties de procédure figurant dans le Pacte, a-t-il dit.  Il s’est en outre félicité du fait que la Tunisie se soit engagée dans la voie de l’abolition de la peine de mort.


Le Président du Comité a jugé important que le Comité dispose de davantage d’informations sur la question de la torture.  Les accusations précises reçues sur la persistance de ce phénomène, a-t-il ajouté, proviennent de différentes sources, a-t-il ajouté.  De même, a-t-il dit, le Comité a de bonnes raisons de continuer à suivre de près les questions liées à la liberté d’expression.  L’expert de la Colombie a, enfin, souhaité que soient fournies à l’avenir des informations complémentaires sur les critères retenus pour interdire des réunions publiques ou porter atteinte à la liberté d’association.


Le Ministre tunisien de la justice et des droits de l’homme a rappelé les différentes mesures arrêtées par le Gouvernement en matière de protection et de promotion des droits de l’homme, comme la décision de la Tunisie d’accueillir des Rapporteurs spéciaux aussi bien du Conseil des droits de l’homme que de la Commission africaine des droits de l’homme, ou la décision de présenter, au cours de l’année 2008, huit rapports relatifs aux droits de l’homme à différents organes des Nations Unies.


Composition de la délégation


Outre M. Béchir Tekkari, Ministre de la justice et des droits de l’homme de la Tunisie, la délégation était composée de MM. Habib Mansour, Représentant permanent de la Tunisie auprès de l’ONU; Samir Labidi, Représentant permanent de la Tunisie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève et des organisations internationales en Suisse; Ridha Khemakhem, Coordinateur général des droits de l’homme, Ministère de la justice et des droits de l’homme; Taher Fellous, Directeur général de la coopération internationale, Ministère de l’intérieur et du développement local; Oussama Romdhani, Directeur général de l’Agence tunisienne de la communication extérieure (ATCE); Mohamed Chagraoui, chargé de l’unité des droits de l’homme, Ministère des affaires étrangères; Mme Nébiha Gueddana, Directrice générale de l’Office national de la famille et de la population (ONFP); M. Néjib Ayed, Directeur général du Centre national d’innovation pédagogique et de recherche en éducation (CNIPRE), Ministère de l’éducation et de la formation; M. Joseph Roger Bismuth, Sénateur; Mme Mongia Souayhi, Sénateur, professeur d’études islamiques, Université Zeitouna, Tunis; M. Abdallah al-Ahmadi, avocat, professeur universitaire, Faculté de droit de Tunis et Mme Monia Ammar, Chargée de mission, Ministère de la justice et des droits de l’homme.


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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