FEM/1577

TOUT EN SALUANT LES PROGRÈS DE LA JAMAÏQUE EN MATIÈRE D’ÉDUCATION, LES EXPERTS L’INVITENT À INCLURE DAVANTAGE LA SEXOSPÉCIFICITÉ DANS SES RÉFORMES

11/8/2006
Assemblée généraleFEM/1577
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York

Comité pour l’élimination de la

discrimination à l’égard des femmes

Chambre B - 745e & 746e séances – matin & après-midi


TOUT EN SALUANT LES PROGRÈS DE LA JAMAÏQUE EN MATIÈRE D’ÉDUCATION, LES EXPERTS L’INVITENT À INCLURE DAVANTAGE LA SEXOSPÉCIFICITÉ DANS SES RÉFORMES


Les experts du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ont examiné aujourd’hui, en Chambre B, le cinquième rapport périodique* de la Jamaïque, qui présente l’évolution de la situation de la femme dans ce pays.  Mme BARBARA BAILEY, Directrice du Département sur le développement et le genre de la « University Of The West Indies », a présenté le rapport de l’Etat partie.  Ce document indique que le Parlement jamaïcain est en train d’élaborer une charte des droits destinée à remplacer le chapitre III de la Constitution en vigueur.  Une des clauses de cette charte reconnaît expressément la nécessité d’instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes pour les mettre sur un pied d’égalité avec les hommes.


Mme Bailey a indiqué que d’autres amendements de la Constitution étaient requis, afin de permettre aux femmes jamaïcaines d’accéder à certains recours et à des réparations face aux préjudices qu’elles pourraient subir.  Toujours au plan législatif, des mesures sont déjà en place, qui visent à éliminer la discrimination à l’égard des femmes, a-t-elle ajouté.  L’inceste est ainsi puni sévèrement, de même que l’inégalité de salaires à compétence égale entre hommes et femmes.  Par ailleurs, le Bureau des affaires féminines a établi une législation composée de 42 points définis en conformité avec les conventions et les traités internationaux pertinents, y compris la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), a dit Mme Bailey.  L’égalité dans le partage des biens entre conjoints est à l’étude, ce qui devrait conduire le Gouvernement à revoir la loi en vigueur sur le mariage, a dit la représentante.  Sur les lieux de travail, l’accent est mis sur les questions liées à la maternité et à la sécurisation des conditions de travail des employées.  S’agissant toujours de l’emploi, Mme Bailey a reconnu que le taux de chômage des femmes, qui est deux fois plus élevé que celui des hommes, devait être corrigé.  Les données indiquent que les femmes sont surtout sous-représentées dans les sphères d’emplois qui requièrent un haut niveau de compétences techniques, a-t-elle remarqué.  Elles sont en revanche surreprésentées au sein des personnels cléricaux, hospitaliers et domestiques, où elles occupent des emplois peu qualifiés et rémunérés, a dit la représentante, en relevant aussi qu’en outre, les femmes sont peu présentes dans les comités de direction des entreprises.


Poursuivant sa présentation de la situation des femmes en Jamaïque, Mme Bailey a expliqué que les préjugés sexistes demeuraient inscrits dans les mentalités et, partant, que leur institutionnalisation était tenue pour acquise par la majorité de la population.  Dans les domaines économiques et culturels, au niveau de l’éducation, des médias, de l’église et de la famille, les attitudes stéréotypées prévalent aux dépends des femmes, a dit la représentante jamaïcaine.  Toutefois, il convient de se féliciter  de ce que ces obstacles sont désormais débattus dans les écoles et par le biais d’initiatives médiatiques conjointes associant les services publics, la société civile, les ONG et le secteur privé, a-t-elle souligné.  


Échange de vues et recommandations des experts


Mme PRAMILA PATTEN, experte de Maurice, s’est félicité des divers amendements relatifs à la protection des droits des femmes qui devraient être promulgués sous peu en Jamaïque.  L’experte a déploré le fait grave que la femme jamaïcaine n’ait pas facilement accès à certains recours en cas d’atteinte avérée à ses droits.  M. Patten a estimé à cet égard qu’il était indispensable que soit mieux définie la place da la Convention dans les tribunaux de l’État partie.  « Il faut former les magistrats aux dispositions de la CEDEF, dont la référence représente un renfort de choix dans la traduction concrète des droits des femmes », a-t-elle recommandé.  Saluant la nomination récente d’un Premier Ministre de sexe féminin en Jamaïque, M. CORNELIUS FLINTERMAN, expert des Pays-Bas, s’est lui aussi interrogé sur l’absence de possibilités de recours en faveur des femmes.  Cela est d’autant plus étonnant, a-t-il dit, que la Constitution nationale repose sur un système de « Common Law », qui est par définition non discriminatoire, et qui devrait permettre de fait de disposer d’un arsenal de défense des droits des femmes.


Mme MARY SHANTHI DAIRIAM, experte de la Malaisie, s’est quant à elle déclarée très préoccupée du fait que la réforme des droits de l’homme en cours était concurrencée sur le plan du calendrier par d’autres réformes.  L’avancement de la situation de la femme jamaïcaine ne saurait souffrir de trop longs délais, et les réformes législatives sont en outre une obligation qui découle de la Convention, et ce, à des fins de conformité de la législation nationale avec ce texte, a-t-elle fait remarquer.


S’agissant de la question des préjugés sexistes, l’experte a demandé quelle sorte de campagne le Bureau national jamaïcain des affaires féminines avait lancé, afin de faire comprendre aux populations la nécessité de réformes visant l’élimination des discriminations à l’égard des femmes.  « Il est temps de faire plus », a dit l’experte, regrettant que peu de résultats aient été obtenus en matière de sexospécificité depuis 1992.  C’est en allant dans le même  sens que Mme MAGALYS AROCHA DOMINGUEZ, experte de Cuba, a noté le manque de données sur les capacités, ressources et, partant, sur la portée des mécanismes chargés d’assurer la promotion de la femme.  Le Bureau a-t-il les moyens d’agir auprès des communautés locales du pays? possèdent-ils des relais fiables dans les zones rurales notamment? a-t-elle demandé.


La délégation de la Jamaïque a répondu à ce groupe de questions et de commentaires en indiquant que, tout d’abord, les amendements apportés à la charte visaient précisément à combler les lacunes de la Constitution dans le domaine de la protection et de l’émancipation des femmes.  Le processus de mise en œuvre de cette charte fait l’objet de débats et de controverses, a-t-elle souligné.  Il est par ailleurs soumis à un suivi législatif d’une durée assez longue devant aboutir à son adoption.  Parallèlement, nous devons former des magistrats aux spécificités du droit international en matière de droit des femmes, a poursuivi la délégation.  Une assistance juridique est mise à la disposition de toutes les parties à une infraction graves.  Ainsi, pour les femmes accusées de crimes ou délits, un avocat est commis d’office.  S’agissant des procès civils, par exemple dans le cadre des violences domestiques ou des divorces, il n’y a pas de représentation par un avocat.  Ce processus informel laisse toute latitude à une femme, ou même un enfant, à prendre la parole pour se défendre, aidé en cela par des conseillers spécialisés.


Sur le plan de l’absence de mesures favorisant la sexospécificité, la délégation a déclaré que de nombreuses campagnes médiatiques étaient conduites pour sensibiliser les populations aux questions de parité du genre.  L’intégration dans la sphère publique passe par les activités du Comité consultatif sur les questions de sexospécificité, qui a pour mandat d’accélérer la prise de conscience sur ce point, a indiqué la délégation de la Jamaïque.  Le Comité supplée le Bureau, l’approche privilégiée étant multisectorielle en vue de faire participer d’autres ministères, en particulier celui de l’éducation.  En association avec les agences de la société civile, nous menons des programmes de formation au sein de commissions du développement social. Ces commissions tiennent régulièrement des ateliers en ciblant des publics spécifiques.  Par exemple, nous sollicitons des associations de femmes dans les paroisses pour réunir le plus d’informations possibles.  Divers outils éducatifs sur les violences domestiques –brochures, films, etc.– sont distribués dans les mairies et les églises, a indiqué la délégation.


Mme NAELA GABR, experte de l’Égypte, a noté combien les préjugés sexistes discriminatoires étaient répandus dans la société jamaïcaine.  Ils ont un impact particulièrement sur la dignité des femmes, ils limitent leur participation à la vie publique en bloquant l’accès aux emplois qui activent les changements sociaux.  Les questions d’éducation méritent de bénéficier de nouvelles mesures, qui soient complètes et globales, de sorte de pouvoir à la fois lutter contre la persistance des préjugés sexistes et des violences qu’ils contribuent à générer, a recommandé l’experte égyptienne.


Mme HEISOO SHIN, experte de la République de Corée, a salué les qualités du rapport de la Jamaïque, qu’elle a qualifié de « franc et direct ».  Ce document est lucide sur la question du poids de la culture patriarcale qui nuit aux femmes, a-t-elle estimé.  Il faudra maintenant s’attaquer aux causes qui conduisent à des  situations alarmantes.  Dans ce contexte, l’experte a noté que la culture populaire contribuait à glorifier la violence, en particulier la musique.


De même, il est très regrettable que le tourisme sexuel soit associé avec l’image de la Jamaïque et des autres Etats de la région des Caraïbes.  Qu’en est-il des politiques visant à instaurer un tourisme sain, familial, et soucieux du respect de l’environnement?  Il serait également judicieux d’œuvrer en association avec les pays qui, chez eux, font la promotion d’une Jamaïque permissive pour attirer des clients.  La prostitution doit également être combattue dans ce contexte, a recommandé Mme Shin.  


La délégation jamaïcaine a expliqué que, en ce qui concerne les stéréotypes et les violences, la Jamaïque s’efforce de provoquer une modification des comportements de sa population.  La parité doit prendre sens dans les esprits pour éliminer ou faire reculer les réflexes patriarcaux.  L’éducation doit ainsi cesser d’être un fief masculin où l’on prépare les femmes à devenir de simples ménagères et des agents de reproduction.  Les écoles ont un rôle crucial à jouer pour transformer en profondeur les systèmes sociaux.  Les personnels enseignants doivent être formés différemment, en vue de pouvoir sensibiliser les garçons et les filles à des filières professionnelles qui s’écartent des sentiers battus.  Concernant les effets de la culture populaire sur les comportements sexistes, la délégation a dit que les paroles des chansons hostiles aux femmes étaient étroitement surveillées.  De même, nous sommes attentifs à certains prêches religieux qui diffusent aussi des valeurs patriarcales et participent à la répétition de stéréotypes rétrogrades et défavorables à l’émancipation des femmes.  S’agissant de la prostitution, la délégation a précisé que la législation nationale ne la considérait pas comme un délit.  Ce sont les pratiques de racolage qui sont passibles d’amendes ou de peines de prison, ce qui explique que davantage de femmes tombent sous le coup de la loi.  Reconnaissant que les hommes bénéficiaient d’une impunité de fait dans les affaires de prostitution, la délégation a expliqué que, pour l’heure, la prison à vie sanctionnant les cas d’inceste avait aussi pour but d’envoyer un message fort à la population en matière de comportements déviants.


À propos du tourisme, la délégation s’est élevée contre l’idée selon laquelle la Jamaïque faisait preuve de légèreté en matière de répression de la prostitution.  Nous prônons un tourisme tourné vers la famille et l’écologie.  Le problème du tourisme sexuel est souvent la conséquence de pratiques importées, et c’est pourquoi les pays dont sont originaires ces touristes devraient être tenus responsables au niveau international.  Une unité chargée des crimes sexuels lutte contre les formes dégradantes de tourisme qui, souvent, sont liées au trafic des personnes, a indiqué la délégation. 


Mme PATTEN, a par la suite regretté que le rapport ne donne que peu de détails sur la mise en œuvre de l’article 11 de la Convention.  La discrimination à l’embauche, les conditions de travail, l’absence d’un système de crèche pour les employées femmes, et les écarts de rémunération sont des indicateurs vitaux qui manquent de données précises, a-t-elle estimé.  Avancer sur ces dossiers aurait pour effet de stimuler la diversification du choix d’emplois pour les femmes, et de les sortir du carcan traditionnel en revalorisant leur statut.


Mme AROCHA, elle, a félicité le Gouvernement jamaïcain pour ses efforts en matière d’éducation.  Une proportion de femmes plus importante est désormais présente dans l’enseignement et dans les unités de formations techniques et professionnelles.  S’agissant de l’emploi en milieu rural, l’experte a en revanche regretté le peu de données mentionnées sur ce point dans le rapport.  Ces femmes exploitantes sont particulièrement fragilisées, du fait des risques liés aux calamités naturelles.


La délégation jamaïcaine a répondu que les femmes rurales étaient souvent leaders dans leur collectivité.  Leur émancipation est encourageante.  Nous devons faciliter leur accès à l’information juridique en cas de réformes importantes susceptibles de les concerner directement.  Pour lutter contre les effets des sécheresses et des ouragans, le Bureau des affaires féminines s’implique à travers un plan d’action dans lequel la réduction des risques naturels est envisagée en tenant compte de la dimension sexospécifique.  Un régime de compensations a été ouvert qui permet entre autres d’aider les personnes lésées à redémarrer une activité agricole en cas de pertes de matériels d’exploitation, ont indiqué les délégués de la Jamaïque.


Mme SHIN a par ailleurs souhaité savoir quel était l’âge exact du mariage légal.  Se marier à 16 ou à 18 ans, n’a pas les mêmes conséquences sur la santé et l’éducation que le faire plus tard, a-t-elle noté.  Le Gouvernement est-il prêt à élever l’âge du mariage par consentement à 18 ans pour les filles, conformément à la disposition pertinente de la Convention? a-t-elle demandé.


La délégation a indiqué que des critères visant à établir la capacité d’un sujet de 16 ans à se marier existaient.  À cet âge, le consentement parental est obligatoire, a-t-elle précisé.  Notre législation reconnaît cependant le fait que certains mineurs ont la capacité de fonder tôt un foyer.  La « Common Law » consacre en effet la possibilité de devenir autonome avant l’âge de la majorité.


Outre Mme Bailey, la délégation de la Jamaïque est composée, de M. Raymond Wolfe, Représentant permanent de la Jamaïque auprès des Nations Unies; de Mme Faith Webster, membre du Bureau des affaires féminines; de Mme Eileen Boxill, Directrice des réformes légales au Ministère de la justice; de Mme Linnette Vassell, Spécialiste de la question du genre au Ministère du logement, des transports, de l’eau et du travail; de Mme Dorothy Lightbourne, du Parti travailliste de la Jamaïque; de Mme Margarette McCaulay, Procureur général; de Mme Pamela Redwood, Conseiller du Premier ministre; de Mme Pamela Ingleton, Sous-directeur au Département des organisations internationales du Ministère des affaires étrangères et du commerce extérieur; et de M. Ariel Bowen, Premier secrétaire de la Mission permanente de la Jamaïque auprès des Nations Unies.


* Le cinquième rapport périodique de la Jamaïque examiné aujourd’hui par les experts du Comité a été publié sous la cote CEDAW/C/JAM/5.


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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