FEM/1574

LE POIDS DES TRADITIONS ET DE L’IDÉOLOGIE PATRIARCALE EN OUZBÉKISTAN, FREIN À L’ÉMANCIPATION DES FEMMES, INQUIÈTE FORTEMENT LES EXPERTS

10/8/2006
Assemblée généraleFEM/1574
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York

Comité pour l’élimination de la

discrimination à l’égard des femmes

Chambre A - 743e & 744e séances – matin & après-midi


LE POIDS DES TRADITIONS ET DE L’IDÉOLOGIE PATRIARCALE EN OUZBÉKISTAN, FREIN À L’ÉMANCIPATION DES FEMMES, INQUIÈTE FORTEMENT LES EXPERTS


Du fait de la persistance de l’idéologie patriarcale et des stéréotypes, du poids des traditions autorisant la polygamie, de l’incidence de la violence domestique et de la ségrégation sur le marché du travail, l’Ouzbékistan a encore un long chemin à parcourir pour parvenir à l’égalité entre les sexes.  C’est en substance la conclusion à laquelle sont parvenus les experts du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes à l’issue de l’examen du rapport unique* présenté par cet État partie à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (CEDEF).  S’appuyant sur les articles de la Convention sur toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qui a été ratifiée par l’Ouzbékistan en mai 1995, les experts du Comité ont toutefois félicité cet État de l’ancien bloc communiste pour avoir mis en œuvre 25 des 28 recommandations formulées précédemment par les experts.


Présentant en début de séance les dernières initiatives en matière d’égalité entre les sexes, le chef de la délégation ouzbèke, M. AKMAL SAIDOV, Président du Centre national des droits de l’homme de l’Ouzbékistan, a rappelé que sur les 28 recommandations formulées par le Comité lors de la dernière session consacrée à L’Ouzbékistan, 25 d’entre elles ont été pleinement mises en œuvre.  Les principaux aspects de la mise en œuvre de la Convention portent sur l’aspect législatif, caractérisé ces dernières années par l’adoption de plus de 100 textes visant à protéger les droits des femmes.


En 2004 un décret a permis l’adoption de mesures supplémentaires pour veiller au bien-être social des femmes, a indiqué le représentant.  Un deuxième volet institutionnel s’est traduit par la mise en place d’infrastructures et d’instituts nationaux de suivi des droits de la femme.  Nous menons également des activités conjointes avec le secteur des organisations non gouvernementales qui apportent des solutions réelles à la problématique de l’égalité entre les sexes.  D’autre part, nous avons mis en place un système de quota selon lequel 30% des candidatures sont réservées aux femmes lors des élections.  Désormais, 18% des sièges au Sénat sont occupés par des femmes, a précisé M. Saidov.


Dans la réalisation des dispositions de la Convention, des problèmes se posent toutefois, dans la mesure où le pays connaît des difficultés socio-économiques, mais également écologiques et géopolitiques importantes qui ont des conséquences sur les couches les plus vulnérables de la société.  Nous avons néanmoins atteint les objectifs de l’éducation universelle, a déclaré la délégation ouzbèke.  Nous nous sommes désormais fixés une nouvelle tâche, qui est d’améliorer la qualité de cette éducation, et nous cherchons également à améliorer nos indicateurs sociaux, afin de réaliser les Objectifs du Millénaire pour le développement.


Échange de vues et recommandations des experts


La délégation de l’Ouzbékistan a reçu les félicitations des experts pour la mise en œuvre de leurs recommandations.  Toutefois, Mme DUBRAVKA SIMONOVIC, experte de la Croatie, a relevé qu’une des recommandations n’était pas compatible avec l’article 1 de la Convention, ayant trait à la définition de la discrimination.  De même, elle s’est dite préoccupée par le manque de clarté du statut de la Convention par rapport au droit national ouzbèke.  Mme KRISZTINA MORVAI, experte de la Hongrie, s’est également demandée s’il existait en Ouzbékistan une évaluation quantitative et qualitative de l’application de la loi en matière notamment de violence domestique et de traite des femmes.  Existe-il des programmes d’aide juridictionnelle en faveur des femmes?  s’est-elle interrogée.  Mme FUMIKO SAIGA, experte du Japon, a dit ne pas comprendre quel était le statut des conventions internationales dans le contexte national de l’Ouzbékistan.  Mme HANNA BEATE SCHOPP-SCHILLING, experte de l’Allemagne, a demandé à l’État partie quand est-ce qu’il entendait ratifier le protocole facultatif à la Convention.


La délégation de l’Ouzbékistan a expliqué qu’en dehors des 28 recommandations mises en œuvre, celles relatives à la ratification du protocole, à la définition de l’égalité entre les sexes, et à l’adoption de mesures temporaires spéciales ne l’ont pas été.  « En effet, nous n’avons pas encore adopté de loi définissant l’égalité entre les hommes et les femmes, mais ce retard s’explique par le temps pris par la réforme parlementaire en cours.  De même, un projet de loi sur les mesures temporaires spéciales est en cours d’examen », a dit le représentant, en expliquant que les normes de la Convention sont cependant intégrées aux lois nationales.  La Convention a une priorité sur toutes les lois nationales, a-t-il indiqué.  La violence domestique constitue en effet un problème important, a ensuite reconnu la délégation ouzbèke, en ajoutant que le moment était venu d’accorder davantage d’attention aux hommes qui sont coupables des violations des droits de la femme.  « Notre loi sur les privilèges spéciaux accordés aux femmes fait partie de mesures temporaires spéciales », a encore précisé le représentant en répondant aux questions posées par les experts sur la mise en œuvre de l’article 4 de la Convention.


Mme BOKPE, experte du Bénin, s’est inquiétée des discriminations persistantes.  Elles font penser que les règles coutumières s’imposent par rapport à la loi, a-t-elle relevé.  Mme DORCAS COKER-APPIAH, experte du Ghana, a également relevé la persistance d’une idéologie patriarcale qui se trouve renforcée par les institutions religieuses et les règles régissant le mariage.  Elle a également mis en garde le Gouvernement ouzbèke contre le renforcement des stéréotypes, au vu de la politique gouvernementale qui glorifie le seul rôle reproducteur de la femme.  Par ailleurs, il semble que l’existence de la polygamie s’aggrave même si elle est interdite par la loi.  Mme FRANÇOISE GASPARD, experte de la France, a fait part de sa surprise de voir que le rapport national est présenté par le Directeur du Centre national pour les droits humains.  Elle a demandé si ce rapport émanait du centre ou du Gouvernement.  Se félicitant elle aussi que l’Ouzbékistan ait tenu compte des recommandations du Comité, elle a rappelé que lors de sa dernière session consacrée à l’Ouzbékistan, le Comité s’était inquiété fortement de la persistance des stéréotypes.  Mais le rapport actuel ne donne que très peu d’informations sur les moyens pris pour éliminer cette problématique.  Mme Gaspard a relevé que les mesures prises en Ouzbékistan pour renforcer la place des femmes au sein de la famille ne feront que les cantonner dans un rôle traditionnel.  Mme GLENDA SIMMS, experte de la Jamaïque, a fait part de son impression à la lecture du rapport, selon laquelle les femmes sont les garantes de la moralité, ce qui est une attitude stéréotypée. 


Mme ANAMATA TAN, experte de Singapour, a relevé pour sa part qu’une coopération avait été mise en place avec les États-Unis pour former les juges ouzbèkes à la violence basée sur les discriminations sexuelles.  Qu’en est-t-il de cette coopération à l’heure actuelle?  L’experte de la Jamaïque a relevé que l’Ouzbékistan est un pays d’origine, de transit et de destination pour les victimes de la traite.  Celles-ci sont confrontées à un double problème, celui de la prostitution, et celui, moral, qui veut que la société les rejette car elle les considère comme inférieures.  Mme ZOU XIAOQIAO, experte de la Chine, a elle, relevé que le Code pénal ne comprend pas de sanction à l’encontre de la violence domestique. 


Répondant à cette série de remarques, la délégation de l’Ouzbékistan a estimé que dans les pays orientaux, une telle opposition entre la place des femmes dans la société, et celle des femmes dans la famille n’a pas lieu d’être.  La femme a une fonction extrêmement sociale, qui est d’élever ses enfants.  Elle n’est pas prise en otage par sa famille, mais elle est mère, et membre actif de la société.  Il s’agit avant tout d’un mode de vie.  Les mariages homosexuels sont complètement incompréhensibles, en ce qui les concerne, au vu de l’Islam, a dit le représentant.  « Nous nous opposons à toutes les formes de fondamentalisme démocratique, et nous opposons à ce que l’Occident nous impose sa conception des droits de l’homme » a ajouté le représentant.  « Nous avons notre propre entendement socio-historique du rôle et de la place de la femme.  Par ailleurs, la polygamie est interdite par la loi, et au cours de l’année écoulée, 22 cas étaient examinés à cet égard dans un cadre pénal », a précisé le représentant ouzbèke.  Le Centre des droits humains, a encore précisé la délégation, est un organe consultatif indépendant qui a des relations de partenariat ave le Gouvernement.  La délégation a par ailleurs expliqué qu’un travail individuel prophylactique était mené auprès des 2000 prostituées recensées en Ouzbékistan.


Mme Saiga a indiqué, en abordant la question du « fondamentalisme démocratique occidental » évoquée par la délégation, que les valeurs prônées par le Comité étaient universelles car sanctionnées par des textes internationaux.  S’agissant de la participation des femmes à la vie politique et publique, l’experte du Japon a relevé que 16 sénateurs étaient nommés par le Président en se demandant combien d’entre eux étaient des femmes.  Un quota de 30% de femmes imposé aux partis politiques ne signifie pas que 30% de femmes seront élues, d’où l’importance du placement des femmes sur les listes électorales, a-t-elle aussi indiqué.


Le quota de 30% a permis de doubler le nombre de femmes députées, a indiqué la délégation.  Par ailleurs, sur les 16 sénateurs nommés par le Président, 4 sont des femmes, donc 25% de ce total.  Dans les deux chambres du Parlement ouzbèke, les femmes sont représentées à raison de 17% en moyenne. 


L’experte de la Chine, a félicité l’État partie pour ses réalisations en matière d’éducation, le taux de scolarisation des garçons étant de 80% et celui des filles de 78%, tout en relevant que les filles se dirigent vers des domaines traditionnels comme la santé, où les femmes occupent 72% des emplois.  Par ailleurs les écarts de salaires entre hommes et femmes sont de l’ordre de 40%.  Il faut donc chercher à modifier l’attitude des jeunes et des enseignants.  L’experte de l’Allemagne a elle aussi constaté une ségrégation sur le marché du travail et a souhaité disposer de plus d’informations sur la situation des femmes des milieux ruraux.  Le prochain rapport doit y consacrer un chapitre plus détaillé, a-t-elle souhaité.


La délégation ouzbèke a assuré que le secteur de l’enseignement connaissait un vaste mouvement de réforme avec l’aide de la Banque asiatique de développement, que de nouveaux outils pédagogiques étaient adoptés.  À l’heure actuelle, sur les 6,5 millions d’étudiants, 48,4% sont des filles contre 37,8% en 2001.  Ceci a été rendu possible grâce, entre autres, à l’instauration d’un prix national pour récompenser les plus talentueuses.  Nous déployons de grands efforts pour dispenser un enseignement aux technologies de l’information et des communications aux filles. 


En matière de santé, les experts ont posé des questions sur l’incidence du VIH/Sida.  L’experte du Ghana a fait remarquer que bien que la polygamie soit interdite, elle devient de plus en plus répandue, d’où le risque de propagation accrue du sida pour les femmes ouzbèkes qui ne maîtriseraient pas leur vie sexuelle.  


Répondant aux questions relatives à la santé des femmes, la délégation de l’Ouzbékistan a indiqué que le système de santé connaît également un grand mouvement de réforme qui vise en priorité la santé de la mère et de l’enfant, 48% des femmes étant en âge de procréer.  Des dispensaires sont présents dans chaque localité en milieu rural, soit 2 700 dispensaires.  Au sujet du VIH/Sida, nous reconnaissons que nous avons mis du temps à nous rendre compte de la gravité de la situation après la mise en place de centres de dépistage anonymes dans les centres urbains.  Nous disposons maintenant d’un programme stratégique de lutte contre la transmission du VIH/Sida, qui est mis en œuvre par le biais de centres de prévention contre le VIH/Sida.  L’éducation sexuelle se fait davantage auprès des jeunes filles que des jeunes garçons.  Les jeunes mariés suivent également des cours sur une « famille saine », et des moyens de contraception sont fournis gratuitement avec l’aide du FNUAP et de l’OMS.  Le nombre d’avortements a diminué considérablement.


Mme BOKPE, experte du Bénin, a relevé que la polygamie persiste en raison de la permissivité du Code pénal.  Selon le Code pénal en effet, il n’y a infraction que dans la mesure où il y a cohabitation sous le même toit, ce qui signifie que le mariage en lui-même est impuni.  Il s’agit d’une complaisance de la loi, a-t-elle estimé.  Est-ce que les 22 cas de polygamie enregistrés pour le premier trimestre de 2006 ont fait l’objet de poursuites pénales?  Est-ce que la juridiction pénale de l’Ouzbékistan peut s’autosaisir de cas de polygamie dénoncés?  Il existe par ailleurs une discrimination pour ce qui est de l’âge minimal du mariage, qui est de 17 ans pour les filles, et de 18 ans pour les garçons.  Dans des cas exceptionnels, cet âge limite peut être encore abaissé.  L’experte de la France a relevé avec intérêt que l’État est sur le point de relever l’âge minimum du mariage tout en demandant si le projet de loi en cours d’examen contient une clause permettant d’accorder une dispense.  Au sujet du relativisme culturel mentionné ce matin par la délégation ouzbèke, l’experte a suggéré fortement à l’État partie de diffuser une information aux filles sur ce qui touche à leurs droits et leur protection.


Ladélégation a assuré le Comité de sa détermination à élaborer un plan d’action national sur la base des recommandations que leur feront les experts et à poursuivre ce dialogue constructif, qui constituera un guide pour les activités futures.


La délégation de l’Ouzbékistan était composée de M. Akmal Saidov, Président du Centre national des droits de l’homme; M. Alisher Vohidov, Représentant auprès des Nations Unies; Mme Tanzila Norboeva, experte auprès du Cabinet du Gouvernement; et M. Farhod Arziev, de la Mission ouzbèke auprès de l’ONU.


* Le rapport unique de l’Ouzbékistan, valant 2ème et 3ème rapports périodiques, a été publié sous la cote CEDAW/C/UZB/2-3


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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