CS/8428

LE CONSEIL ENTEND UN EXPOSÉ SUR LA SITUATION EN AFGHANISTAN MARQUÉE PAR DE GRAVES PROBLÈMES LIÉS À LA SÉCURITÉ

24/06/2005
Communiqué de presse
CS/8428


Conseil de sécurité

5215e séance – matin


LE CONSEIL ENTEND UN EXPOSÉ SUR LA SITUATION EN AFGHANISTAN MARQUÉE PAR DE GRAVES PROBLÈMES LIÉS À LA SÉCURITÉ


L’insuffisance des mécanismes de contrôle et de justice fait obstacle à la lutte contre la corruption et le trafic de drogue, souligne le Directeur exécutif de la drogue et du crime


« La légitimité des institutions élues sera de courte durée si la question de l’insécurité n’est pas réglée », a prévenu ce matin M. Jean Arnault,  Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), à l’occasion de son exposé devant le Conseil de sécurité sur les faits nouveaux survenus depuis mars 2005 en Afghanistan.  


Le Chef de la MANUA a souligné la nécessité d’un effort exceptionnel de la part des Gouvernements de l’Afghanistan, du Pakistan et de la communauté internationale pour appuyer la transition politique sur le point de s’achever avec les élections parlementaires de septembre, près d’un an après les élections présidentielles du 9 octobre 2004.  Une violence qui, selon lui, n’était pas seulement une cause de souffrance injustifiable pour un pays sortant de 30 années de conflit permanent, mais sapait aussi les efforts de reconstruction dans les régions les plus affectées, notamment dans le sud et les régions frontalières avec le Pakistan. 


Illustrant cette évolution négative de l’insécurité, M. Arnault a notamment cité l’assassinat à Kandahar de 40 personnes dans une mosquée, le meurtre de 11 employés afghans de la société Chemonics et de leurs parents dans les provinces de Zabul et Helmand, le meurtre de cinq démineurs employés par les Nations Unies dans la province de Farah, la décapitation d’un dirigeant religieux dans sa madrasa de la province de Paktika, ou encore l’exécution par les Taliban d’au moins quatre policiers afghans dans la province de Kandahar, alors qu’un employé électoral a été tué le 2 juin. 


En réponse à ces menaces et tentatives de déstabilisation, il a souligné la nécessité de s’attaquer aux sources de financement des éléments fondamentalistes, aux sanctuaires où l’entraînement a lieu et aux réseaux qui les soutiennent en invitant le Conseil de sécurité à appuyer le renforcement de la coopération antiterroriste.  Rappelant que cette violence n’était pas le seul fait d’extrémistes, il a indiqué que la drogue, les rivalités locales, la corruption et la criminalité ordinaire étaient autant de problèmes dont la solution résidait dans le renforcement de la police et de l’administration locale.


S’agissant du processus électoral en cours, M. Arnault a précisé que l’enregistrement des candidats qui s’est déroulé du 4 au 26 mai 2005, avait permis l’inscription de 6 000 candidats pour pourvoir les 249 sièges de la chambre basse et les 420 sièges des 34 assemblées provinciales.  Il a précisé que grâce à une collaboration des ministères afghans concernés et des organismes des Nations Unies, la Commission des plaintes électorales a pu identifier 254 candidats, soit 4%, soupçonnés de liens avec des groupes armés.  Conformément à la loi électorale, ces candidats ont jusqu’au 7 juillet pour désarmer ou prouver qu’ils n’ont pas de lien avec des groupes armés, sous peine d’être disqualifiés.  Se félicitant des progrès réalisés dans le domaine du désarmement, M. Arnault a indiqué que 60 000 anciens officiers ou soldats avaient été démobilisés et 9 000 armes lourdes et des millions de tonnes de munitions récupérées, tout en estimant que les groupes armés illégaux rassembleraient encore 180 000 personnes en Afghanistan.   


Le Directeur exécutif de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, M. Antonio Maria Costa, qui avait également pris part à cette séance du Conseil, a indiqué que la culture de l’opium allait décliner en 2005 du fait de l’impact de la campagne gouvernementale mais aussi de l’influence religieuse.  Rappelant que les trafiquants et les insurgés afghans contrôlaient des organisations quasi-militaires, il a souhaité une réponse qui soit à la hauteur du défi.  À titre d’illustration, il a salué l’intervention des Forces spéciales de lutte contre les stupéfiants sur le marché de la drogue de la région Helmand’s Garmser, à la frontière pakistanaise, qui a été bien accueillie par la population locale.  Par ailleurs, il a mis l’accent sur l’insuffisance du système judiciaire en Afghanistan et la fragilité des institutions, faisant référence à la corruption et à l’intimidation qui sapent les efforts en cours. 


LA SITUATION EN AFGHANISTAN


Exposés


Présentant les faits nouveaux survenus en Afghanistan depuis le mois de mars 2005, M. JEAN ARNAULT, Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), a souligné l’évolution négative de la situation en matière de sécurité.  Malgré la tenue des élections, a-t-il précisé, le pays est confronté à une escalade tant par le nombre que par la gravité des incidents qui affectent plusieurs provinces du pays.  À titre d’exemple, il a cité l’assassinat à Kandahar d’un dirigeant religieux modéré suivi du massacre commis dans la mosquée où se déroulait son service funèbre, qui a causé plus de 40 morts et des dizaines de blessés.  Il a mentionné le meurtre de 11 employés afghans de la société Chemonics et de leurs parents dans les provinces de Zabul et Helmand et le meurtre de cinq démineurs employés par les Nations Unies dans la province de Farah, la décapitation d’un dirigeant religieux dans sa madrasa de la province de Paktika, et l’exécution par les Taliban après un simulacre de procès d’au moins quatre policiers afghans dans la province de Kandahar.  La situation est particulièrement inquiétante dans les provinces du Sud et dans d’autres provinces des régions pashtounes frontalières avec le Pakistan. 


Cette violence, a précisé M. Arnault, n’est pas seulement une cause de souffrance injustifiable pour un pays qui sortait de 30 années de conflit permanent, mais elle sape également les efforts de reconstruction dans les régions les plus affectées.  Ainsi, dans les provinces du Sud et de l’Est, les organismes des Nations Unies sont à nouveau contraints à un profil très bas.  La société Chemonics a suspendu ses projets économiques depuis le 1er juin et la société japonaise de construction routière opérant à Kandahar a retiré son personnel, il y a deux mois interrompant de fait les travaux.  Il a attiré l’attention  sur la menace que ferait peser l’aggravation de l’insécurité sur le processus électoral en cours.  Un employé électoral a été tué le 2 juin et une attaque contre un convoi électoral, il y a trois jours, a fait un mort et trois blessés.  D’ores et déjà, la plupart de ceux qui ont fait acte de candidature dans la province de Zabul se sont réfugiés dans le chef-lieu de la province. 


Le Représentant spécial a souligné que toute la violence n’était pas le seul fait d’attaques d’éléments extrémistes.  La drogue, les rivalités locales, la corruption, et la criminalité ordinaire sont autant de problèmes dont la solution réside dans le renforcement de la police et une meilleure qualité de l’administration locale, elle-même souvent facteur d’instabilité.  Néanmoins, il s’est inquiété de l’offensive actuellement menée par les groupes extrémistes, y compris les Taliban, avec des financements accrus, des armements plus performants, et des moyens de propagande radio plus puissants.  Nous avons besoin aujourd’hui, d’un effort exceptionnel de la part des gouvernements de l’Afghanistan, du Pakistan et de la communauté internationale pour appuyer la transition politique qui est sur le point de s’achever avec les élections parlementaires de septembre après les élections présidentielles du 9 octobre 2004.  Il a déclaré que la légitimité des institutions élues sera de courte durée si la question de l’insécurité n’est pas réglée.  À titre d’illustration, il a rappelé que l’insécurité de 1992 à 1994 avait fait « le lit des Taliban » et que leurs chefs faisaient aujourd’hui le même pari de l’insécurité.  Pour faire face à cette menace et à ces tentatives de déstabilisation, il a souligné la nécessité de s’attaquer aux sources de financement des éléments fondamentalistes, aux sanctuaires où l’entraînement a lieu et aux réseaux qui les soutiennent en invitant le Conseil de sécurité à appuyer le renforcement de la coopération antiterroriste. 


En ce qui concerne la structure électorale, M. Arnault a indiqué que les services électoraux -pleinement efficaces dans la capitale, dans huit centres régionaux et 34 capitales provinciales- employaient 350 personnels internationaux et 8 000 locaux, des effectifs qui atteindront 500 employés internationaux et 200 000 Afghans le jour de l’élection.  En outre, il s’est félicité de la création de la Commission indépendante des plaintes électorales composée de cinq membres et appuyée par un secrétariat de 15 employés.  Il a précisé que l’enregistrement des candidatures pour les élections du parlement s’est déroulé du 4 au 26 mai 2005.  Un processus qui a permis la présentation de 6 000 candidats pour les 249 sièges à pourvoir dans la chambre basse et les 420 sièges des 34 assemblées provinciales.  Il s’est félicité que 12% des candidats étaient des femmes, ce qui montre que le quota des femmes sera atteint.  Il a également noté que seulement 12% des candidats étaient affiliés à un des 72 partis inscrits, une situation due à une perception négative du monde politique. 


Enfin, le Représentant spécial a noté que 4% des candidats étaient considérés comme ayant des liens avec des groupes armés.  Une évaluation à l’échelle du pays a montré qu’il y a eu des cas d’intimidations et violations des droits politiques, mais surtout que les personnes liées aux groupes armés étaient déterminées à utiliser la violence pour être élus.  Il a souhaité la stricte application de la loi électorale qui prévoit la disqualification de tout candidat qui appartient à un groupe armé.  Après avoir consulté les ministères de la justice et de la défense, la Direction de la sécurité nationale, les forces internationales, la MANUA et les services des Nations Unies chargés du désarmement, la Commission des plaintes électorales a pu identifier 254 candidats soupçonnés d’avoir des liens avec des groupes armés.  Ils ont jusqu’au 7 juillet pour désarmer ou prouver qu’ils n’ont pas de lien avec des groupes armés.  Après avoir souligné l’importance d’améliorer le climat général au moment du scrutin, il a précisé que la prochaine étape consistait en la mise à jour du registre électoral, un processus débutant demain et qui se poursuivra jusqu’au 21 juillet.  Abordant la question du financement du processus électoral, il s’est inquiété d’un manque à recevoir de 78,8 millions de dollars, même si le PNUD s’attend à des contributions importantes de 34 millions, qui ramèneront les besoins à 44 millions. 


Dans le domaine du désarmement, le Représentant spécial a indiqué que le processus de désarmement des unités militaires devait s’achever le 30 juin conformément au calendrier arrêté par la conférence de Berlin l’année dernière.  Il a indiqué que 60 000 officiers ou soldats avaient été démobilisés et que 49 000 avaient rejoint des programmes de réintégration dans l’agriculture, la formation ou des petites entreprises.  Neuf mille armes lourdes et des millions de tonnes de munitions récoltées ce qui représente un véritable succès pour le Gouvernement afghan.  Concernant les efforts visant à améliorer la sécurité dans le contexte des futures élections parlementaires, M. Arnault a indiqué le démantèlement des groupes armés illégaux (DIAG) -soit plus de 180 000 hommes à travers le pays– sera une priorité.  Il a mentionné trois points supplémentaires présentant selon lui un intérêt pour le Conseil.  Tout d’abord le programme de consolidation de la paix qui vise la réintégration de membres du Taliban et de Hezb-Islami qui ont renoncé à la violence.  Ensuite, il a souligné la nécessité de répondre aux besoins des victimes du conflit par le biais d’un plan établi grâce à une collaboration entre la Commission afghane des droits de l’homme et la MANUA.  Enfin, dans le contexte postélectoral, il a insisté sur les efforts visant la réforme des institutions, associée à l’application d’une stratégie cohérente de développement économique et la poursuite de la lutte contre les stupéfiants.


Tout en notant que l’achèvement du processus de Bonn semblait en vue, il s’est demandé si la transition politique était en avance sur l’édification de l’État, qui restait fragile, et sur la reconstruction économique, qui reste fragmentaire et affaiblie par le trafic de la drogue.  Le Gouvernement et le nouveau parlement, a-t-il conclu, devront redoubler d’efforts pour rattraper ces retards avant d’être rattrapés eux-mêmes par la déception du peuple afghan à l’égard de l’expérience démocratique.  Il a estimé que ces circonstances seront surmontables à condition du rétablissement de conditions minimum de sécurité.  Car force est de constater qu’après trois années d’efforts, les capacités de nuisance et de blocage de certains extrémistes n’ont pas été réduites dans certaines régions.


M. ANTONIO MARIA COSTA, Directeur exécutif de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, s’est déclaré profondément préoccupé par les problèmes de la drogue et de la criminalité, qui constituent de véritables menaces à la stabilité et au développement de l’Afghanistan.  Il a exposé les résultats d’une évaluation selon laquelle la culture de l’opium va décliner en 2005.  L’étendue de la zone cultivée restera cependant immense, a-t-il noté.  Pour expliquer le déclin espéré, il a cité non seulement la campagne d’éradication menée par le Gouvernement afghan avec l’aide de la communauté internationale, mais aussi la retenue des producteurs.  Cette tendance positive est tempérée par l’irrégularité sur le territoire afghan de la diminution des cultures et par les conditions climatiques qui ont favorisé au printemps la productivité dans les champs.


L’attitude que l’on note cette année chez les producteurs d’opium résulte de l’impact de la campagne gouvernementale mais également de l’influence religieuse, a poursuivi M. Costa.  Pour renforcer sa crédibilité, le Gouvernement afghan doit trouver une source alternative de revenu pour les fermiers, la pauvreté étant toujours écrasante dans les villages.  L’aide au développement en Afghanistan doit tendre aujourd’hui à remédier à cette pauvreté et à assurer la survie du premier gouvernement élu de façon démocratique dans l’histoire du pays.


M. Costa a aussi rappelé que les trafiquants et les insurgés en Afghanistan contrôlent des organisations quasi-militaires.  C’est pourquoi, il faut pouvoir répliquer avec une force équivalente, a-t-il estimé.  Pour illustrer ses propos, il a cité l’intervention des Forces spéciales de lutte contre les stupéfiants sur le marché de la drogue établi dans la région Helmand’s Garmser, située à la frontière pakistanaise, qui a été bien accueillie par la population locale.  Il a aussi salué l’aide apportée dans le domaine de la lutte contre la drogue par le Royaume-Uni.


Enfin, M. Costa a souligné l’insuffisance du système judiciaire en Afghanistan et la fragilité des institutions, faisant référence à la corruption et à l’intimidation qui sapent les efforts en cours.  Les bases d’une administration de la justice crédible ont été jetées, mais les ressources générées par le trafic de drogue sont constamment utilisées pour faire obstacle à la justice.  Il est donc impossible de s’opposer à l’industrie de la drogue quand les enquêtes, les poursuites judiciaires et les systèmes de détention sont affaiblis, voire inexistants.  À cet égard, il a salué l’aide apportée par l’Allemagne et l’Italie et a invité les autres États Membres à fournir une assistance dans cette lutte contre la corruption.  Pour conclure, M. Costa a souhaité que les efforts de contrôle des drogues en Afghanistan soient corroborés avec ceux tendant à réduire la pauvreté dans les campagnes et à restaurer la justice dans tout le pays.


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