SG/SM/9637-HR/4802-PI/1627

DISCOURS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL AU SÉMINAIRE DU DÉPARTEMENT DE L’INFORMATION « CONFRONTER L’ISLAMOPHOBIE: ÉDUCATION POUR LA TOLÉRANCE ET LA COMPRÉHENSION D’AUTRUI »

07/12/2004
Communiqué de presse
SG/SM/9637
HR/4802
PI/1627


DISCOURS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL AU SÉMINAIRE DU DÉPARTEMENT DE L’INFORMATION « CONFRONTER L’ISLAMOPHOBIE: ÉDUCATION POUR LA TOLÉRANCE ET LA COMPRÉHENSION D’AUTRUI  »


On trouvera ci-après le texte du message du Secrétaire général prononcé au Séminaire organisé par le Département de l’information, « Confronter l’islamophobie: Éducation pour la tolérance et la compréhension d’autrui », à New York, le 7 décembre 2004:


C’est pour moi un plaisir que de vous accueillir à l’ONU pour le deuxième de nos séminaires sur le thème « Désapprendre l’intolérance ». Je dois remercier le professeur Nasr, l’un des grands spécialistes mondiaux de l’Islam, d’avoir accepté d’être parmi nous aujourd’hui et remercier aussi les autres invités d’avoir bien voulu participer à ces entretiens.


Lorsqu’un nouveau mot entre dans la langue, c’est souvent à la suite d’une innovation scientifique ou d’une fantaisie de la mode. Mais lorsque l’on est obligé de forger un néologisme pour décrire la généralisation constante d’un préjugé, c’est d’une bien troublante, d’une bien attristante évolution qu’il s’agit de rendre compte. C’est ce qui se passe avec l’islamophobie.


Le mot est apparu semble-t-il à la fin des années 80 et au début des années 90, mais le phénomène lui-même existait depuis des siècles. Le poids de l’histoire et les répercussions des événements récents font qu’aujourd’hui beaucoup de musulmans se sentent blessés et incompris, qu’ils s’inquiètent de voir rogner leurs droits et qu’ils craignent même pour leur personne. C’est pourquoi le titre de notre séminaire me paraît si opportun: il y a bien des choses à désapprendre.


Il faut d’abord désapprendre les stéréotypes qui se sont profondément gravés dans les esprits et aussi dans les médias.


L’Islam est souvent perçu comme une tradition monolithique alors qu’elle est aussi variée que les autres et que ses fidèles représentent toutes les nuances qui vont du modernisme au traditionalisme. Certains commentateurs s’expriment comme si le monde musulman était la même chose ou presque que le monde arabe alors qu’en fait la plupart des musulmans ne sont pas de langue arabe. Les pays musulmans les plus peuplés se trouvent dans l’Asie non arabe, de l’Indonésie à la Turquie, qui évidemment est à la fois en Asie et en Europe, en passant par l’Asie du Sud et du Sud-Est, l’Asie centrale et l’Iran. Il y a aussi beaucoup de pays à prédominance musulmane en Afrique au sud du Sahara et tous les continents comptent de fortes minorités de musulmans.


Les principes de l’Islam sont présentés déformés, en dehors de leur contexte, certaines pratiques sont isolées comme si elles représentaient ou exprimaient à elles seules une religion pourtant riche et complexe. On entend dire que l’Islam est incompatible avec la démocratie, qu’il est à tout jamais hostile à la modernité et aux droits de la femme. Il y a trop de milieux où on laisse passer sans les relever des remarques désobligeantes à l’égard des musulmans, et le préjugé finit ainsi par acquérir un semblant d’honorabilité.


Selon les stéréotypes, les musulmans seraient en opposition avec les Occidentaux, alors que les uns et les autres partagent une histoire faite non seulement de conflits mais aussi d’échanges et de coopération, et que leurs arts et leurs sciences se sont mutuellement fécondés et enrichis. La civilisation européenne n’aurait pas progressé comme elle l’a fait si les penseurs de la chrétienté n’avaient pas eu le profit des connaissances et de la littérature islamiques du Moyen Âge et des époques suivantes.


Il faut aussi désapprendre la xénophobie.


La peur de « l’autre », de « l’étranger », est si générale et si profondément violente que l’on peut être tenté d’y voir un trait inné de l’espèce humaine. Mais le préjugé n’est pas inscrit dans les gènes. Parfois, la haine s’apprend. Parfois, on y est amené par les manipulations de dirigeants qui exploitent la peur, l’ignorance et le sentiment d’infériorité.


Vivre aux côtés de quelqu’un de culture et de croyance différentes présente des difficultés réelles, surtout dans un monde où la concurrence économique est intense et où il y a eu des mouvements d’immigration massive, comme ont pu en connaître les deux dernières générations d’Européens. Mais cela ne justifie pas la diabolisation, ni l’exploitation délibérée de la peur à des fins politiques, qui ne font qu’accélérer la spirale du soupçon et de l’aliénation.


Désapprendre l’intolérance est en partie un problème juridique. La liberté de religion et le droit d’être protégé de la discrimination à motif religieux sont depuis longtemps consacrés par le droit international, de la Charte des Nations Unies à la Déclaration universelle des droits de l’homme, en passant par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, pour ne citer que ceux-là. Ils ont été intégrés dans la législation de beaucoup de pays. Les rapporteurs spéciaux des Nations Unies continuent d’en contrôler le respect et d’en surveiller les violations, et de recommander les moyens de lutter contre l’islamophobie et les autres formes du racisme et de l’intolérance.


Mais les lois et les normes ne sont qu’un point de départ.


La lutte contre l’islamophobie doit suivre une stratégie qui s’appuie largement sur l’éducation, sur l’ouverture des esprits à l’Islam et à toutes les autres religions et traditions, afin que les mythes et les mensonges soient perçus pour ce qu’ils sont.


Nous devons empêcher les médias et l’Internet de servir à répandre la haine, sans sacrifier évidemment la liberté d’opinion et d’expression.


Il est aussi indispensable qu’il y ait un engagement exemplaire des instances dirigeantes et que les autorités publiques non seulement condamnent l’islamophobie mais veillent aussi à ce que les promesses de non-discrimination se réalisent dans l’application des lois et les pratiques sociales.


Dans beaucoup de pays de tradition chrétienne, la présence de communautés musulmanes nombreuses est un phénomène relativement nouveau. Or, l’intégration se fait dans les deux sens. L’immigrant doit s’adapter à sa nouvelle société, et celle-ci doit aussi savoir changer. Celui qui accueille et celui qui arrive doivent comprendre chacun les attentes et les responsabilités de l’autre. Ils doivent savoir s’il le faut agir ensemble face aux dangers communs, celui de l’extrémisme par exemple.


Le dialogue entre les confessions n’est pas inutile. Mais ce n’est pas dans les ressemblances qu’il y a entre les religions, qui sont l’ordinaire de ce dialogue, que les problèmes prennent naissance. Les problèmes proviennent d’une ressemblance d’un autre ordre, cette propension qu’a l’être humain à favoriser aux dépens des autres son propre groupe, sa propre croyance et sa propre culture. Les activités interconfessionnelles devraient s’engager sur un terrain plus pratique et se développer en s’inspirant de ces milieux formés de gens d’origine différente qui se rencontrent régulièrement, dans des associations professionnelles, ou sur les stades, ou dans quelque autre pratique sociale. Ces contacts quotidiens sont moins artificiels que les instances du dialogue institutionnalisé et peuvent être particulièrement efficaces pour démystifier « l’autre », « l’étranger ».


On ne peut parler honnêtement d’islamophobie sans évoquer aussi son contexte politique. L’histoire qu’ont vécue les musulmans comprend, directement ou indirectement, le colonialisme et la domination de l’Occident. Ils trouvent de nouveaux motifs de ressentiment dans le conflit non réglé du Moyen-Orient, la situation en Tchétchénie et les atrocités qu’ont subies les musulmans dans l’ex-Yougoslavie. De tels épisodes peuvent susciter une réaction viscérale, presque un sentiment d’injure personnelle. Mais rappelons-nous que ce sont là des réactions politiques, c’est-à-dire la contestation de politiques particulières. On y voit trop souvent une réaction de l’Islam contre les valeurs occidentales, qui déclenche à son tour une contre-réaction anti-islamique.


La lutte contre l’islamophobie doit aussi faire un sort à la question du terrorisme et de la violence qui prétendent agir au nom de l’Islam. L’Islam ne peut être jugé aux agissements d’extrémistes qui s’en prennent sciemment à la vie de civils. Il est injuste que quelques-uns déshonorent tous les autres. Nous devons tous condamner ceux qui commettent des actes aussi indéfendables sur le plan moral et qu’aucune cause ne peut légitimer. Surtout, les musulmans eux-mêmes doivent se faire entendre comme ils ont été nombreux à le faire après les attentats du 11 septembre contre les États-Unis, montrer qu’ils tiennent ceux qui prônent ou pratiquent la violence pour des réprouvés et protester hautement qu’un tel détournement des leçons de l’Islam est inacceptable. Oui, il faut que les solutions viennent de l’Islam lui-même, peut-être selon la tradition islamique du « ijtihad » c’est-à-dire de l’interprétation libre. Ce questionnement libre, cette interrogation ouverte sur ce que leur culture et celles des autres ont de bon et de moins bon, ouvrent peut-être la voie par laquelle on pourra attaquer cette problématique et d’autres domaines encore.


L’islamophobie est à la fois une question profondément personnelle pour les musulmans, un sujet d’une grande importance pour tous ceux que préoccupe le respect des valeurs universelles et un problème qui touche à l’harmonie et à la paix internationales. Nous ne devons pas sous-estimer l’amertume et le sentiment d’injustice que ressentent les représentants de l’une des religions, l’une des cultures, l’une des civilisations les plus importantes du monde. Nous devons attacher la plus grande urgence à la restauration de la confiance entre les peuples de foi et de culture différentes. Sinon, la discrimination continuera de corrompre de nombreux esprits innocents et la défiance nous empêchera peut-être de réaliser les ambitions de notre programme international de paix, de sécurité et de développement.


Nous n’avons qu’une planète pour vivre. Nous devons nous comprendre et nous respecter, vivre en paix les uns aux côtés des autres et illustrer ce que nos traditions respectives nous offrent de meilleur. Ce n’est pas aussi simple que nous le voudrions? Raison de plus pour nous y employer avec plus d’ardeur, y mettre tous nos moyens, et y engager tout notre coeur.


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