Chronique ONU

L’élimination de la discrimination raciale

Les défis de la prévention et l’application de l’interdiction

Par Alex Otieno

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L'article

“Selon la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD), « les États parties s’engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toute ses formes et à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique », notamment dans la jouissance des droits politiques, civiques, économiques, sociaux et culturels. Les États parties doivent aussi assurer une protection et une voie de recours effectives contre tous leas actes de discrimination raciale.

Le préambule de la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 proclament la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale. Le système de l’ONU et ses institutions spécialisées ont interdit la discrimination par l’adoption de conventions et de déclarations, et ont diffusé des informations spécifiques à ce sujet et proposé des solutions. Toutefois, malgré ces efforts, de nombreuses personnes et de nombreux groupes faisant partie de minorités continuent de faire l’objet de diverses formes de discrimination, en particulier dans les pays qui ont une majorité dominante ou qui ont connu le colonialisme ou l’occupation. Alors que nous nous préparons à célébrer les anniversaires de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’adoption de la Convention internationale par l’Assemblée générale, les directives de l’ONU sur la prévention et l’interdiction de la discrimination raciale demeurent un défi majeur. Les droits de l’homme continuent d’être violés par des politiques de discrimination persistantes.

La manifestation de la discrimination raciale varie selon les contextes. Dans des pays comme les États-Unis, qui ont promulgué des lois de prévention, les changements des normes sociales ont amené certains commentateurs à parler de « racisme sans discrimination basée sur la couleur »1 et de « politique de laisser-faire dans le domaine du racisme »2 pour exprimer les défis de la prévention de la discrimination raciale et de l’application des lois. La discrimination raciale se manifeste aussi dans des pratiques généralement considérées comme appartenant au passé, tel l’esclavage fondé sur la race, comme dans le cas de l’asservissement des personnes de peau foncée qui continue de nos jours en Mauritanie3, des crimes contre l’humanité ou, comme l’affirment certains, le génocide perpétré dans la région du Darfour au Soudan.

Les institutions de l’ONU, comme le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), ont joué un rôle essentiel dans l’organisation et la mobilisation de l’éducation et de l’information relatives à la protection des droits de l’homme pour tous. Le rôle du HCDH dans la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, qui s’est tenue en 2001 à Durban, en Afrique du Sud, est un exemple où les discours et la participation de milliers d’organisations non gouvernementales, de groupes de jeunes et de leurs réseaux ont eu un impact sur des millions de personnes. La contribution de l’UNESCO dans la formulation de déclarations et de conventions, comme la Déclaration sur les principes fondamentaux concernant la contribution des organes d’information au renforcement de la paix et de la compréhension internationale, à la promotion des droits de l’homme et à la lutte contre le racisme, l’apartheid et l’incitation à la guerre, adoptée le 22 novembre 1978, révèle le rôle que les Nations Unies ont joué pour assurer le respect de la dignité humaine dans les discours.

Plus spécifiquement, l’article 12 de la Déclaration sur la prévention du génocide, adoptée le 11 mars 2005 par le Comité sur l’élimination de la discrimination raciale,  « invite instamment la communauté internationale à examiner la nécessité de parvenir à une compréhension globale des dimensions du génocide, notamment dans les situations où la mondialisation économique a des conséquences néfastes sur les populations défavorisées, en particulier sur les populations autochtones ». Cet article reconnaît clairement la complexité des facteurs facilitant les pratiques discriminatoires qui mènent au génocide. Il convient de noter que, tandis que le génocide n’est pas toujours lié à la discrimination raciale, ces deux phénomènes sont souvent liés, comme l’a montré le Rapport 2005 de la Commission internationale d’enquête sur le Darfour au Secrétaire général4.Selon ce rapport, le génocide est souvent facilité et soutenu par les lois et les pratiques discriminatoires ou par le non-respect du principe d’égalité de chacun, sans distinction de race, de couleur, de descendance ou d’origine nationale ou ethnique. Étant donné que la Convention appelle les États à interdire la discrimination raciale et à promulguer des lois pour protéger les citoyens, il est clair que les actes de génocide peuvent être liés aux violations des droits de l’homme commises par le gouvernement.
Article 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
Par l’artiste brésilien Octavio Roth

Le gouvernement soudanais peut donc être tenu responsable du 1,65 million de personnes déplacées au Darfour et des 200 000 personnes qui ont fui le Darfour pour se réfugier au Tchad, pays voisin, spécialement depuis que la Commission d’enquête a établi que « le gouvernement du Soudan et les janjaweeds sont responsables de violations graves des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et du droit international humanitaire qui, en droit international, constituent des crimes » et que « les forces gouvernementales et les milices ont mené des attaques sans discrimination, notamment le meurtre de civils, des actes de torture, des disparitions forcées, la destruction de villages, le viol et autres formes de violences sexuelles, le pillage, dans tout le Darfour. Ces actes généralisés et systématiques peuvent être considérés comme des crimes contre l’humanité. L’ampleur des destructions et des transferts de populations ont entraîné la perte des moyens de subsistance d’un grand nombre de femmes, d’hommes et d’enfants et compromet leur survie. Aux attaques de grande envergure s’ajoute le fait que de nombreuses personnes ont été arrêtées et mises en détention, et que nombre d’entre elles ont été tenues incommunicado pendant de longues périodes et torturées. Dans leur grande majorité, les victimes de ces violations sont des membres des tribus dites « africaines » du Darfour, notamment les tribus Four, Zaghawa, Massalit, Djebel et Aranga ».

Cela indique le rôle des Nations Unies à établir la nature et l’ampleur du problème au Darfour et sa capacité à démontrer la réalité de la discrimination raciale, révélant qu’il s’agit d’un problème persistant qui nécessite l’attention de la communauté internationale et des groupes de la société civile.

Explorer l’importance de prévenir et d’interdire la discrimination raciale, comme il est mandaté par divers instruments de l’ONU, révèle les défis toujours présents dans la lutte contre la discrimination raciale persistante quatre décennies après l’adoption de la Convention. En utilisant les travaux de deux auteurs, j’illustrerai ici la construction sociale de la race comme moyen de susciter un débat sur la discrimination raciale et d’exposer le racisme comme concept facile. Considérez la formulation « essentialiste » de la race qui considère celle-ci comme « un fait de caractéristiques innées, dont la couleur de peau et les attributs physiques fournissent seulement les traits les plus évidents, et à certains égards, les plus superficiels »5 et est, au moins en partie, la base de l’esclavage en Mauritanie aujourd’hui. À l’opposé, d’autres banalisent les catégories de race, disant que puisqu’elle est une construction sociale, la race disparaîtrait en l’ignorant simplement – cette position ignorant les diverses manières dont la race a profondément structuré la civilisation occidentale depuis les 500 dernières années.

Il est important de considérer la construction sociale de la race à la lumière du travail de B. K. Obach qui présente les réponses des étudiants à un cours sur le racisme6. Il a observé que dans le contexte des États-Unis, « les étudiants considèrent souvent la race comme un fait biologique fondé sur des distinctions scientifiques établies, idées qui sont acceptées par les médias, les politiques gouvernementales et par les individus qui embrassent une identité raciale ». Demander aux étudiants d’avoir une réflexion originale et de considérer l’origine raciale comme étant un fait social est sans aucun doute une tâche énorme, mais qui peut être réalisée avec ténacité et une bonne pédagogie. Obach préconise de reconnaître que « la nature sociale des catégories raciales peut, en partie, être démontrée en examinant les développements historiques où les catégories raciales couramment utilisées ont été établies, ainsi qu’en montrant la manière dont ces catégories et leurs significations ont changé au fil des ans ». Pour illustrer ce point, il s’est appuyé sur les travaux d’Omi & Winnant5, ainsi que ceux de Haney et Lopez7, et a noté la définition des Indiens asiatiques comme exemple typique, observant que « la Cour avait déterminé qu’ils étaient non-Blancs en 1909, Blancs en 1910 et 1913, non-Blancs en 1917, à nouveau Blancs en 1919 et 1920, mais non-Blancs après 1923 ». Ces conceptions attestent du fait que ce sont les relations sociales, plutôt que les attributs innés, qui produisent les idées hiérarchiques sur la race.

On peut faire valoir que l’ONU a considérablement changé ses stratégies de lutte contre la discrimination raciale en adoptant des mesures plus inclusives et plus proactives, « tenant compte du fait que la discrimination, le mépris et l’exclusion systématiques se trouvent souvent à l’origine d’un conflit ». Dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la CERD a noté l’importance de la prise de décision dans le renforcement de la capacité du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale « à détecter et à prévenir le plus tôt possible les manifestations de discrimination raciale qui sont susceptibles d’évoluer vers un conflit violent et vers un génocide ». La Convention vise donc à faire de la prévention un élément crucial de la lutte contre la discrimination raciale et le génocide.
Bien que des actions soient menées au niveau national pour lutter contre la discrimination raciale et l’exclusion, les moyens sont souvent insuffisants pour prévenir les cas de discrimination au sein de la juridiction des États qui ont un piètre bilan en la matière.

Toutefois, l’éducation et la promotion des droits de l’homme utilisées comme stratégie principale des organisations de la société civile, mobilisant l’action et exprimant des inquiétudes concernant la discrimination, peuvent avoir un impact à la fois sur la prévention et l’application des lois. Il est donc important d’enquêter sur les « bonnes pratiques » des processus institutionnels et les modèles raciaux qui ne marginalisent pas davantage les minorités raciales (intentionnellement ou non) en traitant leurs expériences sans tenir compte du rôle que ces minorités doivent jouer dans la communication des cas de violations.

Il est essentiel que la communauté internationale tienne désormais compte de la complexité des politiques raciales et de la manière dont elles alimentent les abus des droits de l’homme, notamment les acte de génocide et les crimes contre l’humanité, comme ceux commis au Darfour et l’esclavage en Mauritanie. S’il est évident que la discrimination raciale a des conséquences évidentes sur les structures d’opportunité, notamment les produits politiques et culturels, la santé, le bien-être et la dignité, les actions concrètes pour lutter contre ces « abus cachés » demeurent insuffisantes.

Pour prévenir la discrimination raciale et demander des comptes aux groupes et aux individus responsables de violations des droits de l’homme, les institutions spécialisées de l’ONU devront faire preuve d’un leadership efficace. Les critiques sur le manque d’action entraînant des violations massives des droits8, comme au Rwanda en 1994, devraient servir à reconnaître la nécessité d’une action rapide. Comme l’a noté le New York Times en mars 2007 à propos du Darfour, « les dirigeants internationaux doivent démontrer qu’ils peuvent être aussi efficaces en action qu’en paroles » afin de sauver des vies et promouvoir la confiance dans le système international.

Notes

  1. E. Bonilla-Silva & T.A. Forman, “I am not a racist but...”: Mapping white college students’ racial ideology in the USA. Discourse & Society 11 (2002): 50-85.

  2. K. Bales, Disposable People: New Slavery in the Global Economy (Berkeley & Los Angeles: University of California Press, 2000).

  3. L. Bobo, J. Kluegel & R. Smith. “Laissez-faire Racism: The Crystallization of a Kinder, Gentler, Antiblack Ideology”,
    Racial Attitudes in the 1990s, ed. S. Tuch and J.K. Martin . (Westport, CT: Praeger Publishers, 1997) 15-42.
  4. K. Bales & J. Reitz, Le racisme, la discrimination raciale et l’intolérance qui y est associée en relation avec les formes contemporaines d’esclavage. (Note d’information préparée par Free the Slaves, Washington D.C., 2003).

  5. Rapport de la Commission internationale d’enquête sur le Darfour au Secrétaire général des Nations Unies. http://www.un.org/News/dh/sudan/com_inq_darfur.pdf
    M. Omi & H. Winant, Racial Formation in the United States: From the 1960s to the 1980s (New York: Routledge, 1994).

  6. B.K. Obach (1999) “Demonstrating the social construction of race”, Teaching Sociology, Vol.27(3), 252-57.

  7. I.F. Haney Lopez, White by Law: The Legal Construction of Race (New York: New York University Press, 1996).

  8. S. Power, “Bystanders to genocide”, The Atlantic Monthly, septembre 2001.
Biographie
Alex Otieno enseigne au Département de sociologie, d’anthropologie et de justice pénale et dans le Programme de maîtrise sur la paix internationale et la résolution des conflits à Arcadia University en Pennsylvanie, aux États-Unis. Ses sujets de recherche sont les discours sur les droits de l’homme, le VIH/sida et la société, ainsi que le rôle des institutions dans le changement social.
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