Chronique ONU

Avant qu’une autre catastrophe ne survienne

L’impact humanitaire du changement climatique

Par Margareta Wahlström

Imprimer
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
L'article

Les enjeux du changement climatique sont si vastes et si importants qu’il serait peut-être judicieux de concentrer notre attention sur les mesures pratiques à prendre pour nous adapter au réchauffement de la planète et en réduire les effets négatifs.

Prenons les mécanismes d’adaptation de deux mammifères : l’ours polaire et l’être humain. Les ours polaires ont évolué au cours de milliers d’années pour d’adapter au climat rude. Or, aujourd’hui, ces animaux magnifiques se retrouvent isolés sur des îlots de glace flottante, luttant pour se maintenir à flot. Ils n’ont pas le temps de s’adapter et pourraient disparaître dans quelques décennies. Et nous ? Combien de temps nous maintiendrons-nous à flot alors que, comme l’annoncent les scientifiques, nous allons connaître une hausse du niveau des mers, des conditions météorologiques extrêmes, des tempêtes, des inondations, des vagues de chaleur et des sécheresses de forte intensité ? Contrairement aux ours polaires, nous pouvons nous adapter rapidement pour nous protéger contre les catastrophes naturelles, y compris contre les nombreux effets du  réchauffement climatique. En utilisant des méthodes peu coûteuses, nous pouvons sauver des vies, des terres et des moyens d’existence. Nous avons le savoir et l’expérience pour trouver des solutions. Ce qu’il faut, c’est la volonté politique de le faire dès maintenant avant qu’une autre catastrophe ne survienne.

Nous n’avons pas de temps à perdre. Au cours des trente dernières années, le nombre de catastrophes — tempêtes, inondations et sécheresse — a été multiplié par trois, indique la Stratégie internationale de prévention des catastrophes de l’ONU (SIPC). En 2006 seulement, 134 millions de personnes ont été exposées à des catastrophes naturelles qui ont causé des dégâts s’élevant à 35 milliards de dollars, notamment les sécheresses dévastatrices en Chine et en Afrique et les fortes inondations en Asie et en Afrique. Ces catastrophes ont traumatisé des populations, brisé des familles, éliminé des moyens d’existence et fait reculer les efforts de développement.

Non seulement les catastrophes naturelles sont de plus en plus fréquentes, mais de plus en plus de personnes y sont exposées en raison de l’urbanisation rapide et de la croissance démographique. Les catastrophes ont affecté cinq fois plus de personnes qu’il y a seulement une génération. Les mégapoles, comme Tokyo, construites dans des zones sismiques, ou celles dont les côtes sont exposées, comme Shanghai, sont particulièrement à risque. Dans des villes comme Mumbai, Le Caire, Mexico et Lagos, où la population est supérieure à 10 millions d’habitants, l’effondrement de l’infrastructure, l’érosion du sol, le surpeuplement et le manque de services de secours pourraient avoir des conséquences extrêmement graves si un séisme ou une tempête violente survenait.

Le réchauffement climatique accroît notre vulnérabilité face aux catastrophes. Comme l’a souligné dans son rapport le Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC), des centaines de millions de personnes seront de plus en plus confrontées aux risques associés au réchauffement climatique. Ces sont les pays qui ont le moins contribué au réchauffement climatique — les plus pays en développement les plus pauvres — qui seront les plus touchés par ses conséquences, à la fois en termes humains et économiques. Les inondations, la sécheresse, les tempêtes, la propagation de maladies infectieuses, la perturbation du cycle des récoltes et la compétition pour les ressources naturelles pourraient menacer la vie de millions de personnes. Quelque 200 millions de personnes vivant dans les zones côtières — 60 millions en Asie du Sud seulement — font face à des risques causés par les tempêtes et la montée des eaux. Et dans le calcul au pays des catastrophes, plus la communauté est pauvre, plus elle est vulnérable aux catastrophes naturelles et plus le redressement sera difficile.

Face à ces scénarios possibles, la communauté internationale examine comment elle peut contribuer à la réduction des risques, à la préparation aux catastrophes et répondre plus efficacement aux conséquences du changement climatique. Les conséquences humanitaires possibles comprennent :

Risques pour la santé humaine. Les maladies, comme le choléra, le paludisme et la fièvre de dengue, augmenteront dans certaines régions en raison des changements de température; il pourrait également y avoir un accroissement de l’incidence des maladies diarrhéiques et de malnutrition.

Diminution de la sécurité alimentaire et de l’approvisionnement en eau. La désertification  et la sécheresse pourraient menacer les moyens d’existence de plus d’un milliard de personnes dans plus de 110 pays, en particulier dans les régions semi-arides.

Hausse du niveau de la mer. Les régions côtières et les pays à faible élévation côtière pourraient être menacés. Les Bahamas, le Vietnam, l’Égypte et le Bangladesh sont les pays qui font face aux plus grands risques.

Menaces pour la paix et la sécurité. La diminution des ressources de base, notamment l’eau, pourrait exacerber les tensions entre les groupes ethniques, les pays et les régions intensifiant la compétition pour exploiter d’autres environnements et d’autres ressources. Le Darfour et le Sri Lanka sont deux exemples de ce scénario possible.

Migration et déplacement. Les populations touchées par la hausse du niveau de la mer, les inondations, la sécheresse ou la désertification quittent leurs terres à risque, volontairement ou forcées. Selon certains analystes, il pourrait y avoir 50 millions de réfugiés environnementaux d’ici à la fin de la décennie. La migration liée à l’environnement a été particulièrement importante en Afrique subsaharienne, mais elle affecte aussi des millions de personnes en Asie et en Inde.

Que pouvons-nous faire ? D’abord, nous devons ni céder à la peur ni nous laisser bercer par la complaisance. Le plus grand risque est de ne rien faire du tout. L’heure est venue de nous mettre à l’ouvrage et de construire des communautés qui résistent aux catastrophes. Les outils dont nous avons besoin ne sont pas chers, compte tenu surtout des coûts potentiels. Les experts estiment qu’un dollar investi aujourd’hui dans la réduction des risques peut économiser demain jusqu’à 7 dollars en coûts de secours et de reconstruction. Nombre d’outils efficaces qui sont à notre disposition pour sauver des vies font appel à la mobilisation des populations et pas à une technologie coûteuse. Les systèmes communautaires d’alerte rapide, l’éducation sur les catastrophes, l’élaboration de plans d’évacuation, l’amélioration des techniques de gestion des cultures et des terres sont des mesures mises en place avec ingénuité et succès par les pays dans la vaste diversité des ressources.

Au Bangladesh, par exemple, qui a été balayé en 1979 et en 1991 par des cyclones dévastateurs qui ont tué 500 000 personnes. Un « système communautaire humain d’alerte rapide » a été mis en place le long de la baie du Bengale et les villageois ont appris comment construire des abris anticyclones, à élaborer des plans d’évacuation et d’autres mesures simples. Au cours des dernières années, le nombre de morts dus aux moussons et aux fortes pluies a considérablement diminué. Dans l’île Simeulue en Indonésie, située près de l’épicentre du tsunami, on a appris pendant des générations aux résidents ce qu’il fallait faire en cas de catastrophes ou quand la mer se retire soudain comme le 26 décembre 2004 : se réfugier sur les collines. Résultat : sur les 78 000 habitants que compte l’île moins de dix ont été tués par les vagues géantes. Dans le village voisin d’Aceh, où ce système d’alerte n’existait pas, jusqu’à 90 % de la population a péri dans certaines zones.
Des inondations ont ravagé les trois camps de réfugiés de Dadaab au nord-est du Kenya. Sur les 160 000 réfugiés, plus de 100 000 ont été durement touchés par les inondations, en particulier dans le camp d’Ifo. Les maisons ont été détruites, les latrines ont débordé et se sont écroulées. La route principale qui relie Dadaab au reste du pays a été coupée par les eaux de pluie, empêchant l’acheminement de l’aide par la route. Les inondations soudaines ont provoqué une augmentation du niveau de l’eau atteignant dans certains endroits jusqu’à 50 cm en une heure.
Photo HCR / B. Bannon

Les citoyens de Toronto, au Canada, disposeront bientôt d’un autre système d’alerte rapide conçu pour réduire les décès liés à la chaleur. La ville a installé un système d’urgence qui alertera les autorités de santé publique 60 heures avant la survenue de vagues de chaleur mortelles, qui devraient être plus fréquentes alors que la planète se réchauffe.

En matière de préparation efficace et d’éducation à la prévention des catastrophes, Cuba se place parmi les premiers. En septembre 2004, un des cinq plus violents ouragans observés dans les Caraïbes a frappé l’île avec des rafales de vent atteignant 200 km/h. Près de deux millions de personnes — plus de 15 % de la population totale — a été évacuée et il n’y a eu aucune victime. L’été suivant, l’ouragan Dennis a frappé 12 des 14 provinces cubaines, affectant 8 millions de personnes (70 % de la population). Mais grâce aux efforts efficaces de mobilisation de la communauté et des plans d’évacuation, il y a eu moins de 20 victimes.
Des politiques d’utilisation des terres plus efficaces, en particulier dans les zones surpeuplées ou très érodées, peuvent aussi sauver des vies. En 2004, un cyclone a tué près de 3 000 personnes en Haïti, mais a causé seulement quelques morts dans l’autre moitié de l’île.

Pourquoi ? Parce qu’en République dominicaine, des mangroves ont été plantées pour protéger la côte contre le vent et les vagues, et les collines très boisées ont empêché les coulées de boue mortelles. En Nouvelle-Zélande, des ingénieurs rencontrent les autorités locales pour améliorer le drainage des eaux de la ville afin de mieux résister aux grosses tempêtes.

La réduction des risques est l’une des meilleures politiques d’assurance que nous pouvons prendre pour protéger l’investissement dans le développement. Une catastrophe de grande ampleur peut anéantir des décennies de croissance économique. Au Pakistan, le séisme survenu en 2005 a causé des dégâts à hauteur de 5 milliards de dollars, soit environ l’équivalent des montants accordés au pays par la Banque mondiale au cours de la dernière décennie. En 1998, l’ouragan Mitch a causé des pertes représentant 41 % du produit intérieur brut du Honduras, tandis qu’aux Maldives, 66 % du PIB a été anéanti par le tsunami survenu en 2004.

Le message est clair : nous pouvons éviter que les catastrophes naturelles causent une catastrophe humaine. Nous devons redoubler nos efforts et mettre en place des mesures simples qui permettent de sauver des vies et de réduire notre vulnérabilité face aux catastrophes et au changement climatique. La Plate-forme mondiale qui aura lieu en juin, lancée à l’initiative de la SIPC, rassemblera des gouvernements nationaux, des scientifiques, des organisations non gouvernementales, des institutions financières et les Nations Unies pour faire avancer l’ordre du jour.

Mais la réduction des risques de catastrophes est une question trop importante pour la laisser aux experts. Elle commence chez soi, dans les écoles, dans les lieux de travail et de culte, et dans toutes nos communautés locales. C’est là que nous sauverons des vies — ou les perdrons -, tout dépend des mesures que nous prendrons pour réduire notre vulnérabilité aux catastrophes futures. Pour avoir le plus grand impact, ces mesures doivent être fondées sur les connaissances locales et communiquées au plus grand nombre afin que chacun, de l’écolier à la grand-mère en passant par le maire, sache comment se protéger contre les caprices de la nature. L’éducation, comme le partage de l’expérience au sein des communautés et entre elles, est cruciale. Tout aussi important, les responsables de la réduction des risques doivent tenir compte des expériences locales et tirer les leçons afin de mettre en place des mesures de réduction qui ont été expérimentées et testées sur le terrain.
Les conditions de vie des ours polaires sont de plus en plus précaires. Faisons en sorte de ne pas nous exposer à un destin semblable.

Biographie

Margareta Wahlström est secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et coordinatrice adjointe des secours d’urgence aux Nations Unies. Elle a été coordinatrice spéciale pour l’aide humanitaire aux pays touchés par le tsunami, représentante spéciale adjointe du secrétaire général pour la recon struction et le développement en Afghanistan et chef de cabinet du Représentant spécial au sein de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan.

Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
Copyright © Nations Unies
Retour  Haut