Chronique ONU

Opinion

TOUT LE MONDE PARLE ET PERSONNE N'ÉCOUTE
Une réflexion personnelle sur les Nations Unies

Par Gregory Levey

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L'article

Maintenant que je donne des cours à des étudiants sur la communication internationale, je pense souvent à l'époque où je rédigeais des discours pour les Nations Unies. Je parle parfois de mon expérience à l'ONU - de la rédaction des discours, de la communication dans un contexte parfois houleux, des personnalités, des politiques et comment tout cela se recoupe dans ce lieu inspirant et exaspérant que sont les Nations Unies.

Dans mes cours, j'explique à mes étudiants comment les principes de communication étaient appliqués à l'Assemblée générale, au Conseil de sécurité ou dans les conciliabules et les réunions secrètes qui avaient lieu dans d'autres salles de l'ONU. Ces réflexions semblent les intéresser, certains sans aucun doute s'imaginant un jour travailler dans ce grand bâtiment à New York. Il est cependant dommage que l'ONU me serve très souvent d'exemple de ce qu'il ne faut pas faire.

J'étais chargé de la rédaction des discours pour le gouvernement israélien aux Nations Unies à une période particulièrement mouvementée au Moyen-Orient qui a été marquée par l'assassinat des leaders du Hamas Ahmed Yassin et Abdul Rantisi, la mort du leader palestinien Yasser Arafat, les innombrables attaques dirigées contre les civils israéliens et les actions militaires israéliennes dans les zones habitées par les civils palestiniens ainsi que par le retrait d'Israël de la bande de Gaza sous l'initiative du Premier ministre Ariel Sharon. Il se passait beaucoup de choses sur le terrain - et aux Nations Unies, on parlait beaucoup. Mais je ne suis pas sûr que l'écoute ait été ou soit un point fort de l'Organisation.

Récemment, à une réunion du Conseil de sécurité sur la situation dans la péninsule coréenne, le représentant de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) a fait une déclaration au nom de son pays puis a quitté la salle. Cela a fortement déplu à l'ambassadeur américain John Bolton. " Je veux attirer votre attention sur ce siège vide ", a-t-il dit au Conseil. " C'est la deuxième fois en trois mois que le représentant de la RPDC, qui a demandé de participer à nos réunions, quitte la salle après avoir repoussé une résolution unanime du Conseil de sécurité. "

L'ONU a été créée dans un esprit de dialogue - et quitter une réunion ne va certainement pas dans ce sens. Le représentant de la RPDC, cependant, n'est pas le seul à agir de la sorte. En fait, les États-Unis, ainsi que d'autres États Membres, ont adopté des attitudes négatives similaires, comme la rebuffade réciproque entre le Président George Bush et le Président iranien Mahmoud Ahmadinejad lors de l'ouverture de la soixante et unième session de l'Assemblée générale. Et que dire de l'attitude des États-Unis vis-à-vis du Président vénézuélien Hugo Chavez lors de son discours - la délégation américaine était absente, à l'exception d'un subalterne qui prenait des notes - ou des propos corrosifs et non constructifs du Président Hugo Chávez ? La délégation américaine ne voulait pas l'entendre et il ne voulait pas être entendu. Comme l'a commenté l'animateur Jon Stewart après coup : " Dieu merci, l'ONU existe. Où serions-nous si les dirigeants mondiaux n'avaient pas un lieu où se réunir et s'ignorer ? "

Sur le conflit au Moyen-Orient, les attitudes sont tout aussi improductives. C'était assez curieux d'écrire des discours qui, je le savais, seraient essentiellement ignorés par la majorité des missions de l'ONU et que d'autres délégations boycotteraient totalement. Ce n'était pas évident non plus de faire partie d'une délégation qui, parfois, tenait peu compte des déclarations de certains responsables de l'ONU ou même s'en moquait ouvertement. Quand je faisais partie de la délégation israélienne, nous avons failli plusieurs fois quitter la salle en protestation avec ce qui venait d'être dit. À mon grand soulagement, cela n'est jamais arrivé.

Sur le conflit israélo-palestinien, la rupture du dialogue est manifeste. Il ne fait aucun doute que le gouvernement israélien ignore les souffrances des Palestiniens ou refuse de les écouter de manière sérieuse. En même temps, ceux-ci et leurs alliés font porter à Israël la responsabilité d'un nombre si important de détails n'ayant rien à voir avec la situation au Moyen-Orient qu'il est parfois difficile de discerner les préoccupations légitimes - qui sont nombreuses - du verbiage qui les entourent. Je n'oublierai jamais le jour où j'ai entendu un État Membre tenir Israël responsable de la rivalité fraternelle entre les enfants palestiniens. Israël est responsable de nombreuses actions négatives, mais certainement pas de celle-là.

Quand j'ai commencé à travailler à l'ONU, j'ai été surpris de voir combien de diplomates se servaient de ce lieu comme scène de théâtre politique plutôt que pour servir les intérêts des peuples qu'ils représentent. Beaucoup assistent à des réunions dans le seul but d'empêcher un consensus et peuvent ainsi rapporter à leur pays qu'ils ont refusé tout compromis. Certains jouent même littéralement devant leur public national - plus d'une fois, j'ai vu des personnalités de haut niveau s'ingénier à changer l'heure d'un débat de l'ONU afin de jouer la ligne dure devant les téléspectateurs du journal du soir dans leur pays. (Curieusement, quand j'ai quitté l'ONU et commencé à travailler au bureau du Premier ministre israélien, j'ai remarqué le phénomène inverse : les discours soi-disant destinés au public israélien visaient à envoyer un message aux États étrangers ou même aux populations étrangères.)

Même si elle me manque souvent, la période passée à l'ONU est derrière moi. J'enseigne maintenant à Ryerson University, à Toronto, au Canada, l'une des universités les plus multiculturelles dans l'une des villes les plus multiculturelles du monde. Les étudiants sont issus de pays aussi nombreux que ceux des délégués de l'ONU, peut-être même plus. Je leur enseigne l'importance de développer une écoute mutuelle et sincère et d'essayer de comprendre le point de vue opposé. L'apprentissage de ces compétences, ainsi que nos discussions sur la politique, la religion, le nationalisme et le droit, sont souvent couronnés de succès.

Idéalement, je pourrais proposer à ces étudiants les Nations Unies comme modèle illustrant de ce qu'il faut faire, au lieu de ce qu'il ne faut pas faire. Je suis fermement convaincu que l'esprit de l'ONU est une source d'inspiration et j'espère qu'un jour mes étudiants - et tous les étudiants - pourront apprendre des diplomates. Or, pour l'instant, il semble que les seconds pourraient apprendre des premiers.


Biographie
Gregory Levey enseigne actuellement à Ryerson University. Il a été chargé de la rédaction des discours aux Nations Unies et a été ensuite coordonnateur de la communication à l'étranger pour Ariel Sharon et Ehud Olmert d'Israël.
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