Chronique ONU

CONJUGUER LES EFFORTS POUR COMBATTRE LES VIOLENCES SEXUELLES : L'APPEL DE BRUXELLES À L'ACTION

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L'article
En juin 2006, plus de 250 femmes et hommes de 30 pays ont assisté pendant trois jours à un symposium historique au Palais d'Egmont à Bruxelles où ils ont partagé des expériences, des stratégies et renouvelé leur engagement à mettre fin aux violences sexuelles dans les pays déchirés par la guerre.

Les violences sexuelles liées aux conflits existent depuis la nuit des temps. Dans de nombreux conflits, les femmes et les filles deviennent la proie de la violence, le viol étant utilisé comme une arme de guerre pour humilier, dominer ou briser les liens sociaux dans les communautés qui subissent les attaques. Les femmes et les filles, et parfois les hommes et les garçons, sont aussi victimes d'abus sexuels et d'exploitation sexuelle au cours de leur fuite, dans les camps de réfugiés, et même après les conflits, où les violences sexuelles persistantes engendrent un cycle d'anxiété et de peur pouvant compromettre le relèvement et la reconstruction. Jusqu'ici, peu d'attention avait été portée à ces effets dévastateurs sur la santé et le bien-être des survivants, des communautés et des nations. Cela change enfin. L'importante couverture médiatique des atrocités sexuelles commises dans les zones sortant d'un conflit - comme en ex-Yougoslavie, au Rwanda, au Soudan ou en République démocratique du Congo (RDC) - ainsi que le travail de recherche effectué depuis des décennies par des activistes ont permis de galvaniser un mouvement en plein essor.

Photo HCR
Le Symposium international sur les violences sexuelles en période de conflit et au-delà, organisé du 21 au 23 juin 2006 par le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), la Commission européenne et le gouvernement belge, a réuni quelques pionniers de ce mouvement ainsi que de nouveaux alliés. En plus des délégations de Bosnie-Herzégovine, du Burundi, de la République centrafricaine, de Colombie, de la République démocratique du Congo, d'Haïti, d'Indonésie, du Liberia, de Palestine, du Rwanda, de Sierra Leone, du Sri Lanka, du Soudan et d'Ouganda, étaient présents des responsables d'institutions de l'ONU et d'organisations non gouvernementales (ONG), y compris des journalistes, des humanitaires travaillant sur le terrain, des militaires, des policiers, des défenseurs des droits de l'homme, des ministres, des parlementaires ainsi que des responsables gouvernementaux dans les zones de conflit et des pays donateurs. Cette diversité reflétait ce que le Secrétaire général de l'ONU a appelé " un consensus international de plus en plus large que les violences sexuelles sont une violation des droits humains, un problème public mondial et un obstacle au relèvement, au développement et à la paix ".

Le Symposium a examiné les coûts sociaux, culturels et de développement engendrés par les violences sexuelles, l'importance de la prévention et les bénéfices de soins attentionnés et complets aux victimes. Les représentants des nations touchées par un conflit ont présenté des plans d'action nationaux pour lutter contre les violences sexuelles et ont cherché à renforcer la participation et le soutien des donateurs internationaux et des institutions internationales. Ils ont également témoigné de l'impact dévastateur du viol sur les personnes. Des experts du Soudan, de Colombie, du Sri Lanka et d'autres zones de conflit ont évoqué les conséquences physiques graves, y compris les blessures douloureuses, les grossesses non désirées et le VIH/sida, ainsi que les problèmes de santé mentale, comme l'anxiété, les troubles liés au stress post-traumatique et la dépression sévère. Ils ont raconté des récits bouleversants de suicides et d'abandon d'enfants nés de viol, ainsi que les traumatismes soufferts par les familles et les communautés des survivants.

D'autres délégués ont souligné les effets des violences sexuelles sur les communautés. En Afrique de l'Ouest, où des dizaines de milliers de femmes et de filles ont été violées, victimes d'abus sexuels et de l'exploitation sexuelle pendant plus de dix ans de conflits civils et de déplacements massifs en Sierra Leone, au Liberia, en Côte d'Ivoire et en Guinée, des sociétés entières continuent de souffrir. Bien qu'officiellement les conflits soient terminés, les conséquences des violences sexuelles et la stigmatisation ont empêché la réintégration des survivants dans leur famille et leur communauté. Des milliers de femmes touchées par la guerre continuent de vivre dans la rue, où elles sont quotidiennement exposées à la violence, à des grossesses non désirées et au risque d'infection par le VIH. Pour reconstruire leur vie, elles ont besoin d'être conseillées, de suivre une formation pour acquérir des compétences et d'opportunités d'emploi. Une assistance internationale devrait être fournie à leurs communautés et à leurs pays afin de mettre en place l'infrastructure juridique, médicale et sociale nécessaire pour les soutenir.

Le Symposium s'est penché sur les menaces à la paix et à la sécurité dans les pays qui s'efforcent de sortir de la guerre. Dans certains pays, la culture de la violence et une infrastructure juridique insuffisante perpétuent un environnement où les viols de femmes et de fillettes sont de plus en plus nombreux et systématiques, terrorisant des communautés entières et compromettant la paix déjà fragile ainsi que la reconstruction du tissu social. Des responsables du gouvernement de la RDC, des experts et des partenaires de l'ONU ont partagé les leçons et les expériences d'un programme national innovant et complet destiné à prévenir et à traiter les cas de violences sexuelles par des actions et des politiques intégrées dans les secteurs de la santé, social, juridique et de la sécurité. Ce modèle multisectoriel, qui a déjà eu un impact en RDC, est à l'étude pour pouvoir être reproduit dans d'autres pays.

Le dernier jour du Symposium, les délégués ont lancé l'Appel de Bruxelles à l'action (voir page 53), qui définit 21 actions à prendre comme, entre autres, mettre fin à l'impunité des auteurs de violences sexuelles et élaborer des plans d'action nationaux - et qui demande aux gouvernements, aux organisations internationales et à la société civile de placer le problème des violences sexuelles au cœur de tous les efforts humanitaires, de consolidation de la paix et de développement dans les pays touchés par un conflit. De même qu'une prévention et une riposte efficaces nécessitent des actions dans tous les secteurs, le succès dépend des efforts soutenus et coordonnés de tous, à tous les niveaux de la société, et de la communauté internationale. Les gouvernements donateurs doivent soutenir l'élaboration de programmes et la mise en place de capacités pour permettre aux pays touchés par la guerre de prévenir les violences sexuelles et d'y répondre. Ils doivent respecter leurs engagements stipulés dans de nombreux documents, dont la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, le Programme d'action de la Conférence internationale sur la population et le développement et la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité.

Le système de l'ONU et les ONG internationales et nationales doivent intensifier leurs efforts pour élaborer des programmes connexes et intégrer la prévention, la protection des survivants ainsi que les soins qui leur sont fournis. Nous devons continuer de développer et de promouvoir l'utilisation d'outils, comme les nouvelles directives du Comité permanent interorganisations sur la prévention des violences sexuelles et l'intervention des travailleurs humanitaires, et assurer la mise en œuvre de l'Ensemble minimal de services initiaux pour la santé reproductive en cas d'urgence, y compris les soins médicaux après un viol, l'accompagnement psychologique, la contraception d'urgence, le traitement des infections transmises sexuellement et la prophylaxie post-exposition pour prévenir l'infection par le VIH. Nous devons aussi redoubler d'efforts pour faire respecter le code de conduite de l'ONU contre l'exploitation sexuelle et les abus sexuels pour s'assurer que les travailleurs et les agents de la paix sont une partie de la solution et non du problème.

Enfin, nous ne pourrons pas mettre fin aux violences que les femmes et les filles subissent pendant un conflit si nous n'abordons pas l'inégalité des sexes dans la société. Cette violence ne naît pas seulement des conditions de la guerre mais est directement liée à l'inégalité et à l'injustice dont les femmes souffrent en temps de paix. Nous devons faire notre possible mais la justice et l'égalité des femmes ne pourront être réalisées qu'avec la pleine participation des hommes aux niveaux national et communautaire. La richesse des informations et des expériences partagées pendant les trois jours du Symposium montre que nous savons ce qui fonctionne et ce qu'il y a à faire. Mais, jusqu'ici, nous n'avions pas les ressources nécessaires et les engagements politiques et de financement n'étaient pas suffisants pour mener une action à la mesure du problème. Nous avons trop souvent travaillé étroitement, dans des initiatives parallèles mais non reliées entre elles qui, individuellement, améliorent un peu la situation mais ne créent pas les synergies nécessaires à une action mondiale efficace, systématique et cohérente.

Les actions définies dans l'Appel de Bruxelles appellent à un engagement et à une action immédiate et soutenue de tous les acteurs, à tous les niveaux. Si chacun d'entre nous exploitait les ressources, les réseaux et les voies de communication dont nous disposons et faisait entendre sa voix, nous pourrions améliorer considérablement la vie de millions de femmes, d'hommes et d'enfants dans le monde et renforcer la paix, la sécurité et le développement de nations entières.


(Pour en savoir plus sur le Symposium international, veuillez visiter le site www.unfpa.org/emergencies/symposium06)

L'APPEL DE BRUXELLES À L'ACTION

Nous, délégués au Symposium international sur les violences sexuelles en période de conflit et au-delà, exigeons que des actions urgentes et à long terme soient prises pour :

1. Prévenir les violences sexuelles et sexospécifiques en promouvant l'égalité des sexes, et l'habilitation économique, politique et sociale des femmes.

2. Renforcer les mécanismes de collaboration régionale et sous-régionale entre les gouvernements, les donateurs, les organisations internationales et la société civile pour lutter contre les violences sexuelles et sexospécifiques, en accordant une attention particulière aux zones instables.

3. Intégrer la prévention des violences sexuelles et la protection des victimes dans tous les aspects de l'assistance humanitaire y compris la nourriture, le carburant, l'eau et l'assainissement et les abris, tel qu'il l'est prescrit par le Comité permanent interorganisations dans les Principes directeurs des interventions sexo-spécifiques dans les situations d'urgence.

4. Prévenir les violences sexuelles et y répondre dans tous les cadres de planification et de financement des actions d'urgence, de développement, d'instauration de la paix, de redressement ainsi que de dialogue politique, et lier le financement des actions de secours à celui des actions de développement de manière à assurer la continuité de la prévention et de la réponse aux violences sexuelles.

5. Renforcer les cadres de responsabilisation ainsi que la surveillance et les rapports systématiques sur la mise en œuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité et des résolutions pertinentes adoptées par le Conseil Européen.

6. Intensifier les efforts internationaux, régionaux et nationaux pour mettre fin à l'impunité des auteurs de violences sexuelles en renforçant les systèmes légaux et judiciaires, en adoptant des lois et en les faisant appliquer, et en établissant des systèmes de justice nationaux dotés des ressources nécessaires pour poursuivre les cas de violences sexuelles et sexospécifiques.

7. Reconnaître à tous les survivants le droit et l'accès à des réparations matérielles et symboliques, y compris la restitution, la réhabilitation, l'indemnisation, des satisfactions et des garanties offertes aux survivants que ces violences sexuelles ne se reproduiront pas.

8. Élaborer des plans d'action nationaux de lutte contre les violences sexuelles et sexospécifiques qui identifient des programmes globaux et des opportunités d'action dans divers secteurs, notamment la santé sexuelle et reproductive, la prévention, le traitement et la prise en charge en matière de VIH/sida, la formation, l'éducation à la vie, les droits de l'homme, la justice, la réforme du secteur de la sécurité et le redressement socioéconomique ainsi que le soutien aux initiatives génératrices de moyens d'existence.

9. Assurer que les jeunes, les femmes et les autres populations vulnérables, y compris les réfugiés et les personnes déplacées participent pleinement et activement à l'élaboration des plans d'action globaux de lutte contre les violences sexuelles à l'échelle nationale.

10. Inclure dans les plans nationaux la prévention des violences sexuelles comme un indicateur de bonne gouvernance à utiliser comme critère déterminant pour accéder au financement, y compris les tranches incitatives.

11. Favoriser et renforcer l'appropriation de tous les cadres nationaux et développer les capacités des partenaires du pays, des organisations gouvernementales et non gouvernementales, en particulier les organisations de femmes et le système des Nations Unies pour faire en sorte que les violences sexuelles et sexospécifiques soient au centre des documents stratégiques de réduction de la pauvreté, des approches sectorielles, des documents stratégiques nationaux et régionaux, des procédures d'appels consolidés, des évaluations des besoins en situation de post-conflit et des stratégies nationales de transition, et enfin des bilans communs de pays/Plan-cadre des Nations Unies pour l'aide au développement.

12. S'assurer que des mécanismes de protection spécifiques existent pour les groupes particulièrement vulnérables tels que les enfants non accompagnés et séparés et les personnes handicapées.

13. Renforcer la communication pour le changement de comportement et d'autres mesures visant à préserver et à restaurer des valeurs sociales positives et changer les croyances et pratiques néfastes, dans le but de protéger les individus et les populations contre les violences sexuelles et sexospécifiques et renforcer les capacités des familles et des communautés à se protéger contre ces violences.

14. Intégrer des stratégies de prévention et de réponse aux violences sexuelles dans les processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration et de réforme du secteur de la sécurité et s'assurer de l'engagement total du secteur sécurité, y compris la police et l'armée, pour prévenir les violences sexuelles et y répondre de façon efficace et sensible.

15. Pousser tous les pays qui fournissent des troupes aux missions de maintien de la paix des Nations Unies à ratifier le Statut de Rome de la Cour Pénale internationale.

16. Faire prendre conscience aux humanitaires et aux soldats de maintien de la paix, du droit humanitaire, des droits humains, de l'égalité des sexes et faire respecter le code de conduite des Nations Unies sur la tolérance zéro en matière de violences sexuelles et sexospécifiques.

17. Élaborer des stratégies globales de sensibilisation sur la nature, l'ampleur et la gravité des violences sexuelles et sexo-spécifiques à tous les niveaux afin d'assurer la protection des survivants contre la discrimination et la stigmatisation, et obtenir l'engagement concret des hommes et des garçons ainsi que des responsables gouvernementaux, des leaders religieux et communautaires, des médias, des organisations de femmes, et autres leaders d'opinion dans la promotion et la protection des droits et du bien-être des femmes et des enfants.

18. Élaborer une méthodologie globale et des outils pour évaluer l'ampleur et la nature des violences sexuelles et sexospécifiques dans les pays affectés par un conflit et préciser les implications en matière de budget et de coûts.

19. Entreprendre une recherche exhaustive qualitative et quantitative qui porte sur la nature, l'étendue, l'impact, les causes profondes, les facteurs d'influence des violences sexuelles et sexospécifiques, qui soit conforme aux normes éthiques et aux critères méthodologiques, et développer des systèmes de collecte systématique des données, de suivi et évaluation et de rapportage, y compris la budgétisation sexospécifique.

20. Investir dans le renforcement des capacités de toutes les parties prenantes impliquées dans la prévention et la réponse aux violences sexuelles et sexo-spécifiques en période de conflit et au-delà.

21. Habiliter les médias pour éduquer et plaider contre les violences sexuelles et sexospécifiques.

Ensemble, nous en appelons à un partenariat élargi entre les gouvernements, la société civile, les Nations Unies et d'autres organisations dans la lutte contre les violences sexuelles sous toutes leurs formes en période de conflit et au-delà.

 
Cet article a été préparé par Thoraya Ahmed Obaid, directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), Noeleen Heyzer, directrice exécutive du Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM), Rima Salah, directrice exécutive adjointe du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), et Kathleen Cravero, administratrice associée du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).
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