Chronique ONU

LES MIGRANTS HAUTEMENT QUALIFIÉS
LA MOBILITÉ DES COMPÉTENCES ET LE DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL

Par Andrés Solimano

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L'article
Les difficultés et les vicissitudes rencontrées par les migrants internationaux font souvent la une de la presse populaire. Toutefois, il existe un autre aspect de la migration qui peut être définie comme la mobilité des " migrants hautement qualifiés ". Ils sont de loin moins nombreux, font face à des règles d'immigration plus souples dans les pays développés et représentent un potentiel économique plus important dans le développement de nouvelles technologies et la création d'activités, ainsi que le transfert international du savoir et des meilleures pratiques. Ce processus est caractérisé par la mobilité au-delà des frontières nationales de spécialistes en technologie, de développeurs de logiciels et de matériel informatique, de scientifiques, d'entrepreneurs, de directeurs internationaux et d'autres professionnels. Un projet réunissant l'Institut mondial pour la recherche sur l'économie du développement de l'Université des Nations Unies (UNU-WIDER) à Helsinski, en Finlande, et la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes des Nations Unies (CEPALC) à Santiago, au Chili, s'est penché sur ce phénomène nommé la mobilité des compétences et en a étudié la nature, les causes et les conséquences sur le développement international.

Les compétences - la capacité d'un individu à créer des idées et des objets, certains ayant une valeur économique élevée - est un moteur important de la croissance et du développement. C'est un domaine où les pays en développement sont moins performants que les nations développées et où les écarts de développement entre États sont plus évidents. Le " facteur humain " est important pour le succès ou l'échec de nombreuses initiatives. Les économies émergentes, comme la Chine, l'Inde, la Fédération de Russie et la Pologne et, dans une moindre mesure, certains pays de l'Amérique latine, sont une source importante de talents comme les ingénieurs et les techniciens, dont certains sont titulaires de doctorats obtenus dans les meilleures universités.

Une partie des nouveaux talents des pays en développement va vivre et travailler dans les pays développés, généralement aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d'autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques. Ce phénomène suscite des inquiétudes concernant la perte en capital humain qui pourrait être utilisé dans le pays d'origine. Cependant, les professionnels qualifiés peuvent aussi retourner dans leur pays après avoir terminé leurs études ou travaillé plusieurs années dans le pays d'accueil, apportant avec eux un nouveau savoir-faire, de nouvelles technologies, des capitaux et des contacts qui sont très utiles pour le développement national. Il faut donc réexaminer le concept traditionnel de la " fuite des cerveaux " à la lumière de l'interdépendance et de la mobilité internationale croissantes des travailleurs face aux nouvelles opportunités (et risques) qui sont offerts par la mondialisation et mettre l'accent sur la circulation des cerveaux.

Aujourd'hui, les modèles de mobilité internationale des compétences et du capital dans le monde sont divers. D'un côté, les professionnels hautement qualifiés des pays en développement émigrent vers le Nord à la recherche de meilleures opportunités dans des économies où les capitaux sont plus importants, les technologies meilleures et les organisations plus efficaces. De l'autre côté, le Nord recrute les professionnels qualifiés du Sud, construisant des usines sur place, dans les pays où ils sont disponibles et moins chers que dans les pays développés. À son tour, la migration du capital et des compétences entre les pays du Sud est une possibilité de plus de plus développée. Au début de ce XXIe siècle, les modèles de mobilité des compétences et ceux de la mobilité du capital et des technologies doivent être étudiés ensemble, car ils vont généralement de pair.

Nous avons identifié plusieurs facteurs qui jouent un rôle dans la mobilité des compétences : les différences de salaires entre les pays et les écarts de développement; le marché de l'emploi, le regroupement des talents et le capital disponible en réponse à la demande de qualification; la technologie; la compatibilité linguistique, les réseaux et les affinités socioculturelles; la pénurie de professionnels de haut niveau et les politiques d'immigration.

Les différences de revenus au niveau international. Ces différences reflètent les écarts de développement entre États. Par exemple, si un développeur de logiciel en Fédération de Russie gagne seulement une petite partie de ce qu'il peut gagner aux États-Unis ou au Royaume-Uni, il est probable qu'il ira travailler dans un pays qui lui offre un salaire plus élevé. Généralement, la mobilité internationale des compétences dépend des différences de salaires entre les pays développés et les pays en développement. Les différences de revenus par habitant entre différents États sont importantes et les différences entre revenus nets poussent certainement les travailleurs hautement qualifiés à s'expatrier dans les pays où les salaires sont plus élevés. De là nous pouvons établir un lien entre les écarts de développement - la différence du niveau de vie et du potentiel de production entre pays - et la direction du flux des compétences. Les pays pauvres risquent de voir partir leurs professionnels qualifiés et les créateurs d'emploi, tandis que les pays à revenu intermédiaire risquent une baisse du capital humain si les salaires et les avantages sont moins élevés que dans d'autres pays et les perspectives de carrière incertaines. De plus, la pénurie du capital humain peut amplifier les écarts de développement, l'exode du capital humain et des cerveaux pouvant être un facteur négatif pour la croissance nationale, au moins à court terme.

Emploi, capital et compétences. Un pays qui offre des opportunités économiques intéressantes et de bonnes conditions de vie attirera des capitaux et des professionnels qualifiés. La relation entre les capitaux et les compétences peut prendre divers aspects. Dans un monde marqué par la mobilité internationale, les facteurs de production du capital sont liés à diverses possibilités d'utilisation des compétences : recruter des professionnels nationaux pour la production et/ou le marketing; faire appel à des travailleurs qualifiés étrangers; délocaliser les opérations dans des pays où les salaires sont bas afin d'exploiter la main-d'œuvre qualifiée sur place; et externaliser les services soit dans les pays étrangers soit dans le marché intérieur. Les configurations peuvent être diverses.

La concentration de talents est un autre aspect important. En général, le talent attire le talent, car les processus créatifs (nouvelles idées ou nouveaux produits, nouveaux procédés de production, activités de recherche et de développement) ne se développent généralement pas dans l'isolement. Les techniciens, les ingénieurs et les chercheurs quittent leur pays natal, non seulement parce que les salaires sont plus élevés à l'étranger mais aussi pour avoir des échanges avec des pairs jouissant d'une reconnaissance internationale et travailler dans des endroits où il y a des ressources pour la recherche et le développement de nouvelles technologies. En revanche, dans leur pays, les professionnels qualifiés peuvent souffrir d'un manque de reconnaissance de leur travail, de l'absence de perspectives de carrière, de salaires bas et d'isolement professionnel.

Technologie et demande de talents.
Au cours des deux à trois dernières décennies, la révolution des technologies de l'information et de la communication (TIC) a engendré une hausse de la demande de talents dans des secteurs spécialisés, en particulier les ingénieurs, les programmeurs, les scientifiques et autres spécialistes qui peuvent contribuer au développement de logiciels et de matériel informatique. Les pays en développement sont peu nombreux à importer des talents. Les talents techniques fournis par l'Amérique du Sud dans certains marchés importants comme les États-Unis sont encore en nombre restreint par rapport aux talents venant d'Asie. Il faut également noter que les TIC permettent de fournir des services à distance. Par exemple, les rapports de consultants peuvent être fournis et échangés par Internet ou la comptabilité peut être faite électroniquement.

Compatibilité linguistique, réseaux et affinités socioculturelles. Un niveau d'études supérieures, la connaissance d'une ou de plusieurs langues étrangères et la compréhension des différences culturelles entre pays facilitent la mobilité internationale des migrants hautement qualifiés et facilitent leur adaptation dans les pays étrangers. De nombreux membres de l'élite internationale suivent leurs études à l'étranger, font partie de réseaux professionnels ou de réseaux d'anciens élèves d'universités prestigieuses et ont mis en place un système de contacts avec des personnes occupant des postes importants partout dans le monde.

Manque de professionnels qualifiés et politiques d'immigration favorables. Le manque de professionnels qualifiés dans certains marchés du travail locaux, tels que les spécialistes des technologies de l'information, les informaticiens, les ingénieurs, les infirmières et les médecins, est un facteur important de la demande grandissante de talents dans l'économie mondiale. Dans les pays riches, les politiques d'immigration sont beaucoup plus souples pour les professionnels qualifiés étrangers que pour les migrants n'ayant pas de compétences, et facilitent ainsi leur circulation. Les nouveaux pays riches, comme l'Irlande, Singapour et l'Écosse, mettent également en place des politiques favorables à l'entrée de migrants spécialisés et ayant un niveau d'éducation élevé, ainsi que des investisseurs qui fournissent capitaux et technologies. Les pays avancés, comme l'Australie, les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l'Allemagne, ont créé des programmes spéciaux de visas pour les experts en TIC, les infirmières et les médecins, les scientifiques et les étudiants de l'enseignement supérieur, établissant une compétition avec les pays en développement qui cherchent à les attirer et ou à les retenir.

Comment faire correspondre la mobilité des talents et le développement national ? La fuite des cerveaux est-elle une caractéristique inéluctable de la mondialisation ? La circulation des talents est-elle possible ? Ces questions importantes ne comportent pas de réponses faciles. La mobilité internationale des talents a un impact sur le développement économique et les capacités techniques à la fois des pays d'origine et des pays de destination. En même temps, la circulation des cerveaux est liée aux écarts de développement entre les pays. Les politiques publiques peuvent viser à créer des initiatives et des programmes qui encouragent la reconnection des expatriés avec leur pays, puis leur retour afin de soutenir le développement national. Dans plusieurs pays, les réseaux commerciaux, ainsi que les réseaux scientifiques et culturels, ont permis de mobiliser les diasporas. Ces programmes spécifiques à des secteurs doivent être assortis de politiques macroéconomiques et de développement adéquates qui favorisent le développement national, contribuant par là même à réduire les écarts qui, dans de nombreux cas, sont les raisons qui poussent les professionnels à l'exode et/ou qui les incitent à s'établir en permanence dans un pays étranger. Enfin, il est clair que l'exode du capital humain et la circulation des professionnels qualifiés ne sont pas nécessairement négatifs pour le pays d'origine, car celui-ci bénéficie de leur savoir, de leurs idées, de leurs contacts et de leurs expériences.

Biographie
Andrés Solimano est actuellement conseiller régional à la CELPAC et directeur du projet WIDER-ECLAC : La mobilité internationale des talents et son impact sur le développement. Il a été directeur de pays à la Banque mondiale et directeur exécutif à la Banque interaméricaine de développement.
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