Chronique ONU

Ce que peut faire l'onu pour promouvoir
L'ÉDUCATION INFORMELLE

Par Ramji Raghavan

Imprimer
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
L'article

Pensez au potentiel inexploité des millions d'enfants pauvres qui sont prédestinés à accomplir de grandes choses mais qui ne le peuvent pas car ils n'ont pas les outils pour développer leur créativité innée. Imaginez ces enfants pauvres dans un village chaud et couvert de poussière faire des expériences, parler et discuter avec leur enseignant.

Une fille montre comment fonctionne le modèle de fusée qu'elle a fabriqué; un garçon dans un fauteuil roulant explique à son ami les propriétés des aimants; une autre fille explique les propriétés médicinales d'une plante qu'elle a cultivée dans la cour d'école. Est-ce possible ? Oui, mais cela est difficile à imaginer, en particulier dans les pays pauvres, où la plupart des écoles n'ont pas de laboratoires, où la médiocrité du système s'illustre dans l'effondrement de l'infrastructure et l'absentéisme des enseignants et où l'apprentissage par cœur, qui décourage les questions, domine l'enseignement, contribuant à un taux d'abandon scolaire atteignant 70 %. Vaincre la pauvreté et obtenir des résultats demeurent un rêve lointain pour la plupart des enfants pauvres.

De gauche à droite : Un élève explique comment fonctionne une fusée. Un cours d'arts plastiques. Un garçon explique le système solaire à ses camarades.

Il faut injecter une énorme dose de créativité dans les systèmes éducatifs. C'est un défi immense, mais possible, si on se base sur les observations des éducateurs selon lesquelles une personne apprend généralement 10 % de ce qu'elle lit, 50 % de ce qu'elle entend et voit, 70 % des discussions avec les autres, 85 % de ses expériences personnelles et 90 % de ce qui lui est enseigné. Cette conclusion représente un espoir pour des millions d'enfants et d'enseignants dont la créativité inexploitée pourrait être développée par des méthodes d'apprentissage interactives. Les personnes créatives et capables de résoudre les problèmes démontrent des compétences exceptionnelles en matière d'observation, de prise de conscience, d'assimilation et d'application, qui peuvent être illustrées par quelques exemples connus :

‹ En regardant une assiette lancée dans l'air à la cafétéria, un étudiant de Cornell, le physicien Richard Feynman, a plus tard trouvé un ratio 2/1 entre le vacillement et le tournoiement de l'assiette. Cette observation a inspiré ses travaux sur les fameux diagrammes de Feynam, qui lui ont valu le prix Nobel de physique.

‹ Sur le pont d'un paquebot, le physicien indien C. V. Raman a posé cette simple question : " Pourquoi la mer est-elle bleue ? " Sa réponse a ouvert une brèche dans l'interaction entre la lumière et la matière, travaux pour lesquels il s'est vu décerner un prix Nobel en 1930. Le matériel utilisé par M. Raman pour sa découverte ne coûte que 4,50 dollars !

‹ Au troisième siècle av.-JC, le brillant homme d'État indien Chankaya vit un jour, une femme gronder son enfant parce qu'il ne mangeait pas son riz. L'enfant répondit que le riz était trop chaud. Sa mère lui dit alors de commencer par le bord du bol et de progresser vers le centre. À partir de cette expérience, Chankaya a conçu la stratégie qui consiste à affaiblir les forces extérieures de l'ennemi avant d'attaquer le centre, qui a marqué le point culminant du grand empire des Maurya de son protégé Chandragupta.
Des exemples comme ceux-ci soulignent la nécessité d'orienter davantage l'éducation sur les compétences et la créativité que sur l'apprentissage par cœur. Et de plus, cela peut se faire à moindre frais. L'Agastya International Foundation en Inde propose un modèle adaptable et reproductible, dont l'objectif est de développer les aptitudes des enfants et des éducateurs les plus vulnérables et les plus désavantagés. Travaillant avec les gouvernements et les institutions privées, les programmes innovants d'Agastya fournissent des laboratoires mobiles, une formation pédagogique pour les enseignants et des centres d'apprentissage afin de toucher des millions d'enfants.

De gauche à droite : Un modèle de grue hydraulique. Un enseignant démontre comment un aimant peut être mis en suspension dans l'air. Apprendre ce qu'est la vision inoculaire.
PHOTOS/AGASTYA INTERNATIONAL FOUNDATION

Fondée par des scientifiques, des éducateurs et des chefs d'entreprise, Agastya est un leader en méthodes d'apprentissage pratiques qui encouragent la participation et les expériences . Les concepts sont mis en pratique par des expériences ingénieuses développées à partir de matériaux peu coûteux. En faisant tourner la Terre et la lune autour du soleil, un enfant ou un enseignant des zones rurales apprennent pourquoi les saisons changent ou pourquoi le soleil se lève à l'Est, et comment les éclipses se produisent; ils apprennent les propriétés du son en faisant tourner des tuyaux ondulés à des vitesses différentes, ou bien les principes de la vision binoculaire en regardant dans un morceau de papier roulé, les deux yeux ouverts, ou ceux de la lumière en traçant le tracé d'un rayon laser dans la fumée. Les enfants et les enseignants reproduisent souvent ces modèles à la maison ou à l'école.

Agastya Science Fairs permet à de " jeunes instructeurs ", âgés de 14 à 16 ans, d'accroître leur confiance et de développer des qualités de leadership et de communication en enseignant à d'autres enfants. Les commentaires sont variés : " J'aime enseigner à des enfants ", " Je ne m'attendais pas à ce qu'ils me posent tant de questions ", " J'ai enfin compris le principe en le démontrant ", " Je me rends compte qu'il n'est pas facile d'enseigner " ou " Mes parents étaient très impressionnés de me voir enseigner ". La confiance et la curiosité sont renforcées, alors que l'apprentissage et l'assimilation se font beaucoup rapidement que par les méthodes traditionnelles où les leçons sont expliquées au tableau. Pour nombre d'enfants pauvres qui n'ont jamais vu un laboratoire ou fait une expérience, les programmes offerts par Agastya changent leur vie. Alors que leur réputation s'étend, des milliers d'enfants accourent pour apprendre.

Les programmes de formation des enseignants que propose la Fondation visent à enseigner des compétences en matière de réflexion créative et de résolution des problèmes. Agastya fait appel à des méthodes non conventionnelles pour former les enseignants, en offrant par exemple des modules qui intègrent l'apprentissage et le savoir dans des matières différentes, en incitant les enfants et les parents à demander aux enseignants de faire mieux et en travaillant avec des groupes composés d'enfants et d'enseignants afin de renforcer leur interaction et réduire l'écart entre la formation des enseignants et la pratique en classe. Le laboratoire d'Agastya, l'Exploratorium Jhunjhunwala et le Centre de Formation des enseignants qui seront prochainement construits sur le campus de 69 hectares proposeront un modèle unique d'apprentissage holistique fondé sur la créativité.

Alors que le trimestre commence, des milliers d'enfants et d'enseignants attendent avec impatience l'arrivée du laboratoire mobile, un véhicule équipé d'un écran pour regarder des vidéos, proposant des expositions et des expériences personnalisées, des documents et doté d'un ordinateur. Deux enseignants dynamiques, formés par les meilleurs scientifiques et éducateurs indiens, offrent durant six heures à environ 100 enfants et cinq enseignants un accès à ces outils d'apprentissage et à ces expériences. Les laboratoires mobiles remplacent les cours magistraux ennuyeux par un apprentissage pratique qui coûte moins de 2 dollars par enfant. Opérant dans un rayon de 500 kilomètres, ils proposent un mélange unique de connaissances accessibles et riches, offrent un large éventail de services éducatifs interactifs, y compris l'accès numérique, à des millions d'enfants. En fin de compte, ils ne constituent pas seulement une ressource mais aussi une approche innovatrice que les enseignants locaux peuvent utiliser, même après le départ du laboratoire dans le village voisin. Les nouvelles initiatives visant à renforcer l'effet durable des visites du laboratoire mobile comprennent l'installation d'un laboratoire dans les écoles qui n'ont qu'un seul enseignant et un film sur des expériences pratiques diffusé par satellite.

L'expérience d'Agastya montre que l'intégration de la pédagogie créative dans le système d'apprentissage traditionnel est un processus lent et subtil, dont l'impact se mesure sur plusieurs années, et qui, une fois enraciné, est durable. Par exemple, de nombreuses tentatives pour transformer l'éducation par l'accès au numérique ont échoué, parce qu'au départ, les utilisateurs n'étaient pas prêts pour ce genre d'expérience. Exposés aux programmes de la Fondation, les enfants défavorisés et les enseignants sont de plus en plus nombreux à prendre part aux activités, comme le montrent le nombre de questions posées par les élèves, leur engouement pour la construction de modèles et la promotion des centres scientifiques par les autorités de l'éducation. Dans certains villages, les enfants qui travaillent pendant la journée et ne vont pas à l'école se réservent du temps pour assister aux cours du soir, faisant preuve d'une soif de savoir et d'un esprit créatif qui ne demande qu'à s'épanouir. Les gouvernements proactifs affectent des fonds opérationnels aux laboratoires mobiles.

La Fondation a pour mission de créer des réseaux d'apprentissage, jusqu'à ce qu'ils atteignent un " point de basculement " dans le système d'éducation indien. " Une simple étincelle peut mettre le feu à la prairie " dit le vieux proverbe chinois. Le modèle d'Agastya montre que l'apprentissage sérieux peut se propager comme " un feu dans la prairie " s'il est attrayant et engageant. En cinq ans, la Fondation Agastya a touché plus d'un million de pauvres, principalement des enfants de zones rurales, et 50 000 enseignants dans quatre États indiens. Elle a la capacité de toucher plus d'un million d'enfants et 20 000 enseignants par an. En les exposant aux méthodes d'apprentissage actives, elle contribue à transformer le concept même de l'éducation dans les districts où celle-ci a été négligée. Ce n'est cependant qu'un début - elle compte toucher 50 millions d'enfants et un million d'enseignants d'ici à 2015.

En identifiant et en implantant ces modèles d'éducation créative, les Nations Unies peuvent contribuer à transformer les systèmes d'éducation moribonds et aider des millions d'enfants à s'élever au-dessus de la médiocrité. Il faut prendre des mesures urgentes et impératives, car l'expérience montre que, trop souvent, les technologies modernes ont un impact asymétrique, qui favorise les riches au détriment des pauvres.

Biographie
Ramji Raghavan est président de l'Agastya International Foundation, qui dirige une initiative locale pour transformer l'éducation primaire et secondaire en Inde. Il a travaillé comme responsable dans des organisations aux États-Unis, en Europe, dans les Caraïbes et en Asie, a créé et dirigé des entreprises spécialisées dans les services financiers, les conseils et les logiciels. En 1998, il a abandonné sa carrière commerciale à Londres pour se consa-crer à des initiatives de développement social en Inde.
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
Copyright © Nations Unies
Retour  Haut