Chronique ONU

LA DESCENTE D'ORGANES
Le plus lourd fardeau porté par les femmes

Par Sushma Amatya

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L'article

Selon les estimations, au Népal, une femme mariée sur dix souffre d'une descente de la matrice ou d'un prolapsus utérin. Cela se produit lorsque le col de l'utérus et l'utérus descendent au-dessous de leur position normale suite au dommage subi par les ligaments qui soutiennent ces organes. Ce problème est principalement dû à des naissances répétées et à la reprise des travaux manuels trop tôt avant et après l'accouchement. Mais rares sont les femmes qui savent ce qui leur arrive et pourquoi, ou qu'un traitement existe, et elles sont souvent trop gênées pour demander de l'aide.
Bhagwati Mainali (à gauche) est une travailleuse sanitaire dans une unité mobile de santé génésique. PHOTOS REPRODUITES AVEC L'AUTORISATION DE SUSHMA AMATYA

Les femmes népalaises - , dès un jeune âge, portent de lourdes charges et effectuent de durs travaux. Elles se marient jeunes et accouchent généralement à la maison sans aucune aide, ce qui peut provoquer un étirement des muscles pelviens quand l'accouchement est long. Les soins apportés par un personnel non qualifié et la reprise des travaux difficiles immédiatement après l'accouchement peut causer des dommages supplémentaires. " Nos recherches montrent que 95 % des femmes népalaises reprennent leur travail dans les 45 jours qui suivent l'accouchement ", a indiqué le docteur Rajendra Gurung, spécialiste de la santé génésique au Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP). " C'est bien trop tôt, car les ligaments sont encore distendus. Pis encore, plus de 15 % effectuent de durs travaux dans la semaine qui suit l'accouchement. C'est simplement dangereux ! Et cela touche un grand nombre de femmes - nous parlons de 600 000 femmes et jeunes filles."

Pour répondre à ce problème, des unités mobiles de santé reproductive ont été mises en place, où les femmes peuvent se faire poser un anneau pour maintenir l'utérus et éviter qu'il s'affaisse. L'anneau, qui coûte 20 centimes, est une solution alternative à l'intervention chirurgicale qui coûte entre 150 et 250 dollars, somme beaucoup trop élevée pour les femmes rurales pauvres. Nirmala Khatri, 21 ans, a gardé le douloureux secret de son état pendant six ans avant de se décider à faire quelque chose. Srimati Limbu, grand-mère, souffre depuis 42 ans d'une descente d'organes, qui forme une sorte de poche flasque, et Jaya Maya Suwand, 72 ans, a enduré son état pendant 40 ans avant de se résoudre à chercher de l'aide. Je les ai rencontrées dans l'une de ces unités en 2006 à Panchthar, une région montagneuse à la frontière nord-est de l'Inde. Leurs histoires illustrent la vie difficile des femmes rurales, pour qui le prolapsus utérin est devenu le fardeau le plus lourd à porter.

Nirmala s'est mariée à l'âge de 14 ans et a donné naissance à son premier enfant à 16 ans. " Quand je suis allée aux toilettes le lendemain de la naissance de mon fils, j'ai senti quelque chose sortir de moi, comme une tête ", m'a-t-elle dit. " Je pensais que c'était une conséquence normale de l'accouchement, mais quand j'ai demandé à ma belle-sœur, elle m'a dit que non. " Son mari s'est rendu compte de son état onze jours après, mais il " n'a rien dit ". Tous les jours, elle se lève à 4 heures et vaque aux travaux ménagers. Elle fait le ménage, la cuisine, la lessive, va chercher du bois de chauffage, coupe de l'herbe pour le bétail et transporte six à huit seaux d'eau sur des routes en pente. Un an plus tard, elle a eu un autre enfant. À chaque fois, elle a accouché chez elle, sans aucune aide.

Le docteur Geethe Rana, responsable de projet pour la santé des femmes au Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), a commenté : " Dans cette société patriarcale, les femmes sont conditionnées dès l'enfance à accepter de durs travaux. Les femmes comme Nirmala, qui ne bénéficient pas d'un soutien familial, reprennent leurs travaux trop tôt après les couches. " L'UNICEF met en œuvre des programmes pour améliorer les services de santé reproductive dans huit districts du Népal. " Les programmes mettent l'accent sur la nécessité de faire participer toute la famille au soutien des femmes enceintes ", explique G. Rana. " Nous encourageons les familles à amener les femmes sur le point d'accoucher dans des centres de soins obstétriques, où elles peuvent accoucher avec l'aide de sage-femme qualifiées ou de médecins. Un grand nombre de cas de prolapsus utérins pourraient être évités si les mères bénéficiaient d'une aide qualifiée pendant l'accouchement et si leur famille veillait à ce qu'elles n'effectuent pas de durs travaux à la fin de leur grossesse et après l'accouchement.

De gauche à droite : Nirmala Khatri, Srimati Limbu et Jaya Maya Suwang. -toutes trois ont souffert d'un prolapsus utérien.

Faisant part de son expérience, Nirmala a raconté : " Marcher ou m'asseoir m'était extrêmement inconfortable. J'éprouvais une sensation de brûlure tout le temps, surtout quand je travaillais dur et pendant les jours pluvieux et froids. Quand il faisait beau et que je ne travaillais pas trop, le problème disparaissait ". Mais elle n'en a parlé à personne. " J'avais tellement honte. Et à quoi cela aurait-il servi ? J'aurais seulement parlé de mon problème. Les autres sont dans la même situation, elles n'en savent pas plus que moi. " Quand Nirmala a entendu parler d'une unité où ces cas étaient traités gratuitement avec la pose d'un anneau en caoutchouc, elle a fait trois heures de route à pied et trois heures en autocar pour se rendre dans le centre. Elle a mis du temps à s'habituer à l'anneau et n'était toujours pas sûre que son problème avait été résolu, même temporairement. " Le médecin m'a dit que la douleur disparaîtrait et que je devrais revenir dans trois mois pour faire nettoyer l'anneau… Je ne sais pas ", a-t-elle ajouté. Quand je lui ai demandé si elle partagerait son expérience avec d'autres, elle a répondu : " J'en parlerai seulement si ça marche, pas autrement. "

On pouvait lire sur son visage une lueur de bonheur aux souvenirs d'une enfance heureuse, dorlotée par sa grand-mère, alors qu'elle expliquait que ses activités se cantonnaient à transporter deux gagris (seaux d'eau), à couper l'herbe et parfois à faire la cuisine. Elle aurait aimé poursuivre ses études, mais n'a pu aller que jusqu'à la cinquième. Elle a conclu : " Si je ne m'étais pas mariée si jeune et n'avais pas eu des enfants immédiatement, si je n'avais pas dû travailler si dur, peut-être que cela ne me serait pas arrivé. " Elle a poursuivi avec détermination : " Je laisserai ma fille étudier aussi longtemps qu'elle le voudra et elle se mariera quand elle le décidera. "

Le docteur Guna Raj Lohani (photo ci-contre), qui travaille depuis deux ans à l'hôpital Phidim à Panchthar, a vu de nombreux cas de prolapsus utérin. " Le fait de soulever des objets lourds, d'effectuer de durs travaux, comme transporter de l'eau, de l'herbe, du bois ou des produits fermiers juste après avoir accouché exerce une tension sur les ligaments pelviens, ce qui provoque le relâchement de l'utérus. Les cas qu'il a rencontrés dans le village sont en majorité des cas du deuxième ou troisième degrés, où l'utérus est partiellement ou entièrement sorti, a-t-il ajouté. Il s'est souvenu d'une femme qui s'enfonçait des bouts de tissu dans le vagin pour maintenir l'utérus à l'intérieur, mais sans succès, et a mis en garde que, dans ces circonstances, le risque d'infection était très élevé et pouvait même entraîner la mort.

Srimati Limbu, une grand-mère de 80 ans qui ne s'exprime que dans sa langue natale, souffre d'un prolapsus utérin du troisième degré depuis 42 ans. Elle a raconté que son utérus " était sorti " quand elle a soulevé des seaux d'eau sept jours après avoir donné naissance à son quatrième enfant. Elle n'a rien dit à personne. " Comment en parler ? C'est une telle honte ! " Elle a expliqué qu'au début, elle était surtout gênée par les fuites liquides émanant fréquemment de l'utérus. Quand je lui ai demandé si elle aimerait que son problème soit traité, elle a répondu : " J'aimerais bien, mais je n'ai pas l'argent. Mais bien sûr je le ferai si on m'aide. " Elle vaque toujours aux travaux quotidiens, comme couper l'herbe dans le champ et semer. " J'ai mal quand je marche, mais je dois faire le travail. Si je ne travaillais pas, nous n'aurions rien à manger. "

Srimati a parlé de son problème et a accepté de recevoir de l'aide, mais Jaya Maya Suwang, qui souffre de ce problème depuis 40 ans, est venue à l'unité mobile se plaignant d'abord d'une douleur au pouce, puis à la tête pour finalement se résoudre à aborder le vrai problème. Le médecin, se doutant qu'il s'agissait d'un prolapsus, a écouté patiemment jusqu'à ce qu'elle admette qu'elle avait un " problème ". Bhagwati Mainali, une assistante qui aide l'unité mobile depuis 14 ans, a dit qu'elle avait observé un net changement des comportements. " Avant, on nous menaçait de bâtons quand nous osions demander si quelqu'un souffrait d'un prolapsus utérin. Maintenant, il suffit de répandre la nouvelle que nous avons installé une unité mobile de santé gratuite pour que les gens accourent, venant parfois de villages situés à quatre heures de marche. Des cas comme celui de Jaya prennent du temps à comprendre, mais les femmes, spécialement les plus âgées, ont commencé à en parler, au moins pour se faire soigner temporairement. "

Des jeunes femmes népalaises discutent des questions sexuelles et de santé génésique.
PHOTO/SIMRAN UDAS/RHIYA NEPAL

Le docteur Gurung a noté que " la discrimination fondée sur les castes, les longues distances, le manque de travailleurs de santé et le statut des femmes sont des obstacles qui empêchent les pauvres d'avoir accès aux soins de santé et à l'information ". Pour y répondre, le FNUAP a mis en place des unités de santé reproductive dans les régions éloignées, augmentant la couverture et la qualité de ces services . " Sur les 16 500 personnes qui ont reçu des soins en 2005, 565 étaient des femmes qui souffraient d'un prolapsus utérin, a-t-il commenté. En discutant avec les femmes qui attendaient leur tour pour voir le médecin, il était clair que la peur du ridicule et l'exclusion sociale - dans certains villages, cette condition est interprétée comme la preuve d'une vie sexuelle trop active -, ainsi que la honte, qui sont dues au manque de sensibilisation, ont empêché les femmes de parler de leur état, même avec les membres de leur famille ou leurs amis les plus proches.

Selon M. Gurung, " en plus du stress et de l'isolement émotionnel, elles risquent d'être abandonnées par leur mari et d'être victimes de la violence, de mauvais traitements ou de discrimination. Ne pas être en mesure de travailler peut accroître leur pauvreté et leur capacité à s'occuper de leur famille. Le prolapsus utérin est une question de santé publique qui touche les femmes les plus pauvres et les plus vulnérables au Népal. Il reste encore beaucoup à faire pour fournir aux femmes l'accès au traitement et sensibiliser davantage la communauté afin d'empêcher tout simplement qu'un tel problème se produise ", a-t-il conclu.

 

Biographie
Sushma Amatya est auteur, photographe et chercheur à Katmandou. Elle a travaillé au bureau régional de l'UNICEF en tant que conseillère en éducation/loisirs pendant quatre ans. À part ses travaux d'écriture personnels, elle effectue de courts travaux dans le domaine du développement.
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