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                | L'architecture 
                  unique de cette propriété a été 
                  sauvée par les entreprises locales qui utilisent plusieurs 
                  de ses bâtiments et entretiennent les parties abandonnées. |  Perché en haut d'une colline surplombant une petite ville 
              universitaire de l'Ohio (États-Unis), l'hôpital d'État 
              d'Athens (appelé aujourd'hui The Ridges) a une présence 
              imposante qu'altèrent à peine les bannières 
              de la galerie d'art située dans le bâtiment central. 
              À part la partie du bâtiment actuellement occupée 
              par l'université d'État de l'Ohio, l'ancien hôpital 
              Kirkbride a été en grande partie laissé à 
              l'abandon et livré au délabrement. Les couloirs et 
              les chambres, portant encore des traces du passé, sont couverts 
              de moisissure et de salpêtre, les murs sont devenus des peintures 
              murales de peinture au plomb écaillée dont les débris 
              recouvrent le sol et rendent l'air insalubre. 
 À nombreux égards, cet hôpital est une anomalie. 
              Il a été étonnamment bien préservé 
              et protégé contre le vol et le vandalisme et les vestiges 
              de son histoire sont restés intacts. Ce n'est pas le cas 
              de la plupart des hôpitaux d'État qui, comme celui 
              de Byberry à Philadelphie, ont été complètement 
              livrés aux éléments naturels et sont facilement 
              accessibles à ceux qui s'intéressent à leur 
              sort et ne craignent pas d'être inquiétés par 
              les quelques agents de sécurité qui les gardent. Ces 
              sites sont souvent perçus comme un problème pour les 
              communautés locales, dû en partie au développement 
              d'une sous-culture d'individus se déclarant explorateurs 
              urbains, allant de ceux qui ont un respect profond pour les sites 
              à ceux qui les considèrent comme des lieux idéaux 
              pour faire des graffiti et commettre des actes de vandalisme. Alors 
              que ces sites sont extrêmement toxiques, les dangers sont 
              souvent invisibles à ceux qui y pénètrent. 
              Les particules d'amiante et de plomb dans l'air n'ont pas un effet 
              immédiat sur la santé et la faiblesse des planchers 
              ne se révèle qu'une fois qu'il est trop tard. Ils 
              sont, de surcroît, situés dans des lieux convoités 
              par les promoteurs. Leur importance historique est indéniable, 
              mais le retrait des matériaux dangereux entraîne souvent 
              des coûts prohibitifs.
 
 
               
                |  |   
                | Les asiles fonctionnaient 
                  de manière autonome et la majorité des légumes 
                  étaient cultivés par les patients dans des champs 
                  et des serres comme celle-ci. |  Connus aujourd'hui pour les abus et les mauvais traitements qui 
              ont eu lieu à l'intérieur de leurs murs, la plupart 
              des hôpitaux d'État étaient initialement de 
              beaux sites idylliques construits à la fin des années 
              1800 afin de répondre aux troubles mentaux dont souffraient 
              les anciens combattants de la guerre civile, qui auraient été 
              diagnostiqués aujourd'hui comme état de stress post-traumatique. 
              Jamais la sensibilisation du public sur la nécessité 
              de fournir des soins adéquats à ces malades mentaux 
              n'aura été aussi forte, et des réformateurs 
              comme Dorothea Dix (1802-1887) et Thomas Kirkbride (1809-1883) ont 
              contribué à mobiliser l'opinion afin de créer 
              des asiles financés par les fonds publics fédéraux. 
              Ces institutions ont été fondées sur le principe 
              que les patients pouvaient guérir en recevant un traitement 
              humain, en travaillant et en vivant dans un beau cadre naturel, 
              et étaient conçues pour fonctionner de manière 
              autonome. Les patients cultivaient leurs propres légumes, 
              entretenaient la propriété et le traitement était 
              à tous points de vue une nette amélioration par rapport 
              aux soins qui étaient prodigués aux malades mentaux 
              avant cette époque.
 
 
 
               
                |  |   
                | Alors que la peinture 
                  qui s'écaille forme des fresques sur les murs et les 
                  portes de cet asile, une poussière toxique recouvre le 
                  sol et imprègne l'air. |  Mais cela ne devait pas durer. Au début du siècle 
              suivant, les hôpitaux d'État sont devenus des lieux 
              où l'on entassait un nombre croissant de personnes que la 
              société considérait comme indésirables, 
              y compris les criminels, les pauvres, les homosexuels, les personnes 
              aux points de vue religieux non conformes, les enfants non désirés, 
              les vieux, les syphilitiques, les alcooliques et tous ceux qui indisposaient 
              l'entourage. Pendant cette période, il était facile 
              de faire interner une femme dont on ne voulait plus, des enfants 
              difficiles ou des parents qui vieillissaient et encombraient. 
 Alors que la population a dépassé la capacité 
              pour laquelle l'asile avait été conçu, le niveau 
              des soins a chuté et avec une si grande diversité 
              de patients partageant les mêmes salles, il était impossible 
              de fournir des soins adaptés. Suite à des réductions 
              de budget durant la guerre et la dépression, les patients 
              ont dû dormir à même le sol ou dans les couloirs. 
              La situation a atteint des proportions critiques pendant la Seconde 
              Guerre mondiale, lorsque les fonds et les fournitures sont venus 
              à manquer et que la majorité du personnel valide a 
              été réquisitionnée. Soigner les patients 
              était également devenu un véritable cauchemar 
              : certaines salles étaient remplies de patients mal nourris, 
              nus et sales, qui étaient forcés de manger de la nourriture 
              avariée et de dormir dans des quartiers qui tombaient en 
              ruine, souvent exposés de manière fatale aux éléments 
              naturels. Avec un personnel soignant réduit à son 
              strict minimum (parfois une infirmière pour 200 patients) 
              et une population entassée dans des bâtiments qui abritait 
              le double de la capacité prévue, les abus sont devenus 
              de plus en plus problématiques. Les patients étaient 
              battus, violés, se prostituaient, étaient dépourvus 
              de soins ou subissaient des mauvais traitements à des niveaux 
              qui défient la compréhension. En regardant les photos 
              de cette période, on ne peut s'empêcher de remarquer 
              la ressemblance de ces patients avec les rescapés de l'Holocauste.
 
               
                |  |   
                | Les murs de l'hôpital 
                  d'État d'Athens ont été remarquablement 
                  bien préservés et épargnés par le 
                  vandalisme et le vol. |  Dans son ouvrage, Mad in America: Bad Science, Bad Medicine and 
              the Enduring Mistreament of the Mentally Ill, Robert Whitaker démontre 
              que l'Holocauste et le traitement des malades mentaux étaient 
              fondés sur les mêmes principes de l'eugénisme 
              et du nettoyage des " indésirables " de la société 
              : un but des camps de concentration était l'extermination 
              de l'élite allemande considérée comme néfaste 
              à la société, tandis que le même but, 
              s'il n'était pas déclaré, était atteint 
              par le système de santé mentale américain par 
              la stérilisation forcée et la négligence mortelle.
 À la fin de la guerre, plusieurs articles importants ont 
              révélé les mauvais traitements infligés 
              aux malades mentaux. Un essai avec photos, intitulé " 
              Bedlam 1946 " et publié dans Life Magazine, et la publication 
              en 1948 de The Shame of the States (Mental Illness and Social Policy 
              : the American Experience) d'Albert Deutsch, ont permis de sensibiliser 
              le public sur la situation des aliénés dans les hôpitaux 
              psychiatriques. Cela a permis d'améliorer un peu la situation, 
              mais la plupart des mesures prises pour remédier au problème 
              ont été de courte durée. Le surpeuplement et 
              l'insuffisance des soins ont continué d'être problématiques, 
              quoique dans une moindre mesure que pendant la Seconde Guerre mondiale, 
              et les mauvais traitements se sont poursuivis sans relâche. 
              Il n'y a simplement aucun moyen de connaître les cruautés 
              dont ont été victimes les patients; on pratiquait 
              des lobotomies, qui étaient devenues courantes car elles 
              permettaient de calmer les patients quand elles n'endommageaient 
              pas en permanence les fonctions cognitives. Une procédure 
              similaire, tout aussi barbare, a été réalisée 
              à l'Hôpital d'État d'Athens par le docteur Walter 
              Freeman, qui n'utilisait ni anesthésie ni salle d'opération 
              et dont les techniques ont même choqué les médecins 
              et les infirmières qui étaient familiers de la procédure. 
              L'hydrothérapie était une autre forme de traitement 
              où le patient était maintenu dans une baignoire, qui 
              pouvait être remplie d'eau bouillante ou glacée, équipée 
              d'un système avec un dessus en toile dont sortait seulement 
              la tête. Selon le bon vouloir du personnel soignant, le patient 
              pouvait être laissé dans cet état pendant des 
              jours sans même pouvoir se rendre aux toilettes. Les hôpitaux 
              ayant pour fonction d'entasser les malades plutôt que de les 
              guérir, le but des traitements était moins d'améliorer 
              leur état que de les maîtriser pour rendre la tâche 
              du personnel plus facile. 
 
 
 
               
                |  |   
                | Livrée 
                  à elle-même, la nature s'amuse souvent à 
                  imiter l'architecture, en formant des motifs complémentaires 
                  surprenants. |  À la fin des années 1960 et 1970, la Thorazine, " 
              la camisole de force chimique ", a changé les soins 
              de santé mentale. Les neuroleptiques, comme la Thorazine, 
              ont des effets néfastes ainsi que de nombreux effets secondaires 
              graves. Ils ont été plus tard identifiés par 
              les dissidents politiques soviétiques comme l'une des pires 
              tortures qu'ils aient subies dans les " centres psychiatriques 
              " où ils étaient internés. Rendant les 
              patients dociles et obéissants, ils ont été 
              largement utilisés dans le système de santé 
              américain. Avec la propagation de cette pratique, la politique 
              de désinstitutionalisation prônée par le Président 
              John F. Kennedy et la naissance d'associations de défense 
              des droits des patients, on a abandonné l'hospitalisation 
              traditionnelle : il ne s'agissait plus d'enfermer les patients pour 
              le restant de leur vie mais de changer leurs comportements pour 
              qu'ils s'intègrent dans leur communauté. Alors que 
              cette politique a été bénéfique à 
              de nombreux égards, elle n'a pas mis fin aux pratiques inhumaines 
              et déshumanisantes dans les hôpitaux. Dans son ouvrage 
              The Shoe Leather Treatment, faisant référence au traitement 
              " courant " qui consistait à donner des coups de 
              pied aux patients jusqu'à ce qu'ils obéissent ou qu'ils 
              soient trop faibles pour résister, l'ancien patient Bill 
              Thomas raconte qu'après des années passées 
              dans les hôpitaux d'État, un court séjour en 
              prison après une tentative d'évasion lui avait semblé 
              un paradis.
 
 
               
                |  |   
                | Des bâtiments 
                  de l'hôpital dans le Maryland, ont été gravement 
                  endommagés par des actes de vandalisme. Les portes sont 
                  cassées, les fenêtres brisées et les murs 
                  recouverts de graffiti. |  Les pressions visant à réintégrer les patients 
              dans la société, associées aux mauvais traitements 
              flagrants et à la négligence, ont fini par entraîner 
              la fermeture de nombreux asiles. Mais cela ne s'est pas fait sans 
              mal. Avec les politiques prônées par le Président 
              Ronald Reagan, les patients se sont retrouvés à la 
              rue, sans soins, et le nombre de sans-abri est monté en flèche. 
              Lors de la fermeture de l'hôpital d'État Byberry en 
              1986, trois patients se sont noyés dans le Schuylkill avant 
              que le gouverneur de Pennsylvanie ne décide de ralentir le 
              processus à un niveau gérable. Ce processus se poursuit 
              à ce jour et la nature problématique des soins psychiatriques 
              continue de nous hanter. L'hôpital d'État d'Harrisburg, 
              en Pennsylvanie, vient de fermer, forçant les communautés 
              et les professionnels de la santé mentale à trouver 
              des alternatives pour les patients qui nécessitent des soins. 
              Nombre de patients vivant actuellement dans les communautés 
              ont parfois besoin d'être aidés pour le restant de 
              leur vie pour s'acquitter des tâches de la vie quotidienne 
              les plus courantes, comme faire des courses et payer les factures, 
              n'ayant jamais été confrontés à ces 
              problèmes durant leur hospitalisation. 
  
               
             
               
                |  |   
                | Des 
                  chaussures sont entassées au bas de l'escalier de la 
                  cave de l'hôpital d'État d'Athens.
 |  Une autre question toujours actuelle concerne la réaffectation 
              des bâtiments des hôpitaux d'État. Dans de nombreux 
              cas, le terrain et les bâtiments sont presque immédiatement 
              repris, vendus à des promoteurs ou utilisés comme 
              bureaux régionaux. Plusieurs bâtiments, comme l'hôpital 
              d'État Danvers à New York, ont été reconvertis 
              en immeubles d'habitations à des prix très élevés, 
              même si certains anciens patients et professionnels de la 
              santé mentale considèrent qu'une telle pratique est 
              aussi indécente que de convertir les bâtiments d'Auschwitz 
              en appartements. D'autres, comme l'hôpital Dixmont, ont été complètements 
              démolis par de grandes sociétés qui voient 
              en ce site une mine d'or et détruisent sans problème 
              les tombes des cimetières au bulldozer pour pouvoir mettre 
              en uvre leurs projets. D'autres encore, comme l'hôpital 
              d'État Pilgrim à New York, ont été partiellement 
              utilisés, abandonnés et démolis. D'innombrables 
              sites ont été complètement abandonnés 
              jusqu'à ce que les toits s'écroulent, endommagés 
              par des infiltrations d'eau ou incendiés par des pyromanes. 
              Pratiquement aucun d'eux n'est un site historique classé 
              où les visiteurs peuvent retrouver des pans de leur passé 
              peu glorieux.
 
 
 
 
               
                |  |   
                | Conçues 
                  pour les patients psychotiques, les ailes de l'hôpital 
                  Kirkbride sont situées loin de la partie centrale (et 
                  de la sortie) pour éviter les risques d'évasion. |  Cependant, on relève deux exemples particulièrement 
              réussis de réintégration des propriétés 
              dans les communautés. L'hôpital d'État à 
              Fairview, dans le Connecticut, a été transformé 
              en parc public - les bâtiments sont en bon état et 
              la propriété bien entretenue - où les membres 
              de la communauté font du jogging, pique-niquent ou promènent 
              leur chien. Ironiquement, depuis que ce lieu a été 
              ouvert au public, les vols et le vandalisme ont considérablement 
              baissé par rapport aux autres hôpitaux d'État 
              dont l'accès est interdit au public.
 
 
 
               
                |  |   
                | La grande salle 
                  cinéma de cet asile est en mauvais état. Les vieux 
                  projecteurs dans la cabine de projection sont relativement indemnes. |  L'hôpital d'État d'Athens est un exemple remarquable 
              de gestion d'un site historique. L'université occupant plusieurs 
              parties des bâtiments, la propriété est bien 
              entretenue, bien aménagée et sûre. Sur son site 
              Internet, elle a consacré une section à l'histoire 
              de l'institution; les ailes de l'hôpital Kirkbride sont en 
              meilleur état que celles de la plupart des autres hôpitaux 
              d'État du pays. Aussi, contrairement à de nombreux 
              asiles, l'hôpital d'Athens est situé sur une colline 
              qui surplombe la petite ville universitaire. Tandis qu'il faut un 
              masque de protection et une autorisation de la direction de l'université 
              pour y entrer, son riche passé à plusieurs facettes 
              demeure intact pour l'instant, servant de rappel et d'épitaphe 
              aux nombreuses vies brisées qui ont franchi ses portes.
 
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