Chronique ONU
Le Rapport 2006/2007 sur l'état des villes dans le monde
TENDANCES URBAINES ET BIDONVILLES
AU XXIe SIÈCLE

Par Eduardo Lopez Moreno et Rasna Warah
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L'article
PHOTO Rasna Warah


Il suffit parfois d'un être humain pour faire pencher la balance et changer le cours de l'histoire. En 2007, cet être humain viendra s'installer dans une ville, où y sera né, et les démographes qui observent les processus d'urbanisation le signaleront comme le moment où le monde entrera dans un nouveau millénaire urbain où la majorité de la population mondiale vivra dans des villes. Le nombre d'habitants des taudis augmentera aussi pour atteindre le milliard, un citadin sur trois vivra dans un logement non convenable, sans accès aux services de base ou avec un accès minimum.

Trois tendances importantes caractériseront le processus d'urbanisation dans cette nouvelle ère urbaine. Premièrement, les plus grandes villes se trouveront en majorité dans les pays en développement. Les " métapoles " - énormes conurbations tentaculaires de plus de 20 millions qui dépassent la taille des mégapoles - se développent en Asie, en Amérique latine et en Afrique. Abritant seulement 4 % de la population mondiale, la majorité d'entre elles croît à un rythme relativement lent de 1,5 % par an. La taille de ces agglomérations urbaines indique une transformation des régions en zones urbaines, ainsi que " l'émergence de métropoles ", ce qui demande des formes plus polycentriques de gouvernance et de gestion urbaines et des relations plus étroites entre les municipalités. L'ampleur de l'impact des métapoles et des mégapoles sur l'arrière-pays, également importante, sera probablement une source de préoccupations au cours des décennies à venir.

Deuxièmement, malgré l'émergence de métapoles, la majorité des migrants urbains vivra dans des petites villes de moins de 1 million d'habitants. Plus de la moitié de la population urbaine mondiale habite dans des villes de moins de 500 000 habitants et près d'un cinquième dans des villes de 1 à 5 millions d'habitants - on s'attend à ce que ces lieux intermédiaires croissent à un rythme plus rapide. Plutôt que la migration, l'augmentation naturelle de la population contribue à la croissance urbaine dans de nombreuses régions, de même que la reclassification des zones rurales en zones urbaines. L'absence relative d'infrastructure, comme les routes, l'approvisionnement en eau et les communications, rend de nombreuses villes moins compétitives et a des répercussions sur la qualité de vie de leurs habitants.

Troisièmement, les villes des pays en développement absorberont 95 % de la croissance urbaine au cours des deux prochaines décennies et compteront près de 4 milliards de personnes d'ici à 2030, soit 80 % de la population urbaine mondiale. Après 2015, la population rurale commencera à décroître alors que la croissance urbaine s'intensifiera dans les villes d'Asie et d'Afrique qui abriteront en 2030 les plus grandes populations urbaines avec, respectivement, 2,66 milliards et 748 millions d'habitants. La pauvreté et les inégalités seront une caractéristique de nombreuses villes des pays en développement et, dans certaines régions, la croissance urbaine sera synonyme de formation de taudis. Aujourd'hui, l'Asie compte déjà plus de la moitié des habitants des taudis (581 millions), viennent ensuite l'Afrique sub-saharienne (199 millions), avec un taux annuel de croissance urbaine et des bidonvilles des plus élevés au monde (respectivement 4,58 % et 4,53 %), l'Amérique latine ainsi que les Caraïbes (134 millions).

Les conflits qui menacent constamment certains pays africains sont des facteurs qui contribuent à la prolifération des taudis dans les zones urbaines. La crise prolongée au sud du Soudan, par exemple, a entraîné un exode massif des populations rurales vers Khartoum, la capitale, qui a accueilli près de la moitié des quelque 6 millions de personnes déplacées à la fin des années 1990. Confrontés à des inégalités croissantes et à la pauvreté dans les villes, les décideurs politiques devront tenir compte de ces tendances.

L'urbanisation peut, cependant, être une force positive pour le développement humain. Les pays très urbanisés ont des revenus souvent plus élevés, des économies plus stables, des institutions plus solides et sont moins vulnérables à la volatilité de l'économie mondiale. Dans les pays développés comme dans les pays en développement, les villes génèrent une part disproportionnée du produit intérieur brut et offrent des opportunités d'emploi et d'investissement. Les études indiquent pourtant que, malgré leur immense potentiel à créer de la richesse, elles ne réussissent pas à réduire la pauvreté. Au contraire, dans un grand nombre de villes, les inégalités entre les riches et les pauvres se sont creusées, et la taille et la proportion de la population des bidonvilles ont augmenté.

Bien que la pauvreté soit principalement rurale, elle est devenue un phénomène urbain de plus en plus grave, chronique et sous-estimé. Une partie importante de la population urbaine souffre de privation extrême. Les analyses du Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-HABITAT) montrent que l'incidence des maladies et de la mortalité est plus élevée dans les bidonvilles que dans les zones urbaines sans taudis et, dans certains cas, comme en matière de prévalence du VIH, qu'elle est égale ou même plus élevée que dans les zones rurales. L'inégalité d'accès aux services, au logement, à la terre, à l'éducation, aux soins de santé et à l'emploi dans les villes a des répercussions socio-économiques, environnementales et politiques, exacerbe la violence et les conflits, entraîne la dégradation de l'environnement et le chômage, risquant de miner les progrès en termes de revenus et de réduction de la pauvreté.

Le Rapport 2006/2007 sur l'état des villes dans le monde fournit un aperçu des questions liées aux villes, aux bidonvilles et aux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Il montre clairement que la lutte contre la pauvreté dépend étroitement de la performance des villes. Il met en relief trois questions liées entre elles : les OMD offrent un cadre pertinent afin de lier les opportunités fournies par les villes et l'amélioration de la qualité de la vie; la réalisation des OMD dépend de la capacité du gouvernement à réduire la pauvreté urbaine, les inégalités ainsi que le nombre de taudis; et l'amélioration des conditions de vie dans les bidonvilles aura un effet positif sur la réalisation de la plupart des OMD et de leurs cibles.

Depuis que les gouvernements surveillent la performance de leur pays en matière de développement humain, les progrès réalisés dans les divers secteurs tendent à se concentrer sur deux zones géographiques : rurale et urbaine. Les statistiques montrent que les populations urbaines sont mieux loties que les populations rurales; elles bénéficient d'un meilleur accès aux services et affichent des indicateurs de développement humain élevés, notamment en ce qui concerne l'espérance de vie et l'alphabétisme. Il s'avère cependant que dans les pays en développement, la pauvreté urbaine est devenue un problème aussi grave que la pauvreté rurale. Selon le rapport, il existe des similarités notables entre les bidonvilles et les zones rurales :

o Dans les pays à revenu faible, comme le Bangladesh, l'Éthiopie, Haïti, l'Inde, le Népal et le Niger, 4 enfants sur 10 vivant dans les bidonvilles souffrent de malnutrition.

o La prévalence de la diarrhée est plus élevée parmi les enfants des villes, comme Khartoum et Nairobi, que parmi les enfants des zones rurales. Dans les bidonvilles, plus que l'absence de vaccination, ce sont les mauvaises conditions de vie, comme le manque d'accès à l'eau et à l'assainissement ou à la pollution de l'air dans les habitations, qui sont responsables des maladies respiratoires ou d'origine hydrique, la principale cause de décès des enfants.

o Dans certains quartiers de bidonvilles, la malnutrition et la faim sont pratiquement aussi présentes que dans les zones rurales. En Inde, les habitants des taudis souffrent légèrement plus de malnutrition que les populations rurales.

o Les données récentes sur le VIH/sida montrent que dans plusieurs pays de l'Afrique subsaharienne, la prévalence du VIH est considérablement plus élevée dans les zones urbaines que dans les zones rurales, ainsi que dans les zones de bidonvilles que dans les zones urbaines sans taudis. De surcroît, les femmes qui vivent dans les taudis sont les plus touchées, leur taux de prévalence du VIH étant plus élevé que celui des hommes et des femmes vivant dans des zones rurales.

o Dans plusieurs pays, la pyramide d'âge de la population des bidonvilles et de la population rurale montre des modèles similaires : les deux groupes sont généralement plus jeunes et meurent plus jeunes que les populations urbaines qui ne vivent pas dans des taudis, où le taux de mortalité infantile est généralement moins élevé et celui de l'espérance de vie plus élevé.

Des études ont montré que les enfants des bidonvilles urbains ont plus de chances de mourir de maladies comme la pneumonie, la diarrhée, le paludisme, la rougeole ou le VIH/sida que les enfants vivant dans les zones urbaines sans taudis à cause des conditions de vie insalubres. Dans de nombreux cas, la pauvreté, les systèmes d'assainissement insuffisants et l'air intérieur pollué rendent les enfants et les femmes vivant dans les taudis plus vulnérables aux maladies respiratoires et aux autres maladies infectieuses. Pour de nombreux habitants des taudis, le surpeuplement et les conditions de vie dangereuses, y compris la menace d'expulsion, affectent leurs moyens de subsistance. Il existe aussi une corrélation évidente entre le lieu de résidence des populations et l'emploi. Selon une étude réalisée en France, les demandeurs d'emploi vivant dans des quartiers pauvres ont moins de chances d'obtenir un entretien que ceux qui vivent dans des quartiers aux revenus intermédiaires ou élevés. Selon une autre étude réalisée à Rio de Janeiro, habiter dans une favela est un obstacle plus important que d'être une personne de couleur ou une femme - ce qui confirme que " le lieu de résidence est important " pour ce qui concerne la santé, l'éducation et l'emploi.

L'étude montre également que la ville a deux faces. Non seulement les taudis sont caractérisés par des logements insalubres, des services de base insuffisants et le déni des droits de l'homme mais ils sont symptomatiques du dysfonctionnement des sociétés urbaines où les inégalités sont non seulement tolérées mais s'accentuent sans que rien ne soit fait pour y remédier. Ce rapport dévoile une nouvelle réalité urbaine, montrant comment les conditions de vie affectent les habitants des taudis : ils meurent plus jeunes, souffrent de la faim, n'ont pas accès, ou ont un accès limité, à l'éducation, ont moins de chances de trouver un emploi dans le secteur formel et sont plus susceptibles de tomber malades. La communauté internationale ne peut plus se permettre d'ignorer les habitants des taudis qui représentent le deuxième groupe cible le plus important après les populations rurales en matière d'interventions dans le domaine du développement. Les OMD doivent donc cibler ce groupe défavorisé et vulnérable.

La prolifération des taudis au cours des 15 dernières années est sans précédent. En 1990, 715 millions de personnes vivaient dans des bidonvilles. En 2000, ils sont passés à 912 millions pour atteindre près de 998 millions aujourd'hui. Selon ONU-HABITAT, si la tendance actuelle continue, ce chiffre atteindra 1,4 milliard en 2020. Un citadin sur trois habite dans un bidonville. Certains bidonvilles deviennent moins visibles ou plus intégrés dans le tissu urbain alors que les villes se développent et que les revenus s'améliorent, tandis que d'autres font partie du paysage urbain.

Les habitants des taudis vivent souvent dans des conditions sociales et économiques difficiles mais ne sont pas tous exposés au même degré de privation. ONU-HABITAT utilise une définition opérationnelle du taudis, avec des indicateurs mesurables au niveau des ménages. Quatre indicateurs couvrent les caractéristiques physiques des conditions d'habitation : l'accès à l'eau et à l'assainissement, le surpeuplement et la durabilité du logement. Ces indicateurs, connus également comme éléments de privation en matière de logement, se concentrent sur les circonstances entourant la vie dans les taudis, décrivant les défaillances et cataloguant la pauvreté comme un attribut de l'environnement dans lequel les habitants des taudis vivent. Le cinquième indicateur - la sécurité d'occupation - a trait au domaine juridique, ce qui n'est pas facile à mesurer ou à surveiller alors que le statut des habitants des taudis dépend des droits de facto ou de jure, ou bien de l'absence de ces droits. Connaître la proportion des habitants vivant dans des taudis dans les zones urbaines ainsi que les privations dont ils souffrent en matière de logement permet de mettre au point des interventions qui ciblent les populations urbaines les plus vulnérables.

Le Rapport " L'état des villes dans le monde " présente une analyse des divers éléments de privation, ce qui permet de lier les informations de surveillance aux politiques et de développer des programmes et des interventions plus rigoureux et plus systématiques plus en accord avec les lieux et les situations spécifiques. Il fournit un aperçu général de l'état des taudis dans le monde en fonction de cinq indicateurs :
Durabilité du logement

On estime que dans les pays en développement, 133 millions de personnes vivant dans les régions en développement n'ont pas un logement durable. Plus de la moitié de la population urbaine habitant dans des logements non durables ou non permanents résident en Asie, la plus faible proportion étant en Afrique du Nord. L'analyse montre cependant que les chiffres mondiaux sur la durabilité du logement sont sous-estimés, la durabilité étant fondée principalement sur le caractère permanent des structures et non sur les lieux d'habitation ou le respect des codes de construction. En outre, les estimations tiennent seulement compte de la nature des matériaux utilisés pour le sol, peu de pays recueillant les informations sur les matériaux utilisés pour le toit et les murs. Les chiffres indiquent que plus de 90 % des logements urbains dans le monde sont pourvus d'un sol permanent mais ces chiffres baissent considérablement dans plusieurs pays lorsque l'on combine les estimations sur les matériaux utilisés pour le sol, le toit et les murs. En Bolivie, par exemple, on estime que 83,8 % de la population urbaine habite dans un logement durable lorsque seul le matériau pour le sol est pris en compte, mais ce chiffre baisse à 27,7 % avec l'ajout des matériaux pour les murs et le toit. L'analyse statistique du rapport montre que lorsque les indicateurs de la structure physique sont combinés, les résultats fournissent une idée plus réaliste de la durabilité du logement.

©OWH Photo/P. Virot

Surface habitable

Le surpeuplement est une manifestation de l'inégalité en matière de logement et une forme de " sans-abrisme déguisé ". En 2003, environ 20 % de la population urbaine mondiale, soit 401 millions de personnes, ne jouissait pas d'un espace habitable suffisant, c'est-à-dire que trois personnes ou plus partagaient une seule chambre. Deux tiers de cette population urbaine résident en Asie, dont la moitié (156 millions) en Asie du Sud. Le rapport montre comment les conditions de vie, notamment le surpeuplement et le manque d'aération, sont liées à des comportements sociaux négatifs. Il souligne que le risque de transmission de maladies et d'infections s'accentue avec l'augmentation du nombre de personnes vivant entassés dans des espaces restreints et mal aérés.

Accès amélioré à un approvisionnement en eau
Bien que les statistiques officielles reflètent mieux l'approvisionnement en eau dans les zones urbaines que dans les zones rurales, les enquêtes montrent que, dans de nombreuses villes, la quantité, la qualité et le prix de l'eau dans les établissements urbains à revenufaible ne répondent pas à des normes acceptables. L'amélioration de l'approvisionnement en eau dans les zones urbaines aurait été de 95 % en 2002. Cela ne signifie pas forcément que l'eau est salubre, en quantité suffisante, que les prix sont abordables et que l'accès est facile. L'analyse révèle que l'eau du robinet est un luxe dont bénéficie seulement deux tiers de la population urbaine mondiale : moins de la moitié (46 %) n'a pas l'eau courante; 10 % s'approvisionnent aux sources d'eau publiques; et 8 % ont seulement accès à des pompes manuelles ou à des puits protégés. Les différences entre les régions indiquent que l'Afrique a la proportion la plus faible de ménages urbains avec l'eau courante (38,3 %), l'Amérique latine et les Caraïbes ayant la proportion la plus élevée (89,3 %). Un sondage d'ONU-HABITAT a montré qu'à Addis-Abeba, en Éthiopie, la proportion des citadins à revenu faible ayant accès à l'eau était passée de 89 à 21 % quand le coût et la qualité de l'eau ont été pris en compte. Dans les zones urbaines, le manque d'accès à l'eau a un rapport direct avec les maladies d'origine hydrique ou liées à l'eau.

Accès amélioré à des services d'assainissement
Plus de 25 % de la population urbaine mondiale, soit 560 millions de personnes, n'a pas accès à des services d'assainissement adéquats. L'Asie en compte plus de 70 %, principalement en raison des grandes populations urbaines de Chine et d'Inde. Selon les analyses d'ONU-HABITAT, tandis que les villes en Asie du Sud et du Sud-Ouest ont réalisé d'immenses progrès en matière d'accès à l'assainissement dans les zones urbaines, dans les villes d'Afrique subsaharienne et d'Asie de l'Est, respectivement 45 % et 31 % de la population urbaine n'y ont pas accès. Dans certains pays d'Asie du Sud, l'accès aux services d'assainissement est peu développé, comme en Afghanistan où seulement 16 % de la population urbaine a accès à des toilettes convenables. Des centaines de milliers de personnes meurent chaque année de maladies causées par des conditions de vie insalubres dues au manque d'accès à l'eau salubre et à l'assainissement. Le nombre de décès imputable au manque d'assainissement et d'hygiène pourrait s'élever à 1,6 million par an. Ce sont les femmes qui pâtissent le plus du manque d'assainissement adéquat, devant, par exemple, faire face à de longues périodes d'attente pour avoir accès aux toilettes publiques. L'assainissement inadéquat est une sorte de " tsunami invisible ", engendrant des maladies et des décès, en particulier parmi les femmes et les enfants.

Sécurité d'occupation
Les expulsions massives d'habitants de taudis et de squats qui sont survenues dans plusieurs villes au cours des dernières années indiquent que la sécurité d'occupation est de plus en plus précaire, en particulier en Afrique sub-saharienne et en Asie où les expulsions se font souvent dans le cadre de projets d'infrastructure à grande échelle ou de réaménagement urbain. Selon une enquête réalisée dans 60 pays, 6,7 millions de personnes ont été expulsées de leur logement entre 2000 et 2003 contre 4,2 millions les deux années précédentes. Nombre de ces expulsions ont été menées sans préavis légal ou sans respect de la légalité. Elles pourraient être évitées en améliorant la sécurité d'occupation mais, concrètement, au niveau de la surveillance mondiale, cela reste une tâche difficile. Dans la plupart des pays, il n'est ni possible d'obtenir des données sur la sécurité d'occupation des ménages ni de fournir des données comparatives mondiales sur les aspects institutionnels de la sécurité d'occupation, ces données n'étant pas régulièrement recueillies lors des recensements ou des enquêtes. Toutefois, selon des informations, entre 30 et 50 % des résidents urbains des pays en développement ne jouissent d'aucun droit de sécurité d'occupation. Même si la propriété d'un logement est considérée comme la forme la plus sûre en matière de sécurité d'occupation, elle est loin d'être la norme dans les pays développés et dans ceux en développement et n'est pas le seul moyen de garantir cette sécurité. De fait, le développement illégal est devenu la pratique la plus courante en matière de construction d'habitations dans les pays en développement où l'accès au logement par le biais des voies légales est l'exception à la règle pour la majorité des ménages pauvres urbains. ONU-HABITAT et ses partenaires travaillent actuellement à la mise au point d'un système de surveillance mondiale afin de créer un cadre visant à aider les gouvernements locaux et nationaux à fournir des informations sur la manière dont les populations ont accès à la sécurité d'occupation, utilisant une méthodologie convenue en termes de définitions, d'indicateurs et de variables.


UN Habitat photo/ Hiroshi Sato

Depuis la première Conférence de l'ONU sur les établissements humains (Habitat I) de 1976 à Vancouver, au Canada, la communauté internationale a adopté et mis en œuvre un éventail de politiques et de programmes qui ont donné des résultats mitigés. Beaucoup ont été un échec et d'autres, qui ont donné de bons résultats dans le cadre des projets pilotes, n'ont pu être reproduits à une plus grande échelle et sont restés des cas isolés, n'ayant pas eu un impact important sur les niveaux de pauvreté urbaine ou sur les taux de croissance des bidonvilles. Au cours des trente dernières années, il a fallu batailler pour faire figurer la pauvreté urbaine à l'ordre du jour du développement. Le silence ou la négligence ont caractérisé la plupart des réponses politiques. Cependant, avec l'adoption de la Déclaration du Millénaire en 2000, la pauvreté urbaine a occupé une place centrale dans l'ordre du jour du développement mondial. Dans le cadre de son mandat visant à évaluer la performance de l'objectif 7, cible 11 - améliorer la vie d'au moins 100 millions d'habitants des taudis d'ici à 2020 - ONU-HABITAT a mis au point un vaste système de surveillance et d'établissement de rapports et a évalué au moins 100 pays pour déterminer s'ils étaient " en bonne voie ", " à un point stable ", " à risque " ou " encore loin " d'atteindre la cible concernant les taudis à l'aide de trois critères : le taux de croissance annuel des bidonvilles ainsi que le pourcentage et la population de ceux-ci.

Les résultats ont révélé certains aspects intéressants. Les pays qui ont réussi à réduire les trois conditions citées plus haut au cours des 15 dernières années partageaient de nombreux points : leur gouvernement avait pris l'engagement politique à long terme d'améliorer les taudis et d'empêcher leur prolifération; beaucoup avaient adopté des réformes foncières et immobilières favorables aux pauvres afin d'améliorer le statut de sécurité d'occupation des habitants des taudis et leur accès aux services de base; la plupart avaient utilisé les ressources nationales pour améliorer les taudis et empêcher la formation de nouveaux; et un nombre important avait mis en place des politiques qui mettaient l'accent sur l'égalité dans un environnement de croissance économique. Dans de nombreux pays, les améliorations dans un seul secteur avaient eu un impact significatif sur la réduction du nombre de taudis, en particulier dans les villes où les habitants souffraient d'un ou de deux éléments de privation en matière de logement.


UN Habitat photo/ O. Saltbones

Une autre étude a montré que les pays qui avaient géré efficacement la croissance des taudis étaient dotés de systèmes et de structures de gouvernance très centralisés. Même dans les cas de systèmes décentralisés, les actions politiques visant à prévenir la formation de nouveaux bidonvilles et à améliorer les bidonvilles existants avaient été mises en œuvre par le biais d'interventions centralisées. Les gouvernements centraux avaient en effet pu mettre en place des mesures et des ressources pour assurer la cohérence de la création et de la mise en œuvre des projets d'amélioration des bidonvilles et avaient été en mesure de présenter des lois et des réformes favorables aux pauvres afin de s'attaquer aux éléments de privation en matière de logement. Ils ont réussi à mettre en place des accords institutionnels, à allouer des budgets importants et à mener à bien des projets afin de répondre efficacement aux objectifs et aux engagements. Dans des pays comme l'Afrique du Sud, le Brésil, l'Égypte, le Mexique, la Thaïlande et la Tunisie, la mise en œuvre de politiques inclusives, de réformes agraires, de programmes de régularisation et l'engagement à améliorer la vie des pauvres urbains ont été la clé du succès de l'amélioration des taudis et des programmes de prévention. Ces pays ont développé des politiques spécifiques ou intégré l'amélioration des taudis et la prévention dans le cadre de politiques et de programmes de réduction de la pauvreté plus vastes visant à répondre aux impératifs sociaux et à promouvoir le développement économique national. Leurs gouvernements centraux ont joué un rôle essentiel non seulement en veillant à l'amélioration physique des taudis mais en s'assurant aussi que les investissements étaient orientés vers d'autres secteurs comme l'éducation, la santé, l'assainissement et les transports. Ceci amorce peut-être une nouvelle tendance dans les paradigmes de la gouvernance, avec l'adoption d'une approche mieux coordonnée dans le développement et la mise en œuvre de politiques, les programmes de réduction de la pauvreté étant confiés aux gouvernements centraux, alors qu'ils seraient entre autres mandatés et habilités à allouer des ressources dans divers secteurs prioritaires, tandis que les autorités locales coordonneraient les actions opérationnelles au niveau local.

Le Rapport 2006-2007 sur l'État des villes dans le monde montre clairement que les pays qui s'efforcent de faire face à la prolifération des bidonvilles n'ont pas tous baisser les bras. En Afrique subsaharienne, des pays comme le Burkina Faso, le Sénégal et la République unie de Tanzanie ont montré qu'ils étaient prêts à fournir un soutien politique pour améliorer les taudis et prévenir la formation de nouveaux qui inclut des réformes politiques dans le domaine de la gestion des terres et des logements. Certains pays à revenu faible et intermédiaire, comme la Colombie, le Salvador, les Philippines, l'Indonésie, le Myanmar et le Sri Lanka, où les taux de croissance des bidonvilles commencent à se stabiliser ou à s'inverser, n'ont pas attendu d'atteindre une croissance économique soutenue pour aborder la question des taudis. Ils ont réussi à empêcher la formation de nouveaux taudis en anticipant et en planifiant la croissance des populations urbaines. Ils ont offert aux pauvres urbains des possibilités dans les domaines de l'économie et d'emploi en investissant dans des logements sociaux et abordables destinés aux groupes les plus vulnérables et en adoptant des réformes et des politiques favorables aux pauvres qui ont eu un impact positif sur l'accès des populations aux services. Ils apportent l'espoir et donnent l'exemple aux autres pays à revenu faible en montrant qu'il est possible d'empêcher la formation de bidonvilles avec des politiques et des méthodes appropriées.

Ce qui ressort clairement du rapport, c'est que la formation de bidonvilles n'est ni inévitable, ni acceptable. " Déloger les pauvres de la ville par des expulsions ou des pratiques discriminatoires n'est pas une solution. La seule solution durable de l'urbanisation de la pauvreté est de les aider à mieux s'intégrer dans le tissu urbain. Alors que le monde en développement s'urbanise de plus en plus et que le foyer de la pauvreté se déplace vers les villes, c'est dans les bidonvilles du monde qu'il faudra engager les efforts pour réaliser les OMD.


 

Biographie

Eduardo López Moreno est directeur de l'Observatoire urbain mondial à ONU-HABITAT. Il possède une vaste expérience universitaire et professionnelle de 20 ans dans les domaines des politiques du logement et du développement urbain, de l'analyse institutionnelle et des questions ayant trait à la réduction de la pauvreté urbaine. Il a été responsable de projet et principal auteur du Rapport 2006-2007 sur l'état des villes dans le monde.



Rasna Warah fait partie de l'équipe de rédaction de la publication d'ONU-HABITAT, Rapport 2006/2007 sur l'état des villes dans le monde, lancée lors du Troisième Forum urbain mondial à Vancouver (Canada), en juin 2006. Elle est membre du conseil d'administration du Bureau Afrique de l'Est de la Société pour le développement international.

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