Chronique ONU

ENTRETIEN AVEC DES SURVIVANTS DE L'HOLOCAUSTE

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L'article

Jack et Ina Polak, auteurs du best-seller " Steal a Pencil for Me ", sont des survivants de l'Holocauste. Ils se sont rencontrés au camp de transit de Westerbork, en Hollande, où Jack a gagné le cœur d'Ina par un échange de lettres d'amour qui s'est poursuivi après leur libération, en 1945. Membres actifs du Centre Anne Frank aux États-Unis et de l'Holocaust Educational Center de Westchester, dont M. Polak est le cofondateur, ils ont participé à de nombreuses conférences et sont allés dans les écoles du pays raconter leur histoire et les horreurs de l'Holocauste. Le Centre Anne Frank encourage le message de la tolérance en développant et en diffusant une variété de programmes éducatifs. Jack et Ina Polak célébreront leur soixantième anniversaire de mariage en 2006.

© Photo Chronique ONU

Avital Weill s'est entretenu avec Jack et Ina Polak au siège de l'ONU à New York, le 27 janvier, désigné par l'Assemblée générale Journée Internationale de commémoration en mémoire des victimes de l'Holocauste.

Ina Polak admire le poster Remembrance and Beyond pendant une cérémonie organisée pour célébrer la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l'holocauste. Les six bougies ont été allumées par six survivants de l'holocauste. © Photo Chronique ONU

À votre avis, quel est le rôle des Nations Unies pour prévenir un autre génocide?

M. Polak : C'est une bonne question mais il m'est impossible d'y répondre. Ce que nous devrions faire, c'est nous attacher à créer un monde meilleur, car celui-ci peut parfois être horrible et cruel. L'Holocauste a été un événement unique; on ne peut le comparer avec la situation actuelle. En revanche, il y a aujourd'hui des régions dans le monde qui connaissent une grande misère, la haine et de nombreux bains de sang, tels qu'en Afrique, en Irak et en Iran, où un autre génocide pourrait avoir lieu. Il est malheureux que soixante ans après, une telle éventualité soit encore envisageable - et c'est pourquoi ce que l'ONU fait actuellement dans ce domaine est très important.

L'Holocauste doit être enseigné comme une leçon importante de l'histoire car c'est par le souvenir de ses horreurs que nous apprenons à prévenir les actes de génocide dans le futur. Et le seul moyen d'y parvenir est par l'intermédiaire des Nations Unies, qui ont été fondées pour construire un monde meilleur. Elles travaillent en ce sens en désignant le 27 janvier comme Journée internationale de commémoration en mémoire des victimes de l'Holocauste et en organisant des cérémonies, comme celle d'aujourd'hui, pour célébrer aussi la libération d'Auschwitz, où six survivants allument des bougies avec l'espoir que ce sera le commencement d'un monde meilleur.

Avant la Seconde Guerre mondiale, nous viviez à Amsterdam, la plus grande ville des Pays-Bas en 1940, où résidaient environ 75 000 juifs. Pouvez-vous décrire la vie des juifs à cette époque ?

M. Polak : À cette époque, l'orthodoxie juive était complètement différente. Les juifs ne portaient pas de kippa dans la rue et ne parlaient pas yiddish. Le père d'Ina, par exemple, était le président de la communauté juive d'Amsterdam, qui comptait plus de 100 000 membres, et était donc un homme important. Je viens d'une famille juive très orthodoxe; cependant, la religion ne m'était pas imposée. J'étais aussi membre d'une organisation sioniste.

Vous avez vécu une histoire d'amour par un échange de lettres afin d'éviter les potins dans le camp. Est-ce que les potins parmi les prisonniers indiquent qu'ils espéraient retrouver une vie normale ?

Mme Polak : Personne ne savait combien de temps durerait la guerre. Celle-ci a débuté quand nous étions encore à Amsterdam. On disait qu'elle serait terminée à Noël, à Pâques. Personne ne savait combien de temps elle durerait.
M. Polak : Dans les camps, nous étions tous semblables et avions vécu les mêmes expériences. Mais les différences qui existent dans la société se manifestaient encore un peu; la façon dont les gens s'exprimaient, leur accent. Les gens sont snobs.

Vous avez tous deux grandi dans une famille orthodoxe. Comment l'Holocauste a-t-il changé la manière dont vous percevez la foi et la religion ?

Mme Polak : Cela m'a beaucoup changé.

M. Polak: La foi en Dieu a été très importante pour les gens. J'en ai vu mourir en paix parce qu'ils croyaient en Dieu, et j'en ai vu d'autres mourir dans les souffrances parce qu'ils le maudissaient. Dans nos lettres, il y a de nombreuses références à Dieu et il était continuellement à nos côtés. Je pense que Dieu m'a donné la vie pour une raison : témoigner des horreurs de l'Holocauste. Mais prier n'est pas facile non plus. Quand vous allez à un service religieux, qu'il soit juif ou non, combien de fois devez-vous dire que Dieu est grand ? Comment avoir foi en un Dieu qui a permis l'Holocauste ? Même si l'on peut critiquer les horreurs qui sont survenues dans le monde, la religion est toujours très importante.

En publiant votre livre, il a dû vous être difficile de relire vos lettres.

M. Polak : Oui. Quand je lis le livre, j'ai parfois envie de pleurer, je suis très ému. C'est un très bon livre, je dois dire. Lorsqu'il a été publié pour la première fois, une amie nous a dit : " Pourquoi mon mari ne m'a-t-il jamais écrit des lettres comme celles-ci ? ". Mais n'oubliez pas que j'avais fort à faire. J'étais confronté à une jeune fille merveilleuse et belle, qui était plus riche que moi et avait dix ans de moins, et j'étais marié - j'ai dû gagner son cœur. Mes lettres n'étaient pas écrites seulement dans ce but mais pour lui donner un exemple de ce que nous pourrions faire et construire ensemble et lui dire que je pouvais lui offrir une vie meilleure aussi.

Vous avez été fait chevalier par la reine Béatrice des Pays-Bas. Qu'est-ce que cela représente pour vous ?

M. Polak : C'était, bien sûr, un grand honneur car c'est un titre spécial. Et le recevoir en tant que survivant juif de l'Holocauste et néerlandais ayant dû abandonner sa nationalité pour prendre la nationalité américaine revêt encore plus d'importance. Je suis attaché aux Pays-Bas car ce pays apprécie ce que je fais : faire connaître Anne Franck et montrer qu'elle est un symbole pour les jeunes. En outre, cela attire beaucoup d'Américains qui viennent visiter sa maison en Hollande. J'entretiens une relation assez étroite avec les Pays-Bas.

Quelles sont vos activités ?

M. Polak : Je fais partie de nombreuses organisations. Malgré mes 93 ans, je passe au moins un jour par semaine au Centre Anne Franck. De son côté, l'Holocaust Educational Center de Westchester, dont je suis le cofondateur, organise des conférences sur l'Holocauste près de chez moi. En fait, on m'a appelé hier pour me demander de venir parler dans une école du quartier qui compte 800 élèves.

Quelle est la question la plus intéressante ou la plus surprenante que vous pose les élèves ?

Mme Polak : Généralement, on nous demande : " Connaissiez-vous Anne Franck ? ", " Anne Franck est-elle encore en vie ? " " Hitler est-il encore en vie ? ".

M. Polak : Un jour, un garçon m'a posé une question très intéressante : " S'il n'y avait pas eu l'Holocauste, quelle aurait été votre vie ? ". J'ai répondu : " J'aurai eu une vie très banale en Hollande. " J'ai de la chance de pouvoir répondre à ces questions. Très souvent, lorsque je m'adresse à des élèves issus de familles pauvres, on me dit : " Si vous pouvez survivre et être heureux après toutes les horreurs que vous avez connues, peut-être que nous aussi nous avons une chance. " Les leçons de l'Holocauste sont multiples et je me suis servi du journal d'Anne Franck, le livre le plus lu après la Bible. Environ 40 % des élèves auxquels je me suis adressé avaient lu le journal, en particulier les enfants non juifs. Cela a été un moyen efficace de transmettre la mémoire de l'Holocauste.

Quel est l'élément moteur de toutes ces activités ?

M. Polak : Je vais vous raconter une histoire. Quand je suis retourné à la synagogue après la guerre, je n'arrivais pas à prier. J'étais encore sous le coup de ce qui s'était passé.. J'étais debout, dans le fond. On m'a demandé de venir au troisième rang. Et une fois devant, j'ai soudain réalisé que moi, un juif sans importance, j'étais là, debout et que je devenais tout d'un coup important. Pourquoi ? Parce que je suis un survivant de l'Holocauste. Et je me suis dit que peut-être Dieu m'avait donné une nouvelle vie pour dire aux autres ce qui s'est passé. À partir de ce moment-là, j'ai vu ma vie pas seulement comme une cause juive mais aussi comme une cause universelle. Parce que je suis un survivant de l'Holocauste, je dois raconter les horreurs afin de prévenir une autre catastrophe comme celle-là.

Quand vous voyez votre famille, que pensez-vous ?

M. Polak : Je dis toujours que je suis un survivant heureux. Je suis heureux parce que j'ai une femme merveilleuse. J'ai trois enfants, cinq petits-enfants et huit arrière-petits-enfants. J'ai eu une vie intéressante. À 93 ans, je suis toujours en bonne santé, capable de faire des allocutions et de parler de l'Holocauste. Quand je regarde autour de moi, je suis incroyablement heureux. C'est pourquoi je dis aux jeunes dans les écoles que je suis un survivant heureux. Certains survivants, même après 60 ans, ne sont toujours pas heureux. Quand on pense aux horreurs de l'Holocauste, il y a de nombreuses raisons de ne pas être heureux, mais j'ai réussi à m'en libérer. Tous mes enfants savent ce qu'est l'Holocauste. En fait, je viens de demander à l'un des mes fils d'être directeur du Centre Anne Frank et il a accepté. Dimanche, il y aura une grande fête et chacun de mes enfants fera un don important au Centre.


 
 
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