Chronique ONU

Conversation avec …
Steve McCurry … sur l'afghanistan

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L'article
Steve McCurry

Steve McCurry, dont les images poignantes capturent l'essence du combat et de la joie des hommes, est connu comme l'un des plus grands photographes de notre temps. Depuis plus de 25 ans, ses photos témoignent de la joie et de la souffrance des jeunes comme des plus âgés dans le monde entier. Emblématiques de notre époque, elles constituent une chronique des divers visages de l'Asie, en particulier des conflits en Afghanistan. Son voyage a commencé en Inde en 1979, où il a appris à regarder et à attendre. " Si vous prenez le temps, les gens oublient votre appareil photo et la beauté intérieure se révèle ", explique-t-il.

Par ImagineAsia, une fondation qu'il a aidé à créer et qui a pour objectif à long terme de fournir un salaire aux enseignants et de développer une infrastructure pour créer des programmes de formation dans les écoles, Steve McCurry a contribué à fournir des milliers de livres et de fournitures aux écoles dans la province de Bamyian, en Afghanistan. Son travail photographique a permis de sensibiliser la communauté internationale sur l'importance de fournir une éducation aux enfants afghans. Il est probablement plus connu pour la photo de la jeune Afghane aux yeux verts en couverture de National Geographic en juin 1985.

Les photos de McCurry seront présentées lors d'une exposition aux Nations Unies qui aura lieu en automne 2006. Coparrainé par la Fairleigh Dickinson University (FDU), la Mission permanente d'Afghanistan aux Nations Unies et le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), l'exposition comprendra des citations d'un ouvrage récent Coming of Age in a Globalized World: The Next Generation, du président de la FDU, J. Michael Adams, et du directeur de la communication, Angelo Carfagna. C'est une collaboration fructueuse qui sera le point de départ d'un voyage instructif et permettra d'attirer l'attention internationale sur la situation des enfants en Afghanistan.
Une jeune fille avec son père, près de Freyzabad, en Afghanistan 1990

Steve McCurry s'est entretenu avec Art Petrosemolo, un collègue de la FDU, en décembre 2005, sur son travail en Asie, en particulier son expérience en Afghanistan.

Qu'est-ce qui vous a amené en Afghanistan la première fois ?

Après avoir travaillé dans un journal à Philadelphie [États-Unis], je suis allé en Inde où j'ai travaillé en 1978 en freelance pour des magazines. J'ai voyagé en Inde et au Népal pendant un an et demi, où j'ai travaillé comme photographe pour divers petits magazines. Au printemps 1979, alors qu'il faisait plus 40 °C, je suis allé dans les montagnes du nord du Pakistan pour explorer cette partie du sous-continent que je ne connaissais pas. Dans le petit hôtel du village de Chitral, j'ai rencontré des réfugiés afghans venant du Nooristan qui m'ont expliqué que de nombreux villages de leur région avaient été détruits par l'armée afghane. Quand je leur ai dit que j'étais photographe, ils m'ont demandé de venir photographier la guerre civile qui faisait rage. Je n'avais encore jamais pris de photos dans une région de conflits et ne savais pas comment j'allais réagir.

 
Une écolière, Hérat, Afghanistan 1992

Quelques jours plus tard, je suis parti avec eux. Nous avons traversé les montagnes à pied pour rejoindre l'Afghanistan et j'ai passé près de trois semaines à prendre des photos de cette région. J'étais étonné de voir tant de villages pratiquement détruits, sans habitants pour raconter ce qui s'est passé. Les routes étant bloquées ou sous contrôle des troupes gouvernementales, nous avons dû nous déplacer à pied. J'ai rencontré des gens qui sont devenus des amis proches. J'étais très touché par la culture et la beauté du pays. C'était une manière de vivre différente, sans le confort moderne. J'étais attiré par la simplicité du style de vie. Tout était réduit au minimum. J'y suis retourné maintes et maintes fois.

Vous êtes allé en Afghanistan plus d'une douzaine de fois. Quels changements avez-vous vus ?

L'Afghanistan a changé de nombreuses façons. Quand je suis allé à Kaboul pour la première fois, la ville était intacte et fonctionnait. Au cours des 27 dernières années, j'ai vu deux Kaboul : une ville qui fonctionnait et une ville à genoux - et je suis heureux de dire qu'elle est actuellement dans la phase de reconstruction.


Une mendiante et une ombre, Kaboul 2002

J'ai vu d'innombrables villages détruits pendant les combats qui ont sévi dans les années 1970 et 1980. Mais, heureusement, ils sont pour la plupart en voie de reconstruction. Des millions d'Afghans ont été déplacés dans des camps au Pakistan, en Iran et dans des pays voisins, et un grand nombre d'entre eux ont émigré, un déplacement de la population très important qui, à chaque fois qu'il se produit, fragilise le tissu du pays. Les routes aussi ont été détruites, mais elles sont aujourd'hui en reconstruction et, dans certaines régions rurales, la vie n'a pas changé. Le changement le plus notable dans l'aspect physique du pays est la destruction des bouddhas de Bamiyan par les talibans - une perte culturelle immense. Aussi, la première fois que je suis venu ici, le gouvernement était très libéral. J'ai vu des mouvements orientés vers le socialisme, et maintenant vers un gouvernement plus religieux.

Avec la célèbre photo de la jeune fille afghane*, vous avez porté la situation des réfugiés afghans à l'attention des Américains. Saviez-vous que cette photo aurait un tel impact ?


Des fillettes à l'école à Kaboul 2002

J'ai pris la photo en 1984 dans un camp de réfugiés près de Peshawar, au Pakistan, un matin d'automne, lors de mon neuvième ou dixième voyage. Elle a été prise à l'intérieur d'une tente. J'ai entendu des voix qui en venaient. Quand je suis allé voir de plus près, j'ai réalisé que c'était une école de filles. L'institutrice m'a autorisé à prendre quelques photos de la classe, et j'ai pris trois photos d'élèves. Sharbat Gula était la troisième. Je l'ai probablement photographiée pendant trois minutes. Je savais qu'elle avait une expression intéressante, des yeux très expressifs, qui avaient un pouvoir d'envoûtement, et l'air inquiet. Elle semblait intelligente et éveillée. Nous ne pouvions pas parler à cause des barrières linguistiques et culturelles mais j'ai senti que sa personnalité et son expression ressortaient. Son regard était pénétrant et il y avait une grande émotion dans son expression.

On ne sait jamais à l'avance quelle photo touchera le public, mais je pensais que celle-ci était intéressante. Je ne savais pas comment le public réagirait.
[*La photo mentionnée ne figure pas dans cet article.]

Vous avez réussi à retrouver la jeune Afghane et lui avez rendu visite en 2001. Comment cela s'est-il passé ? Quel espoir avez-vous pour les enfants afghans ?

Depuis 22 ans que j'ai pris cette photo, il ne se passe pas un jour sans que je reçoive un coup de téléphone, un e-mail ou une autre question au sujet de cette jeune fille. C'est intéressant de voir comment les gens réagissent à la photo. Retourner dans le pays et la retrouver a été une expérience profonde et passionnante. Retrouver cette jeune fille inconnue parmi des centaines de milliers de réfugiés est un miracle.


Des garçons à l'école à Kaboul 2002

Après les événements du 11 septembre 2001 et la chute des talibans, j'ai de nouveau collaboré à la réalisation d'un documentaire télévisé sur l'Afghanistan pour National Geographic. Nous voulions passer quelque temps à Peshawar dans une dernière tentative de retrouver la jeune Afghane avant que le camp de réfugiés où elle avait vécu ne soit démonté et ne disparaisse à jamais, ôtant toute chance de la retrouver. Tout ce que nous avions, c'était cette photo. Nous parcourions le camp, demandant à des centaines de personnes si elles se souvenaient d'elle. Finalement, un homme nous a dit qu'il se souvenait d'elle et de son frère, et qu'ils vivaient dans un petit village en Afghanistan. Il a offert de s'y rendre et de tenter de les retrouver. Nous lui avons donc donné de l'argent pour le transport. Quelques jours plus tard, il est revenu avec une personne qui s'est présenté comme étant le frère de Sharbat Gula. Il avait le même regard pénétrant dont je me souvenais. Après plusieurs heures de discussions, le mari de Sharbat et son frère ont accepté que nous la rencontrions et que nous la photographiions. Nous étions totalement surpris d'avoir réussi à la retrouver après tant d'années en disposant de si peu d'indices. Ayant à l'esprit pendant 17 ans l'image d'une jeune fille de 12 ans, ce fut un choc de la revoir à 30 ans. Son visage était marqué par les années passées dans un camp de réfugiés mais nous étions soulagés de savoir qu'elle était en vie, heureuse, qu'elle avait une famille et vivait en paix en Afghanistan. Pouvoir enfin lui donner quelque chose en retour et rendre sa vie plus facile nous a mis du baume au cœur.

Un père et son fils dans la province de Helmand 1980

Lorsque je regarde les yeux des enfants afghans, je vois une race tenace, chaleureuse, pleine de dignité et de courage. Là-bas, la vie est souvent dure et sans pitié, mais la population accepte les défis avec résilience et, souvent, avec un sens de l'humour. Je nourris l'espoir que les enfants afghans et ceux du monde entier puissent avoir accès à une éducation primaire solide et à des soins de santé adéquats. Tous les enfants ont droit à ces deux principes de base.

Nombre de photographes tentent de garder une certaine distance avec leur sujet, qu'est-ce qui vous a poussé à vous impliquer ?

Quand vous vous rendez de nombreuses fois dans un lieu, vous pouvez identifier les domaines qui ont besoin d'une aide et vous voulez attirer l'attention du public. Vous réalisez que même un effort minimal peut contribuer considérablement à un pays comme l'Afghanistan. Pour moi, c'était une manière de dire merci et de donner quelque chose en retour aux nombreuses personnes qui m'ont aidé dans mon travail pendant des années. Nos retrouvailles avec la jeune Afghane ont suscité un regain d'intérêt pour la photo originale et la situation de Sharbat. Cet intérêt me donnait la chance de toucher d'autres personnes afin d'apporter une aide aux démunis qui vivent dans la région.

Pouvez-vous décrire quelques-unes des activités d'ImagineAsia ?

ImagineAsia a pour objectif d'aider les enfants des communautés rurales en Asie en répondant aux besoins fondamentaux en matière d'éducation et de soins de santé. Nous travaillons en collaboration avec les leaders des communautés et les organisations non gouvernementales (ONG) afin de créer des écoles primaires qui offrent en plus des soins médicaux. Nos réalisations les plus récentes ont eu lieu dans huit villages situés dans le district de Waras. Ils ont été choisis dans le cadre du projet Des écoles à Bamyian auquel participent plus de 2 000 élèves. La Fondation a fourni des fonds et facilité l'inscription des filles dans deux écoles - Patewqul et Wozdarghoon -, le ministère de l'Éducation à Kaboul veillant à ce que les enseignants volontaires soient rémunérés par le gouvernement. Nous avons également fourni des milliers de manuels et de fournitures scolaires aux élèves. Nous essayons actuellement de fournir des fonds pour le recrutement et la formation d'enseignants et de personnel administratif et à disposer de ressources pour le matériel d'apprentissage, les fournitures et le mobilier qui permettent aux écoles de fonctionner efficacement. Nous travaillons aussi en partenariat avec les ONG afin de construire des écoles dans les diverses provinces d'Afghanistan, en commençant par Bamyian.

ImagineAsia apporte son appui à la mise en œuvre de programmes-pilotes dans les domaines de la paix, de l'éducation, de l'informatique, de la santé et de la sensibilisation à l'environnement. L'un de nos prochains objectifs immédiats est de construire un dispensaire et d'organiser chaque mois des visites médicales dans les écoles. Nous travaillons pour mettre en place ces programmes dans d'autres villages en Afghanistan, au Tibet, au Pakistan et en Inde.

Avec le gouvernement qui vient d'être élu, quels sont, à votre avis, les défis immédiats auxquels le pays fait face et quel rôle l'art peut-il jouer pour construire son avenir ?


Steve McCurry (à gauche) et Art Petrosemolo en face du site de Bamiyan où se trouvaient les bouddhas

Je pense que les plus grands défis de l'Afghanistan sont : contrôler la production de l'opium et aider les agriculteurs à remplacer ce dernier par d'autres cultures qui leur assurent des revenus adéquats; aider les tribus pachtounes du sud et du sud-est de l'Afghanistan à jouer un rôle plus important dans la vie et la société afghane; et assurer que le gouvernement central a la capacité de toucher et d'aider les villages ruraux. L'Afghanistan possède une tradition musicale, poétique et artistique riche. C'est important que le peuple afghan puisse exprimer ses espoirs et ses rêves - et, après l'établissement d'un gouvernement démocratique, cela est de nouveau possible.



 
 
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