Chronique ONU

L'ÉDUCATION DES ENFANTS AUX BESOINS SPÉCIAUX UNE TÂCHE DIFFICILE MAIS RÉALISABLE

Par Faye Neville

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L'article

C'est l'heure de la récréation à l'école Amar Jyoti, à New Delhi, et la cour retentit des cris joyeux des enfants. D'un côté, un groupe de garçons joue au cricket, de l'autre, un autre groupe est engagé dans une partie de chat et à la souris. D'une fenêtre surplombant la cour, la jeune Ritu crie à ses amis qu'elle descend tout de suite pour jouer à la balle avec eux. " Je mets mon appareil orthopédique ", leur dit-elle et, peu après, elle les a rejoints. Après la courte récréation, les enfants retournent en classe, certains dans des fauteuils roulants, d'autres utilisant leurs béquilles, d'autres encore portant un appareil orthopédique ou une prothèse auditive. Les quelques mal-voyants utilisent le parcours tactile pour se rendre en classe, leurs amis les aidant au besoin.

Créateur du concept de l'éducation intégrée il y a près de 25 ans, Amar Jyoti est un témoignage de l'efficacité de cette approche. Lorsque j'ai ouvert l'école avec un groupe de
30 enfants handicapés et non handicapés, littéralement sous un arbre près du collège où j'enseignais, beaucoup pensaient que j'étais folle. On me disait que je n'avais aucune idée des difficultés qui m'attendaient mais, avec l'aide bénévole de quelques collègues, j'ai poursuivi mon projet. Nous avions décidé d'accepter le même nombre d'enfants handicapés et non handicapés pour assurer une vraie intégration dès la maternelle.
Photos reproduites avec l'autorisation de l'école Amar Jyoti

La nouvelle s'est répandue. Les parents nous ont amené leur enfant atteint de polio qui était incapable de marcher. Nous avons alors installé sur la terrasse de notre maison un atelier pour fabriquer des appareils orthopédiques et des béquilles. Le " bureau " a été construit en bois avec des cageots récupérés auprès des vendeurs de fruits. Peu après, le nombre d'enfants a augmenté. Pour faciliter le transport des plus démunis, un rickshaw a été mis gratuitement à la disposition des municipalités locales. Avec l'augmentation du nombre des élèves, une classe a été ajoutée chaque année. Les institutions sociales et les philanthropes ont apporté un soutien total; trois ans après la création de l'école, le gouvernement indien a commencé à octroyer des bourses.

L'école Amar Lyoti, qui compte aujourd'hui plus de 600 enfants, va de la maternelle à la sixième, est doté de son propre bâtiment et, au lieu du rickshaw, possède un autocar équipé d'un système hydraulique et d'une rampe électrique.

Des thérapeutes, des médecins, des orthésistes, des éducateurs spécialisés, des instructeurs spécialistes de la formation professionnelle, des psychologues et des neurologues assurent les services de réadaptation en utilisant une approche holistique. Le centre de formation des enseignants et d'orientation des enfants offre des services nécessaires y compris des enseignants formés en matière de gestion des handicapés. Une place aussi importante est accordée aux activités sportives et culturelles qui instaurent la confiance et l'estime de soi. La formation professionnelle fait également partie du programme d'études.

Les centres d'études du National Institute of Open Schooling et de l'Indira Gandhi National Open University installés dans les locaux répondent aux besoins des enfants gravement handicapés et de ceux qui ne peuvent pas suivre une scolarité normale. Les cours consacrés au développement des capacités sont très populaires. L'université de Delhi offre une formation en physiothérapie sur quatre ans et demi, conclu par un diplôme reconnu, tandis que la formation des enseignants en éducation spécialisée est assurée avec la collaboration du Rehabilitation Council of India et de la Madhya Pradesh Bhoj Open University.

Lakshmi au travail

Ses élèves, qui exercent aujourd'hui différents métiers, sont la grande fierté d'Amar Jyoti. Lakshmi, par exemple. Quand elle est arrivée à l'école, à l'âge de quatre ans, elle était incapable de marcher. On lui a donné un appareil orthopédique, des béquilles et elle appris à mettre un pied devant l'autre. Elle a également suivi régulièrement une physiothérapie et, après quelques semaines d'une aide attentionnée, a pu se déplacer toute seule. Pour sa famille et ses voisins, c'était un miracle. Et ce n'était le seul.

Enfant timide, renfermée et fragile, elle s'est peu à peu épanouie et est devenue une jeune fille intelligente, confiante, épaulée par les enseignants et les élèves de l'école. Quand elle a terminé sa huitième année, elle a décidé de suivre un cours de réparation de montres, l'une des formations professionnelles offertes par l'école. Elle s'est également inscrite à la National Open School, à laquelle Amar Jyoti est affiliée, et a terminé sa douzième année. Ayant un vif intérêt pour les études, elle a décidé de suivre un cours de coiffure et d'esthéticienne, parrainé par l'un des professionnels phares de Delhi. Aujourd'hui, elle forme d'autres élèves au cours d'esthéticienne à Amar Jyoti (voir photo). " Un jour, je créérai mon propre salon et offrirai une formation gratuite aux filles handicapées. On m'a beaucoup donné; maintenant, c'est à moi de faire quelque chose pour la société ", dit-elle avec un grand sourire. Lakshmi s'est également mariée et a une jolie petite fille de trois ans.


All photos courtesy of Amar Jyoti School

Sunil Jethwani, 23 ans, trisomique et atteint d'un léger retard mental, est arrivé à Amar Jyoti en 1992 avec sa mère Radha Jethwani. Ses parents étaient très motivés et ne l'ont jamais considéré comme handicapé. Enfant unique, ils l'ont encouragé à faire des études, à avoir des relations avec les autres et ont tout fait pour qu'il soit indépendant. Garçon plein de vie, dynamique et très motivé, Sunil est allé jusqu'à la septième année au National Institute of Open Schooling, a appris la sérigraphie, la fabrication de sacs en papier et comment utiliser un photostat. Il manifeste un don pour la poésie et les articles courts et montre un penchant pour la photographie. Il travaille actuellement à Rajkot, au Gujarat, dans une entreprise indépendante de fabrication de sacs en papier et de présentoirs pour crayons et stylos et de papiers d'emballage imprimés. Il est heureux et inspire les autres handicapés à surmonter les problèmes qu'ils rencontrent.


La prise de conscience des capacités des handicapés s'est faite progressivement dans les activités sportives et culturelles intégrées.

Le concept d'inclusion et d'intégration est mis en œuvre et constitue une condition juridique en Inde, l'un des quelque pays où les intérêts et les droits des personnes handicapées sont protégés par une loi. En 1995, le parlement indien a voté la loi sur les personnes handicapées (égalité des chances, protection des droits et participation totale), un point de référence pour le secteur du handicap.

Peu après, le gouvernement a nommé un Commissaire aux personnes handicapées qui, entre autres, a la responsabilité de mettre en œuvre la loi dans l'esprit et à la lettre. En 2001, j'ai eu le privilège d'être nommée la première Commissaire non fonctionnaire, et ai assumé mes fonctions pendant plus de quatre ans jusqu'en 2005. Ayant travaillé plus de deux décennies avec une organisation non gouvernementale (ONG) dans le secteur du handicap, l'expérience a été gratifiante car j'ai pu utiliser les vastes pouvoirs quasi-judiciaires dont bénéficiaient le Bureau pour aider les handicapés.

Comme le prévoyait la loi sur les personnes handicapées, des mesures ont été prises pour assurer l'accessibilité, l'éducation et les opportunités d'emploi aux handicapés. Des directives ont été présentées aux services et aux États concernés pour qu'ils incluent les dispositions nécessaires et assurent leur mise en œuvre. Plusieurs institutions ont répondu au défi avec succès. Au cours de mon travail et des nombreux contacts que j'ai eus avec les handicapés, les ONG, le secteur privé et les divers services gouvernementaux, j'ai constaté que le gouvernement faisait des efforts réels, en mettant en place de nouvelles initiatives pour aider les handicapés. Dans les 29 États et les 3 territoires de l'Inde que j'ai visités, il était encourageant de voir le travail accompli par les ONG, avec le soutien de l'État et des gouvernements centraux. L'accent est mis sur l'égalité des chances et la création d'opportunités pour les handicapés afin qu'ils soient scolarisés et acquièrent les connaissances et les compétences nécessaires pour trouver un emploi.

Lorsque l'opportunité leur est donnée, les handicapés sont sans pareils. Cela s'est démontré lors des Sixièmes jeux Abilympiques en novembre 2003 - une compétition avec épreuves professionnelles et de loisirs pour les handicapés - qui s'est tenue à New Delhi. Inaugurés par le Premier ministre alors en fonction, Atal Bihari Vajpayee, ces jeux ont accueilli quelque 1 500 participants venant de plus de 30 pays, y compris un groupe de 124 Indiens, qui ont pris part aux 45 épreuves destinées à mettre en valeur les compétences professionnelles des handicapés. Non seulement les participants ont montré les efforts dont ils étaient capables mais aussi qu'ils avaient le courage et la détermination de se mesurer aux meilleurs dans le monde ! Et c'est, dans une grande mesure, ce qu'ils ont fait.

La prise de conscience des capacités des handicapés s'est faite progressivement dans les activités sportives et culturelles intégrées, y compris aux jeux Abilympiques. L'accent est également mis sur la formation des enseignants en éducation spécialisée et sur la mise en place d'une infrastructure pour promouvoir l'éducation inclusive. Le 21 mars 2005, le Ministre de l'éducation a annoncé au Rajya Sabha la formulation d'un plan d'action pour l'éducation inclusive des enfants et des jeunes handicapés, estimant que la plupart d'entre eux pouvaient, avec le soutien des institutions d'enseignement, faire partie intégrante de celles-ci. En vertu des dispositions de la loi sur les personnes handicapées, le gouvernement indien s'engage à ce que les enfants handicapés soient scolarisés dans les écoles traditionnelles. Avec l'appui approprié du personnel éducatif, les écoles non spécialisées, élémentaires, secondaires ou supérieures, peuvent s'adapter pour accueillir les enfants handicapés. Amar Jyoti est la première école à avoir mis en œuvre l'éducation inclusive et intégrée depuis 1981.

En regardant les enfants jouer dans la cour et en entendant leurs cris joyeux, j'espère de tout mon cœur que le jour viendra bientôt où tous les enfants handicapés dans le monde pourront suivre la même scolarité que les autres. Comme le dit le slogan que l'école Amar Jyoti a adopté, " c'est difficile, mais réalisable ", et je suis sûre que la construction d'une société inclusive, sans barrières et fondée sur les droits est un rêve qui se réalisera.

Biographie
Uma Tuli, assistante sociale et spécialiste en réadaptation, est fondatrice du Amar Jyoti Charitable Trust, qui a pour vocation d'offrir des services de réadaptation en utilisant une approche holistique visant à intégrer la formation professionnelle, les soins médicaux et le travail indépendant. Elle est également vice-présidente de la Fédération internationale des jeux Abilympiques et directrice de la Commission de l'éducation pour la région Asie-Pacifique.
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