Chronique ONU
L'indépendance judiciaire comme prévention et résolution des conflits
LE CAS RÉCENT DE LA HAUTE COUR D'ÉQUATEUR

Par Angela Kane

Imprimer
Page d'accueil | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
L'article
Avec la naissance des démocraties et la tâche de plus en plus difficile des acteurs intervenant sur la scène internationale, dont les Nations Unies, de prévenir et de résoudre les conflits politiques et violents, l'interférence politique dans les systèmes judiciaires est devenue une source d'instabilité.

Les tribunaux font l'objet d'attaques de tous bords, des dirigeants qui tentent de se débarrasser des contrôles démocratiques sur leur pouvoir ou des opposants qui tentent de s'en servir comme outil politique. Les conséquences peuvent être très graves, comme l'Équateur en a fait l'expérience lors de la destitution des juges de la Cour suprême en 2005 qui a donné lieu à des manifestations massives et entraîné la chute du gouvernement. L'expérience récente de la nation andine qui a vu ses juges démis de leurs fonctions et le rétablissement de la Cour, avec l'appui de la communauté internationale, est un bon exemple de la coopération entre les Nations Unies et les organisations régionales et sous-régionales en vue d'aider un État Membre à combattre cette tendance à la corrosion politique.

Miné depuis des années par une instabilité politique, l'Équateur a été confronté à des tensions sociales, qui se sont intensifiées durant les dernières années, ainsi qu'à une transition brutale vers une économie fondée sur le dollar. La crise s'est aggravée il y a un an, lorsque les législateurs alliés au président Lucio Gutiérrez ont destitué tous les juges nommés à la Cour suprême et tenté de les remplacer à un moment où il était prévu de mener des enquêtes sur la corruption du gouvernement et de ses alliés. Avec l'évacuation de la Cour par la police, les interventions musclées du gouvernement ont été rapidement condamnées par la communauté internationale. Face aux manifestations massives organisées en avril 2005, M. Gutiérrez a été contraint de démissionner. Il a ensuite été condamné à l'emprisonnement.

Le Vice-président alors en fonction, Alfredo Palacio, a été chargé de rétablir la démocratie et a succédé à M. Gutiérrez avec le soutien national et international. Depuis, les Nations Unies ont collaboré étroitement avec les gouvernements concernés, l'Organisation des États américains (OEA) et la Communauté andine des nations afin d'aider l'Équateur à rétablir la démocratie. À la demande du Parlement et du gouvernement, ces trois organisations ont nommé des juristes chevronnés comme observateurs internationaux pour suivre l'étape difficile de la formation de la nouvelle Cour Suprême.

Les juges ont été choisis pour leur réputation professionnelle et non pour leurs affiliations politiques ou leurs liens sociaux. Pour la première fois dans l'histoire de l'Équateur, des auditions publiques ont eu lieu durant lesquelles le passé des candidats a été examiné. L'accent a été mis sur la nomination d'un plus grand nombre de femmes au Parlement. La prestation de serment des 31 nouveaux juges, en novembre 2005 à Quito, la capitale du pays, devant un vaste rassemblement de dignitaires nationaux et internationaux, fut un événement d'une grande importance. Le processus démocratique de l'Équateur avait fait un immense pas en avant, et une part du mérite revenait à la communauté internationale.

Avec le recul, je suis frappée non seulement du degré de coopération internationale mais aussi de la manière dont le système de l'ONU a collaboré pour forger une réponse commune. À la tête de cet effort figurait Leandro Despouy, rapporteur spécial de l'ONU sur l'indépendance des juges et des avocats, qui a effectué plusieurs visites dans le pays en 2005 pour consulter les partis politiques et les instances judiciaires du pays, toutes tendances confondues. Dans son deuxième rapport, il a recommandé que la communauté internationale déploie des observateurs pour donner crédibilité à la sélection des nouveaux juges qui siègeront à la Cour suprême.

Les efforts du rapporteur s'intègrent parfaitement à un partenariat plus vaste entre les diverses entités du système de l'ONU. Une stratégie générale pour répondre à la crise judiciaire et politique a été discutée et approuvée en haut lieu, y compris par une équipe spéciale interorganisation qui se réunit régulièrement au siège de l'ONU à New York, composée du Département des Affaires politiques (DAP), du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et de son Représentant résident en Équateur, du Haut Commissariat des droits de l'homme (HCR) et du Rapporteur spécial qui relève de la Commission des droits de l'homme.

Le Comité exécutif pour la paix et la sécurité s'est également penché sur l'évolution de la crise politique en Équateur - un organe interdépartemental de coordination présidé par le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques et comprenant près d'une vingtaine de hauts fonctionnaires et de directeurs d'institutions, de fonds, de départements, de programmes et de bureaux. Après avoir évalué la situation, une mission commune DPA/PNUD en Équateur a passé en revue les propositions du rapporteur recommandant l'assistance de l'ONU.

Sur le terrain, les juristes internationaux désignés par l'ONU, l'OEA et la communauté andine ont collaboré étroitement avec les observateurs nationaux, y compris avec les membres de la société civile. Les dons engagés par des gouvernements étrangers, dont l'Espagne et les États-Unis, ont permis de financer leurs importants travaux. Un séminaire du PNUD, organisé à point nommé en octobre 2005 avec l'appui financier de l'Espagne, a permis de renforcer la confiance du public et de la communauté internationale dans le processus de sélection, alors que le représentant régional du HCR effectuait une visite dans le pays.

La sélection des juges à la Cour suprême faite de manière démocratique constitue un progrès majeur pour rétablir l'état de droit et renforcer les freins et les contrepoids en Équateur. La crédibilité de la Cour devrait être une source d'inspiration pour les autres institutions clés de l'État, une de ses fonctions étant de proposer des candidats aux fonctions de juges au Tribunal constitutionnel et de procureur ainsi qu'un conseil judiciaire qui nomme les juges dans le pays. La Cour a également 3 000 cas à traiter, dont certains sont d'ordre politique, parmi lesquels les accusations de corruption portées contre M. Guttériez et deux autres anciens présidents.

La consolidation de la démocratie, ainsi que la satisfaction aux demandes sociales, représente encore des défis importants pour l'Équateur mais celui-ci a su agir de manière décisive et créatrice pour répondre à une source de conflit notable. Il devrait maintenant pourvoir aller de l'avant sur des bases plus solides avec une Cour suprême en mesure de résister aux pressions qui ont sapé son intégrité dans le passé.
Biographie
Angela Kane a été nommée secrétaire générale adjointe de l'ONU aux affaires politiques en décembre 2005. Auparavant, elle a occupé les fonctions de sous-secrétaire générale au Département de l'Assemblée générale et de la gestion des conférences ainsi que celui de représentante spéciale adjointe du Secrétaire général pour la mission de l'ONU en Éthiopie et en Érythrée (2003-2004) et a participé à de nombreuses activités à l'ONU.
Page d'accueil | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
Copyright © Nations Unies
Retour  Haut