Chronique ONU

GUERRE ET PAIX AU SOUDAN
Un essai de la FAO avec photos

Texte de Peter Lowrey et photos de ©Jose Cendon

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L'article
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L'une des premières vues impressionnantes fut la rangée d'avions et d'hélicoptères blancs stationnés les uns à côté des autres à l'aéroport international de Khartoum sur lesquels étaient peintes deux initiales noires de deux mètres de haut : UN.

Au cours des trois semaines passées en septembre 2005 au Darfour, dans le sud du Soudan, et dans les montagnes de Nuba, avec l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), une importante présence internationale était au rendez-vous : une flotte d'avions équipés du matériel nécessaire pour assurer un soutien logistique et opérationnel; un dispositif de sécurité pour nous indiquer les endroits sûrs où se rendre; la police de l'ONU chargée de former ses homologues aux méthodes de la police démocratique et les équipes chargées de déminer les routes du sud.

Il y a aussi les institutions et les programmes spécialisés. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a affrété des avions-cargos pour larguer des vivres dans les régions isolées - une vue impressionnante alors qu'ils volaient à basse altitude. Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et la Croix-Rouge étaient présents dans les camps de réfugiés (photo 1). L'Union africaine et des observateurs militaires étaient déployés au Darfour, et des centaines d'organisations nationales et internationales non gouvernementales opéraient dans le pays.

Deux flottes d'avions, exploitées par la Mission des Nations Unies au Soudan et le PAM, assuraient le transport des passagers dans l'ensemble du pays. Ceux-ci voyagaient avec leurs bagages, le personnel de l'ONU se chargeant de l'enregistrement. Les personnes munies d'une carte d'identité d'une ONG ou de l'ONU étaient généralement acceptées sans réservation. À bord, des casques bleus (soldats du maintien de la paix), des fonctionnaires internationaux, des employés d'ONG, des visiteurs comme moi venant de sièges d'organisation et quelques locaux profitant de l'occasion pour voyager gratuitement. Au Soudan, où le tourisme n'a jamais été un point fort, les hôtels sont en nombre insuffisant pour faire face à une telle invasion. Une maison aménagée pour l'occasion, souvent attenante à un bureau, fait alors l'affaire. Mais qu'en est-il de l'électricité pour alimenter les ordinateurs, les réfrigérateurs et les climatiseurs alors qu'il fait 45°C ? Des générateurs diesels, générant un bruit assourdissant, installés dans les rues de la périphérie, fonctionnent jour et nuit. De nombreuses paraboles installées par l'ONU assurent un accès aux mails pour coordonner les opérations.

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Comment réagit le Soudan, un pays souverain, face à ce monde virtuel au sein de son État ? À Nyala, la capitale du Sud-Darfour, les autorités locales ont interdit aux convois de faire flotter les drapeaux de l'ONU dans les limites de la ville. Hisser un drapeau est un geste symbolique, semble-t-il. Notre convoi de cinq véhicules, formé pour effectuer un voyage sur le terrain (photo 2) et assurer notre protection contre les embuscades, n'a pu déployer ses bannières bleues qu'une fois passé la dernière maison.
D'après les coordinateurs de l'ONU, il n'est pas facile de traiter avec le gouverneur provincial. Les institutions spécialisées de l'ONU se sont regroupées, jugeant qu'un front uni était plus efficace pour négocier les questions opérationnelles et politiques liées à l'intervention humanitaire. À Khartoum, la capitale de ce pays décentralisé, les ministres du gouvernement sont connus pour leurs querelles publiques avec les administrateurs de l'ONU.

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La FAO a pour mandat de l'ONU d'aider les populations dans les zones rurales. Avec 87 % d'agriculteurs et d'éleveurs (photo 3), elle a fort à faire. À El Geneina, dans l'Ouest- Darfour, un élu gouvernemental a décrit le déclin catastrophique de la production alimentaire après que près de 2 millions de villageois ont été forcés de quitter leur ferme pendant le conflit en 2003.

D'après Fadul Eledom Ahmed, directeur des Services agricoles pour l'Ouest-Darfour, les surfaces cultivées dans cet État seulement ont diminué de 30 % par rapport à 2004 et de 66 % en 2005. La FAO (photo 4) estime que la surface cultivée est de 45 % seulement. Mais certains points positifs sont à retenir. Par exemple, " le Ministre de l'agriculture donne aux agriculteurs des semences, des charrues, des outils à main, etc. Nous collaborons avec de nombreux partenaires, tels que la FAO et les ONG ", a déclaré M. Ahmed.

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Dans les trois États, la FAO a aidé 950 000 hommes, femmes et enfants, tant des réfugiés rentrant dans leur pays que des réfugiés accueillis dans les communautés, à reconstruire leur vie ou à augmenter la production alimentaire (photo 5) pour faire face à la crise. Au total, 1 500 tonnes de semences, 250 000 outils à main et 6 000 charrues ont été distribués.

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Au Darfour, deux camps s'opposent : ceux qui pensent que la violence est trop répandue pour apporter une aide importante en vue de rétablir les activités comme l'agriculture et l'élevage et ceux qui considèrent que l'aide d'urgence et la reconstruction vont de pair.

Demere Seyoum, directeur local de World Relief, une ONG qui travaille avec la FAO pour fournir des intrants aux fermiers, estime que de nombreux résidents qui ont été forcés de quitter leur ferme sont prêts à y revenir " malgré les risques ". " Les femmes sortent du camp par groupes de 10 à 20 (photo 6), parcourent 5 à 6 km jusqu'à leur ancien village pour cultiver leur champ. Les risques sont réels - la sécurité, mais aussi le risque de déployer de grands efforts pour un rendement faible. Il faut peu de choses pour aider ces agriculteurs à produire beaucoup plus ", dit-il.

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" Nous discutons du retour des familles dans leur ferme. On nous dit qu'il n'y a pas de problème de sécurité ", explique Hashim Zakaria, chef du Comité populaire soudanais de secours et de reconstruction dans le Sud-Darfour. " Mais la communauté internationale est plus intéressée dans le financement des secours. " Ces propos reflètent une tendance constatée dans les organisations qui œuvrent pour le développement, comme la FAO, dont le budget ordinaire a diminué au cours des dix dernières années alors que le soutien des donateurs à son programme de secours d'urgence a rapidement augmenté. C'est peut-être parce que les projets de développement sont à plus long terme et les résultats moins visibles, alors que l'aide agricole, la distribution de l'aide alimentaire dans les situations d'urgence ou la fourniture de soins donnés aux enfants dans les camps donnent des résultats plus immédiats.

Les images diffusées par les médias dans les pays riches montrant les actions entreprises suscitent un élan de générosité immédiat de la part des hommes politiques, des contribuables et des particuliers qui font des dons à une association caritative. Un coordinateur de l'ONU au Darfour a fait remarquer que les VIP et les hommes politiques occidentaux veulent seulement aller dans les camps pour y être photographiés alors que, non loin de là, les villages agricoles qui travaillent dur pour atteindre l'autonomie et tirer le meilleur parti de l'aide internationale restent dans l'ombre.

Dans Sud-Soudan, c'est une toute autre histoire. Après que le traité de paix a été signé en janvier 2005, les autorités ont invité tout le monde à venir prêter main forte. Mais les mêmes problèmes logistiques se sont posés : la capitale de cette province, Juba, ne compte que quelques hôtels; des centaines de visiteurs, étrangers et soudanais, doivent dormir sous des tentes. Seulement 20 km de routes sont pavés (photo 7), ce qui ralentit les travaux de secours et de reconstruction. Et les quelques villes qui existent ne sont pas entretenues. Pour accéder au port le plus proche - Mombasa, Kenya ou Port Soudan - il faut compter sept jours en voiture lorsque les routes sont praticables; le reste du temps, les importations sont acheminées par avion à des frais élevés. (Au moins, le bétail destiné à l'exportation, une activité importante pour le sud, peut être acheminé à pied vers les marchés !)

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Des modèles excellents de développement durable existent cependant dans le sud du Soudan. Après dix ans de projets locaux, j'ai été surpris par l'enthousiasme des bénéficiaires des projets. Grâce à la formation technique et aux conseils de la FAO, sur les 117 tonnes de semences de sorgho et d'arachide, 48 tonnes ont été produites en 2005 par les agriculteurs locaux près de Juba, distribuées par la FAO dans les trois États du sud. Le reste a été acheté auprès de marchands de semences établis dans le Nord.

" Trente femmes de notre groupe ont été formées à la multiplication de semences de sorgho et à la culture de légumes qu'elles vendent et qu'elles utilisent pour nourrir leur famille ", dit fièrement Mary Akwajo (photo 8) devant un champ de sorgho déjà haut et uniforme, signe d'un champ de semences bien entretenu. " Nous sommes vraiment contentes de cette activité qui aide les femmes à gagner leur vie. D'ailleurs, ces recettes ont permis à 20 femmes d'acheter des parcelles de terrain en ville. "

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La FAO voudrait voir tout le Soudan produire des semences au niveau des communautés rurales. De cette manière, on garantirait, dans les délais voulus, des fournitures de semences de qualité adaptées aux conditions et aux goûts locaux et on offrirait aux familles pauvres une chance de gagner un peu d'argent. La production de semences locale est un moyen idéal pour les Soudanais de diversifier leurs revenus.

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À Malakal - porte du Sud - située sur le Nil blanc près du marais Sudd, j'ai discuté avec des pêcheurs (photo 9). Ils m'ont dit que durant certaines périodes de l'année, ils pêchaient 100 kilos de perches et qu'avant les 20 ans de guerre de civile, la région fournissait les marchés aussi éloignés que ceux de Karthoum et du Congo. Selon les estimations de la FAO, 90 000 à 100 000 tonnes de poissons pourraient être pêchés chaque année dans les rivières et les marais du Sud. Avec les fonds qu'elle a levés, elle a distribué des milliers de kits de pêche et appris aux pêcheurs à construire des bateaux et à gérer les produits de la pêche.

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Pourquoi les gouvernements donateurs et les donateurs individuels des pays riches ne sont-ils pas aussi touchés par ces populations pauvres (photo 10) que par les personnes déplacées au Darfour ? Pourquoi n'apportent-ils pas une plus grande assistance aux pêcheries et ne fournissent-ils pas aux pêcheurs ce dont ils ont besoin : du matériel de stockage et de réfrigération et des bateaux pour transporter le poisson vers les marchés ?

 


(Pour en savoir plus sur la crise politique au Darfour et sur le Rapport de la Commission internationale d'enquête, M. Lowrey recommande de visiter le portail d'informations sur le Soudan www.unsudan.org. Bien écrits, souvent poignants, les articles d'éminents juristes et enquêteurs internationaux vous apprendront tout ce qu'il faut savoir sur la situation.)


Biographie
Peter Lowrey est responsable de l'information et coordinateur de la rédaction auprès du Groupe de communication et de conception de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture établie à Rome, en Italie.
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