Chronique ONU
Donnons sa chance à chaque mère et à chaque enfant
Les principales conclusions du Rapport sur la santé dans le monde 2005
Par Annick Manuel, Zoë Matthews et Wim Van Lerberghe

Imprimer
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
L'article
Les enfants sont l'avenir de la société et leurs mères en sont les garantes. Pourtant, chaque année, 3,3 millions d'enfants meurent à la naissance, environ 4,4 millions dans les 28 jours qui suivent et près de 6 millions d'enfants avant l'âge de cinq ans. Il n'y a pas non plus de répit dans la mortalité maternelle—chaque année 529 000 femmes meurent de manière imprévue au cours de leur grossesse, pendant l'accouchement ou peu après. Et pourtant ces décès sont en grande partie évitables.

© A. Waak/PAHO
Le Rapport sur la santé dans le monde 2005 : donnons sa chance à chaque mère et à chaque enfant se pose la question de savoir pourquoi ces décès se produisent encore à une telle échelle et comment réduire ce bilan annuel. Ce rapport précise qu'on sait comment intervenir pour sauver la vie de millions de mères et d'enfants. Il indique également que la santé maternelle, néonatale et infantile doit être au cour de la protection sociale en matière de santé qui est financée et garantie par les fonds publics et les systèmes de sécurité sociale.

Les crises humanitaires, la pauvreté généralisée et la pandémie du VHI/sida sont des facteurs qui ont aggravé l'effet de la récession économique et de la crise qui touche le personnel de santé. Avec l'impossibilité généralisée d'accéder aux soins de santé et les inégalités croissantes, il est devenu impératif de renforcer intensivement les systèmes de santé. Si des mesures radicales ne sont pas prises, il y a peu d'espoir d'éliminer partout les causes évitables de la mortalité maternelle et infantile.

Avec les avancées technologiques, les soins prénatals connaissent un très grand succès. On pourrait toutefois mieux exploiter les possibilités en privilégiant les interventions efficaces et d'autres programmes, comme la lutte et la prévention contre le VIH/sida, les infections sexuellement transmises, les initiatives pour la lutte contre la tuberculose et le paludisme ou encore la planification familiale. La manière dont les sociétés font face aux problèmes posés par les millions de grossesses involontaires, inopportunes et non désirées, en constituent un bon exemple. Les besoins en contraception restent très largement à satisfaire et il faut également améliorer l'information et l'éducation. Par ailleurs, il existe un besoin réel de faciliter l'accès à des soins sans risques et adaptés pendant et après un avortement.

Accompagner chacune des 136 millions de naissances qui se produisent chaque année dans le monde constitue l'une des principales tâches auxquelles font face les systèmes de santé. Pour lui garantir une sécurité optimale, chaque femme doit bénéficier de soins professionnels qualifiés lorsqu'elle accouche dans un environnement approprié, à la fois proche de l'endroit où elle vit et respectueux du rituel propre à sa culture. Il est préférable que ces soins soient assurés par une sage-femme qualifiée ou un agent de santé ayant les compétences voulues en obstétrique, dans un établissement de premier niveau. Cela peut permettre de prévenir un grand nombre de complications pendant l'accouchement et réduire la mortalité maternelle à un niveau étonnamment bas. Ce n'est pas parce que la naissance a eu lieu que les soins ne sont plus nécessaires. Au cours des heures, les jours et les semaines qui suivent l'accouchement, une mère et son nouveau-né courent encore des risques. L'accent qui est mis, à juste titre depuis quelques années, sur un accompagnement qualifié lors de l'accouchement ne doit pas faire oublier que les suites de couches sont une période critique durant laquelle se produisent la moitié des décès maternels et un grand nombre de pathologies.

Les enfants sont l'avenir de la société et leurs mères en sont les garantes.
Les problèmes de santé des nouveau-nés ont été négligés et sous-estimés. Alors que la mortalité néonatale représente une grande part de la mortalité des moins de cinq ans, il est clair que l'Objectif du Millénaire pour le développement (OMD) visant à réduire la mortalité infantile de deux tiers ne sera pas atteint d'ici à 2015 sans des progrès considérables. Pour faire progresser la santé néonatale, il est inutile de recourir à des technologies coûteuses : il faut que le système de santé assure la continuité des soins dispensés par des professionnels qualifiés depuis le début de la grossesse (et même plus tôt encore) jusqu'à l'accouchement et la période postnatale. Il est essentiel de donner aux ménages les moyens de s'occuper de leur nourrisson et de faire appel à un professionnel qualifié dès qu'un problème survient.

© A. Waak/PAHO
C'est aux premiers instants de la vie que les risques sont les plus grands, mais ils ne disparaissent pas pour autant lorsque le nouveau-né devient un nourrisson et puis un jeune enfant. Les programmes de lutte contre les maladies évitables, la malnutrition, les diarrhées et les infections des voies respiratoires sont encore loin d'avoir atteints leur objectif. Ils ont cependant contribué à faire reculer la charge de morbidité dans nombre de pays au point que le profil de morbidité a changé. Il est nécessaire de privilégier les approches appropriées, comme savoir faire face à l'évolution des problèmes à prendre en charge et se préoccuper de la croissance et de la survie du nouveau-né. Voilà ce qu'il faut faire du point de vue de la santé publique, et c'est aussi ce qu'attendent les familles.

On s'accorde très largement à considérer que même si l'on fait le bon choix sur le plan technologique, les programmes de santé maternelle, néonatale et infantile ne seront efficaces que si, avec les ménages et les communautés, ils mettent en place un système de soins continus s'étendant de la grossesse à l'accouchement et à l'enfance. Assurer cette continuité nécessite un renforcement des systèmes de santé, en plaçant la santé maternelle, néonatale et infantile au cour de leurs stratégies de développement. Cela nécessite de replacer la santé maternelle et infantile dans le cadre d'un projet politique plus large, simple, qui est de répondre à une demande de la société, de plus en plus considérée comme légitime, à savoir que soient assurés la protection de la santé des citoyens et leur accès aux soins.

Photo HCR/L. Taylor
Il est techniquement possible au cours de la prochaine décennie de faire bénéficier chaque enfant d'un ensemble d'interventions de santé essentielles qui satisfassent aux OMD et d'aller même au-delà. Mais en ce qui concerne les soins maternels et néonatals, l'accès universel est encore plus éloigné. Le Rapport sur la santé dans le monde indique qu'il est possible d'envisager divers scénarios pour l'augmentation des services, qui prennent en considération les circonstances propres à chacun des 75 pays concernés. Actuellement, 43 % des mères et des nouveau-nés peuvent recevoir des soins, mais en aucun cas la totalité de ceux qui seraient nécessaires simplement pour éviter les décès maternels. L'ensemble de ces scénarios optimistes, mais tout de même réalistes, élaborés pour chacun des 75 pays permettrait d'offrir une série complète de soins de premier niveau et de recours à 101 millions de mères (soit environ 73 % des naissances attendues) en 2015 ainsi qu'à leurs nouveau-nés. Si ces scénarios étaient réalisés, l'OMD concernant la santé maternelle ne serait pas atteint dans chaque pays, mais la réduction de la mortalité maternelle et périnatale serait en bonne voie. Le coût de la mise en ouvre de ces programmes dans les 75 pays se situerait autour de 91 milliards de dollars sur les dix années à venir, en plus des dépenses courantes, comparé à environ 97 milliards par an, ce qui représente les dépenses totales pour la santé publique dans ces pays, selon les dernières données disponibles.

La tâche la plus pressante consiste à mettre en place le personnel sanitaire nécessaire pour donner aux services de santé maternelle, néonatale et infantile le développement qui leur permette d'assurer l'accès universel aux soins. Beaucoup de pays connaissent une pénurie importante et des déséquilibres considérables dans la distribution de leur personnel sanitaire et y remédier continuera d'être une entreprise difficile. Après des années de laisser-aller, il y a des problèmes dont il faut s'occuper immédiatement : en premier lieu, la question de la rémunération du personnel. Dans beaucoup de pays, le niveau des salaires est considéré, à juste titre, comme injuste et insuffisant. Cette situation est une des causes fondamentales de la démotivation, du manque de productivité, de la fuite des cerveaux, de la migration - des campagnes vers les villes, du secteur public au secteur privé et des pays pauvres vers les pays riches. Elle fait également sérieusement obstacle au bon fonctionnement des services, car le personnel de santé assure deux fonctions pour améliorer ses conditions de vie -ce qui crée une concurrence entre les deux fonctions, eu égard au temps qui leur est consacré, constitue une perte de ressources pour le secteur public et donne lieu à des conflits d'intérêt. Les conséquences peuvent même être encore plus graves lorsque les agents de santé adoptent un comportement prédateur : l'exploitation financière de la clientèle peut avoir des effets catastrophiques sur les malades qui font appel aux services de santé et avoir un effet dissuasif sur les autres. Ce comportement contribue à alimenter une crise de confiance vis-à-vis des services auxquels mères et enfants ont droit.

© A. Waak/PAHO
Il est nécessaire d'établir et de mettre en ouvre sans délai toute une série de mesures pour briser le cycle vicieux et ramener la productivité et le dévouement à la hauteur des attentes de la population comme des aspirations de la plupart des agents. L'une des mesures les plus difficiles consiste dans le réaménagement de la grille de salaire du personnel - mesure qui ne serait pas sans conséquence sur le plan politique et économique et qui n'est pas envisageable sans un effort majeur non seulement de la part des gouvernements mais aussi de la communauté internationale. À la veille d'une décennie qui sera consacrée aux ressources humaines pour la santé, cette question va nécessiter un débat de fond au niveau mondial, au sujet du volume des fonds à allouer et de la répartition de ces fonds.

D'un autre côté, pour assurer l'accès universel aux soins, il ne suffit pas d'augmenter l'offre de services et de payer correctement les soignants. Il faut lever les barrières financières qui en empêchent l'accès et assurer aux usagers une protection financière sur laquelle ils puissent compter pour couvrir le coût des soins, notamment en cas de dépenses catastrophiques qui pourraient ruiner leur ménage. Cela se produit lorsque les charges sont trop importantes, que le ménage a une solvabilité limitée. Le financement est un élément vital de la planification des soins de santé maternelle, néonatale et infantile. En premier lieu, des fond supplémentaires sont nécessaires pour financer les services de soins dans la perspective d'un accès universel. Ensuite, il faut mettre en place des systèmes de protection financière parallèlement à l'amélioration de cet accès. Enfin, la répartition des fonds supplémentaires, qu'ils viennent du pays ou de l'aide internationale, doit assurer la souplesse et la prévisibilité nécessaires pour faire face aux principales contraintes que connaissent les systèmes de santé, en particulier les problèmes auxquels sont confrontés les personnels. Même si cela suppose un gros effort pour se donner les moyens nécessaires, la répartition des fonds supplémentaires par les systèmes nationaux d'assurance-maladie permet de lever simultanément ces trois difficultés.

Il est possible de faire en sorte que cette décennie soit marquée par une progression plus rapide vers la couverture universelle, c'est-à-dire la protection financière et l'accès pour tous aux soins de santé. Ainsi, aucune mère, aucun enfant, aucun nouveau-né et aucun enfant dans le besoin ne restera sans soins - parce qu'il faut donner sa chance à chaque mère et à chaque enfant.
Biographies
Les auteurs font partie de l'équipe de rédaction du Rapport sur la santé dans le monde 2005. Wim Van Lerberghe (à gauche) est rédacteur en chef du Rapport et coordonnateur d'équipe au Département Politiques et opérations des systèmes de santé à l'Organisation mondiale de la santé, à Genève. Annick Manuel (au milieu) travaille dans le même Département. Zoë Matthews (à droite) est démographe à l'université de Southampton.
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
Copyright © Nations Unies
Retour  Haut