Chronique ONU
Une Infirmité Dévastatrice Mais Évitable
LA FISTULE OBSTÉTRICALE
Par Jessica Bankes Beattie

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L'article
Raibe Adumu, Bunta Usuman, Maria Adumu et Hapsa Bala au Centre de rééducation à Kano, au Nigeria. Ces femmes ont subi une opération de la fistule et attendent d'être réintégrées dans leurs communautés. Le centre leur enseigne les compétences de base, telles que la lecture, le tricot et la couture. © Lucian Read/WpN/de la part du FNUPA
Imaginez un monde sans fistule obstétricale. Due à un accouchement prolongé qui dure parfois des jours sans accès à des soins médicaux, la fistule obstétricale a un effet dévastateur dans la vie des femmes. Pendant l'accouchement, la pression continue de la tête du bébé provoque une lésion des tissus chez la mère, ce qui crée une ouverture entre le vagin et la vessie ou le rectum permettant le passage incontrôlé de l'urine et des matières fécales.

Les conséquences sont dramatiques. Dans la plupart des cas, le bébé meurt. Incapable de contrôler les écoulements constants de l'urine et des matières fécales, la mère est abandonnée par son mari et mise au ban de la société à cause de l'odeur fétide et des stigmates associés à cette condition. Sans traitement, elle a peu de chances de trouver du travail et de mener une vie familiale normale, y compris d'avoir des enfants. Accablée de honte, elle est littéralement rejetée de la communauté et contrainte à vivre dans l'isolement.

Pratiquement non existante dans les pays industrialisés, la fistule obstétricale est particulièrement prévalente en Afrique, en Asie et dans certains États arabes. Selon les estimations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 2 millions de femmes et de filles, certaines n'ayant parfois pas plus de 12 ans, souffrent de la fistule dans les pays en développement, et 50 000 à 100 000 nouveaux cas se présentent chaque année. Pourtant, la fistule peut être évitée et traitée. Selon le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), « avec des chirurgiens expérimentés, le taux de succès peut atteindre 90 % et la plupart des femmes peuvent reprendre une vie normale ». Malheureusement, beaucoup n'ont pas les moyens financiers de se faire traiter, n'ont pas accès au traitement ou ne savent pas qu'il existe.

Des femmes attendent de subir une opération de la fistule dans un couloir du Centre Babbar Ruga. Le coût moyen de l'opération est de 300 dollars, montant très supérieur aux moyens de la plupart des femmes. © Richard Stanely
En janvier 2004, la célèbre présentatrice américaine, Oprah Winfrey, a consacré une heure de son émission à ce problème dévastateur, méconnu. Ce jour-là, Heidi Breeze-Harris de Seattle (Washington), comme des millions de téléspectateurs, regardait l'émission. Elle était alors enceinte de trois mois. Profondément choquée par le reportage, elle a décidé d'apporter son aide. Après avoir appris que le coût d'un traitement était de 300 dollars par intervention, elle s'est dit : « Je les ai ! C'est une somme astronomique pour ces femmes, et tellement peu pour nous, surtout quand on connaît les conséquences causées par une fistule non traitée. »

Lasse de constater le peu d'attention accordée aux problèmes touchant les femmes et les enfants, Mme Harris, qui se décrit elle-même comme un « chien de traîneau » connu pour son penchant naturel pour le travail, s'est lancée avec énergie pour combattre la fistule, co-fondant une initiative appelée « One by One ». Elle a commencé à parler de la fistule autour d'elle et s'est vite aperçu que cette affection était peu connue. Plusieurs mois après avoir vu l'émission d'Oprah Winfrey, elle a rencontré Kathy Bushkin, vice-présidente exécutive de la Fondation des Nations Unies (FNU), qui connaissait bien la question. Par son intermédiaire, elle a ensuite pris contact avec Emily Courey, qui travaille à la Division Femmes et population du FNU, discutant, au fil de nombreuses conversations téléphoniques, de stratégies et d'idées tout en cherchant comment collaborer le mieux possible.

Des patientes au Centre de rééducation de Kwali. © Lucian Read/WpN/de la part du FNUPA
Le FNU soutient les activités des Nations Unies en aidant à créer des partenariats. Mme Courey a contacté le FNUAP, l'institution de l'ONU qui, avec d'autres partenaires, avait lancé en 2003 la Compagne mondiale pour éliminer les fistules. Selon Allyson Ryan, associée au développement de partenariats pour la campagne, le but est de rendre la fistule aussi rare dans les pays en développement qu'elle l'est aujourd'hui dans les pays industrialisés. Trois interventions stratégiques permettent d'atteindre ce but : la prévention, le traitement et la réinsertion sociale. En peu de temps, un partenariat triangulaire a été créé entre One By One, la Fondation de l'ONU et le FNUPA. One by One est chargée de collecter des fonds pour soutenir les efforts de la Campagne, tandis que le FNU, agissant comme fiduciaire de One by One, s'assure que tous les dons peuvent être déduits des impôts. Actuellement, la campagne est menée dans plus de 30 pays touchés par la fistule.

Alors que le partenariat se développe, Mme Harris a contacté son amie de longue date Katya Matanovic. Forte de son expérience de dix ans dans le secteur des organisations non lucratives, Mme Matanovic a introduit l'idée d'un modèle de cercle de dons adapté, sur lequel One by One a fondé sa politique de collecte de fonds. Dans les cercles de dons traditionnels, les participants doivent désigner une cause qu'ils veulent soutenir collectivement. Dans la version adaptée, la cause est clairement définie pour les participants qui souhaitent se joindre à l'initiative : « Notre objectif était de rendre One by One facilement accessible pour que n'importe qui puisse s'y joindre à n'importe quel moment », a expliqué Mme Matanovic. « Un grand nombre de questions complexes qui se posent dans les cercles de dons traditionnels sont éliminées parce que la cause et les moyens sont déjà définis pour le groupe et mis en place. » En fait, il est facile de participer, il suffit d'un groupe de dix personnes, chacune faisant don de 30 dollars. « Trente dollars semblent dérisoires », a poursuivi Mme Breeze-Harris, « mais multipliés par dix, cela fait 300 dollars... suffisamment pour couvrir le coût d'une intervention chirurgicale, des soins postopératoires et de la réinsertion », ajoutant qu'« un cercle peut comprendre 300 personnes, chacune faisant don d'un dollar, ou qu'une personne peut faire don de 300 dollars ou plus ». Plus important, One by One veut faciliter le processus. « Ce modèle connecte les personnes avec le pouvoir de leur argent. C'est un processus simple, qui donne réellement aux gens le sentiment que leur contribution, quel qu'en soit le montant, peut faire une grande différence. Une personne peut littéralement changer la vie d'une autre. C'est un véritable échange entre deux personnes », a-t-elle expliqué.

Heidi Breeze-Harris et Katya Matanovic, responsables du projet « One by One. Photo/Shelly Perry
Ayant pris part à l'initiative avant la naissance de son fils et après quelques mois de son association avec le FNU et le FNUAP, Mme Breeze-Harris a été concernée plus personnellement par ce problème après avoir souffert elle-même d'un accouchement prolongé qui a nécessité une césarienne, suivie d'une deuxième intervention pour arrêter les saignements. Sans accès à une intervention médicale à temps, elle aurait probablement souffert d'une fistule. « Cette expérience a rendu mon travail encore plus important », a-t-elle commenté, « au point que j'ai remis le pied à l'étrier, seulement trois semaines après la naissance de mon fils ».

Selon le FNUAP, « la prévention est essentielle pour éliminer les fistules. Ces interventions peuvent également sauver la vie de 500 000 femmes qui meurent chaque année des complications de la grossesse ou de l'accouchement ». Pour Kate Ramsey, spécialiste de projet auprès de la Campagne pour éliminer les fistules, trois facteurs sont essentiels en matière de prévention : la planification familiale, la présence d'un personnel formé à l'accouchement et l'accès aux soins obstétricaux d'urgence. « La fistule est un bon indicateur de ce que nous devons faire pour améliorer les soins de santé maternelle pour toutes les femmes de ces pays. Il faut une volonté politique, des ressources humaines [...] des communautés informées et mobilisées. »

Mme Brezze-Harris s'est mobilisée pour créer One by One par compassion et pour aider les femmes atteintes de la fistule. Ces initiatives aident à sensibiliser davantage l'opinion publique sur les complexités associées à cette condition et à mieux comprendre les questions liées aux soins de santé maternelle en général. Selon le rapport annuel 2004 de la Campagne, « la fistule a donné une dimension humaine à la santé en matière de reproduction et a permis de lancer des activités de plaidoyer plus vastes en faveur de l'accès universel aux soins de santé en matière de reproduction et de la promotion de l'égalité des sexes. « Vous parlez de "santé en matière de reproduction" et c'est tout de suite une levée de boucliers. La fistule constitue un terrain d'entente chez des gens qui ont des opinions politiques divergentes. (Elle) apparaît comme unificatrice dans une question qui divise l'opinion », a indiqué Mme Courey du FNU.

« C'est une question qui semble toucher le cour des gens a fait remarquer Mme Ramsey. Nous recevons presque tous les jours des appels de personnes qui veulent travailler en tant que bénévoles ». Ce fut le cas du docteur Bill Meyer, un membre du groupe lors du lancement officiel de One by One en mars 2005. Il a pris part au partenariat « Fistula Fortnight » - un programme de traitement et de formation lancé au Nigeria. Dans quatre hôpitaux de ce pays, des équipes de médecins étrangers et nigérians, ainsi que des personnels nigérians en formation, ont procédé à 545 interventions, le plus grand effort jamais accompli pour traiter les fistules. « Nous avons opéré 13 jours d'affilée », a déclaré le docteur Meyer. « Tous les participants ont fait don de leur temps pendant deux semaines. C'est un besoin qui continuera d'exister toute ma vie. »

Les succès, comme celui cité par la BBC sur le site internet du FNUAP, où une Tanzanienne a été soignée d'une fistule, nous aident à mieux saisir l'importance de l'action individuelle. « Je vais pouvoir aller de nouveau à l'église », a-t-elle dit. « Je pourrai aider un peu aux champs, aller faire les courses et revenir assise à l'arrière d'une bicyclette - toutes ces activités que l'on fait normalement. »

Dans un monde qui évolue à un rythme plus que jamais rapide, où nous sommes constamment inondés d'informations venant des quatre coins de la planète, nous pouvons nous sentir facilement dépassés. Ne sachant pas par où commencer, on est souvent enclin à la confusion et l'inaction. Il n'en tient qu'à nous de passer en revue les informations que nous avons emmagasinées et de faire des choix. Les histoires comme celle de Saida, une femme érythréenne de 28 ans qui a vendu sa seule possession de valeur - des boucles d'oreille en or - pour se rendre jusqu'à un centre de santé dans l'espoir de se faire soigner, doivent nous pousser à agir. Nous avons le choix de participer ou non. Beaucoup d'entre nous ont l'immense chance d'avoir la liberté d'agir ou non. Imaginez un monde sans fistule - comme il a été dit lors de la première conférence de One by One à Seattle en 2005. Alors que cela nécessitera beaucoup d'efforts et de temps, un par un nous pouvons aider à rendre la fistule aussi rare dans les pays en développement qu'elle ne l'est aujourd'hui dans les pays industrialisés.
Biographie
Jessica Bankes Beattie est une journaliste indépendante et propriétaire d'une petite entreprise depuis douze ans. Elle est passionnée des questions mondiales concernant les femmes, les enfants et la maternité. Elle aime les voyages et les langues étrangères. (Pour plus d'informations sur la fistule, visitez le site www.onebyoneproject.net).
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