Chronique ONU

L'interview de la Chronique : Ousmane Sy

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Biographie
© Wouter Rawoens
Ousmane Sy est la figure de proue de la décentralisation et de la réforme de la gouvernance au Mali, ainsi que dans la sous-région de l'Afrique de l'Ouest, où il ouvre pour que les réformes mises en ouvre aux niveaux local et national aillent de pair avec les réformes au niveau régional. De 1993 à 2000, il a été à la tête de la « Mission pour la décentralisation et les réformes institutionnelles », un processus entrepris à la demande de la nouvelle administration démocratique. Nommé ministre de l'Administration territoriale et des collectivités locales en 2000, il a organisé les élections présidentielles de 2002. Il est le fondateur et le coordinateur régional du réseau Dialogue sur la gouvernance en Afrique, qui regroupe actuellement 14 nations de l'Afrique de l'Ouest et centrale et le directeur du Centre d'expertise politique et institutionnelle en Afrique (CEPIA).

Lauréat du Prix International Roi Baudouin pour le Développement 2004-2005 (voir photo) « pour la force de sa vision et le courage de ses idées sur la question de la gouvernance en Afrique, et pour l'originalité de ses actions au Mali où, par un processus participatif de décentralisation et l'organisation d'élections transparentes, il a réussi à créer un cadre propice à stimuler une meilleure gestion publique et une stabilité renforcée ».

Russell Taylor, de la Chronique ONU, s'est entretenu avec lui le 26 mai 2005 au siège de l'ONU à New York.

Interview
Sur le rôle de la décentralisation pour construire la démocratie au Mali
La décentralisation au Mali est apparue comme un processus naturel au début des années 1990, mettant fin à 23 ans de dictature militaire. Le processus de décentralisation comprenait deux objectifs principaux : le premier visait à approfondir et à étendre le processus, et le deuxième à voir comment nous pouvions promouvoir la démocratie dans le pays, à partir d'efforts menés au niveau local. Et cela s'est produit en même temps que le pays essayait de se remettre des plans d'ajustement structurel, qui avaient entraîné une crise économique. On espérait que le processus de décentralisation relancerait l'économie.

Dans la sous-région subsaharienne, les États de l'Afrique de l'Ouest, qui ont hérité des structures et des administrations coloniales, connaissent une grave crise depuis les années 1980. Dans ces États qui sortaient de la colonisation, la décentralisation est apparue comme une réponse, permettant de renforcer le processus démocratique en élargissant sa base et de l'ancrer au niveau local en soumettant la démocratisation à une épreuve de réalité à l'échelle locale. Elle avait contribué à revitaliser l'économie locale en rapprochant les décideurs politiques des acteurs locaux, permettant ainsi de renouveler l'approche du développement.

Aujourd'hui, l'Afrique connaît une crise économique causée en particulier par le manque de ressources et la difficulté d'accès aux services d'infrastructure de base. La décentralisation n'est donc pas une réforme de la structure administrative mais plutôt une réforme de nature politique qui va jusqu'aux racines du pays. Tout cela contribue à assurer la durabilité du développement dans notre pays.

J'ai été chargé de la mission technique pendant sept ans. Le Président malien, Alpha Omar Konaré, m'a alors demandé de passer au politique et de d'occuper le poste de ministre de l'Administration territoriale et des communautés locales. Lorsque le processus de décentralisation a commencé, le Mali comptait 19 communes urbaines. Cinq ans plus tard, en 1998, 703 communes avaient été créées (groupées en 49 cercles et 8 régions), en impliquant les populations locales dans leur création.

Au-delà de l'organisation des élections démocratiques et de la lutte contre la corruption, la décentralisation a fourni une nouvelle vision de la gouvernance. La gouvernance était jusqu'alors une notion considérée comme artificielle par beaucoup, l'exercice du pouvoir, et donc celui de la démocratie au niveau local, étant concentrés entre les mains de quelques-uns.

Sur le processus de décentralisation
La décentralisation est ancrée dans le principe de la participation et encourage les gens à faire entendre leur voix dans un dialogue ouvert avec l'administration publique. Cela a permis d'offrir au plus grand nombre la possibilité de participer à la gouvernance et, à tous les niveaux, les responsables doivent maintenant rendre compte de leurs actions. Ceux qui décident sont des acteurs locaux - la population locale - et ne sont pas élus par le gouvernement central. La décentralisation nous a permis de créer un système de contrôle efficace, car elle donne au peuple malien la possibilité de mettre en question les conseils municipaux. Elle a été synonyme de reconnaissance de la diversité linguistique et culturelle, ayant même permis d'instaurer la paix civile avec les populations touaregs dans le nord du pays.

© Jean Paul Collette
Nous y parvenons par le biais de divers réseaux qui permettent d'impliquer les organisations partenaires. Nous les appelons les collèges, formés par divers groupes d'intérêt, tels que les femmes, les jeunes, les universités, les paysans ou les agriculteurs et les élites. Nous discutons avec eux des questions de gouvernance, concernant la gestion de leurs affaires au niveau local, et nous leur conseillons des méthodes et la constitution d'une documentation. Ces collèges, à leur tour, collectent des informations sur leurs expériences avec l'administration. Puis, nous en discutons avec eux. Nous analysons les informations et, à partir de leurs commentaires, nous essayons de formuler des propositions afin de mettre en ouvre des mesures pratiques. Celles-ci font l'objet d'une discussion, l'étape finale avant leur mise en ouvre.

Sur la réticence à mettre en ouvre la décentralisation
Au début, la réticence était liée à la simple peur du changement et au fait que les changements remettent en cause les intérêts investis : nous rencontrons encore ce genre d'attitude dans de nombreux domaines. Engagé dans un processus politique, nous avons décidé de le poursuivre tel qu'il était. L'engagement politique c'est ce qui me porte même aujourd'hui : savoir que l'Afrique et la communauté africaine peuvent continuer à s'engager sur la voie du changement. En fait, les choses bougent dans la région. Cela n'est peut-être pas perçu dans le monde, mais les faits sont là, et c'est une base sur laquelle nous nous appuyons pour amener l'Afrique à un niveau où elle sera capable d'assumer son statut dans le monde. Nous sommes convaincus que le changement est possible pour la bonne raison qu'il est déjà visible au Mali. Et si le changement est possible dans mon pays, pourquoi pas dans d'autres ?

Tout mon discours, tout mon travail consistent à montrer que les changements sont possibles, à un certain nombre de conditions où la décentralisation, une intégration régionale et une meilleure gouvernance s'inspirant du vécu des Africains figurent en bonne place. Le Prix international Roi Baudoin que j'ai reçu assure une visibilité à nos activités.

Sur l'importance du processus de décentralisation du Mali pour l'Afrique
Nous travaillons à divers niveaux, du niveau local au niveau régional. La prochaine étape est d'amener la discussion au « niveau du continent », de voir ce que l'Afrique peut faire dans le domaine de la gestion et de la gouvernance, prenant en considération la diversité des problèmes. L'idée est de lancer un processus où la région aura sa propre vision de gouvernance, contrairement à l'impression selon laquelle l'Afrique accepte toujours des idées venant de l'extérieur, et sera en mesure de créer ses propres idées et solutions.

© Jean Paul Collette
Nous avons vite réalisé que la question de gouvernance induite par la décentralisation, non seulement concernait les États mais pouvait également promouvoir l'intégration régionale. Un réseau a été créé dans neuf pays (huit pays en Afrique de l'Ouest et au Cameroun), qui ont réuni leurs expériences locales. Il ne faut pas oublier que le Sénégal est le premier pays africain à avoir entrepris le processus de décentralisation. D'autres expériences ont été menées au Burkina Faso, au Bénin et en Guinée. Des échanges ont été établis entre ces pays, et un réseau Dialogue sur la gouvernance en Afrique regroupant des acteurs de 14 pays, a été créé. Ceci a coïncidé avec la transformation de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) en Union africaine (UA). Cette dernière a une vision d'une Afrique forte, et nous estimons qu'il est temps de discuter au sein de l'UA de la situation et des stratégies qui devraient être conçues et mises en ouvre pour chacune des sous-régions africaines.

Sur le rôle de la communauté internationale
Les discussions que nous avons en Afrique montrent clairement non seulement le coût de la gouvernance démocratique au niveau régional, mais aussi ses causes dans la crise internationale en matière de développement. En ce qui concerne la coopération au développement, les partenaires externes sont également directement impliqués dans le processus. La crise que nous connaissons ne pourra pas être résolue tant qu'on n'aura pas trouvé une solution en matière d'aide au développement. Notre espoir est la formation d'un partenariat pour le développement de l'Afrique. L'ONU devrait jouer un rôle de premier plan dans la création d'une nouvelle charte de la coopération au développement.

© Jean Paul Collette
Sur l'importance des OMD
Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) constituent un immense progrès par rapport aux buts atteints précédemment. Les partenaires du développement se mobilisent pour que l'Afrique puisse atteindre ces objectifs. Mais, alors que la réalisation de ces OMD est notre objectif, nul ne parle des modalités ou de la forme pour y parvenir. À mon avis, ces objectifs pourraient d'ailleurs être améliorés et complétés. Je pense aussi qu'ils sont trop centrés sur la lutte contre la pauvreté. Les partenariats pour le développement devraient viser plus loin que l'élimination de la pauvreté et avoir une vision à long terme sur la manière dont l'Afrique pourrait contribuer à son propre développement en créant ses propres lois, avec la coopération de tous les Africains.

Les OMD sont censés être des mesures qui doivent être prises par les gouvernements. Or, nous voyons que de multiples acteurs participent à leur mise en ouvre, car il faut inclure plusieurs niveaux de la société, chacun s'efforçant de réaliser ces buts. Ceci s'applique aussi à la dimension territoriale de la mise en ouvre des OMD. Les pays ne sont pas tous identiques, en particulier dans les domaines de la santé et de l'éducation. Les problèmes et les opportunités varient d'un pays à l'autre, d'une région à l'autre.
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