Chronique ONU
Point de vue

L'autonomisation Des Femmes
Dix Ans Après Beijing


La Commission sur la condition de la femme fait le bilan des progrès accomplis
Par Melanie Becka et Marga Dorao-Moris

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L'article
Lors de la Journée internationale de la femme 2003, le Secrétaire général Kofi Annan a déclaré : « Il n'y a pas de temps à perdre si nous voulons atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) à l'horizon 2015. Ce n'est qu'en investissant dans les femmes du monde entier que nous pouvons espérer y parvenir. »
Des femmes récoltent le riz en Inde. Photo FAO/G. Bizzari

En 1995, à Beijing, en Chine, la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes a adopté le Programme d'action, un ordre du jour pour l"éducation et la promotion des femmes qui constitue une étape décisive pour leur progrès au XXIe siècle. La Déclaration du Millénaire, approuvée par 191 gouvernements lors du Sommet du Millénaire en 2000, a renforcé cette initiative et a ciblé les efforts mondiaux sur la réalisation de huit objectifs de développement mesurables et acceptés internationalement, avec une échéance fixée à 2015. Ces objectifs ont lié la mise en ouvre de la Déclaration du Millénaire et les douze domaines prioritaires d'action inscrits dans le Programme d'action (voir encadré). Tous deux ciblent l'égalité des droits des femmes et leur autonomisation, non seulement pour le bénéfice des femmes elles-mêmes mais aussi celui de leur famille et de leur communauté. Lorsque les femmes sont éduquées et jouent un plus grand rôle dans l'agriculture, la productivité agricole augmente; l'éducation des filles réduit la malnutrition et les taux de mortalité tant des garçons que des filles; et il existe une corrélation étroite entre l'alphabétisation des femmes et la diminution du taux d'infection dû au VIH/sida.

Des rapports, comme celui intitulé Beijing Betrayed (Beijing trahie), publié par l'Organisation des femmes pour l'environnement et le développement (WEDO), et le rapport de la Réunion du Groupe d'experts qui s'est tenue à Bakou, en Azerbaïdjan, publié par la Division de l'ONU pour la promotion de la femme, montrent comment la pensée macro-économique, qui ignore la nature structurelle de la pauvreté et de l'inégalité des sexes, doit être contesté si l'on veut appliquer le Programme d'action et réaliser les OMD. La militarisation galopante et l'essor du fondamentalisme ont créé un climat de plus en plus hostile aux droits humains des femmes. Depuis Beijing, les politiques néolibérales dictées par le marché, en particulier les changements dans les règles commerciales et financières, la déréglementation et la privatisation des biens et des services publics, ont aggravé la pauvreté et intensifié les inégalités entre les nations et au sein de celles-ci, les femmes, les plus pauvres parmi les pauvres, étant les principales victimes. Les inégalités de plus en plus marquées ont provoqué un accroissement de la migration tant légale qu'illégale et offert aux femmes de nouvelles opportunités d'emploi dans le monde entier, mais ceci dans un marché du travail déréglementé et des économies informelles en développement, propices à l'insécurité et à toutes les formes d'exploitation.

Dans le nouveau millénaire, les sociétés transnationales ont un pouvoir énorme. Beijing trahie montre comment il est de plus en plus difficile pour l'Organisation des Nations Unies, en tant qu'institution mondiale la plus universelle et la plus légitime, de jouer son rôle, depuis que les institutions commerciales et financières internationales sont devenues de plus en plus puissantes. Dans ce climat, rares sont les gouvernements qui font preuve de la volonté politique pour tenir les engagements pris à Beijing. Les femmes veulent des actions, des ressources et un gouvernement qui protègent et encouragent leurs droits humains, a déclaré Noeleen Heyzer, directrice exécutive du Fonds de développement des Nations Unies pour les femmes lors de la quarante-neuvième session de la Commission sur le statut de la femme qui s'est tenue en mars 2005. Les domaines d'action prioritaires sont plus complexes et plus interdépendants, mais l'autonomie économique, le bien-être et la prise de décision demeurent les conditions essentielles à l'égalité des sexes et à l'autonomisation des femmes, a-t-elle ajouté.

La pauvreté ne peut pas être éradiquée sans l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes. Or, pour réaliser ces deux objectifs, les pratiques traditionnelles et culturelles doivent changer, indique Mirjam van Reisen, d'Europe External Policy Advisors, dans son rapport. Les gouvernements doivent donc encourager l'harmonisation des travaux et les responsabilités familiales des femmes et des hommes. Mais la situation des femmes s'est dégradée depuis 1995 avec la montée du chômage ainsi qu'avec la réduction de l'accès à la protection sociale et aux services publics. Les statistiques montrent qu'aux États-Unis, les femmes ont 40 % plus de chances d'être pauvres que les hommes, tandis qu'en Amérique latine leurs salaires ne représentent que 39 % de celui des hommes.

Faute de se pencher efficacement sur l'impact que les politiques macro-économiques ont sur la pauvreté nationale, les gouvernements se tournent souvent vers le microcrédit comme solution à la pauvreté des femmes, ayant montré qu'elles pouvaient être des épargnantes et des emprunteuses prudentes. Mais les résultats ne sont pas toujours positifs. Au Bangladesh, par exemple, les femmes ont accès au microcrédit, lequel est, en fait, utilisé par les hommes de la famille, alors que ce sont les femmes qui sont chargées de le rembourser. Un autre point crucial en matière d'éradication de la pauvreté concerne l'accès des femmes au droit foncier, qui devient de plus en plus difficile avec l'essor de la privatisation. Dans la plupart des cas, les rôles traditionnels dévolus à chaque sexe confèrent aux femmes la responsabilité de subvenir aux besoins de la famille quand l'eau et les autres ressources naturelles sont rares. Mais ce n'est pas seulement dans les pays en développement que la discrimination sur le marché du travail et les mécanismes culturels et politiques confinent les minorités ethniques et les femmes migrantes à des secteurs peu spécialisés et à des emplois mal rémunérés; même les pays développés sont rares à mettre en place des politiques familiales efficaces pour concilier la famille et le travail. Alors que dans la plupart des régions il existe une législation pour protéger les femmes contre la discrimination sur le lieu de travail, aucune loi favorable à la famille n'existe en ce qui concerne les horaires et les conditions de travail. Un salaire égal et l'intégration des femmes dans les secteurs non traditionnels constituent une exception à la règle.

Autre obstacle majeur à la promotion des femmes : la santé. « Rien n'illustre les effets dévastateurs de la discrimination entre les sexes de manière aussi flagrante que la pandémie du VIH/sida et, dans chaque partie du monde, le nombre de femmes contaminées s'est accru », a dit à la Commission sur la condition de la femme Louis Arbour, Haut Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU. Au cours des dix dernières années, le nombre de femmes et de filles séropositives a rapidement augmenté. De son côté, Desmond Johns, directeur du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA), a estimé qu'un grand nombre d'approches traditionnelles orientées sur les changements du comportement étaient inefficaces pour les femmes. De plus, « on estime que 529 000 femmes meurent chaque année pendant leur grossesse et l'accouchement, 98 % de ces décès ayant lieu dans les pays en développement », a indi-qué Jennifer Nadeau, de l'Alan Guttmacher Institute. L'amélioration de la santé sexuelle et reproductive est essentielle à la réalisation de tous les OMD. Les domaines prioritaires dans lesquels il faut investir sont la contraception, la santé maternelle et les maladies sexuellement transmissibles.

Douze domaines prioritaires
1. Éradication de la pauvreté. Égalité d'accès au logement à des prix abordables, à la terre, aux ressources naturelles, au crédit et aux autres services.

2. Éducation. Réduction de l'écart entre les sexes dans l'enseignement primaire et secondaire d'ici à 2005.

3. Santé. Mise en place de services de santé à des prix abordables et réduction du taux de mortalité maternelle.

4. Violence. Mise en place de mesures juridiques et sociales pour prévenir la violence et la traite des femmes.

5. Conflits armés. Participation accrue des femmes dans la résolution des conflits.

6. Disparité économique. Salaire égal et traitement égal; égalité de l'accès des femmes aux ressources, à l'emploi et aux marchés.

7. Partage du pouvoir. Parité des sexes dans les organismes gouvernementaux et participation égale des femmes dans les structures du pouvoir.

8. Institutions. Intégration d'une perspective sexospécifique dans les lois, les politiques publiques, les programmes et les projets.

9. Droits humains. Ratification et application des traités internationaux ayant trait aux droits de l'homme.

10. Médias. Égalité d'accès des femmes à l'information et élimination des stéréotypes liés au sexe.

11. Environnement. Participation des femmes dans la prise de décision concernant les questions d'environnement et intégration des questions sexospécifiques dans les politiques de développement durable.

12. Fillettes. Donner aux fillettes le même droit à l'éducation et aux soins de santé et faire en sorte qu'elles aient une image positive d'elles-mêmes.
Depuis 1995, la communauté internationale a fait des progrès, reconnaissant l'importance de l'éducation des filles et de la lutte contre la pauvreté pour le développement. Pourtant il faudra rédoubler d'efforts car sur les 128 pays pour lesquels existent des données, seulement 52 réaliseront la parité entre les sexes dans l'enseignement primaire et secondaire d'ici à 2005, a souligné Saniye Gulsar Corat, coordonnatrice des Programmes pour les femmes et l'égalité des sexes de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture. « l'égalité entre les sexes est au centre des débats sur la relation entre culture et développement ». Pour sa part, Marco Ferroni, de la Banque de développement interaméricaine, a estimé que la participation politique des femmes augmentait, faisant cependant remarquer que « si l'écart entre les sexes a été réduit dans le domaine de l'éducation, d'importantes lacunes dans la qualité de l'éducation demeuraient, spécialement pour les populations indigènes ». Malgré les progrès réalisés dans l'éducation de base, les filles et les femmes sont toujours confrontées à des inégalités, en particulier pour l'accès à l'enseignement supérieur. Selon WEDO, d'autres problèmes sont liés à l'abandon scolaire et aux taux élevés d'analphabétisme, ainsi qu'aux stéréotypes liés au sexe.

D'importantes mesures devront être prises pour garantir l'accès des femmes à l'information au même titre que les hommes, encourager l'élimination des stéréotypes liés au sexe et favoriser leur participation et leur accès aux technologies de l'information et de la communication (TIC). De son côté, Sophia Huyer, du Conseil consultatif sur les genres de la Commission des Nations Unies sur la science et la technologie au service du développement, a souligné que l'accès aux TIC « est difficile pour un grand nombre de femmes ». Selon elle, la promotion de l'apprentissage en ligne est cruciale pour inclure les femmes dans le monde des TIC, ajoutant que ces nouvelles technologies pouvaient être une approche éducative très positive pour les femmes dans l'éducation formelle et non formelle, ainsi qu'une stratégie dans les cultures où la ségrégation est appliquée.

Wangari Maathai, lauréate du prix Nobel de la paix 2004 et fondatrice du Mouvement Ceinture verte, a dit à la Commission (voir Chronique ONU, numéro 4, 2004) que le lien entre la paix et l'environnement était essentiel à la réalisation de la paix et du développement durable. « Un moyen d'investir dans la paix est de prendre soin de l'environnement, de gérer nos ressources d'une manière responsable et durable afin de les partager équitablement. » Elle a appelé les femmes à appliquer le slogan « réduire, réutiliser, recycler et réparer », alors qu'elles continuent de mener des efforts en vue de l'égalité des sexes. La guatémaltèque Rigoberta Menchú, lauréate du prix Nobel de la paix 1992, a fait remarquer que, dans son pays, les peuples mayas Quiche avaient lutté pendant des décennies pour obtenir des droits en tant que peuples autochtones, entre autres les droits à leur terre. En Europe, le nombre de femmes victimes de la traite est en hausse constante. Malheureusement, les gouvernements font très peu pour combattre cette criminalité et mettre en place des systèmes de protection.

Le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté la résolution 1325 (2000) qui, pour la première fois, étudie les effets de la guerre sur les femmes et appelle à mettre fin à l'impunité des auteurs de violences fondées sur le sexe pendant et après un conflit. Elle demande l'intégration d'une perspective sexospécifique dans les activités d'établissement et de maintien de la paix ainsi que la participation égale des femmes à tous les niveaux de prise de décision dans les différentes étapes du processus de paix. Les gouvernements ont cependant tout juste commencé à intégrer les perspectives sexospécifiques dans la prévention des conflits. Les femmes sont toujours sous-représentées dans le domaine de la politique étrangère et dans la prise de décision. Conformément à la Déclaration de Beijing, la plupart des nations du monde, soit 90 % des États Membres de l'ONU, ont ratifiées la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Or, selon Beijing trahie, la plupart des gouvernements n'ont toujours pas pris de mesures concrètes.

Les femmes et l'ONU : 1995-2005
1995 La Quatrième Conférence mondiale sur les femmes, qui s'est tenue en septembre à Beijing, en Chine, a examiné les domaines prioritaires et adopté le Programme d'action; Le Sommet mondial du développement social, qui s'est tenu en mars à Copenhague, au Danemark, s'est penché sur un large éventail de questions concernant les femmes et a adopté la Déclaration de Copenhague par laquelle les pays s'engagent à garantir l'égalité et l'équité entre les femmes et les hommes.

1996 Le deuxième plan à moyen terme à l'échelle du système pour la promotion de la femme et le développement présente d'autres façons de renforcer les activités de l'ONU en matière d'égalité des femmes, y compris les pratiques, les politiques et les programmes entrepris par l'Organisation.

1997 Le Secrétariat de l'ONU réalise son objectif visant à porter à 35 % le pourcentage de postes soumis à la répartition géographique occupés par des femmes; le Secrétariat nomme un Conseiller spécial sur les questions sexospécifiques et la promotion de la femme.

1998 Le Secrétaire général approuve un programme relatif au congé pour motif familial afin de mieux concilier le travail et la famille; un système permettant la mobilité des fonctionnaires femmes entre les institutions est créé afin d'enrichir l'expérience et faciliter l'emploi des conjoints ou autres membres importants de la famille dans les organisations de l'ONU.

1999 Une instruction administrative de l'ONU sur les « Mesures spéciales visant à réaliser l'égalité des sexes » s'applique au recrutement, à la promotion et au placement des femmes et accorde des exemptions spéciales aux femmes nouvellement recrutées pendant un gel du recrutement; tout poste vacant qui est en deçà de l'objectif d'une répartition égale entre les sexes sera attribué à une femme, à condition que ses qualifications répondent aux conditions requises et soient égales ou supérieures à celles des candidats masculins.

2000 Améliorer la parité entre les sexes est un objectif inclus dans les plans d'action en matière de gestion des ressources humaines; le Secrétariat général demande la coopération de tous les services et de tous les bureaux dans la mise en ouvre de l'instruction administrative sur les mesures spéciales et dans la performance des directeurs visant à améliorer l'égalité des sexes comme facteur essentiel d'évaluation.

2001 Le service de formation et d'évaluation des opérations du maintien de la paix est créé dans un module de formation intitulé « Genre et maintien de la paix »; les chefs de l'administration et du personnel des bureaux extérieurs sont encouragés à poursuivre activement les options d'emploi pour le conjoint.

2002 Le Secrétaire général décide d'inclure dans l'évaluation de la performance des fonctionnaires des informations sur les opportunités de sélection des candidates et sur les progrès réalisés concernant le taux de représentation des femmes, y compris les efforts menés pour identifier les candidates.

2003 Nouveaux objectifs : répartition égale entre les sexes en 2006 au plus tard; un engagement de fixer des objectifs concrets pour la nomination des femmes au poste de représentant spécial ou d'envoyé spécial du Secrétaire général afin de réaliser la répartition égale entre les sexes en 2015; et établir les procédures pour traiter les cas de harcèlement sexuel.

2004 À la 48e session de la Commission sur la condition de la femme, en réponse à la résolution de l'Assemblée générale « Amélioration de la situation des femmes dans le système de l'ONU », l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel » a diffusé ses annonces de vacances de poste auprès des associations des femmes professionnelles dans le monde entier, auprès des contacts dans les bureaux de terrain du Programme de l'ONU pour le développement en Asie et Pacifique, en Afrique et dans la région arabe, ainsi qu'auprès des institutions spécialisées ayant un réservoir de candidats dotés de qualifications techniques; le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a réduit les conditions d'ancienneté à la classe P-3 et aux classes supérieures; et des politiques souples et plus favorables à la famille ont été introduites.

2005 Le suivi et l'évaluation de la mise en ouvre de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing de la Quatrième Conférence mondiale des femmes s'est tenue pendant la 49e session de la Commission sur la condition de la femme. Dans la Déclaration politique adoptée par l'Assemblée générale lors de sa vingt-troisième session spéciale en juin 2000, les États Membres ont accepté d'« évaluer régulièrement l'état de la mise en ouvre du Programme d'action de Bejing en vue de réunir toutes les parties concernées en 2005 pour évaluer les progrès et envisager de nouvelles initiatives, dix ans après l'adoption de la Plateforme d'action de Beijing ».
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