Chronique ONU
Première personne
Pertes et espoirs
Par Mikel Flamm

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L'article
K. Vadivel es assis sur ce qui fut sa maison à Batticaloa, à Sri Lanka, qui a été entièrement détruite par le tsunami le 26 décembre 2004.
L'image de ce Sri-Lankais assis sur des morceaux de ce qui fut jadis sa maison restera à jamais gravée dans ma mémoire. Silencieux, il fixait l'océan comme s'il était en transe. Ses pensées étaient centrées sur le 26 décembre 2004, jour où sa vie a basculé. Le corps de sa femme, emporté par les vagues, a été retrouvé dans l'après-midi dans une lagune proche. Il avait tenté de la sauver mais était arrivé trop tard.

Une petite fille serre ses vêtements dans les bras, les seuls biens qui lui restent après le tsunami. © Mikel Flamm photo
Sa vie et celle des membres de sa famille qui ont survécu ont été brisées. Marié depuis 30 ans, K. Vadivel, 50 ans, a perdu sa femme et son emploi en l'espace de quelques minutes. Il ne comprenait pas pourquoi. Je ressentais sa douleur à chaque fois que je prenais une photo de lui et de sa famille durant la semaine que j'ai passée à Batticaloa, à l'est du Sri Lanka.

Comme tous les jours, K. Vadivel et son fils, Sivaneshan, étaient partis pêcher dans la lagune située en face, à quelques centaines de mètres de la rive qui sépare la crique de l'océan. En jetant les filets dans la mer, Sivaneshan, 27 ans, a regardé vers le large. « Au début, je n'ai pas réalisé, mais j'ai vite compris le danger. Une énorme vague venait d'atteindre la lagune et se dirigeait vers nous. Elle mesurait 6 mètres de haut. Nous devions rejoindre le rivage pour prévenir ma mère, mon frère et ma sour. Nous avons laissé les lignes et avons pagayé pour rentrer. »

Avant d'accoster, Sivaneshan a sauté dans l'eau et couru vers la maison. Alors qu'il arrivait chez lui, la vague gigantesque a balayé la route. Son père s'est agrippé à un tronc d'arbre. « J'ai appelé tout le monde et aidé ma mère et ma sour à se maintenir à une poutre près des toilettes. L'eau s'écrasait avec force contre la maison. J'essayais tant bien que mal de retenir ma mère », raconte-t-il. Une deuxième vague a déferlé et rasé la maison et tout ce qu'il y avait alentour. « J'ai cherché ma mère, mais en vain. » Après cinq minutes, l'eau s'est retirée.

« J'étais sous le choc », se souvient K. Vadivel. « Tout le monde courait pensant qu'une autre vague allait venir. J'ai cherché ma femme mais je ne l'ai pas trouvée. Mes enfants étaient sains et saufs, mais leur mère était introuvable. » Dans l'après-midi, le corps de Sarasvathy, 50 ans, a été retrouvé dans l'eau, non loin de la maison, pris dans des buissons. La famille l'a amenée à l'hôpital et elle a été enterrée le jour suivant.

« Depuis le tsunami qui nous a frappés le 26 décembre, la mer est différente, raconte Sivaneshan. Le jour et la nuit, on entend un bruit étrange. Nous craignons une autre catas-trophe. Nous vivons tous dans la peur. Ici, nous gagnons tous notre vie de la pêche. La mer nous donne tout. Mais elle a repris plus qu'elle nous a donné. » Ouvrant une noix de coco à l'aide de l'un de ses couteaux de pêche, il indique que « ce couteau est le seul bien qui me reste aujourd'hui ».

Au début janvier 2005, je suis venu au Sri Lanka, envoyé par Habitat for Humanity International pour évaluer la perte en vies humaines parmi les habitants des régions côtières ainsi que les dégâts causés dans les communautés où l'organisation avait des projets en cours. Les dommages étaient difficiles à évaluer. Les maisons où les familles avaient habité et où les enfants avaient joué n'étaient plus que des ruines. Des vêtements déchirés étaient accrochés aux arbres, un jouet d'enfant, ainsi qu'un réveil qui s'était arrêté à 9 h 15, étaient à moitié ensevelis dans le sable ; des albums de photos endommagées par l'eau témoignaient d'un passé plus heureux. Ce qui avait été un jour une communauté était devenu un terrain vague.

Dans les communautés où je suis allé, j'ai écouté les récits des survivants et ressenti leur douleur. Un habitant m'a emmené à l'emplacement de sa maison. « C'était une belle maison, dit-il. J'ai grandi près de l'océan, mais je n'ai jamais pensé que nos vies pourraient être en danger. Maintenant, c'est différent. On craint qu'un autre tsunami ne survienne, et nous avons peur. » La communauté située à moins de 100 m de la plage donnait l'impression d'avoir été dévastée par une bombe. De tous côtés, à perte de vue, s'étendait une plaine recouverte de ruines. K. Vadivel m'a dit que « la mer est en colère. Pêcheurs, nous puisons dans la mer pour vivre, mais maintenant elle nous a repris plus que l'on ne peut imaginer. »

Mikel Flamm et Manimala. © Mikel Flamm photo
Alors que le processus de reconstruction se poursuit, les populations reprennent progressivement leur vie en main grâce aux importants efforts d'assistance qui ont été mis en place au lendemain du tsunami. À la mi-mars, j'ai réalisé un documentaire sur un groupe de professionnels du bâtiment venus des États-Unis, d'Australie et des Pays-Bas qui faisaient partie du programme de réponse aux catastrophes créé par Habitat. Appelés les « premières équipes de construction », ils travaillent dans les communautés les plus touchées par les catastrophes naturelles.

La maison de K. Vadivel fut l'une des maisons reconstruites par l'équipe d'Habitat à Batticaloa. Il a fallu cinq jours pour terminer les travaux entrepris par des volontaires locaux. Sa fille de 19 ans, Manimala, qui a aidé à mélanger le ciment et à transporter les briques, m'a montré sa future chambre. « C'est exactement là où séjournait ma mère dans l'autre maison. Ce sera bientôt ma chambre. Je ressens sa présence ici. Je sais qu'elle veille sur nous et je me sens en sécurité. Nous serons heureux ici. »

Le responsable de l'équipe, l'Américain Bob Bell d'Eugene, en Orégon, raconte : « Quand nous sommes arrivés ici il y a cinq jours, nous n'avions aucune idée de ce qui nous attendait ni ce que nous allions faire. Mais depuis, nous avons construit cinq maisons. Lors de la cérémonie d'inauguration de leur nouvelle maison, organisée par K. Vadivel, sa fille et ses deux fils, une bougie fut allumée sous une photo de sa femme dans un silence de plomb. Cela faisait trois mois que le tsunami avait frappé la région et leur nouvelle maison était inaugurée sur l'emplacement même où se trouvait l'ancienne. « Nous ne nous y attendions pas, c'était donc un événement spécial pour nous. Pour chacun de nous qui sommes venus ici aider cette famille et les autres, cette maison représentait un nouveau commencement, de nouveaux espoirs pour cette famille, et beaucoup de bonheur pour les nombreuses années à venir », commente Bob Bell.

K. Vadivel a remercié les bénévoles venus reconstruire sa maison et sa vie. Plus tard, sa fille m'a dit : « Aujourd'hui, je ressens la présence de ma mère comme dans un rêve. Elle est avec nous et protégera notre famille. Je sais que nous serons en sécurité maintenant. »
Biographie
Mikel Flamm est établi en Thaïlande depuis 1990. Il a récemment passé plusieurs semaines à Sri Lanka où il a couvert pour Habitat for Humanity International les conséquences du tsunami ainsi que les processus de rétablissement et de reconstruction. Il a travaillé comme photographe et journaliste avec Gamma-Liaison, Getty Images, Newsweek et autres publications, y compris la Chronique ONU, en Asie, en Europe et aux États-Unis.

Habitat for Humanity et ONU-Habitat collaborent

La construction et la remise en état se poursuivent dans les régions touchées par le tsunami au Sri Lanka, en Inde et à Banda Aceh, en Indonésie, et se poursuivront pendant plusieurs années. Plus de 200 00 personnes ont trouvé la mort et plus d'un million de familles ont été déplacées. Partout dans le monde, les efforts de secours ont été très importants.
K. Vadivel, sa fille Manimala et son fils Sivaneshan, lors de la cérémonie d'inauguration en mars 2005, avec les membres de l'équipe d'Habitat for Humanity devant leur maison.

Habitat for Humanity International s'occupe de la construction et de la réparation des maisons et dirige un centre technique destiné à aider 30 000 à 35 000 familles touchées par le tsunami. Avec le soutien des donateurs et d'autres partenaires, cette organisation étend ses activités en Indonésie, en Inde, au Sri Lanka et en Thaïlande pour répondre aux besoins des familles en termes de logements. Trois mois après la catastrophe, les dons ont atteint 40 millions de dollars. Les plans sont dressés pour entreprendre la construction d'habitations simples et adéquates au cours des deux prochaines années. Les services directs comprennent la réparation et la remise en état des maisons endommagées, la reconstruction sur les fondations existantes de nouvelles constructions et la mise aux normes des maisons pour renforcer leur résistance aux catastrophes naturelles.

En septembre 2004, Habitat for Humanity et le Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-Habitat) ont annoncé un accord formel afin d'examiner les questions relatives à la pauvreté urbaine et aux secours lors de catastrophes dans les pays en développement. « Cette collaboration est un pas important vers la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement visant à réduire de moitié le nombre de pauvres d'ici à 2015 et à améliorer les conditions de vie des habitants de taudis », a déclaré Anna Tibaijuka, directrice exécutive d'ONU-Habitat. « Des décisions prises au niveau politique à la mise en ouvre des stratégies, l'expérience d'ONU-Habitat et d'Habitat for Humanity International constitueront une force solide pour répondre aux défis tels que l'amélioration des taudis et l'accès à des logements adéquats partout dans le monde. »
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