Chronique ONU
La radio de l'ONU et les missions de maintien de la paix
Pour passer de la guerre à la paix
Par Juliana Ribeiro, pour la Chronique

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L'article
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Dans sa Constitution de 1945, l'Organisation des Nations Unies pour la science, l'éducation et la culture souligne que « les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ». Les guerres sont causées par les comportements et les attitudes d'un groupe envers l'autre. Il en est de même pour la paix durable.

Nombreux sont les universitaires et les professionnels qui pensent que la qualité de l'information ou le niveau de désinformation joue un rôle important sur la perception que la population a de la situation politique, perception qui peut se traduire en action. On se souvient trop bien des conséquences de la mauvaise gestion de l'information dans les Balkans et au Rwanda. Des informations fiables sont donc un besoin fondamental pour les populations touchées par la guerre ou sortant de la guerre. Il est cependant difficile pour les médias locaux de fonctionner dans des pays dont l'infrastructure a été détruite et dont les médias ne sont pas nécessairement libres et indépendants. Cette prise de conscience a amené les missions de l'ONU à avoir de plus en plus recours aux stratégies médiatiques pour réduire le fossé de l'information qui existe dans leurs sociétés d'accueil.

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Même si d'autres types de médias, tels que la télévision et la presse écrite, peuvent également contribuer aux efforts de promotion de la paix, la radio est le média le plus utilisé, en grande partie pour des raisons pratiques, telles que l'infrastructure disponible avant, durant ou après un conflit et les niveaux d'alphabétisation. L'accès à la radio par un grand nombre de personnes joue aussi un rôle comme outil de promotion de la paix. D'ailleurs, comme le souligne Sheila Dallas, de Radio MINUSIL de la Mission des Nations Unies en Sierra Leone, « l'ONU sait comment agir avec les gouvernements, mais lorsqu'il s'agit des populations locales, il n'y a pas mieux que la radio ».

Dans ses résolutions établissant les mandats des missions, le Conseil de sécurité a indiqué que les missions de l'ONU étaient autorisées à produire des programmes ou à créer des stations de radio. L'usage direct des médias est cependant un phénomène assez récent et étroitement lié à l'approche plus globale et à long terme de la promotion de la paix par les Nations Unies dans les sociétés sortant de la guerre depuis la guerre froide. Les missions comprennent donc plus d'éléments civils en vue de s'attaquer aux effets psychologiques et sociaux résultant de la guerre. Il n'est donc pas surprenant que les choses aient changé depuis que l'ONU a produit ses premiers programmes de radio et de télévision en Namibie en 1989. En 1992, elle a pris la décision sans précédent d'installer sa première station émettrice dans le cadre des travaux de l'Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge. Même s'il est difficile d'évaluer l'impact réel de cette initiative, toutes les parties concernées estiment qu'elle a joué un rôle important dans les élections de 1993 qui ont enregistré une participation de 90 %. Depuis, les programmes ont été plus spécialisés, souvent axés sur les femmes, les enfants et les anciens combattants.

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En règle générale, les stations et les programmes de l'ONU font une place importante aux informations destinées aux personnes touchées par la guerre, telles que le processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration; où trouver un abri, de l'eau et des vivres; le mandat de la mission et les accords de paix. Une fois que la période de secours d'urgence est passée et que les esprits sont centrés sur la consolidation de la paix après le conflit, les programmes peuvent aborder des questions sociétales, telles que les droits des enfants et des femmes, les futures élections et la justice transitionnelle.

Même si ce cadre est généralement utilisé, chaque mission adapte ses programmes à la culture et aux besoins locaux, la participation de la société civile étant un élément très important. Par exemple, les enregistrements des programmes de radio produits par la Mission de vérification de l'ONU au Guatemala (MINUGUA) ont été distribués aux stations locales pour soutenir le travail de celles-ci et accroître la portée des programmes. Cette inclusion crée un sentiment de propriété du processus de promotion de la paix, encourageant la population à s'engager sur la voie de la démocratisation. De plus, elle reflète un renforcement du partenariat entre l'ONU et la société civile, qui responsabilise les personnes plutôt que de les considérer comme des victimes. De tels projets soutiennent une culture de bonnes pratiques et d'éthique dans les médias locaux, améliorant les critères de professionnalisme et encourageant la liberté et l'indépendance des médias.

Non seulement les membres de l'équipe locale tirent profit de la mise en place des capacités mais ils aident aussi à appréhender les sensibilités culturelles et à créer des programmes mieux adaptés à l'audience ciblée. Lorsque cela est nécessaire, ces radios de l'ONU sur le terrain diffusent leurs programmes dans les langues locales, une approche inclusive qui augmente la portée des messages de l'ONU. Gail Bindley-Taylor Sainte, responsable de l'information de la Mission des Nations Unies en Éthiopie et en Érythrée (MNUEE), a indiqué que l'usage de différentes langues dans ses programmes a, par exemple, aidé une équipe à gagner accès à un monastère situé dans une région reculée de l'Érythrée. « Le moine savait qui nous étions, parce qu'il avait écouté la radio », a-t-elle dit.

Augmenter l'étendue des programmes et leur portée tout en fonctionnant avec un budget réduit peut également se faire avec la coopération des organisations non gouvernementales locales et internationales (ONG) qui travaillent dans la région. Pour Seda Pumpuanskaya, responsable de l'information de la MINUGUA, dont le mandat vient de se terminer et qui a participé à des projets de radio et de télévision de l'ONU en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, le partenariat à différents niveaux est un atout. Au Guatemala, tous les programmes de radio et de télévision de l'ONU ainsi que leur diffusion étaient sous-traités, a-t-elle expliqué, ce qui présentait comme principal avantage une réduction des coûts, car l'ONU n'avait pas à se procurer de matériel. En même temps, une telle approche n'affectait pas la portée ou la qualité des programmes. Au contraire, cela permettait de créer des programmes de qualité pour la radio, la télévision et Internet, a-t-elle commenté, tels que « Rostos de Paz » (Visages de la paix), une série consacrée aux questions sociales au travers des expériences personnelles. Elle s'est souvenue que l'une des premières émissions avait réuni un ancien commandant et un membre de la guérilla qui étaient nés dans le même village, avaient grandi ensemble mais faisaient partie de deux camps opposés. Dans ce cas, les médias ont servi de médiateur et encouragé l'expression des différences par le dialogue plutôt que par la violence.

Autre exemple : Radio Okapi, de la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC), créée en partenariat avec l'ONG suisse Fondation Hirondelle, une initiative d'autant plus importante que le pays ne possédait aucun autre réseau de radio. Grâce au partenariat, Radio Okapi a connu un essor rapide depuis sa création en 2002 et comprend actuellement, en plus de son studio principal à Kinshasa, la capitale, huit stations régionales, 20 stations FM et trois émetteurs à ondes courtes, couvrant une grande partie du territoire. Elle touche également la diaspora de la RDC par ses programmes diffusés sur Internet.

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De son côté, la radio MINUL, de la Mission des Nations Unies au Liberia, a contribué au processus de promotion de la paix. Joseph Roberts Mensah, responsable de la station, a créé, en coopération avec l'UNICEF et le Comité international de la Croix-Rouge, un programme destiné à aider les gens à localiser leur famille. Jacques Paul Klein, représentant spécial du Secrétaire général au Liberia, a reconnu l'importance de cette initiative qui a permis à réunir plus de 90 % des anciens enfants soldats et leur famille. Dans un pays où l'infrastructure des communications est peu développée, « la radio de l'ONU, qui diffuse 24 heures sur 24, est la seule radio qui atteint les populations qui vivent dans l'arrière-pays », a-t-il expliqué. Néanmoins, la radio de l'ONU fait aussi face à d'importants défis dans les pays d'accueil, le plus important étant probablement de gagner l'intérêt et la confiance du grand public. C'est pourquoi il faut renforcer la crédibilité en instaurant la confiance au sein de la population. M. Roberts-Mensah a noté que de tels programmes sont également un outil stratégique pour dissiper les rumeurs. « Si, par exemple, la rumeur d'une émeute se développe, nous pouvons la vérifier auprès des bureaux régionaux et demander aux autorités de faire une déclaration à la radio pour rétablir la vérité. »

Une autre formule intéressante est la création de programmes de variétés et la diffusion d'un plus grand nombre de pièces pour radio, ce qui permet à partir de la fiction de discuter de questions controversées de la vie quotidienne qui, autrement, n'auraient pas été abordées. En créant un dialogue, ces programmes permettent à une société déchirée par la guerre d'apprendre à gérer les conflits sans recourir à la violence. Les personnages de « Sheriff and Hannah », de Radio MINUL, sont un exemple intéressant. Sheriff est un ancien combattant qui passe par toutes les phases et défie le processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration. À chaque fois qu'il se pose des questions sur son utilité et envisage de reprendre les armes, Hannah, sa femme, lui rappelle qu'une telle décision aurait des conséquences désastreuses pour leur vie et l'avenir du pays. Ce genre de programme aborde non seulement des questions que se posent les anciens combattants mais responsabilise aussi les femmes, donnant l'exemple pour que leurs voix soient entendues.

La musique sert également à attirer les jeunes. Sheila Dallas, directrice de la station et productrice exécutive de Radio MINUSIL, a diffusé de la musique venant des quatre coins de la planète pendant trois semaines avant de diffuser des messages donnant des précisions sur l'accord de paix et le mandat de la mission. Les organisations qui travaillent derrière les lignes des rebelles ont informé la station que les rebelles écoutaient l'émission. De fait, « lorsque les West Side Boys [une partie de la faction des rebelles] sont sortis de la brousse, ils ont dit que c'était grâce à la Radio de la MINUSIL qu'ils ont appris qu'ils ne seraient pas jetés en prison », a-t-elle indiqué. L'absence d'une culture en faveur de la liberté et de l'indépendance des médias dans le pays d'accueil ou d'un mandat de mission définissant clairement son droit d'utiliser les stratégies médiatiques pose d'autres défis. Dans ce cas, la créativité joue un rôle central, a estimé Mme Bindley-Taylor Sainte. Il faut savoir utiliser toutes les fenêtres d'opportunités. Une approche multimédia est spécialement utile, indique-t-elle, y compris, par exemple, l'installation d'unités mobiles de vidéo dans les communautés isolées et les centres de sensibilisation régionaux afin que les gens puissent écouter les programmes de radio.

Même si le meilleur modèle d'intervention médiatique fait l'objet de nombreuses discussions, beaucoup pensent que les approches doivent être conçues au cas par cas. La production et la distribution des programmes par les réseaux de diffusion locaux ou par les propres réseaux de l'ONU, le choix des programmes dépendront du contexte de la mission, y compris des fonds disponibles, des relations avec les acteurs locaux, de la logistique et de l'infrastructure existante. Une caractéristique est néanmoins présente dans tous les projets : les Nations Unies contrôlent toujours le contenu des programmes. Cette pratique permet de soutenir les principes de l'ONU par le biais des professionnels qu'elle emploie et lorsque la production et la diffusion des programmes sont externalisées.

La coopération entre les missions et le siège de l'ONU est un élément fondamental des projets de radio. Elle commence souvent dès la phase de préparation de la mission, lorsque les experts de l'information prennent part à l'équipe de reconnaissance pour évaluer l'environnement de l'information. Une fois la mission établie, le personnel du siège aide à trouver le matériel et à l'envoyer, recrute les professionnels et organise une formation sur des questions spécifiques. Par exemple, en décembre 2003, le Département de l'information de l'ONU a organisé à Dakar une discussion sur les stratégies des communications pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration avec la participation d'experts dans les domaines du maintien de la paix et de l'information. Dans certains cas, le service central de nouvelles a créé des magazines d'information spécialement conçus pour les missions, et les stations de radio diffusent souvent des programmes d'intérêt général produits à New York. Les professionnels travaillant des deux côtés se consultent régulièrement pour éviter les risques de désinformation. Actuellement, la Radio de l'ONU est présente dans les missions de l'ONU en République démocratique du Congo, en Éthiopie et en Érythrée, au Kosovo, au Liberia, en Côte d'Ivoire, au Burundi et en Sierra Leone, et développe des projets au Timor-Leste et en Haïti.
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