Chronique ONU
Mondialisation et développement
Créer un accès équitable à l'économie mondiale
Par Juliana Ribeiro, pour la Chronique

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L'article
UNOHCI/OIP photos/Sonia Dumont
Même si les progrès technologiques et l'interdépendance économique sont des avantages importants de la mondialisation, une grande partie de la population mondiale n'y a pas accès. Pour encourager le débat sur cette question, le 29 octobre 2003, la cinquante-neuvième Assemblée générale des Nations Unies a organisé une réunion avec la participation d'Amartya Sen, professeur de Lamont University à Harvard et prix Nobel d'économie en 1998, et de Martin Wolf, rédacteur associé et éditorialiste au Financial Times. Le rapport de la Norvège sur les Objectifs du Millénaire pour le développement y a également été présenté.

Dans son allocution « Forger la cohérence pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) dans le contexte de la mondialisation », M. Sen a mis en garde contre le danger de centrer le débat de la mondialisation sur la diminution et l'augmentation de pauvreté, comme l'ont fait de nombreux groupes antimondialistes et promondialistes. Même si de telles perceptions peuvent être vraies en fonction des indicateurs choisis, la question centrale est, cependant, de savoir si les pauvres peuvent tirer davantage profit de la mondialisation, c'est-à-dire, avoir un plus grand accès aux opportunités dans un ordre mondial modifié.

M. Sen a souligné que ce n'était pas le fonctionnement de l'économie de marché qui était en cause mais plutôt le fait que la mondialisation des marchés à elle seule ne suffisait pas. À son avis, il fallait examiner les politiques mondiales et réformer les conditions économiques et sociales, par exemple, l'évaluation de la pertinence des arrangements institutionnels mondiaux, les accords commerciaux, le transfert de la technologie, la répartition des ressources naturelles et le traitement équitable de la dette accumulée. De plus, une plus grande attention en matière d'éducation, d'épidémiologie et de microcrédit pourrait contribuer à créer des conditions habilitantes. Dans ce débat, a-t-il estimé, la question du commerce des armes est centrale. Plus de 80 % des exportations d'armes dans le monde proviennent du groupe de 8 pays. Si l'on considérait que les armes légères et de petit calibre sont les principaux instruments de la guerre, cette question était préoccupante pour le développement de nombreux pays. La difficulté de la communauté internationale à faire face au commerce des armes légères reflétait, à son avis, un certain aveuglement vis-à-vis de la justice mondiale.

M. Sen a mentionné l'appel de l'Assemblée général lancé pour créer une plus grande cohérence dans la réalisation des OMD. Il a cependant souligné que la Déclaration du Millénaire allait au-delà des OMD, plaidant pour la promotion d'une gouvernance démocratique et participative. Il a rappelé au public de l'ONU que la création d'une justice mondiale fondée sur la responsabilité partagée nécessitait des réformes économiques, sociales et politiques et une plus grande participation des pays en développement dans la prise de décisions économiques internationales. Par ailleurs, il a déclaré que le rôle de la société civile dans le processus d'une mondialisation plus équitable était central, bien que n'étant pas engendré par le capitalisme car fonctionnant au sein des marchés.

M. Wolf a soutenu le point de vue de M. Sen, disant que l'économie de marché était le seul moyen de créer la prospérité pour les pays en développement, même si cela pouvait être un long processus. Selon lui, le rapport d'août 2004 du Secrétaire général intitulé Mondialisation et interdependence, mettait en avant un processus de mondialisation irréaliste, fondé davantage sur les machinations politiques que sur les forces économiques. Cela pouvait entraver les réformes politiques et économiques nécessaires, a-t-il dit, ajoutant que le succès dépendait de l'interaction entre les ressources, les institutions et les politiques nationales et le marché mondial. L'aide et les politiques libérales ciblées en matière de commerce, telles qu'elles ont été établies dans les OMD, étaient donc, selon lui, secondaires. Ils se sont penchés sur la capacité des pays développés à contribuer au développement, plutôt qu'aider les pays en développement à tirer avantage de la mondialisation, et ont abordé ensuite le « climat de l'investissement », une condition préalable à une économie de marché florissante.

L'économie de marché est fondée sur des États forts, efficaces mais limités. Pour M. Wolf, les institutions internationales n'étaient pas en mesure d'imposer des limites aux États et donc d'assurer la justice mondiale. Il a cité une étude de la Banque Mondiale montrant que les pays en développement réglementaient plus leur économie que les pays développés et étaient plus vulnérables à la corruption. Les institutions internationales devraient cependant permettre aux États de tirer des leçons de leurs erreurs, même si cela pouvait avoir des conséquences désastreuses pour leur population. D'un autre côté, il fallait aussi instituer une sorte de système mondial capable d'intervenir quand les États échouaient ou avaient échoué.

Plus les régimes internationaux étaient ciblés et applicables dans les États Membres, plus ils seraient légitimes. Selon M. Wolf, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) s'était aventurée trop loin en encourageant la libéralisation du commerce, ce qui avait eu comme conséquence une incapacité à faire respecter les normes de travail et de l'environnement, contraignant les pays à dresser des barrières protectionnistes. La priorité principale du système commercial mondial serait de limiter le nombre d'accords préférentiels et bilatéraux. Mais M. Wolf a précisé qu'il soutenait le mécanisme du Système généralisé des préférences (SGP) pour les pays en développement et les changements proposés par l'Union européenne à cet égard, mais qu'il désapprouvait la prolifération d'accords bilatéraux centrés sur les grands pays développés, qui n'étaient pas entièrement des accords de libre-échange et qui posaient un défi aux entreprises. Un système multilatéral comprenant un large éventail de pays était préférable, a renchéri M. Sen, ajoutant qu'une approche multilatérale réunissant des tendances très larges était nécessaire.

Sur l'impact de la mondialisation sur l'environnement, M. Wolf a indiqué que c'était une erreur de penser que la mondialisation n'avait pas de conséquences sur l'environnement. Selon lui, il était légitime que des entreprises refusent de s'établir dans des pays dont elles n'approuvaient pas les réglementations environnementales locales, étant donné qu'il était normal que les pays aient des points de vue différents sur le niveau d'application des normes environnementales. Pour lui, la gouvernance universelle s'opposait à la solidarité universelle. Sur ce point, M. Sen a précisé que le problème venait du fait que l'on supposait que la société mondiale fonctionnait comme les nations, ce qui n'était pas le cas. Il a souligné que les relations entre les nations étaient importantes, mais que celles entre les citoyens l'étaient tout autant. À son avis, les inégalités dans le monde n'étaient pas seulement une question de gouvernance mondiale mais concernaient aussi les citoyens et que c'était là où intervenait la société civile. M. Wolf a répondu en disant que la justice au niveau mondial ne lui posait pas problème mais qu'une telle approche était très radicale, les personnes faisant principalement face à des menaces dans leur pays.

Le représentant du Kenya a souligné qu'une justice différée était une justice déniée. Dans les pays faisant l'expérience de la démocratie, les hommes politiques qui ne tenaient pas leurs promesses engendreraient une détérioration de la démocratie, diminuant les chances de ces pays de se joindre à la communauté internationale. M. Sen a répondu qu'un engagement international était nécessaire pour faire avancer les réformes. « Je pense vraiment qu'aujourd'hui un débat public est nécessaire », a-t-il dit, soulignant le rôle central que l'ONU avait à jouer.

Pendant la présentation du Rapport de la Norvège sur les Objectifs du Millénaire pour le développement, Hilde F. Johnson, ministre du développement international de la Norvège, a appelé les États membres à tenir leur promesse envers les OMD, déclarant que, dans ce domaine, son pays avait montré son engagement, mis en place une cohérence politique et montré des résultats. En matière de commerce, la Norvège a supprimé les taxes et les quotas pour les produits venant des pays les moins avancés, a amélioré l'accès aux importations des autres pays en développement et s'apprêtait à éliminer les subventions à l'exportation dans le cadre d'une solution négociée à l'OMC, a-t-elle indiqué. De plus, elle continuerait d'effacer la dette sans avoir recours à l'aide au développement.

De plus, en 2005, a-t-elle poursuivi, la Norvège a pour objectif de consacrer 1 % de son produit national brut à l'aide au développement - une augmentation de plus de 10 % par rapport à 2004. Elle aide également les pays en développement dans des domaines importants, en veillant, par exemple, à ne pas investir dans des entreprises qui violent les droits de l'homme ou les principes humanitaires de base ou dans des entreprises soupçonnées de se livrer à la corruption à grande échelle et à des activités qui contribuent à la dégradation de l'environnement, en soutenant les initiatives visant à lutter contre la corruption et le blanchiment d'argent et en examinant les problèmes écologiques affectant les pays en développement. Étant parmi les plus grands producteurs de pétrole et de gaz naturel, la Norvège s'est engagée à réduire les émissions dans le pays, a-t-elle conclu.

M. Sen a salué les efforts de la Norvège, rendant hommage à la contribution de ce pays en matière de réalisation des OMD, aux politiques environnementales qu'elle s'est fixées et à sa détermination à encourager un débat public sur ces questions. Dans son allocution de clôture, il a fait remarquer que, compte tenu de l'interdépendance des secteurs, nous étions tous concernés et qu'il fallait reconnaître que les relations mondiales allaient au-delà des relations entre les États. Le développement et la mondialisation continueraient à être au cour du débat, a-t-il conclu, laissant entendre qu'il était nécessaire d'améliorer les termes de référence quant aux économies qui veulent être incluses dans le processus de mondialisation.
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