Chronique ONU
Les femmes, la démocratie et l'islam
La lauréate du prix Nobel s'explique
Par Nguyen Tang Le Huy Quoc-Benjamin, pour la Chronique

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L'article
Shirin Ebadi
« Je suis ici non pas en tant que représentante d'un gouvernement ou d'un parti politique, mais en tant qu'avocate des droits de l'homme défendant ceux qui ont consacré leur vie à promouvoir ces droits », a déclaré Shirin Ebadi, lauréate du prix Nobel, lors de la conférence sur le lien existant entre la paix et le développement sociétal (voir Chronique ONU, no. 1, 2004). Le 2 juin 2004, au siège de l'ONU à New York, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a parrainé une présentation de Mme Ebadi intitulée « Les femmes, la démocratie et l'islam ».

Mme Ebadi a débuté sa carrière comme juge à Téhéran. Depuis 1979, elle défend les dissidents politiques et enseigne le droit à l'université de Téhéran. Fondatrice et directrice de l'Association de défense des enfants en Iran, elle s'est fait remarquer pour son indépendance, son militantisme et son engagement, ainsi que pour plusieurs publications dont Les droits de l'enfant - étude des aspects juridiques des droits des enfants en Iran, publiées avec le soutien du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF).

Ses réalisations et le respect qu'elle s'est attiré montrent qu'elle ne s'intéresse pas seulement à son pays ou au rôle des femmes dans les pays musulmans et dans le monde, mais aussi aux droits de l'homme universels. Engagée dans la défense des droits de l'homme, elle sait qu'ils constituent une base pour un monde plus libre et plus juste pour tous.

Dans son allocution, Mme Ebadi a déclaré que même si 55 ans s'étaient écoulés depuis l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme, le monde n'était pas libéré du fléau de la guerre. La peur et l'insécurité, qui ont toujours été des caractéristiques des pays en développement et des pays totalitaires, ont récemment touché les sociétés développées et démocratiques. La tragédie de la faim, la pauvreté et le retard mental qui se sont manifestés par le manque d'accès à l'eau potable, aux soins de santé et aux soins médicaux, sont encore le lot d'une grande partie de la population mondiale, dont un sixième vit avec moins d'un dollar par jour, a-t-elle fait remarquer.

Photo ONU
Le droit international concernant les droits de l'homme, qu'il s'agisse des droits civils, politiques et économiques ou des droits sociaux et culturels, a été reconnu, pourtant sa mise en ouvre a été on ne peut plus aléatoire. Mme Ebadi s'est dit convaincue que tant que les droits de l'homme ne seront pas reconnus universellement et que le monde n'aura pas compris que liberté et justice sont inséparables, les choses ne changeront pas. « Sans liberté, on ne peut pas réaliser la justice sociale ni éliminer la pauvreté, la discrimination et la classification sociale », a-t-elle ajouté.

Elle a passé en revue les huit Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) : éradiquer la pauvreté et la faim; assurer l'éducation primaire pour tous; promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes; réduire la mortalité infantile; améliorer la santé maternelle; combattre les maladies telles que le VIH/sida et le paludisme; assurer un environnement durable; et mettre en place une coopération et un partenariat mondiaux pour le développement, en soulignant que ce dernier figurait en dernier sur la liste parce que « la réalisation des autres objectifs dépend de cet objectif même ».

La différence entre les pays développés et ceux en développement est édifiante, a-t-elle indiqué. Selon un rapport du PNUD, l'espérance de vie au Japon est de 81,3 ans, alors qu'en Sierra Leone elle est de 34,5 ans. Quelque 82 % de la population ougandaise vit avec moins d'un dollar par jour; et en Angola, sur 1 000 nouveau-nés 154 seulement survivront durant les deux premières années. Mme Ebadi a alors demandé à l'assistance : « Honnêtement, comment peut-on combler cet écart sans une coopération internationale ? » Mais il existe d'autres aspects qui doivent être pris en considération quand la coopération internationale entre en jeu, spécialement quand il s'agit de prêts et de crédits. « Accorder des prêts [aux pays dont les gouvernements ne sont pas démocratiques] revient à aider le dictateur et à opprimer davantage les populations », a-t-elle expliqué. Au lieu d'aider les pauvres, les prêts ont été dépensés par le gouvernement dans l'achat d'articles de luxe, le reste ayant été crédité sur les comptes bancaires des hommes politiques. Renforcé, le régime autoritaire opprime encore plus les populations et les droits de l'homme sont bafoués et ignorés à un niveau encore plus alarmant. D'un autre côté, en plus des abus des droits de l'homme dont ils sont victimes, les peuples de ces pays non démocratiques s'endetteraient parce qu'ils seraient contraints d'imposer des taxes pour compenser le détournement des fonds financiers par leur gouvernement.

C'est pourquoi plus d'un huitième de la population mondiale naît endetté, a fait remarquer Mme Ebadi, ajoutant que cette situation conduira inexorablement à des rébellions civiles et, surtout, fera naître chez les pauvres un sentiment de colère à l'égard des pays donateurs. « La colère est l'ennemi de la sagesse, et des peuples en colère peuvent parfois mettre en danger la sécurité de tous », a-t-elle commenté. C'est précisément pour cette raison que le cycle de la violence ne s'arrêtera jamais, a-t-elle ajouté. Alors que les pays déployaient trop d'efforts pour combattre la guerre et maintenir des forces armées opérationnelles, combattant ce qui, selon eux, est la cause du terrorisme, ils ont eu tendance à négliger la cause fondamentale du problème : le mécontentement des pauvres. Un tel cycle de violence aurait pu être évité avec un « un peu de prudence et de bon sens », a-t-elle estimé. Des conditions préalables étaient établies pour l'octroi des prêts et des crédits et les pays pouvaient renforcer leur mouvement vers la démocratie et promouvoir les droits de l'homme, a-t-elle jugé. Elle a également souligné que sans le respect des droits de l'homme, les pays pauvres ne pourraient pas réaliser un développement économique avec seulement l'aide des prêts et des crédits. Les fonds devaient être accompagnés d'un cadre solide garantissant que l'aide tombera entre les bonnes mains.

La tenue d'élections équitables et la liberté d'expression étaient tout aussi cruciales pour le développement des pays, a-t-elle poursuivi. Des élections libres ont permis aux citoyens de choisir efficacement leurs futurs leaders et les politiques que le pays adoptera. Selon elle, une société saine serait également une société qui reconnaît, en termes de participation sociale, tous ses citoyens, y compris les femmes et les minorités. Sans quoi, le gouvernement désapprouverait « la moitié du potentiel de la société » et retarderait la croissance du pays.

Elle a également exprimé son inquiétude devant le fait que certains pays islamiques ne reconnaissaient toujours pas officiellement les droits des femmes, en particulier ceux des épouses. « La vie d'une femme vaut la moitié de celle d'un homme », a-t-elle indiqué, expliquant que le témoignage de deux femmes devant une cour était égal à celui d'un seul homme, ou que le montant d'un dédommagement suite à un accident ou à des dégâts était deux fois moins élevé pour une femme. Elle a souligné que ces pays ne pourraient jamais atteindre leur pleine capacité de développement alors que la moitié de leur population est privée de sa dignité et de ses droits civils. En outre dans ces pays, les enfants - promesse d'un avenir plus heureux - ont également souffert de violations de leurs droits et du manque d'accès à l'éducation primaire, faisant remarquer que le budget militaire de certains pays était dix fois supérieur au budget de l'éducation. Dans ces pays, les perspectives de croissance sont aussi peu probables que les chances pour un joueur invétéré de ne plus dépenser son argent au jeu.

Alors que l'ONU est indiscutablement la plate-forme internationale pour les gouvernements du monde, la société civile internationale et les organisations non gouvernementales (ONG) sont nécessaires pour assurer son efficacité. Sans leur participation, les pays ne pourraient jamais mettre en ouvre les programmes et les politiques destinés à réaliser les OMD que les Nations Unies et leurs institutions cherchent à réaliser. Il existe cependant des dangers dans la société civile internationale. Mme Ebadi a fait remarquer que si les systèmes politiques autoritaires avaient empêché la croissance de certains pays, l'hypocrisie de leur société civile y était aussi pour quelque chose. Les régimes non démocratiques créent souvent leurs propres « organisations non gouvernementales ». Aussi indéfinissables que soient ces fausses ONG, elles représentent une réelle menace pour le développement de ces pays et, surtout, pour la promotion de la démocratie et des droits de l'homme.

Elle a exprimé l'espoir que les huit OMD pour le développement international au troisième millénaire puissent être amendés de façon que la promotion des droits de l'homme dans le monde reçoive l'attention qu'elle mérite. L'expérience historique nous a clairement montré que sans les droits de l'homme, aucune démocratie n'aurait vu le jour ni aucun développement économique n'aurait été réalisé. « Les droits de l'homme devraient faire partie de la culture nationale et être inscrits dans la constitution du pays », a-t-elle indiqué, ajoutant qu'ils ne pouvaient être atteints que par la démocratie et « ne peuvent pas être achetés par des guerres et importés comme une marchandise ». La coopération internationale serait bénéfique si les sociétés civiles réalisaient qu'elles devaient refuser tout type de coopération avec les régimes non démocratiques. Elle a recommandé que la Commission des droits de l'homme de l'ONU exclue certains pays qui ont violé les droits de l'homme et qui n'adhèrent pas aux conventions de base relatives aux droits de l'homme. Alors, a-t-elle continué, la Commission sera exempte de corruption et non soumise à l'influence des gouvernements. L'Organisation et ses institutions devraient persévérer dans leurs efforts, a-t-elle estimé, pour que vienne le jour où « toutes les populations du monde jouiront des droits de l'homme ».
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