Chronique ONU
Désapprendre l'intolérance
Faire face à l'islamophobie

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L'article
La série de séminaires intitulée « Désapprendre l'intolérance » a repris le 7 décembre 2004 au siège de l'ONU, à New York. Ces séminaires, organisés par le Département de l'information de l'ONU, ont pour objectif d'examiner les manifestations de l'intolérance et d'explorer les moyens de promouvoir le respect et la compréhension entre les peuples. Avec plus de 600 participants, « Confronter l'islamophobie : Éducation pour la tolérance et la compréhension » est le premier séminaire de ce type organisé à l'ONU. Parallèlement, une exposition intitulée « Islam », qui représente les ouvres du photographe iranien Abbas, ancien président de l'agence Magum Photos, a été inaugurée le même jour. Le premier séminaire, « Confronter l'antisémitisme », avait eu lieu le 21 juin, avec la participation du lauréat du prix Nobel Elie Wiesel (voir Chronique ONU, numéro 2, 2004).
Lors du séminaire « Faire face à l'islamophobie (de gauche à droite) : le Secrétaire général adjoint à la communication et à l'information Shashi Tharoor, John L. Esposito, Panchapakesa Jayaraman, Hany el-Banna, R. Scott Appelby, Ahmed Kamal Aboulmagd, le Secrétaire général Kofi Annan, Seyyed Hossein Nasr, Azizah Y. al-Hibri, Asma Gull Hasan, Noah Feldman, Calvin O. Butts III, l'imam Feisal Abdul Rauf et Nane Annan. Photo ONU
La série de séminaires intitulée « Désapprendre l'intolérance » a repris le 7 décembre 2004 au siège de l'ONU, à New York. Ces séminaires, organisés par le Département de l'information de l'ONU, ont pour objectif d'examiner les manifestations de l'intolérance et d'explorer les moyens de promouvoir le respect et la compréhension entre les peuples. Avec plus de 600 participants, « Confronter l'islamophobie : Éducation pour la tolérance et la compréhension » est le premier séminaire de ce type organisé à l'ONU. Parallèlement, une exposition intitulée « Islam », qui représente les ouvres du photographe iranien Abbas, ancien président de l'agence Magum Photos, a été inaugurée le même jour. Le premier séminaire, « Confronter l'antisémitisme », avait eu lieu le 21 juin, avec la participation du lauréat du prix Nobel Elie Wiesel (voir Chronique ONU, numéro 2, 2004).

Dans ses remarques d'introduction, le Secrétaire général adjoint de l'ONU à la communication et à l'information, Shashi Tharoor, qui présidait le séminaire d'une journée, a fait valoir qu'« on ne naît pas intolérant, mais qu'on le devient ». Dans son discours d'ouverture, le Secrétaire général, Kofi Annan, a identifié les éléments à prendre en compte dans la stratégie visant à lutter contre l'islamophobie : limiter l'influence des médias qui servent à répandre la haine, promouvoir des lois, l'éducation, le leadership, l'intégration, le dialogue entre les confessions, la compréhension du contexte politique et la lutte contre la violence perpétrée au nom de la religion.

« Il est très facile d'apprendre l'intolérance et de désapprendre la tolérance mais il est difficile de désapprendre l'intolérance », a observé pour sa part M. Seyyed Hossein Nasr, professeur au département des études islamiques de l'université George Washington. Notant que l'islamophobie est apparue avec la montée de l'islam, il a déclaré que la peur des chrétiens vis-à-vis de l'islam était à la fois religieuse et politique, ajoutant que les mythes de la conscience historique avaient resurgi au cours de la dernière décennie, engendrant de nouvelles vagues de peur et de haine.

Il faut se débarrasser de quatre préjugés sur l'islamophobie, a-t-il dit. Premièrement, l'idée, souvent présentée dans les médias occidentaux, que l'islam est une religion monolithique qui ne prend pas en compte les différentes écoles de la pensée islamique. Deuxièmement, que l'islam cherche à dominer l'Occident. Le monde islamique n'est pas, en soi, un ennemi de l'Occident, a-t-il indiqué, expliquant que d'après de récents sondages, 70 % des adolescents des pays islamiques aimeraient faire leurs études dans les pays occidentaux. De même, il est faux de penser que l'islam est contre la modernité ou la démocratie, car cette religion affirme la dignité inhérente à chaque personne, a-t-il poursuivi. Enfin, l'islam est une religion de tolérance. Au cours des siècles, les pays islamiques se sont montrés souvent plus compréhensifs envers les non-musulmans - aidant les juifs ou les chrétiens à fuir les persécutions - que l'inverse, a-t-il conclu.

En combattant l'islamophobie, il est important de tenir compte non seulement du rôle de l'extrémisme dans l'islam mais aussi parmi les chrétiens et les juifs, a-t-il poursuivi. Le paradoxe est que ceux qui ont peur de l'islam connaissent très mal cette religion. Il faut que les musulmans se servent des médias et de l'éducation pour combattre l'intolérance. À son avis, trois groupes importants jouent un rôle crucial dans la lutte contre l'islamophobie : les citoyens conscients que la haine engendre la haine; les intellectuels honnêtes que l'on doit écouter; et les musulmans eux-mêmes qui cherchent à combler le fossé existant avec l'Occident.

Le séminaire sur l'islamophobie comprenait trois panels composés d'intellectuels, d'écrivains et de leaders de communautés du monde entier. Ont participé au premier panel de discussion, « Perspectives sur l'islamophobie aujourd'hui », Ahmed Kamal Aboulmagd, vice-président du Conseil égyptien pour les droits de l'homme et professeur de droit public à l'université du Caire; Hany el-Banna, président et directeur fondateur du Centre universitaire de Georgetown pour la compréhension entre musulmans et chrétiens; Asma Gull Hasan, auteur de American Muslims: The New Generation; et l'imam Feisal Abdul Rauf, président de l'Association américaine du soufisme musulman.

Déclarant qu'il préférait le terme « anti-islamisme » parce que, de même que l'antisémitisme, il faisait référence à l'agonie des victimes alors que le terme « islamophobie » reflétait l'état l'esprit de ceux qui se sentaient menacés, M. Aboulmagd a mis en garde que la « tolérance » ne devrait pas être le seul objectif, estimant qu'un effort commun était nécessaire pour aller au-delà des objectifs minimalistes de « coexistence ». M. Esposito, notant qu'il y avait trop souvent un amalgame entre islam et fondamentalisme musulman, a constaté que l'islam, en tant que troisième religion au monde, était perçu comme une menace. Comme l'antisémitisme et d'autres formes d'intolérance, l'islamophobie ne pouvait pas être éradiquée sans la participation des leaders religieux et politiques, des médias et des éducateurs, a-t-il jugé, ajoutant que les Nations Unies devraient jouer un rôle de premier plan dans la promotion d'une idée moderne de la tolérance. De son côté, M. el-Banna, a souligné que la pluralité serait la première grande victime des craintes suscitées par tout ce qui était positif et civilisé. Il a fait remarquer que la plupart des mandats de l'ONU étaient fondés sur les principes contenus dans le Coran. Par ailleurs, Mme Gull Hasan, en tant qu'Américaine musulmane d'origine pakistanaise, a déclaré avoir rencontré des problèmes parce qu'elle ne portait le foulard : les musulmans devraient se soutenir plus les uns les autres, a-t-elle estimé. L'imam Rauf, représentant une initiative interconfessionnelle qui encourageait la célébration plutôt que la simple tolérance d'autrui, a noté que chaque personne devait prendre ses propres responsabilités dans les conflits où il pouvait avoir une influence et promouvoir une vision commune. Tous les groupes devaient participer, a-t-il conclu. Le deuxième panel, « Éducation pour la tolérance et la compréhension », comprenait Calvin O. Butts III, pasteur de l'Église baptiste abyssinienne à New York; Azizah Y. al-Hibri, professeur de droit à l'université de Richmond et présidente de KARAMAH (les femmes avocates musulmanes pour les droits de l'homme); R. Scott Appleby, directeur de Joan B. Kroc Institute à Notre Dame University; Noah Feldman, professeur de droit associé à l'université de New York; et Panchapakesa Jayaraman, directeur exécutif de Bharatiya Vidya Bhavan, l'Institut de culture indienne.

Le Révérend Butts a fait remarquer que les hommes politiques se servaient souvent de la religion pour masquer leur agenda, ajoutant que le terrorisme était un phénomène commun à toutes les religions. Mme al-Hibri a commenté qu'il était incroyable qu'une religion, dont le livre sacré avait établi l'acceptation des autres, ait besoin d'être défendue. M. Appleby a souligné que l'éducation de la tolérance devrait commencer par la reconnaissance d'une variété d'enseignements et être ancrée dans les pratiques qui invitaient l'autocritique et célébraient les différences. De son côté, M. Jayaraman a souligné qu'il était temps de créer un système éducatif pour enseigner les points de convergence de toutes les religions du monde. Par ailleurs, M. Feldman a déclaré que le seul moyen de combattre toutes les formes d'intolérance religieuse était d'être ouvert le plus possible à la variété, à la complexité et à la diversité des croyances qui existaient dans le monde.

Dans le troisième panel, « Faire face à l'islamophobie », ont pris part Monseigneur Gyorgy Fodor, recteur de Peter Pazmany Catholic University, à Budapest; Amaney Jamal, professeur adjoint en Sciences politiques à l'université de Princeton; Djibril Diallo, directeur du Bureau du Conseiller spécial du Secrétaire général pour le sport au service du développement et de la paix, basé à New York, et porte-parole du Président de l'Assemblée générale de l'ONU; le rabbin David Saperstein, directeur du Centre d'Action religieuse du judaïsme réformé; et Giandomenico Picco, président directeur général de GDP Associates. Inc. et secrétaire général pour le Dialogue des Nations Unies entre les civilisations.

L'islam a donné naissance à une culture humaniste remarquable et ses idées peuvent être fructueuses et utiles à toute personne en quête de Dieu, quelle que soit son affiliation religieuse, a déclaré Mgr Fodor. De son côté, M. Jamal a fait remarquer que, suite aux attaques du 11 septembre 2001, la discrimination, les violations des droits de l'homme et les crimes de haine contre les Américains musulmans avaient augmenté et que le gouvernement avait renforcé la surveillance. M. Diallo a cité un récent sondage réalisé dans les pays musulmans indiquant que les populations avaient le sentiment profond d'être victimes d'une injustice, ce qu'il fallait changer. Il a noté qu'une proposition du Président du Sénégal en vue d'organiser un sommet mondial sur le dialogue entre l'islam et la chrétienté avait trouvé un large écho. Le rabbin Saperstein a estimé que les musulmans ne devraient pas essayer de combattre les préjugés par eux-mêmes mais plutôt en conjonction avec d'autres religions, et a constaté qu'au cours des décennies, la communauté juive avait fait un effort concerté pour introduire des études comparatives entre les religions dans les institutions d'éducation américaines. Soulignant que la responsabilité de rectifier la situation reposait sur ceux qui ne souscrivaient pas à une telle identification idéologique, M. Picco a dit qu'il était temps de retirer l'ordre du jour mondial des mains des extrémistes qui ne représentaient pas la majorité.

Comme il y a des préjugés et des divisions dans le monde, il existe aussi un échange fertile et une coopération entre les cultures, les religions et les peuples, a fait remarquer M. Tharoor dans son discours de clôture. « Chacun de nous a plusieurs identités », a-t-il relevé, et « parfois, la religion nous oblige à refuser la vérité sur notre propre complexité en oblitérant la multiplicité inhérente à nos identités. » Mais si l'on pouvait accepter l'idée que chacune de ces identités pouvaient enrichir les autres, il serait alors plus facile de résister à l'intolérance.
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