Chronique ONU
Construire la démocratie avec l'assistance de l'ONU:
de la Namibie à l'Irak

Les Nations Unies ont-elles trouvé la formule qui convient pour promouvoir la démocratie ?

Par Edward Newman et Roland Rich

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L'article
L'idéal de la gouvernance démocratique est à la base de la plupart des activités actuelles de l'ONU. En plus d'être une alliance en vue de faire échec aux actes d'agression, l'Organisation a été fondée sur le principe que des conditions stables et pacifiques au sein des États sont indispensables pour établir des relations pacifiques et stables entre eux. Presque la moitié des États Membres ont demandé son assistance pour organiser des élections. Mais des élections ne sont pas nécessairement la solution aux problèmes de fond, particulièrement lorsque les pays où l'ONU travaille pour faciliter ou promouvoir la démocratie, tels que le Timor-Leste, l'Irak, le Kosovo et l'Afghanistan, sont profondément traumatisés par les conflits.

La promotion de la démocratie est une tâche difficile qui soulève un certain nombre de questions : l'ONU peut-elle contribuer à mettre en place les bases de la démocratie et avoir un impact positif important sur le développement de la démocratie dans les sociétés ? En d'autres termes, les acteurs externes peuvent-ils apporter la démocratie là où elle n'existe pas ? La promotion de la démocratie dans les pays sortant de conflit ou les sociétés divisées a-t-elle joué un rôle important dans le règlement d'un conflit et la réconciliation ? Quels programmes d'aide sont les plus efficaces : ceux conçus par le gouvernement ou bien ceux créés avec la société civile et les groupes non gouvernementaux ? Les « normes internationales » de démocratie et de démocratisation tiennent-elles compte des traditions locales et des structures d'autorité ?

L'instauration de la démocratie requiert un grand nombre d'activités, telles que : la tenue et la validation des élections; le développement de la société civile et des partis politiques; le soutien à l'état de droit, aux institutions judiciaires et aux mesures de sécurité; le renforcement de la responsabilité, du contrôle et de la transparence; le développement de la formation et de l'efficacité législatives ainsi que de l'éducation civique; et la protection des droits de l'homme. L'assistance à partir de la base est axée sur le renforcement de la société civile, la sensibilisation du public et la capacité à participer aux débats. Elle est souvent mise en ouvre par des acteurs non gouvernementaux locaux et internationaux, contrairement à l'assistance conçue au sommet qui est mise en ouvre par les gouvernements et est davantage axée sur les institutions et les processus formels.

Les Nations Unies participent à toutes ces activités avec, comme base normative la Charte l'ONU, la Déclaration universelle des droits de l'homme et d'autres instruments importants des droits de l'homme. Jusqu'à récemment, ces instruments légaux n'impliquaient pas un droit démocratique international ou un mandat pour la promotion de la démocratie. La fin de la guerre froide a cependant ouvert un espace politique et permis d'aborder à la fois les questions liées à la démocratie et aux droits de l'homme et d'élargir le concept de paix et de sécurité qui comprend les questions de gouvernance au sein des États.

Nous devons être réalistes sur ce que les acteurs internationaux peuvent accomplir en termes de promotion de la démocratie. Il est raisonnable de suggérer que les gens désirent exercer un certain contrôle sur leur vie. Participer à l'organisation de leur communauté semblerait donc un désir universel. Si l'ONU facilite ce processus, elle pourra alors jouer un rôle important pour aider une société à avancer sur le chemin de la démocratie. Mais les conditions dans lesquelles l'ONU travaille sont d'une importance vitale. Les modestes progrès accomplis en vue de consolider la démocratie dans de nombreux pays où elle est intervenue, comme en République démocratique du Congo, au Cambodge, en Guinée équatoriale, en Haïti, en Sierra Leone, en République centrafricaine et au Kosovo, semblent soutenir cette conclusion. Le contexte social et économique, la sécurité, les politiques et les comportements des acteurs politiques importants sont des facteurs décisifs. Et pourtant, même lorsque toutes les conditions sont en place, la démocratie échoue parfois par manque de capacités, d'institutions, de confiance et de ressources. C'est là où les Nations Unies et les autres acteurs externes peuvent jouer un rôle important.

Le processus démocratique peut être coûteux. Il est important que les pays en développement aient les moyens de soutenir les systèmes et les processus que l'ONU met en place. Les élections organisées en 1994 au Mozambique durant la période de transition ont coûté 64,5 millions de dollars, principalement fournis par 17 donateurs, et ont représenté 4,4 % du produit intérieur brut du pays1. Certains ont exprimé des inquiétudes à propos du rôle dominant des donateurs dans l'aide internationale à la démocratie et du manque de considération quant aux moyens des pays d'assurer ce processus dans le long terme. L'accent devrait être mis sur une aide plus modeste à partir de la base et en fonction de la demande.

Dans son approche de l'aide à la démocratie, l'ONU prend en compte les particularités culturelles et est généralement impartiale sur le plan politique. Elle s'efforce de donner aux communautés les moyens de développer leurs propres formes de participation et de prise de décision collective, en fonction des conditions sociales locales. Toutefois, toutes les formes d'intervention sont utiles. Les interventions importantes ont un impact sur l'avenir d'une communauté politique, sinon, il n'y aurait aucune raison de les mener. Les concepts de représentation nationale, d'égalité, de droits individuels des citoyens et d'autorité civile sont basés sur la veine libérale de la démocratie. Dans certains cas, c'est un changement radical par rapport aux structures traditionnelles, notamment l'autorité familiale, clanique ou religieuse. Il faut garder à l'esprit que l'instauration de la démocratie nécessite des changements profonds dans les sociétés et peut créer des perturbations, ce qui peut susciter une opposition importante dans le pays.

En matière de promotion de la démocratie et d'aide à celle-ci, l'impact des acteurs externes sur les politiques locales est l'une des questions les plus difficiles. En gérant la situation politique locale au sein d'un État ciblé, les acteurs de l'ONU et la communauté internationale font face à un problème délicat, à savoir influencer les politiques locales pour que chacun puisse faire ses propres choix. La plupart reconnaissent que ce n'est pas seulement le processus qui compte mais aussi les résultats. De manière idéale, la conception du processus marginalise les militants et encourage le pluralisme et les politiques inclusives. Les Nations Unies peuvent se trouver dans une position difficile quand elles ont à traiter avec des acteurs politiques locaux dont certains accordent peu d'importance aux droits démocratiques mais sont armés et ne peuvent donc être ignorés. Elles doivent s'appuyer sur leur longue expérience pour prendre les décisions nécessaires afin de mener à bien leur mandat. Souvent, les objectifs à court terme sont plus faciles à réaliser que ceux à long terme. La constitution élaborée par l'Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge (APRONUC) a anticipé le problème posé par la prise du contrôle de tous les processus par le vainqueur dans les situations d'après la guerre civile en instituant une majorité des deux tiers pour former le gouvernement. Cela a permis d'éviter un retour à la guerre mais a compromis la démocratie du pays.

En matière d'aide à la démocratie et de promotion, l'ONU peut être amenée à soutenir des activités qui ne sont pas nécessairement complémentaires, en particulier dans les sociétés sortant de conflits. Par exemple, au Burundi, la démocratie, notamment les élections en 1993, ont eu un impact discutable durant cette période. De fait, les élections ont probablement joué un rôle dans l'instabilité et la violence qui ont suivi parce qu'elles ont exacerbé les divisions entre les partis politiques dans un climat social tendu.

Ahmedou Ould-Abdallah, alors Représentant spécial de l'ONU pour le Burundi entre 1993 et 1995, a conclu que « le scrutin à majorité absolue ne pouvait pas être appliqué étant donné la situation politique et de sécurité au Burundi » et que, « dans de nombreux pays africains, l'introduction de la démocratie devrait être associée à une période transitoire de partage du pouvoir allant de dix à vingt ans. Les comportements et les traditions démocratiques ne s'acquièrent pas du jour au lendemain2. Cela peut sembler pessimiste, mais les problèmes rencontrés dans des pays comme l'Irak ou l'Afghanistan en sont la preuve. Les ignorer et insister pour instaurer prématurément la démocratie est une entreprise très risquée.

La communauté internationale fait souvent pression pour que les pays où l'ONU intervient évoluent le plus tôt possible vers la démocratie, comme si c'était une fin en soi. Or, on sait que cela peut faire obstacle à d'autres efforts, comme la consolidation de la paix, la réconciliation, la mise en place des services publics, peut-être même la reconstruction économique, en particulier dans les situations de conflit et d'après conflit. Des élections prévues à un moment inadéquat ou mal organisées dans des situations politiques délicates peuvent comporter de gros risques, comme cela s'est produit en Angola et au Burundi; elles peuvent exacerber les tensions existantes, renforcer le soutien aux extrémistes ou encourager les électeurs à voter en fonction des alliances durant la guerre.

En Irak, les élections peuvent être une source de discorde et renforcer les divisions politiques, religieuses et ethniques. Elles pourraient également exacerber l'insurrection. De fait, les insurgés s'opposent à toute initiative publique organisée sous un gouvernement provisoire qu'ils jugent illégitime parce qu'ils craignent d'être davantage marginalisés si les élections ont lieu et qu'ils veulent tirer parti de l'instabilité inhérente à une campagne électorale pour réaliser l'un de leurs objectifs : fomenter une guerre civile.

Mais la tenue d'élections offre des avantages importants même lorsque les circonstances ne sont pas idéales : elles sont un pas vers la démocratie et une étape décisive durant la transition; elles renforcent le sentiment de « propriété » parmi la population concernant le destin politique du pays, ce qui est crucial. Et plus important, elles permettent de marginaliser les extrémistes alors que la plupart des acteurs politiques, y compris les groupes radicaux, participent au processus politique et tournent le dos à la violence.

Comment alors trouver l'équilibre entre l'élan pour la démocratie et les réalités locales ? Quel que soit cet équilibre, promouvoir la démocratie dans les situations d'après conflit est une tâche ambitieuse et parfois dangereuse. Nous devons garder à l'esprit les limites d'un tel exercice. De son côté, l'ONU doit veiller à s'acquitter de mandats réalistes mais est, néanmoins, contrainte à se charger des cas les plus difficiles que le monde a à offrir.
Notes
1 Marina Ottaway et Theresa Chung, Debating Democracy Assistance-Towards a New Paradigm, Journal of Democracy, volume 10, numéro 4, octobre 1999, p. 102
2 Ahmedou Ould-Abdallah, Burundi on the Brink 1993-1995. A UN Special Envoy Reflects on Preventive Diplomacy, Washington DC, USIP Press, 2000, p. 71.0
Biographie
Edward Newman (à gauche) est responsable universitaire à l'Université des Nations Unies (UNU), à Tokyo. Roland Rich est directeur du Centre des institutions démocratiques à l'université autralienne. Ils ont été éditeurs de l'ouvrage The UN Role in Promoting Democracy: Between Ideals and Reality, publié par la presse de l'UNU, dans lequel ils présentent les conclusions de leur projet de recherche.

(www.unu.edu/unupress/new/ab-UNrole.html)
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