Chronique ONU
Message du Secrétaire general
« Le respect de la légalité demeure un vain mot »

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L'article
Message délivré par Kofi Annan lors de la cinquante-neuvième session de l'Assemblée générale à New York, le 21 septembre 2004. Photo ONU
Aujourd'hui, plus que jamais, le monde a besoin d'un mécanisme efficace pour la recherche des solutions communes aux problèmes communs. C'est précisément dans ce but que l'ONU a été créée. N'allons pas croire que, si nous n'en faisons pas bon usage, nous trouverons nécessairement un autre instrument plus efficace.

Comme je l'ai dit il y a un an, nous sommes à la croisée des chemins. Si vous, les dirigeants politiques des nations du monde, ne pouvez vous mettre d'accord sur la voie à suivre, l'histoire décidera pour vous, ce qui ne servira pas nécessairement les intérêts des peuples de vos pays.

Je n'essayerai pas aujourd'hui de préjuger ces décisions, mais bien de vous rappeler le cadre dans lequel elles devront absolument s'inscrire : la légalité, dans chaque pays et à l'échelle mondiale.

L'idée d'un « gouvernement des lois et non des hommes » est presque aussi vieille que la civilisation elle-même. Non loin de cette tribune, dans un des couloirs du bâtiment, se trouve une reproduction du code de lois promulgué par Hammourabi il y a plus de trois mille ans, dans un pays qui s'appelle à présent l'Iraq.

Dans l'ensemble, le code d'Hammourabi nous paraît aujourd'hui incroyablement sévère. Mais gravés dans les tablettes figurent les principes de justice reconnus - à défaut d'être appliqués - par presque toutes les sociétés humaines qui se sont succédées depuis - protection juridique pour les pauvres; restrictions imposées aux plus forts pour les empêcher d'opprimer les plus faibles - lois promulguées publiquement et connues de tous. Ce code a marqué une étape importante dans les efforts de l'humanité pour établir un ordre régi non par la loi du plus fort mais par la force de la loi.

Bien des nations représentées ici peuvent fièrement citer des textes fondateurs qui donnent corps à cette notion. Et c'est aussi sur ce principe que repose l'Organisation des Nations Unies, votre Organisation.

Pourtant, aujourd'hui, l'état de droit est en péril aux quatre coins du monde. Jour après jour, les lois les plus fondamentales - celles qui exigent le respect des innocents, des civils, des plus vulnérables, en particulier les enfants - sont impudemment foulées aux pieds.

Je ne citerai que quelques exemples flagrants tirés de l'actualité. En Iraq, des civils sont massacrés de sang froid, tandis que des agents humanitaires, des journalistes et d'autres non-combattants sont pris en otage et mis à mort de la façon la plus barbare. Par ailleurs, des prisonniers iraquiens on été honteusement maltraités.

Au Darfour, des populations entières sont déplacées, leurs habitations sont détruites et le viol est une stratégie délibérée.

Dans le nord de l'Ouganda, des enfants sont mutilés et forcés de prendre part à des actes d'une cruauté indicible.

À Beslan, des enfants ont été pris en otage et sauvagement massacrés. En Israël, des civils, y compris des enfants, délibérément pris pour cibles par des Palestiniens, sont victimes d'attentats-suicide. En Palestine, des maisons sont détruites, des terres sont confisquées et des civils sont blessés ou tués parce qu'Israël fait un usage excessif de la force.

Et, partout dans le monde, des gens sont préparés, par la propagande anti-juive, anti-musulmane, anti-quiconque fait partie d'un groupe différent, à commettre d'autres actes du même genre.

Ces actes sont absolument injustifiables; il n'est pas une cause, pas une revendication, aussi légitime soit-elle, qui puisse les légitimer. Ils nous déshonorent tous, car leur fréquence signale notre incapacité collective à faire appliquer la loi et à inspirer le respect du droit aux hommes et aux femmes du monde. Nous avons tous le devoir de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour cultiver ce respect du droit.

Nous devons pour cela partir du principe que nul n'est au-dessus des lois, et que nul ne doit non plus être privé de leur protection. Les gouvernements qui proclament la primauté du droit chez eux doivent respecter la légalité en dehors de chez eux, ceux qui insistent pour que le droit prime en dehors de chez eux doivent en assurer la prééminence dans leur pays.

Le respect de la légalité est, à n'en pas douter, un principe qu'il faut d'abord appliquer chez soi. Or, dans bien des endroits, il demeure un vain mot. La haine, la corruption, la violence et l'exclusion ont libre cours. Les plus vulnérables n'ont aucun recours réel, et les plus puissants manipulent la loi pour garder le pouvoir et s'enrichir toujours plus. Il arrive même que la lutte contre le terrorisme, parfaitement justifiée, soit prétexte à des atteintes aux libertés du citoyen qui elles ne se justifient en rien.

Au niveau international, tous les États, les forts et les faibles, les grands et les petits, doivent disposer d'un ensemble de règles équitables et savoir que les autres s'y plieront. Heureusement, cet ensemble de règles existe. Du commerce au terrorisme, du droit de la mer aux armes de destruction massive, les États se sont dotés d'une impressionnante collection de normes et de lois.

Mais malheureusement, cet ensemble présente beaucoup de lacunes et de points faibles. Trop souvent, il est appliqué de façon sélective et arbitraire. Et il n'a pas le pouvoir qui fait d'un assortiment de lois un système juridique efficace.

Là où existe un pouvoir coercitif, comme au Conseil de sécurité, beaucoup estiment qu'il n'est pas toujours utilisé de façon juste ou efficace. Et là où le principe de la légalité est invoqué le plus solennellement, comme à la Commission des droits de l'homme, ceux qui l'invoquent ne prêchent pas toujours par l'exemple.

Ceux qui prétendent conférer la légitimité doivent eux-mêmes l'incarner; ceux qui invoquent le droit international doivent eux-mêmes s'y soumettre.

Au niveau national, la loi ne sera respectée que si chacun a l'impression d'avoir son mot à dire dans son élaboration et son application, et il en va de même dans notre communauté mondiale. Aucune nation ne doit se sentir exclue. Chacun doit considérer le droit international comme sien et avoir le sentiment qu'il protège ses intérêts légitimes. La légalité théorique ne suffit pas. Les lois doivent être mises en pratique et imprégner tous les aspects de notre vie.

C'est en renforçant et en appliquant les traités de désarmement, y compris leurs dispositions relatives aux régimes de vérification, que nous nous prémunirons le mieux contre la prolifération - et le risque d'utilisation - des armes de destruction massive. C'est en appliquant la loi que nous priverons les terroristes de ressources financières et de refuge, ce que nous devons absolument faire pour vaincre le terrorisme.

C'est en rétablissant l'état de droit et en persuadant chacun que la loi sera appliquée de façon impartiale que nous pourrons espérer ramener à la vie les sociétés anéanties par des conflits.

C'est le droit, notamment en la forme des résolutions du Conseil de sécurité, qui offre la meilleure base de règlement des conflits qui se prolongent, au Moyen-Orient, en Iraq, et partout dans le monde. Et c'est en respectant rigoureusement le droit international que nous pourrons, comme nous en avons la responsabilité, protéger les civils innocents menacés par des génocides, des autres crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. Comme je l'ai dit devant cette Assemblée il y a cinq ans, l'histoire nous jugera sévèrement si nous renonçons à nous acquitter de cette tâche ou si nous pensons pouvoir en être dispensés pour des raisons de souveraineté nationale.

Le Conseil de sécurité vient de me demander de nommer une commission internationale chargée d'enquêter sur les violations des droits de l'homme signalées au Darfour et de déterminer si des actes de génocide ont été commis. Je le ferai dans les meilleurs délais.

Mais cela ne signifie pas pour autant qu'il y ait un répit, que nous puissions laisser les événements suivre leur cours dans cette région dévastée. Il se passe des choses au Darfour qui, quelle que soit leur définition juridique, ne peuvent que choquer la conscience humaine.

L'Union africaine a dignement décidé de prendre en main le déploiement d'observateurs et d'une force de protection au Darfour, ainsi que la recherche d'un règlement politique, qui seul pourra déboucher sur une sécurité durable. Mais nous connaissons tous les limites actuelles de cette jeune Union, et nous devons lui apporter tout l'appui possible.

Que personne n'aille penser que le Darfour est l'affaire des Africains et des Africains uniquement.Les victimes sont des êtres humains, dont les droits fondamentaux doivent être sacrés pour nous tous. Nous avons tous le devoir de tout faire pour les secourir, et de le faire immédiatement.

Le mois dernier, j'ai promis au Conseil de sécurité que, jusqu'à la fin de mon mandat, je donnerais la priorité aux activités que mène l'ONU pour promouvoir l'état de droit et la justice dans les sociétés en situation de conflit ou d'après conflit.

Dans le même ordre d'idées, je vous engage vivement à redoubler d'efforts pour faire respecter la légalité chez vous et ailleurs. Je demande à chacun d'entre vous de tirer parti des dispositions que nous avons prises pour vous permettre de signer les traités sur la protection des civils - traités que vous avez vous-mêmes négociés - , puis, une fois rentrés chez vous, d'en appliquer de bonne foi toutes les dispositions. Et je vous implore d'accorder tout votre soutien aux mesures que je vous soumettrai, à cette session, en vue d'améliorer la sécurité du personnel des Nations Unies. Vous conviendrez, je crois, que ces non-combattants, qui prennent volontairement de grands risques pour venir en aide à d'autres êtres humains, méritent non seulement votre respect, mais aussi votre protection. Partout dans le monde, les victimes de la violence et de l'injustice attendent. Elles attendent que vous teniez votre parole. Quand l'inaction se dissimule derrière des mots, elles s'en rendent compte. Quand les lois qui devraient les protéger ne sont pas appliquées, elles s'en rendent compte aussi.

Je crois sincèrement que nous pouvons rétablir et faire régner l'état de droit partout dans le monde. Mais en fin de compte, cela dépendra de l'emprise que le droit a sur notre conscience. L'Organisation des Nations Unies a été bâtie sur les cendres d'une guerre qui avait infligé d'indicibles souffrances à l'humanité. Aujourd'hui, nous devons à nouveau examiner notre conscience collective et nous demander si nous faisons tout ce que nous pouvons.

Chaque génération doit poursuivre les efforts inlassables qu'a déployés la précédente afin de renforcer l'état de droit pour tous, seul moyen de garantir la liberté de tous.

Nous devons veiller à ce que la nôtre fasse sa part.
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