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Les pauvres dans les PMA à l'ère du commerce mondial
Par Andrea Gibbons, pour la Chronique

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L'article
Avec la mondialisation, les communications, les échanges d'idées et le partage des technologies ont connu un essor sans précédent. Cependant, dans de nombreux domaines, la mondialisation a fait l'objet de controverses et engendré une fragmentation des sociétés. Au cours des cinquante dernières années, le débat sur le libre-échange a fait rage tandis que les frontières physiques faisant obstacle au commerce international étaient supprimées. La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a contribué à la recherche abondante consacrée à ce sujet dans le Rapport 2004 sur les pays les moins développés - « les liens entre commerce international et réduction de la pauvreté ». La CNUCED a condamné les « transferts d'argent » des pays riches vers les pays pauvres et s'est réjoui des avantages de la libéralisation commerciale. Mais avant de soutenir une tendance à délaisser les transferts résultant en une perte de l'aide qui se chiffre en millions de dollars pour les pays les moins avancés (PMA) (voir encadré) , il est important de reconnaître la situation des pauvres dans ces pays alors que leur économie est entraînée dans le tourbillon de la mondialisation.

De manière empirique, le système commercial international existant a semblé bénéfique pour les pays qui y participent. David Dollar et Aart Kraay, économistes dans le Groupe de recherche et de développement de la Banque mondiale, font valoir que le commerce encourage, dans les pays, la croissance économique, l'investissement et le développement des capacités de production, ce qui se traduit, au final, par une augmentation du produit intérieur brut (PIB). Les études de cas de la plupart des pays, développés et les moins avancés, vont dans ce sens. Le récent rapport de la CNUCED a montré qu'au cours des dix dernières années, le PIB a augmenté dans la plupart des PMA. Les exportations des marchandises ont augmenté à elles seules de 44,5 % entre 1998 et 2002, comparées à 15,3 % dans d'autres pays en développement (la Chine non incluse). Alors que les taux de croissance annuelle des PMA varient de 1,6 % (au Malawi) à 36, 6 % (en Guinée équatoriale), rares sont les pays qui ont affiché un taux de croissance négatif pendant cette période. D'une manière globale, le commerce semble être la solution pour les économies en difficulté.

Malheureusement, dans les PMA, le commerce n'a pas suivi le modèle mis en avant par Adam Smith et ses contemporains. Dans un monde ricardien parfait, chaque agriculteur américain laisserait sa binette pour l'ordinateur, et les produits seraient collectés chaque jour dans les petites fermes rwandaises et envoyés dans les pays développés en échange de leurs technologies et de leurs produits manufacturés. Ce n'est cependant pas le cas. En fait, beaucoup de PMA ont utilisé des outils de promotion des exportations, telles les zones de traitement des exportations (ZTE) (voir encadré, page 37), pour encourager le commerce. Ces politiques ont considérablement augmenté les exportations mais n'ont pas inclus tous les producteurs dans un secteur où ils ont un avantage comparatif : l'agriculture.

Jay Mazur, président du Comité des affaires internationales de l'American Federation of Labor-Congress of Industrial organisations (AFL-CIO), hésite à louer les bénéfices du commerce. Il est conscient des nombreuses personnes touchées par le commerce mondial : « Des millions de travailleurs sont les perdants dans une économie mondiale qui perturbe les économies traditionnelles et affaiblit la capacité des gouvernements. On les laisse se battre contre la misère, la famine et les fléaux dans des États qui ont échoué. Ils sont forcés de migrer, de travailler pour des salaires de misère, de sacrifier leurs enfants et de tirer profit de leur environnement naturel et souvent de leur propre santé, dans une lutte désespérée pour survivre. »

Les statistiques publiées par la CNUCED corroborent ces faits, démontrant comment, dans pratiquement la majorité des PMA, les indicateurs viables des niveaux de pauvreté (c'est-à-dire la consommation privée moyenne) sont restés inchangés alors que les exportations ont augmenté. Au Burundi, par exemple, les exportations ont quadruplé depuis 1996 alors que la consommation privée moyenne a baissé de près de 25 %. De plus, 50 % des personnes vivant dans les PMA subsistent avec un dollar par jour ou moins et 80 % avec deux dollars. Malgré une hausse de leur PIB, le niveau de pauvreté dans ces pays n'a pas changé.

La situation des pauvres s'est, en fait, détériorée avec le changement des politiques de réduction de la pauvreté privilégiant les régimes commerciaux libéraux plutôt que les transferts d'argent. Les bénéfices que les pauvres ont reçus de l'aide étrangère sont maintenant balayés par la tendance mondiale à la libéralisation des marchés. L'aide en faveur de l'infrastructure économique dans les PMA est passée de 45 % dans les années 1980 à 23 % en 2002. La promotion du commerce comme outil d'amélioration des pays les moins avancés va de pair avec une diminution de l'aide, et ceux qui ne tirent pas parti de la libéralisation commerciale souffrent du retrait soudain de l'aide économique internationale.

Les programmes qui encouragent le commerce par des incitations des gouvernements nationaux, telles que les ZTE, semblent avoir contribué à cette situation. Les partisans des ZTE font valoir que ces outils permettaient de réaliser des bénéfices commerciaux. Richard L. Bolin, directeur émérite de l'Association mondiale des zones de traitement des exportations, met en avant l'exemple réussi d'une ZTE à Porto Rico qui a permis d'attirer des investissements, améliorer la productivité, créer des emplois et a eu un effet positif sur les autres secteurs. Dans son étude de cas, il passe cependant sous silence la situation des pauvres qui n'ont pas accès aux ZTE et qui ne partagent donc pas les bénéfices mentionnés.

Source: Hermann (2003b). Rapport 2004 sur les pays les moins avancés
Ces pauvres sont pris en compte par le gouvernement rwandais dans son Rapport 2002 sur la réduction de la pauvreté, qui a identifié six catégories de ménages vivant dans les régions rurales. Seule la catégorie la plus élevée, l'Umukire (signifiant de manière trompeuse riche en termes d'argent) a accès à un « véhicule ». On a constaté que ces personnes cherchaient souvent à améliorer leur situation en s'installant dans les centres urbains. Quatre des cinq autres catégories sont, selon le gouvernement, en dessous du seuil de pauvreté, et ont seulement accès à la bicyclette. Seuls ceux faisant partie de la catégorie Umukungu (riches en termes de nourriture), la deuxième catégorie socio-économique la plus élevée dans le rapport, auraient un surplus destiné à l'échange à condition qu'ils disposent d'un moyen de transport pour accéder aux marchés. Il est clair que les ZTE ne sont d'aucune aide pour les 96 % de « pauvres en termes de nourriture » qui vivent dans les régions rurales au Rwanda.

Non seulement les fermiers des PMA n'ont pas les moyens physiques d'accéder aux marchés mais, en plus, ils en ont été évincés par les plus grands pays qui accordent des subventions agricoles. Les États-Unis, malgré leur avantage comparatif en matière de produits manufacturés, représentent 41 % des exportations mondiales de coton. Ce contrôle du marché, est largement dû aux subventions qui permettent aux agriculteurs de vendre leurs produits à un prix plus bas, rendant impossible toute concurrence. On a peine à imaginer qu'un fermier rwandais Umukungu, qui a tout juste les moyens de payer les soins de santé, puisse commercialiser ses produits à un prix plus bas qu'un fermier américain subventionné par le gouvernement.

Comment peut-on alors utiliser efficacement un outil économique tel que le commerce qui profite à un secteur économique mais a des effets dévastateurs sur l'autre moitié de la population ? Beaucoup, dont l'économiste Kevin Watkins, d'Oxfam, et, plus récemment, la CUNCED, ont tenté de répondre à cette question. Comme moyens permettant de lier le commerce à la réduction de la pauvreté, K. Watkins suggère la redistribution des terres, les investissements dans l'infrastructure de la commercialisation, l'amélioration de l'accès aux soins de santé et à l'éducation ainsi que des mesures pour lutter contre la corruption. Il recommande aussi des politiques qui, selon lui, sont devenues « un anathème à l'ère de la libéralisation », telles que la protection des petits agriculteurs, des petites industries et des salaires minimaux. Son argument est que le commerce « en lui-même et de lui-même n'est pas une stratégie de réduction de la pauvreté ». De leur côté, MM. Dollar et Kraay, de la Banque mondiale, voient les avantages potentiels du commerce pour lutter contre la pauvreté : « Le commerce international [...] peut être un catalyseur puissant pour la réduction de la pauvreté ». Comme M. Watkins, la CNUCED, dans son rapport 2004 sur les PMA, a proposé aux décideurs politiques une « approche s'appuyant sur 3 piliers » qui comprenait l'intégration du commerce dans les stratégies nationales du développement, l'amélioration du régime commercial international et de l'aide pour renforcer les capacités productives et commerciales.

Tandis qu'on pourrait probablement faire remonter le débat sur le commerce international à celui sur les « vraies causes de la pauvreté, comme MM. Dollar et Kraay le font dans leur étude intitulée Commerce, croissance et pauvreté, il se résume à la même question que les représentants de la République centrafricaine, du Tchad et du Ghana ont soulevé lors de la présentation du rapport sur les PMA en juin 2004 : Comment peut-on aider les pauvres de nos pays à profiter des opportunités créées par le marché ? Malgré les éloges sur l'interdépendance de notre monde et de ses bénéfices dans différents domaines, nous devons faire preuve de prudence alors que nous nous orientons vers « un monde pour tous », et veiller à inclure tous les membres de la communauté internationale. Aucun économiste ne contestera l'existence des pauvres, ni aucun théoricien ne contestera qu'ils n'ont pas besoin d'aide. On peut seulement espérer que les « laissés-pour-compte » de l'économie seront pris en compte dans ces débats et que les nombreuses suggestions faites par les universitaires déboucheront sur des politiques qui aideront les pauvres ruraux comme les Umukunga.
Les barrières tarifaires des pays développés sont l'inverse de l'accès hors taxes pour les exportations des PMA vers les pays développés, une mesure vers la réalisation du huitième objectif du Millénaire pour le développement.

Les pays les moins avancés
« Les pays les moins avancés » (PMA) incluent les 49 pays les plus pauvres de la planète dans quatre continents dont l'Océanie. Selon la CNUCED, ces pays dits « moins avancés » répondent à trois critères : un revenu national bas, un capital humain faible et une grande vulnérabilité économique. Plus de la moitié de l'Afrique fait partie de cette catégorie.

Le revenu national bas signifie un PIB par habitant inférieur à 900 dollars. L'indice du capital humain faible est calculé en utilisant une série de statistiques, dont les indicateurs de santé, de nutrition et d'éducation. La vulnérabilité économique est déterminée par l'instabilité du secteur agricole et des exportations, la diversification et la taille de l'économie.

Depuis 1981, les PMA ont participé à trois conférences, qui ont principalement débattu d'idées politiques et des moyens d'améliorer la situation. Leurs économies ont été analysées par la CNUCED qui publie un rapport annuel sur les PMA à l'intention des décideurs politiques, des gouvernements et des chercheurs intéressés par leur politique et par leur développement. Les PMA sont une arène importante pour les décideurs politiques de l'ONU car c'est dans ces pays que les droits de l'homme fondamentaux font le plus défaut. Une grande partie de l'ordre du jour de l'ONU, y compris les Objectifs du Millénaire pour le développement, se concentre sur l'amélioration de la vie des populations qui vivent dans les PMA.

Les zones de traitement des exportations
Les zones de traitement des exportations, ou ZTE, sont des zones désignées par les gouvernements pour recevoir une aide et des bénéfices de la promotion des activités orientées vers le commerce, catégorisées comme des zones géographiques désignées ou des industries spécifiques.

Le programme des ZTE du Zimbabwe est typique de nombreux PMA. Il existe deux moyens pour faire partie d'une ZTE : le modèle « Parc industriel » offre l'infrastructure aux entreprises qui sont prêtes à développer des capacités de production orientées vers l'exportation dans certaines limites, telle qu'un espace pour des usines, des réseaux de communication et des installations d'eau et d'égouts. « Les ZTE autonomes » offre des avantages fiscaux et des crédits aux entreprises orientées vers l'exportation en dehors de la zone ZTE physique. Certains pays comme la République dominicaine offre seulement un soutien aux ZTE définies géographiquement, alors que d'autres comme la Barbade et Maurice, qui ne possèdent pas de « zones », offrent des incitations aux industries.

Les premières ZTE ont été établies dans les pays en développement pendant les années 1970 et ont permis de créer des emplois, d'attirer des investissements étrangers, de promouvoir les exportations ou de relancer les économies. Un total de 67 pays ont établi des ZTE ou prévoient de le faire, qui comprennent les pays les moins avancés ou les pays en développement d'Afrique, d'Asie et du Pacifique, de l'Amérique latine et des Caraïbes. Les ZTE ont fait l'objet de réactions diverses dans la communauté internationale alors qu'elles ont eu un effet considérable sur le commerce et la mondialisation. Certains pays, cherchant à attirer les investissements dans les ZTE, ont assoupli leurs lois du travail tandis que de nombreux pays développés dont les normes du travail sont plus strictes font valoir que ces mesures volent des emplois à leurs travailleurs.

Les partisans des ZTE mentionnent des réussites comme à Maurice qui a affiché une croissance importante des exportations ainsi qu'une augmentation de son produit intérieur brut. Des emplois ont été créés et la situation économique générale semblait meilleure. En raison de ses effets divers et importants, les ZTE sont devenues l'un des débats économiques internationaux les plus courants aujourd'hui.
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