Chronique ONU
Réflexions
Qu'est que le libre-échange ? Où l'échange est-il libre ?
Par George Kent

Imprimer
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
L'article
Qu'est que le libre-échange ? Dans les cours d'initiation à l'économie, nous avons étudié les avantages du libre-échange. Selon la théorie des avantages comparatifs de Ricardo, nous aurions intérêt à nous spécialiser dans la production d'un seul bien et à échanger les marchandises. En termes de bien-être matériel, nous aurions alors intérêt à nous isoler et à essayer de tout produire par nous-mêmes. Selon le principe de l'avantage comparatif, les facteurs de production - en gros, la terre, le travail et le capital - devraient être alloués en fonction des forces de marché afin de les utiliser plus efficacement. Cette allocation efficace des ressources générerait le plus grand profit.

Dans les cours d'initiation à l'économie, nous avons appris les concepts de base, mais il faut aller plus loin. Nous devrions revoir nos points de vue sur l'économie en appréciant les limites et les qualifications qui doivent être prises en compte lorsque ces idées sont appliquées dans le monde réel.

1. Alors que la théorie économique veut que tous les facteurs de production puissent être plus mobiles en fonction des forces de marché, en réalité nous ne favorisons pas la mobilité du travail. Il existe une forte mobilité du travail dans l'Union européenne et dans l'union économique que nous appelons les États-Unis mais, mondialement, une telle mobilité est très limitée par les lois sur l'immigration, les visas nécessaires, le coût des voyages et la discrimination.

2. La théorie du libre-échange suppose que nous entrons le dans le marché avec plus ou moins le même pouvoir économique. Elle implique qu'une fois que nous avons trouvé nos créneaux, nous continuons de jouir comparativement du même niveau de pouvoir et que les divergences entre les pays ont davantage à voir avec leurs ressources naturelles et les différences en matière de goût. Elle ne reconnaît pas que le libre-échange engendre nécessairement un grand écart entre les riches et les pauvres qui ne cesse de se creuser, les riches bénéficiant plus rapidement que les pauvres. Par ce processus, le pouvoir des riches sur les pauvres s'accentue.

3. La théorie du libre-échange suppose que le vendeur est en contact direct avec l'acheteur, négociant les termes de l'échange dans des conditions normales. Elle ne prend pas en compte les intermédiaires dont le seul avantage comparatif est de faciliter et de bloquer la relation entre l'acheteur et le vendeur. Mais cela a un prix : une partie de la somme payée par le consommateur final revient au vendeur. Les programmes innovants de « libre-échange » peuvent être considérés comme des tentatives de restaurer la liaison vendeur-acheteur.

4. La théorie du libre-échange est fondée sur l'idée d'un grand nombre d'acteurs indépendants qui ont des dotations initiales et des préférences différentes, et qui interviennent librement sur le marché. Elle ne prend pas en compte le fait que de nombreux acteurs individuels se retrouveront dans des unités plus inclusives appelées États qui établiront les politiques de l'échange en fonction d'unités élémentaires. En termes de marché, l'État fonctionne souvent comme un intermédiaire, accentuant l'écart entre le vendeur et l'acheteur.

5. La théorie du libre-échange reconnaît que les marchés libres sont des mécanismes efficaces pour créer la richesse et manifestement ne reconnaît pas qu'ils sont un excellent moyen de concentrer celle-ci. Les grandes entreprises peuvent être plus efficaces que les petites, mais même si elles le sont moins, elles sont toujours plus intéressantes parce qu'elles concentrent le fruit du travail de nombreuses personnes dans les mains de quelques-uns.

6. Les avantages de l'échange sont systématiquement détenus par les plus nantis. Dans un système de marché fonctionnant normalement, l'écart entre les riches et les pauvres se creuse de manière constante. La consolidation est également un autre phénomène qui se produit alors que les grandes entreprises absorbent les petites.

7. La théorie du libre-échange suppose que les gens peuvent choisir de devenir agriculteur, cordonnier ou coiffeur et être des entrepreneurs indépendants. Elle ne prend cependant pas en compte le fait qu'avec le développement de la croissance économique, monter son entreprise demande un investissement trop élevé pour la plupart. Alors que la richesse est de plus en plus concentrée, les opportunités pour les entrepreneurs indépendants diminuent.

8. Les obstacles au démarrage de nombreuses entreprises signifient que les opportunités alternatives sont réduites. Dans de nombreux pays, la seule possibilité est d'exercer une activité de travail subordonné où une grande partie du fruit du travail profite à d'autres.

9. Les théoriciens du libre-échange suggèrent que la réduction des obstacles à l'échange bénéficierait plus ou moins à tout le monde de manière égale, mais dans un monde marqué par les inégalités, ce sont ceux qui ont la plus grande capacité commerciale qui en bénéficient le plus. Pouvoir voyager, investir, etc. ne sert pas grand-chose à ceux qui n'en n'ont pas les moyens - il n'est pas surprenant que les riches, pas les pauvres, défendent le libre-échange avec le plus d'acharnement.

Dans le cours d'initiation à l'économie, le monde était censé être sans différentiels de pouvoir réels. Tandis que cela pourrait constituer un point de départ conceptuel raisonnable, il est nécessaire de mieux appréhender le monde réel en étudiant l'économie politique. Il n'y a aucune raison de penser que le dit « libre-échange », qui est soutenu par les membres dominants de l'Organisation mondiale du travail, engendrerait la liberté et la prospérité pour ses membres moins favorisés. Les différences croissantes en matière de pouvoir de négociation, le résultat inhérent du fonctionnement des marchés libres, sont immanquablement des entraves à la liberté de ces marchés. La pensée économique semble s'être arrêtée à un point qui arrange les plus riches.
Biographie
George Kent est professeur de sciences politiques à l'université de Hawaï, à Manoa. Il est co-responsable de la Commission des droits de l'homme internationaux de l'Association internationale de recherche sur la paix.
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
Copyright © Nations Unies
Retour  Haut