Chronique ONU
Combattre l'impunité
La justice transitionnelle après des exécutions massives
Par Beatriz Pavon, pour la Chronique

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L'article
Photo/José Castiñeira
Les exemples de violations des droits de l'homme de grande ampleur ont été malheureusement nombreux au cours de ces dernières années. Les enseignements de l'histoire nous ont montré que, dans une tentative nécessaire de réconciliation avec le passé, les sociétés ont dû créer diverses formules pour surmonter les terribles maux auxquels elles ont été confrontées suite aux exactions massives commises sur leur sol.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le combat contre l'impunité est devenu une cause universelle, spécialement après que des violations majeures des droits de l'homme ont eu lieu. Malgré les appels pour la justice et l'obligation de rendre des comptes, les autorités gouvernementales ont souvent choisi d'accorder l'amnistie aux personnes responsables de ces violations, jugeant que c'était le seul moyen d'aider leur société à assurer une transition stable vers la paix.

Ces leçons difficiles du passé ont été le sujet d'une table ronde, intitulée Justice et responsabilité : principes et pratiques pour combattre l'impunité, qui s'est tenue au siège de l'ONU à New York en juin 2004. Organisée par le Haut Commissariat aux droits de l'hommes (HCR) en coopération avec le Centre international pour la justice transitionnelle (CIJT), cette table ronde, animée par le directeur adjoint Craig Mokhiber du Bureau du HCR à New York, comprenait Juan Mendez, directeur du CIJT, et Diane Orentlicher, professeur de droit international à l'American University. Les participants ont déclaré que tandis que certains pays avaient la capacité de rendre justice des crimes commis sur une grande échelle, d'autres avait besoin d'une assistance de la communauté internationale pour engager des poursuites et établir des mécanismes de vérification des faits. Ils ont indiqué que les politiques en matière de justice devaient être fondées sur des consultations générales qui incluaient tous les membres de la société. Dans ce cadre, les différentes approches visant à combattre l'impunité, telles que les commissions d'enquête, les poursuites pénales ou les programmes de réparation, contribuent à ouvrir la voie au dialogue, à la guérison et à la réconciliation au sein d'une société qui a été victime de violations massives des droits de l'homme.

« Au cours des dernières années, l'un des changements les plus importants [du droit international] a été l'abrogation des lois d'amnistie et la levée d'autres restrictions, dont l'immunité des autorités, qui sont des obstacles aux poursuites des auteurs de certains crimes », a déclaré Mme Orentlicher, auteur d'une étude réalisée à la demande du Secrétaire général. L'Étude, intitulée Les meilleures pratiques pour aider les États à renforcer leur capacité à combattre tous les aspects de l'impunité, vise à aider les États à faire face aux difficiles défis qu'ils rencontrent dans leur lutte contre l'impunité. À cette fin, l'étude présente les enseignements tirés des expériences récentes et donne une vue d'ensemble des changements intervenus dans le droit international qui ont établi le cadre juridique régissant les efforts nationaux et internationaux dans la lutte contre l'impunité. Les Nations Unies sont le forum principal pour promouvoir le droit international et ses principes. En plus de l'élaboration de traités, le travail systématique de ses organes des droits de l'homme au cours des dernières décennies a donné lieu à des déclarations, des résolutions, des directives, des principes et des opinions, appelés le droit « souple ». Ces normes sont spécialement pertinentes dans la promotion des droits de l'homme et en matière de poursuite contre les auteurs de crimes graves. Un de ces documents inclut la résolution 2003 (1972) de la Commission des droits de l'homme qui demandait au Secrétaire général de faire établir une étude indépendante sur les pratiques exemplaires et qui a donné lieu au rapport de Mme Orentlicher. Comme l'a souligné M. Mendez, « les États, explicitement ou implicitement, utilisent ce principe comme guide, ce qui constitue également une base solide aux juges du monde entier qui sont chargés de juger les auteurs pour leurs crimes passés ».

En outre, de nouveaux instruments juridiques ont été créés pour lutter contre l'impunité. « Un Tribunal pénal international existe, au moins dans les situations définies dans son statut, et fournit un recours lorsque les tribunaux nationaux sont dans l'incapacité d'engager des poursuites contre les auteurs d'exactions massives ou sont réticents à le faire », a souligné Mme Orentlicher. Elle a également noté la tendance récente de « la communauté internationale à collaborer avec les autorités nationales pour traduire en justice les auteurs de crimes les plus graves conformément au droit international ». C'est, par exemple, le cas du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, mis en place conjointement par le gouvernement de la Sierra Leone et les Nations Unies, a-t-elle estimé.

« Le droit international a un rôle à jouer concernant les choix dont dispose une société confrontée aux dilemmes de la justice transitionnelle », a-t-elle déclaré. « Ce conflit apparent », a-t-elle ajouté, « n'est pas aussi répandu que nous le supposons parfois et, en pratique, la tension entre les attentes légales des différents pays et les contraintes nationales a souvent porté ses fruits ». M. Mokhiber partage ce point de vue : « Ce que nous avons appris des expériences pratiques, c'est qu'il n'est pas nécessaire de choisir entre la paix et la justice, mais qu'elles pouvaient être associées pour punir les responsables d'exactions et mettre en place des mécanismes de justice transitionnelle. Une conclusion importante que la communauté internationale a tirée est la nécessité d'aider ces sociétés à trouver la solution qui leur convient le mieux. »

Mme Orentlicher a reconnu qu'il n'y avait pas de solution facile à la justice transitionnelle et qu'on ne pouvait adopter une approche générale pour traiter des expériences historiques uniques. « Un programme efficace pour combattre l'impunité nécessite une stratégie complète comprenant plusieurs étapes - les commissions de vérité, la tenue de procès, les programmes de réparation, les enquêtes et d'autres mesures - qui jouent un rôle nécessaire mais seulement partiel. Il faut également que chacune de ces étapes complètent et renforcent les autres mesures. » Comme l'a expliqué M. Mokhiber, « la question n'est pas de savoir s'il faut engager des poursuites mais, plutôt, de déterminer quand et comment. Une mise en place progressive d'activités qui se complètent peut faire avancer le processus de paix et de responsabilité ».

Les arguments contre l'ingérence des pays étrangers ont été mis en avant au motif que les poursuites engagées par ceux-ci auraient un effet déstabilisateur ou que les choix des sociétés qui ont été confrontées à des exactions massives ne sont pas respectées. Mme Orentlicher a cependant souligné que l'exercice de la juridiction étrangère, conformément à la juridiction universelle ou par le biais des tribunaux internationaux, peut aussi avoir un « effet catalyseur et dynamique » sur la société et encourager le dialogue au sein de celle-ci pour l'aider à tourner la page sur le passé. Dans certains cas extrêmes, des pays ont abrogé les lois d'amnistie qui étaient jugées non conformes au droit international. Après l'échec de l'extradition du général Pinochet, la société chilienne a entamé des discussions intensives et engagé des poursuites individuelles, ce qui a renforcé les interventions dans l'espace public et permis de confronter les crimes du passé, a-t-elle souligné.

La communauté internationale a reconnu depuis longtemps qu'il était important que les auteurs de violations massives des droits de l'homme soient traduits en justice conformément aux normes internationales garantissant le droit à un procès équitable. « Certaines lois nationales sont régies par des principes qui vont à l'encontre du droit international, comme dans le cas de la peine de mort, », a indiqué M. Mendez. La peine capitale, qui est entrée en vigueur dans les tribunaux locaux au Rwanda après le génocide et dans le Tribunal pour l'Irak, qui vient d'être créé, a suscité une vive réaction de la part de la communauté internationale.

Étant donné qu'il est généralement reconnu que les procès ne suffisent pas à fournir un dédommagement adéquat ou une garantie que les violations des droits de l'homme ne seront pas répétées, la lutte contre l'impunité nécessite une approche à plusieurs facettes qui inclut la nécessité de rendre honneur aux victimes en leur redonnant le sentiment de participer à la société. Comme l'a maintenu Mme Orentlicher, « les besoins particuliers et les circonstances historiques de chaque pays ont eu une influence considérable sur la mise en place progressive des procès, des commissions de vérité et d'autres interventions de la justice ».

M. Mendez a fait valoir que « dans un monde idéal, une société devrait établir une politique visant à établir la vérité pour que les victimes puissent être entendues, à engager des poursuites, à réparer les torts subis par les victimes et à exclure les auteurs de crimes des organes judiciaires, militaires et juridiques; or tous les pays n'ont pas les moyens de le faire conformément à ces étapes clairement définies ». Dans certains cas, les commissions de vérité ont lieu avant les procès ou simultanément, ce qui fournit un processus plus complet et plus centré sur les victimes et utilise les résultats des enquêtes menées par la commission. « Étant donné que les victimes ont tendance à rejeter toute compensation à moins que des excuses formelles ne leur soient pas présentées et tiennent avant tout à ce que justice soit faite, la réparation intégrale devrait venir plus tard, à moins qu'une aide urgente soit nécessaire », a déclaré M. Mendez.
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