Chronique ONU
Perspective
Les diamants illicites
la malédiction de l'Afrique
Par Rasna Warah

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L'article
Photos UNICEF/Grossman
Comme l'histoire des États arabes est étroitement liée à la découverte du pétrole, la découverte des diamants en Afrique a non seulement eu des répercussions sur l'histoire du continent mais a été aussi l'une des causes majeures de conflit.

Le lien entre les diamants et les conflits en Afrique, et le rôle des acteurs internationaux dans leur commerce illégal, ont été abordés lors d'un séminaire organisé par la section Afrique de l'Est de la Society for International Developement qui s'est déroulé à Nairobi, au Kenya. Il est intéressant de noter que les pays africains les plus touchés par les conflits, tels que l'Angola, la Sierra Leone et la République démocratique du Congo, sont aussi les plus grands producteurs de diamants du continent ainsi que les pays les plus pauvres et les moins avancés. Les diamants de la guerre ou les « diamants du sang » ont alimenté les conflits et causé le déplacement des populations civiles dans un grand nombre de pays africains. Alors que les diamants de la guerre représentent une petite proportion du commerce total de cette pierre, les diamants illégaux constituent jusqu'à 20 % de la production mondiale annuelle. L'ampleur de cette illégalité a ouvert la voie aux diamants de la guerre.

Le lien entre diamants, pauvreté et conflit est évident dans les pays comme la Sierra Leone, où les riches terres alluviales des régions de Kono et de Tongo Field on été les premières cibles convoitées par le Front révolutionnaire uni (RUF). En 2000, Partenariat Afrique Canada (PAC) a publié un rapport intitulé Le cour du problème : Sierra Leone, diamants et sécurité humaine, qui dénonçait les diamants, ces « petits morceaux de carbone n'ayant pas une grande valeur intrinsèque et de quelque nature que ce soit pour le Sierra-Léonais moyen, outre l'attraction qu'ils exercent sur les étrangers » comme principaux responsables de la guerre civile.

Le rapport fait état de la corruption de l'industrie du diamant en Sierra Leone, dont les exportations ont atteint un sommet de deux millions de carats par année dans les années 1960, avant de chuter à moins de 50 000 carats en 1988. Le président despotique de la Sierra Leone durant la majeure partie de cette période, Siaka Stevens, avait tacitement encouragé l'extraction illicite, étant lui-même impliqué dans des activités criminelles ou quasi criminelles. La guerre du RUF a commencé en 1991 et, d'entrée de jeu, le seigneur de guerre libérien, devenu plus tard président, Charles Taylor, a agi comme guide, entraîneur, banquier et fournisseur d'armes aux membres du mouvement. Le RUF a également joué un rôle dans ce commerce illégal. « Il est ironique de constater qu'alors que d'énormes profits ont été tirés des diamants tout au long du conflit, les seules retombées qu'a connues la population du pays où ils ont été extraits sont la terreur, le meurtre, la mutilation et la pauvreté », conclut le rapport.

Le rapport de PAC montre de façon irréfutable qu'on n'exerçait pratiquement aucune surveillance de la circulation internationale des diamants. Au cours de années 1990, par exemple, des milliards de dollars de diamants ont été importés en Belgique en provenance du Liberia, bien que le Liberia ne produise lui-même que très peu de diamants. Les grandes et les petites sociétés étaient de connivence en ce qui a trait au blanchiment des diamants en Afrique de l'Ouest, utilisant le Liberia comme pays de transit. La plus grande partie du blanchiment était réalisée par des hommes d'affaires libanais locaux qui vivent en Afrique de l'Ouest depuis plus d'un siècle.

Les immigrants libanais ont commencé à arriver en Afrique de l'Ouest pour fuir les difficultés causées par une crise du ver à soie, qui a frappé le Liban au milieu du XIXe siècle. Parmi les premières et les plus importantes terres d'accueil des immigrants libanais figuraient le Sénégal et la Sierra Leone, alors sous contrôle colonial européen. Selon Lansama Gberie, un journaliste qui a écrit des articles sur la filière libanaise dans le commerce des diamants en Sierra Leone, depuis les années 1950, « les diamants ont été le pivot des affaires libanaises et d'un éventail d'activités politiques souterraines ».

Dans son étude Guerre et paix en Sierra Leone : les diamants, la corruption et la filière libanaise, publiée en 2002 par le Projet sur les diamants et la sécurité humaine, M. Gberie décrit les premières activités libanaises dans le commerce des diamants : « On a découvert des diamants dans le district de Kono, dans l'est de la Sierra Leone, en 1930 et cette même année, comme se répandait la nouvelle de la découverte, le premier commerçant libanais est arrivé à Kono et a monté un atelier, avant les fonctionnaires coloniaux, qui n'ont établi un bureau de district à cet endroit que deux années plus tard. Les Libanais ont devancé aussi le Sierra Leone Selection Trust (SLST), appartenant à des Britanniques, à qui l'on a accordé, en 1935, les droits exclusifs d'extraction et de prospection minières des diamants dans tout le pays. À partir de ce moment et jusqu'en 1956, lorsque l'Alluvial Diamond Mining Scheme a été promulgué, il était interdit par la loi à quiconque qui ne travaillait pas pour le SLST de faire des transactions en matière de diamants. En réalité, cependant, des activités minières illicites avaient lieu, de nombreux Libanais s'installant subséquemment à Kono et finançant des Africains afin qu'ils exploitent les mines de diamants et qu'ils leur vendent ce qu'ils trouvaient. »
« Notre guerre n'était pas une guerre civile. Ce n'était pas une guerre fondée sur l'idéologie, la religion ou l'origine ethnique, ni une « guerre des classes ». . C'était une guerre par procuration axée sur le contrôle permanent par les rebelles de nos riches champs de diamants, au profit des étrangers. »

                                    -Ahmad Tejan Kabbah
                                       président de la Sierra Leone


Dans les années 1950, l'extraction et la contrebande des diamants illicites ont grimpé en flèche au cours des années 1950. On estime que 20 % de l'ensemble des diamants échangés sur les marchés mondiaux du diamant provenaient de négociants libanais et mandingues qui les faisaient passer en contrebande depuis la Sierra Leone, par le biais du Liberia. En 2002, un groupe d'experts de l'ONU a rapporté que le leader du RUF « par intérim », Issa Sesay, s'était rendu à Abidjan à la fin de 2001 et avait vendu 8 000 carats à deux hommes d'affaires dont l'identité n'a pas été divulguée qui, apparemment, utilisaient un homme d'affaires libanais pour faire la navette entre Abidjan et Monrovia, la capitale du Liberia. Selon certains rapports, la force du maintien de la paix en Sierra Leone aurait participé au commerce illicite de diamants mis sur pied par le RUF.

En 2001, peu après les attaques du 11 septembre à New York et à Washington, le Washington Post a mis à jour un autre lien dans ce commerce très secret mais très lucratif - celui des terroristes internationaux. Dans un article publié le 2 novembre 2001, le correspondant de guerre Douglas Farah a déclaré qu'au cours des trois dernières années le réseau d'Al-Qaida « avait gagné des millions de dollars par la vente illicite de diamants extraits par les rebelles en Sierra Leone » et que trois de ses membres s'étaient rendus plusieurs fois en Sierra Leone en 1998 et après. Il a également dit que la communauté chiite libanaise en Afrique de l'Ouest était sympathisante du Hezbollah et servait souvent de lien entre les rebelles du RUF et Al-Qaida. Cependant, selon M. Gberie, les preuves d'un lien entre la communauté libanaise en Afrique de l'Ouest et les réseaux de terroristes sont en grande partie « des cas isolés et fondés sur des présomptions ».

Durant les dernières années, cependant, le commerce illicite de diamants a fait l'objet d'une attention particulière, ce qui rend les opérations des intermédiaires et des contrebandiers plus difficiles. Depuis 1999, le PAC a lancé un programme de recherche, d'éducation et de promotion de politiques pour assurer que l'industrie internationale du diamant opère légalement, dans la transparence et pour le bénéfice des pays où sont extraites les pierres. Il a également publié de nombreux rapports qui ont révélé les transactions secrètes intermédiaires des contrebandiers, et leurs méthodes à la James Bond, qui opèrent souvent avec la pleine connaissance et l'approbation des gouvernements (ou des mouvements de rebelles) et qui font passer des diamants en contrebande en provenance des pays voisins.

En mai 2000, le Processus de Kimberley, un processus international de certification pour les pierres brutes, a été lancé par le gouvernement sud-africain. Concernés par les répercussions que les guerres financées par les diamants en Angola, en Sierra Leone et en République démocratique du Congo peuvent avoir sur le commerce légal dans d'autres pays producteurs de diamants, plus de 35 pays se sont réunis pour mettre au point les système, qui a été établi en 2003.

En Sierra Leone, le système de certification a été établi en octobre 2000, quatre mois après la résolution du Conseil de Sécurité qui interdisait les exportations de diamants jusqu'à ce qu'un système de certification soit mis en place. Durant les douze mois qui ont suivi son introduction, les exportations légales ont progressé de 1,3 million à 25,9 millions. PAC pense cependant qu'une grande majorité des pierres précieuses de meilleure qualité font toujours l'objet de contrebande et échappent au système de certification officiel. En somme, le commerce illicite se poursuit par des accords informels qui sont conclus par un acquiescement, un clin d'oil et ne laissent aucune trace écrite.
Biographie
Rasna Warah, une journaliste indépendante établie à Nairobi, est membre de la section Afrique de l'Est de la Society for International Developement.
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