Chronique ONU
Point de vue
Une « solution avantageuse »
Une proposition de réforme du Conseil de sécurité
Par Jean Krasno

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L'article
À un séminaire organisé par International Peace Academy (IPA), l'ancien Représentant permanent de Singapour auprès des Nations Unies, Kishore Mahbubani, a souligné que les Nations Unies avaient atteint un moment crucial où une « solution avantageuse » devait être élaborée afin de parvenir à un accord sur la réforme de l'ONU.

Au forum de l'IPA, on m'a demandé de présenter une formule pour la réforme du Conseil de sécurité, ce à quoi je m'emploie depuis la mi-1995, quand Yale a publié un rapport intitulé « The United-Nations in its Second Half-Century ». Après la publication de ce rapport, j'ai eu la responsabilité durant deux ans d'organiser une série de séminaires sur la réforme de l'ONU, dont plusieurs sur le Conseil de sécurité. Pendant les pauses-café, j'ai souvent discuté de manière informelle avec des ambassadeurs qui participaient aux ateliers. Les idées suivantes sont le résultat de ces conversations.

Un certain nombre d'obstacles insurmontables ont empêché la réforme. L'amendement de la Charte de l'ONU nécessite le consensus des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, ce qui signifie qu'aucun de ces membres n'approuvera des mesures qui leur supprimeront leur siège au Conseil ou leur ôteront leur doit de veto. Toute réforme doit donc maintenir le statu quo. Les propositions d'attribuer de nouveaux sièges aux régions géographiques sont restées sans suite. Attribuer un siège permanent à l'Inde pour représenter l'Asie, au Brésil pour l'Amérique latine, ou à l'Afrique du Sud pour l'Afrique, semblait une bonne idée au départ. Mais cette idée a été contestée par d'autres pays de ces régions qui estimaient que ces grands pays continentaux ne représentaient pas nécessairement les intérêts des autres pays de la région et pourraient en fait renforcer leur hégémonie locale. De leur côté, l'Allemagne et le Japon, qui financent une grande partie du budget de l'ONU, estiment qu'étant donné leurs contributions importantes, ils devraient avoir un plus grand poids dans le processus de prise de décision.

Il est temps de mettre fin à ce casse-tête. J'aimerai proposer quelques idées de réforme du Conseil, qui pourraient permettre de surmonter ces obstacles tout en répondant à la nécessité d'avoir un Conseil de sécurité efficace.

Primo, l'augmentation du nombre de sièges permanents. Pour être représentatif des 191 pays États Membres de l'ONU, le Conseil pourrait être composé de 20 ou de 23 membres, tout en maintenant le nombre de membres permanents. Cela pourrait rendre une décision plus difficile, mais l'unanimité n'est pas nécessaire pour y parvenir car pour être adoptée une résolution ne nécessite qu'un certain nombre de voix. Avec le Conseil composé actuellement de 15 membres, neufs votes affirmatifs sont nécessaires pour approuver une résolution (à condition de ne pas avoir recours au droit de veto), soit une voix de plus que la majorité simple. Avec un Conseil élargi à 20 membres, une majorité simple de 11 signifie que seulement deux votes affirmatifs supplémentaires seraient nécessaires, ce qui rendrait la conclusion d'un accord légèrement plus difficile. Il en est de même dans le cas d'un Conseil composé de 23 membres, où une majorité simple de 12 est nécessaire. On peut soutenir qu'une majorité simple n'est pas aussi persuasive qu'un soutien de la majorité des membres, mais 11 ou 12 voix affirmatives sont tout de même une amélioration par rapport aux 9 voix actuelles. Dans le but d'obtenir une plus grande efficacité, il peut s'avérer nécessaire de renoncer au concept du soutien majoritaire.

Secundo, la question des sièges permanents. Les discussions portant sur la création de nouveaux sièges ont paralysé la réforme et sont improductives. Ma proposition n'inclut pas de nouveaux sièges permanents mais recommande la création d'une nouvelle catégorie de membres : un mandat de quatre ans renouvelable. Ce concept laisse suffisamment de temps aux membres pour faire leur campagne et participer au processus de prise de décision. Actuellement, les membres non permanents servent un mandat de deux ans qui n'est pas renouvelable. Les membres sortants doivent attendre au moins une année pour être rééligibles. Or un grand nombre de pays ont fait valoir qu'il fallait une année, la moitié du mandat actuel, pour se familiariser avec les travaux du Conseil et avoir du poids dans les négociations. Le mandat de quatre ans renouvelable permet à certains membres d'être élus démocratiquement et de siéger indéfiniment si tous les membres continuent de soutenir leur légitimité. Les autres membres continueraient de siéger durant une période de deux ans et laisseraient ensuite leur siège à d'autres. Ce nouveau Conseil serait donc composé des cinq sièges permanents existants, de six sièges pour un mandat de quatre ans, et de neuf ou de douze sièges pour un mandat de deux ans par rotation, selon le nombre de membres du Conseil choisi 20 ou 23 membres. La formule peut être adaptée en fonction du nombre total de sièges.

Tertio, l'élection des nouveaux membres. Ces nouveaux membres renouvelables pour une période de quatre ans pourraient être élus selon les groupes géographiques existants ou par un nouveau processus. C'est sur cette question que ma proposition est sans aucun doute radicale, car elle suggère l'élection de membres semi permanents par « groupements économiques » des États. Actuellement, les groupes géographiques choisissent des candidats de leurs régions, qui sont ensuite proposés aux membres de l'Assemblée générale et soumis à un vote à la majorité des deux tiers. Alors que la représentation géographique est importante et est la pierre angulaire des Nations Unies depuis sa création, elle ne représente pas nécessairement la diversité des intérêts économiques et politiques des pays de la région, et le vote des membres sera probablement influencé davantage par des affinités économiques que géographiques. En outre, un pays qui serait proposé à un siège régional ne représenterait pas nécessairement les intérêts d'un continent entier.

L'ONU n'est peut-être pas prête à adopter cette approche économique, mais je pense qu'il est important d'en discuter ici. La représentation économique peut être un facteur plus réaliste. Dans cette proposition, les 186 membres non permanents du Conseil seraient répartis en trois groupes selon un processus volontaire : les nations industrialisées, les pays en développement à revenu moyen et les pays à revenu faible (voir encadré). Les pays seraient libres de choisir la catégorie la plus avantageuse, ce qui pourrait changer tous les deux ans. Cette répartition aurait tendance à s'équilibrer parce que les pays graviteraient vers le plus petit groupe, espérant ainsi augmenter leurs chances d'être élus, mais seraient contraints, sous la pression de leurs pairs, de se représenter de manière réaliste. Chacun des trois groupes élirait deux pays pour un mandat de quatre ans renouvelable. Ainsi, les plus petits pays seraient seulement en concurrence entre eux et seraient donc assurés d'être représentés au Conseil. Faire campagne pour un siège nécessite du temps et des ressources. Les considérations géographiques seraient toujours prises en compte, mais de manière informelle. Si les États Membres ne sont pas satisfaits de cette répartition, la formule peut être aussi appliquée au système traditionnel des groupes régionaux. Dans ce cas, chacun des six groupes régionaux élirait un membre pour un mandat de quatre ans renouvelable et deux pour le siège normal pour une durée de deux ans.

Quarto, une solution avantageuse pour les membres permanents. Ces nouveaux membres pourraient être élus pour une période de quatre ans à la seule condition qu'ils assument une surcharge au maintien de la paix, comme le font les membres permanents. Cette surcharge serait basée sur la capacité du pays à payer; les pays pauvres continueraient de contribuer en fonction de leur revenu, mais ils devraient soutenir leurs décisions en allouant des ressources nationales. Les contingents du maintien de la paix ou autre soutien similaire seraient pris en compte dans les calculs. Les contributions des pays les plus riches seraient plus élevées afin d'alléger le fardeau supporté par les États-Unis, dont la quote-part représente 26 % des frais totaux des opérations de maintien de la paix. Deux des quatre sièges d'un mandat de quatre ans pourraient être attribués à l'Allemagne et au Japon, qui ont les moyens de financer, et ces deux pays pourraient garder leur siège à condition d'être réélus tous les quatre ans. Tout pays élu, que ce soit le Brésil, l'Afrique du Sud, l'Inde ou d'autres, seraient tenus responsables de leurs actions devant tous les membres de l'Assemblée générale, mais d'autres pourraient les contester. Loin d'occuper un siège de moindre importance, ces pays auraient le prestige d'avoir été élus, de jouir d'une vraie légitimité et de ne pas simplement représenter l'héritage du passé. Il semblerait que le comité de haut niveau que le Secrétaire général, Kofi Annan, a nommé pour s'occuper de la réforme prenne ces idées en compte. Cette formule pourrait être la « solution avantageuse » que l'ambassadeur Mahbubani espérait voir adoptée.
Biographie
Jean Krasno est membre du Centre d'études internationales sur la sécurité à l'université de Yale et auteur de The United Nations : Confronting the Challenges of a Global Society (2004).
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