Chronique ONU
L'éducation pour tous
Le rôle de l'éducation dans la promotion de la santé et des droits de l'homme
Par Christopher Colclough

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L'article
Suite à leur engagement pris en 2000 visant à atteindre un ensemble ambitieux d'objectifs de développement, plus de 170 pays devront faire le bilan de la première étape en 2005 en se posant la question suivante : avons-nous éliminé les inégalités entre les sexes dans l'enseignement primaire et secondaire ? Cette date-butoir figure dans les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), ainsi que dans les objectifs d'éducation pour tous (EPT), qui ont été adoptés en 2000 par 164 pays lors du Forum mondial de l'éducation qui s'est tenu à Dakar, au Sénégal.

Bien que les progrès varient considérablement entre les pays, les tendances sont inquiétantes et la situation demande une action plus soutenue. Selon le Rapport de suivi sur l'éducation pour tous dans le monde 2003/04 (genre et Éducation pour tous - le pari de l'égalité), près de 60 % des 128 pays pour lesquels des données sont disponibles ne parviendront probablement pas à établir la parité entre les sexes dans l'enseignement primaire et secondaire d'ici à 2005. Alors que les disparités en matière de scolarisation se traduisent par un déséquilibre au détriment des filles, dans certains pays d' Amérique latine et des Caraïbes, d'Europe et dans les États du Sud de l'Afrique sub-saharienne, la balance penche en faveur des filles.

Pourtant, les filles se heurtent encore à de fortes discriminations en Afrique sub-saharienne, en Asie de l'Est, dans la région Pacifique et dans les États arabes. Au vu des tendances actuelles, deux des pays les plus peuplés n'atteindront pas ces objectifs : l'Inde (pour les deux niveaux) et la Chine (pour le niveau secondaire). Les ressources nécessaires à la mise en ouvre de l'éducation primaire pour tous et à l'élimination des inégalités entre les sexes sont bien insuffisantes par rapport aux besoins. Selon le rapport de suivi de l'EPT, une publication annuelle indépendante à l'initiative de l'UNESCO, il faudrait multiplier par quatre l'aide à l'éducation de base pour fournir 5,6 milliards de dollars annuels supplémentaires nécessaires pour atteindre ces deux objectifs.

Le droit à l'éducation est reconnu internationalement et figure dans les principales conventions. Les Conventions sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1979) et sur les droits de l'enfant (1990) contiennent l'ensemble le plus complet d'engagements contraignants concernant les droits à l'éducation et à l'égalité entre les sexes.

Quand les pays se conforment à ces droits, ils agissent également dans leurs propres intérêts économiques et sociaux.

De nombreuses études ont montré l'impact positif de l'éducation des filles sur la croissance économique, la santé, les taux de fertilité et la productivité agricole. C'est l'arme de prévention la plus efficace contre le VIH-sida. La réalisation des OMD - réduire la pauvreté, améliorer la santé, l'assainissement et la gestion de l'environnement -, dépend dans une grande mesure de l'acquisition des compétences qui contribueront à construire l'avenir.

Faire en sorte qu'un nombre égal de filles et de garçons soit scolarisé n'est qu'un aspect du problème. Instaurer l'égalité soulève des questions plus complexes. Les filles et les garçons ont-ils les mêmes opportunités d'accès à l'école ? Bénéficient-ils d'un traitement équitable durant toute leur scolarité et leur donne-t-on une image positive d'eux ? Ont-ils les mêmes opportunités d'emploi et les mêmes salaires ? Le Rapport de l'EPT, s'appuyant sur de nombreux travaux de recherche internationaux, explore ces multiples dimensions de l'inégalité - à la maison, à l'école et dans la société - et définit les politiques en faveur de tous les enfants.

La décision d'envoyer un enfant à l'école est prise à la maison. Les traditions, la pauvreté et le partage du pouvoir dans la famille peut sceller le destin d'une fille. Dans les sociétés où les femmes sont confinées à la maison et où les systèmes patrilinéaires dominent en matière d'héritage, la discrimination à l'égard des filles commence tôt. Très souvent, un mariage précoce, soit pour atténuer le fardeau d'une famille ou assurer l'avenir d'une fille, met fin aux études. Pour de nombreuses familles, l'école peut être simplement trop chère, et lorsqu'il s'agit de choisir entre les filles et les garçons, les filles sont souvent les perdantes.


Malgré les instruments des droits de l'homme obligeant les États à fournir une éducation gratuite et obligatoire au niveau de l'enseignement primaire, au moins 101 pays dans le monde continuent d'imposer des frais de scolarité , en plus de l'achat de livres, d'uniformes scolaires, de frais de transport et de contributions communautaires. Enfin, un grand nombre de familles exigent que leurs enfants travaillent : ils sont les principaux employeurs des enfants. Selon les estimations les plus récentes, 18 % des enfants âgés de cinq à quatorze ans sont économiquement actifs, soit 211 millions d'enfants dont la moitié sont des filles. Et ce chiffre ne comprend pas les enfants qui remplissent des tâches domestiques, activités non commercialisables.

Des politiques et des stratégies sont mises en place pour changer cette situation. Elles s'étendent au-delà du système éducatif. Une vaste réforme législative est essentielle pour enraciner l'égalité entre les sexes; une réforme du droit de la famille et une législation en matière de parité peuvent permettre de créer des sociétés plus équitables. Il faut introduire des politiques ciblées qui prévoient des mesures d'incitation pour que les parents envoient leurs enfants à l'école.

Au cours des dernières années, un certain nombre de pays africains, dont le Kenya, l'Ouganda et le Malawi, ont instauré l'enseignement primaire gratuit, ce qui a considérablement augmenté le nombre d'inscriptions scolaires. Par exemple, en 2000, à Nairobi, au Kenya, le nombre d'inscriptions a doublé, ce qui a posé des contraintes en termes de classes, de matériel et d'enseignants.

Cependant, dans le contexte de la pauvreté, la réduction des frais ne suffit pas. Les bourses, les programmes de repas gratuits dans les écoles et le dédommagement financier des familles pour compenser la perte du salaire d'un enfant qui travaille ont un impact sur la scolarité. Par exemple, au Brésil, le Programme national Bolsa Escola, qui concerne plus de 2 millions d'enfants, accorde des subventions aux familles ayant des enfants d'âge scolaire, à condition que chaque enfant aille à l'école au moins 90 % du temps. En Inde, une étude a révélé une augmentation du taux de scolarisation des filles de 15 % lorsque l'école locale a fourni un repas à midi. Au Bangladesh, les filles bénéficient du Programme national Female Secondary School Stipend, qui assure des études gratuites et une aide financière.

L'école, le cour du système, doit aussi devenir un lieu propice à l'apprentissage : elle doit être située près de la maison et pourvue de services d'assainissement adéquats, offrir des cours adaptés aux besoins des garçons et des filles et avoir des enseignants compétents. Les pratiques quotidiennes en classe renforcent les différences entre les sexes, pourtant la formation des enseignants aborde rarement les questions sexospécifiques.

Une étude réalisée auprès de neuf pays africains a montré que les filles étaient plus souvent appelées à exécuter des tâches telles que nettoyer les sols ou aller chercher de l'eau. Dans de nombreux pays, le nombre d'enseignantes - qui sont des modèles pour les filles dans les pays où les disparités entre les sexes sont importantes - est faible.

En Afrique, les femmes occupent seulement un tiers ou moins des postes d'enseignement. En Inde, près de 90 % des postes dans les écoles à enseignant unique (représentant au moins 20 % des écoles) sont occupés par des hommes. Réduire les inégalités entre les sexes signifie également confronter la réalité de la violence et du harcèlement sexuels à l'école. Un récent rapport a révélé qu'en Afrique du Sud la menace de la violence à l'école était l'un des obstacles les plus importants à l'apprentissage. Dans un tel environnement, la vulnérabilité des filles au VIH/sida n'en est que plus grande : en Afrique australe et dans les Caraïbes, les taux d'infection sont quatre à sept fois plus élevés pour les filles âgées de 15 à 19 ans que pour les garçons. Les filles sont également les premières à être retirées de l'école pour s'occuper des membres âgés de leur famille qui tombent malades. Le Rapport de l'EPT recommande vivement que les informations sur la santé sexuelle et génésique pour les adolescents soient un sujet indépendant.

De nombreuses expériences menées par des organisations non gouvernementales ont ouvert de nouvelles voies et joué un rôle priomordial pour toucher les couches les plus pauvres, notamment les filles. Le programme d'éducation primaire non formelle Bangladesh Rural Advancement Committee (Comité d'avancement rural du Bangladesh) est souvent cité comme exemple. Il stipule que 70 % des élèves soient des filles issues de familles pauvres. Les écoles sont construites près des maisons, les horaires sont souples et fixés avec les parents, chaque année les enseignants suivent des cours de perfectionnement et le programme scolaire met l'accent sur les méthodes actives d'apprentissage. Reconnaissant le problème de la sécurité dans les transports, le programme Shikshakarmi en Inde nomme une femme locale pour accompagner les enfants à l'école, les ramener chez eux, et offre une garde d'enfants pendant les heures d'école.

En Afrique, le Forum for African Women Educationalists a créé des « centres d'excellence » pour sensibiliser les enseignants aux questions sexospécifiques, en particulier dans l'enseignement des sciences, des mathémathiques et des technologies.


Alors qu'il faut encourager ces solutions innovantes, l'État joue un rôle de premier plan dans la promotion de l'éducation pour tous. Un effort majeur est nécessaire pour soutenir les groupes les plus pauvres des pays qui n'auront pas réalisé cet objectif, et doit s'accompagner d'une aide externe. Les frais de scolarité sont toujours imposés dans 26 des 35 pays qui n'atteindront probablement pas l'objectif de la parité entre les sexes dans l'enseignement primaire d'ici à 2005. L'élimination de ces coûts serait pourtant le seul moyen efficace d'augmenter les effectifs dans l'enseignement primaire et réduire les disparités entre les sexes. Les programmes de coopération internationale seraient les instruments idéaux pour réduire les différences en matière de ressources.

Malheureusement, en matière d'aide, le tableau est plutôt sombre. Tant l'aide bilatérale que l'aide multilatérale à l'éducation ont diminué entre 1998-1999 et 2000-2001, même si l'aide à l'éducation de base a augmenté. L'Initiative Fast-Track, lancée par la Banque mondiale en vue de réaliser l'éducation primaire pour tous d'ici à 2015, a suscité beaucoup d'espoirs. Deux ans après son lancement, cependant, un soutien concret et substantiel de la communauté internationale se fait toujours attendre.

L'avenir d'un grand nombre de pays dépend de manière cruciale de la réalisation de l'éducation pour tous. Ceci implique un effort spécifique de la part des pays et de la communauté internationale pour toucher les filles et les femmes. Quatre ans après l'Assemblée du millénaire et du Forum sur l'éducation pour tous, il est nécessaire de renforcer et de mieux cibler les ressources et les stratégies afin de garantir ce droit. Pendant la semaine d'action mondiale qui s'est tenue en avril 2004, plus de 700 000 enfants dans le monde ont fait pression sur leur gouvernement, leur posant une seule question : « Que faites-vous pour nous fournir une éducation ? » Ils lancent un appel urgent tant aux gouvernements qu'à la communauté internationale.
Le Rapport de suivi de l' EPT complet ainsi que le résumé se trouvent à www.efareport.unesco.org.
Biographie
Christopher Colclough est directeur du Rapport de suivi de l'éducation pour tous. Professeur d'économie de longue date à l'Institute of Development Studies, à l'université de Sussex, il a été conseiller en politiques d'éducation auprès de nombreux gouvernements en Afrique et en Asie et Pacifique. Il est le principal auteur d'Achieving Education for All in Africa: Costs, Commitment and Gender (Ashgate, Londres 2003).
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