Chronique ONU
Éducation à la tolérance et à la compréhension
Faire face à l'antisémitisme

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L'article
La première conférence des Nations Unies sur l'antisémitisme, qui fait partie d'une série de colloques sur le thème « Désapprendre l'intolérance », organisée par le Département de l'information (DPI) au siège de l'ONU, a fait l'objet d'une journée de réflexion sur l'éducation à la tolérance. Dans son discours d'ouverture, le Secrétaire général Kofi Annan a déclaré : « Le combat contre l'antisémitisme doit être notre combat et tous les juifs doivent considérer les Nations Unies comme leur maison. »

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Expliquant que les séminaires suivants se pencheront sur d'autres groupes spécifiques victimes de l'intolérance dans de nombreuses régions du monde, y compris les musulmans et les migrants, M. Annan a déclaré que tout au long de l'histoire, l'antisémitisme constituait une manifestation unique de haine, d'intolérance et de persécution. Ce fléau représente une menace pour les peuples partout, a-t-il ajouté. En le combattant, nous combattons pour l'avenir de l'humanité. Le lauréat du prix Nobel de la paix, Elie Wiesel, un survivant de l'Holocauste, a fait remarquer dans son allocation que l'antisémitisme était la seule forme de haine ayant survécue à l'Antiquité, rappelant que certaines des personnes présentes connaissaient les conséquences que cela a eues. « Nous y étions. Nous avons vu mourir nos parents et nos amis victimes de l'antisémitisme. »

Le débat, qui a duré une journée, a été animé par le Secrétaire général adjoint à la communication et à l'information à l'ONU, Shashi Tharoor, et Raymond Sommereyns, directeur de la Division de l'action éducative. Dans les discussions qui ont suivi, des universitaires, des éducateurs, des leaders de la société civile et des membres de groupes chrétiens, juifs, musulmans et hindous ont dénoncé l'antisémitisme et l'intolérance en général.

La première table ronde intitulée Perspectives de l'antisémitisme aujourd'hui comprenait les panélistes Jacob Levy, fondateur de Gallup en Israël et co-président de Trendum; James H. Charlesworth, George L. Coolard, professeur du Nouveau Testament, de langues et de littérature à l'Institut du séminaire théologique de Princeton; Melvyn Weiss, membre d'Israel Policy Forum et le partenaire fondateur, Milberg Weiss; Anne Bayefsky, membre principal à l'Institut Hudson et professeur auxiliaire de droit à la Columbia University of Law School; et Mark Weitzman, directeur du Groupe de travail contre la haine au Centre Simon Wiesentahl.

Selon M. Levy, expert sur l'incitation à la haine sur Internet, il existe un monde sans frontières sur Internet où les propos tenus par certains groupes posent un problème mondial. Il a fait remarquer que les Nations Unies devraient se munir d'un « index de la haine ». De son côté, M. Charlesworth a estimé que l'histoire de l'humanité n'avait pas accompli de progrès moral véritable et était marquée par une propension à diaboliser ceux qui étaient différents, alors qu'il faudrait au contraire célébrer les différences. Selon lui, les origines de l'antisémitisme étaient complexes et insuffisamment comprises, bien qu'elles puissent être attribuées au fait que les juifs se sont isolés des autres communautés et qu'ils se disaient être le seul peuple choisi par Dieu. Une traduction plus nuancée des textes bibliques serait nécessaire, a-t-il ajouté.

Ramenant les discussions sur les Nations Unies, Mme Bayefsky a déclaré que les relations entre les juifs et l'ONU n'avaient jamais été aussi mauvaises. Le Secrétaire général a critiqué la construction par Israël d'un mur de sécurité en Cisjordanie et les attentats contre des chefs du Hamas mais n'a pas fait mention des victimes israéliennes dues au terrorisme. Elle a indiqué que le séminaire pourrait marquer un tournant si l'Assemblée générale adoptait une résolution et si le Secrétaire général nommait un rapporteur spécial sur la lutte contre l'antisémitisme. Lui faisant écho, M. Weitzman a dit qu'en parlant de l'antisémitisme à l'ONU, on pouvait espérer que l'Organisation condamnera ce fléau ou même le bannira.

M. Weiss a rappelé les attentats contre l'ambassade d'Israël et le centre culturel à Buenos Aires, en Argentine, précisant que le nombre de victimes qui en avait résulté étaient comparable à celui de l'attentat qui avait eu lieu à Oklahoma, aux États-Unis. La communauté internationale doit s'unir et proclamer qu'aucun développement international ni aucune action politique au Moyen-Orient ne justifient des attentats contre les juifs.

La deuxième table ronde, intitulée Éducation à la tolérance et à la compréhension, a réuni Abraham Foxman, directeur national de la Ligue contre la diffamation; Edgar Bronfman, président du Congrès mondial juif; Swami Adiswarananda, ministre du culte et chef spirituel du Centre Ramakrishna-Vivekananda de New York; sour Ruth Lautt, O.P., sours de Saint Dominique d'Amityville; et l'imam Feisal Abdul Rauf, président de l'Association américaine du soufisme musulman.

M. Foxman a déclaré qu'il fallait louer le leadership du Secrétariat et qu'en dénonçant l'antisémitisme, il avait brisé un tabou. Les mots ont leur importance, même si l'on dit qu'ils ne signifient pas grand-chose. Les fours crématoires n'ont pas été construits avec des briques et du mortier, mais avec des mots. Combien de temps faudra-t-il à l'Assemblée générale pour qu'elle suive l'exemple du Secrétaire général et pour que l'ONU arrête de diaboliser et de délégitimer les juifs ?

Sour Ruth, l'un des membres du clergé représenté, s'est dit préoccupée par la résurgence de l'antisémitisme dans le monde, en particulier par les nouvelles formes insidieuses qu'il prenait, comme la « diabolisation » d'Israël. Il est tragique de constater que durant près de 2000 ans de leur histoire commune, l'attitude des chrétiens envers les juifs a engendré leur isolation et leur discrimination.

Pour sa part, Swami Adiswarananda a estimé que même si le monde avait changé pour devenir un village mondial, l'intolérance continue de séparer et de diviser, ajoutant que celle-ci avait de nombreux visages - social, politique, psychologique et religieux - qu'elle avait amené des êtres humains fervents de la paix à agir comme des animaux et avait engendré des émeutes, des guerres froides et l'antisémitisme. Il a poursuivi en disant que la tolérance était un message des grands prophètes de toutes les traditions, tandis que l'intolérance était semblable à une tumeur. Il a déclaré qu'aucun monde n'était exempt de problèmes et que nulle part la diversité ne pouvait être abolie.

L'imam Feisal, qui est né de parents arabes égyptiens, a fait remarquer que sa religion lui avait enseigné de croire en un seul Dieu, comme il a été enseigné aux juifs. Il est d'avis que les juifs ont droit à un État et le droit de vivre en sécurité et dans le respect en Israël et partout dans le monde, mais il a également estimé que tous les Arabes, Palestiniens et non-Palestiniens, avaient aussi le droit de vivre sur leurs terres ancestrales et de vivre dans la dignité et avec un bien-être économique. Pour lui, pratiquer la religion sans aborder les maladies humaines fondamentales, dont les plus importantes sont l'égoïsme, la convoitise et l'envie, se suffit pas. L'antisémitisme est la manifestation d'une maladie humaine pernicieuse qui est le racisme.

M. Bronfman a fait remarquer que le séminaire avait lieu moins de dix ans après la conférence de Stockholm où les leaders mondiaux avaient dénoncé l'antisémitisme et l'Holocauste. Le Secrétaire général devrait nommer un représentant spécial dans ce domaine et publier un rapport annuel. Alors qu'on peut critiquer la politique d'Israël, on ne peut tolérer les propos qui diabolisent l'ensemble du peuple juif.

La troisième table ronde intitulée Faire face à l'antisémitisme a été animée par M. Sommereyns et comprenait les panélistes suivants : Malcolm Hoenlein, vice-président exécutif de la Conférence des Présidents des grandes organisations juives américaines; Stephen P. Cohen, président de l'Institut pour la paix et le développement au Moyen-Orient; Felice Gaer, directrice de l'Institut Jacob Blaustein pour l'avancement des droits de l'homme, du Comité juif américain; Ephraim Isaac, directeur de l'Institut d'études sémitiques à Princeton; et le rabbin Joseph Potasnik, vice-président exécutif du Conseil des rabbins new-yorkais.

Pour M. Hoenlein, les propos de MM.Annan et Wiesel sur les Nations Unies engagées davantage dans le combat contre l'antisémitisme a établi un ordre du jour adéquat. Il a demandé que cette initiative soit accompagnée d'actions publiques concrètes à tous les niveaux de la société afin d'empêcher toutes les manifestations d'antisémitisme, ajoutant qu'aucune excuse, aucun compromis ni aucune conciliation n'était possibles pour ceux qui cherchaient à détruire le peuple juif ou son aspiration nationale.

Pour sa part, M. Cohen était d'avis qu'il fallait distinguer les antisionistes de ceux qui regardaient le monde par le petit bout de leur lorgnette teintée d'antisémitisme, ajoutant que ces deux groupes partageaient cependant deux idéaux majeurs : premièrement, ils mettaient tous les deux l'accent sur la peur et l'impression que les juifs possédaient un pouvoir et des richesses disproportionnés, y compris un contrôle intéressé des médias américains; deuxièmement, qu'ils déformaient la réalité. En effet, au lieu d'évoquer la mémoire de l'Holocauste comme un exemple de la haine poussée à son paroxysme, les antisémites et les antisionistes s'en sont servi pour dire que les juifs ont utilisé l'Holocauste comme excuse pour occulter les souffrances des autres pendant et depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Mme Gaer a affirmé que l'antisémitisme était une violation des droits de l'homme et que cette question devait être abordée dans le contexte des Nations Unies. Les organisations non gouvernementales ont fait pression, a-t-elle indiqué, pour que l'Organisation soit différente de la Société des Nations, qui l'avait précédée. C'est ainsi que la non-discrimination a été affirmée et que les droits de l'homme ont été reconnus universellement, a-t-elle précisé. Même si ces mots ont transformé le climat moral mondial, leur mise en ouvre a été lente.

M. Isaac a dit qu'en tant qu'africain, arabe et juif, et même parfois par erreur en tant que musulman, il avait souffert de la discrimination. La première fois, a-t-il dit, a été pendant l'occupation fasciste de l'Éthiopie lorsque les Italiens ont transféré les juifs dans des camps. Il a déclaré que les juifs et les arabes étaient des frères et devaient combattre ensemble l'antisémitisme parce que leurs destins étaient liés depuis des siècles.

Le rabbin Potasnik a indiqué que, dans l'assistance, certains avaient manifesté à l'extérieur des Nations Unies, s'étaient enchaînés aux grilles et s'étaient fait arrêter, et qu'il était heureux de pouvoir dire à l'intérieur de l'ONU ce qu'il n'avait pu dire qu'à l'extérieur, ajoutant que l'Organisation, créée après l'Holocauste, avait la responsabilité de faire entendre ceux qui n'avaient jamais pu faire entendre leur voix.

Dans ses remarques de clôture, M. Tharoor a déclaré que dans le combat contre le racisme et les autres formes de discrimination, il était bon de commencer par l'antisémitisme, car il avait entaché l'histoire de l'humanité. Il a déclaré que la montée de l'antisémitisme était une menace pour tous et qu'il incombait à tous de le combattre. Il a reconnu que l'Organisation n'avait pas toujours fait face aux responsabilités qui lui incombaient dans le combat contre ce fléau mais qu'il appartenait aux États Membres d'adopter une action politique en ce domaine. L'Organisation n'essaie pas de se dérober à ses responsabilités mais le processus est lent, a-t-il dit, ajoutant que si le séminaire n'était qu'une première étape, il ouvrait néanmoins un nouveau chapitre. Il a indiqué que de nombreuses suggestions avaient été faites au cours des débats et que l'Organisation avait l'obligation de poursuivre les discussions.
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