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Exploitées, pas éduquées
L'exploitation des femmes et des enfants en Asie du Sud-Est
Par Mikel Flamm

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L'article

On estime que le trafic des êtres humains touche, chaque année, plus de deux millions de personnes, principalement des femmes et des enfants. Selon les statistiques du Département d'État des États-Unis, dans la région de l'Asie du Sud-Est seulement, plus de 225 000 personnes sont transportés hors des frontières.

Jusqu'ici, le trafic était principalement associé au commerce illicite de produits, à savoir la contrebande, le plus souvent, des drogues. Cependant, au cours des dix dernières années, ce commerce s'est considérablement développé et inclut désormais le trafic des êtres humains, principalement des femmes et des enfants. Recrutées par tromperie, ces personnes se retrouvent rapidement prisonnières d'un réseau d'exploitation et de tromperies et sont entraînées dans le processus de la traite, activité qui rapporte entre 6 et 7 milliards de dollars, revenus supérieurs à ceux générés par le commerce de la drogue.

Photo/Mikel Flamm

Bien que les chiffres exacts ne soient pas disponibles, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) estime qu'au cours des trente dernières années, 30 millions de femmes et d'enfants en Asie ont été victimes du trafic sexuel. Il s'agit le plus souvent de jeunes femmes issues de familles pauvres, à qui on a promis une vie meilleure pour elles et leur famille. Certaines se sont vues offrir un emploi ou la possibilité de faire des études, d'autres ont été kidnappées ou vendues par des amis ou par des membres de la famille dans le but de gagner de l'argent. C'est un commerce où opèrent des gens sans scrupules pour qui l'argent l'emporte sur les droits de l'homme.

Souvent, les trafiquants font appel à des personnes locales dans une communauté ou un village pour repérer les jeunes filles et les enfants et cibler les familles pauvres et vulnérables. Parfois, les membres de la famille vendent leurs enfants à des intermédiaires ou à des trafiquants, pensant à tort que leurs enfants auront un emploi lucratif ou feront des études et que, par respect pour eux, ils feront ce qui leur est demandé. Mais, la plupart du temps, ces enfants finissent dans une maison close ou dans d'autres lieux où ils sont forcés de se prostituer.

Selon Christa Crawford, une avocate américaine travaillant actuellement sur un projet des Nations Unies visant à fournir aux gouvernements de la région les moyens de renforcer et de développer la législation pour lutter contre le trafic de personnes, " l'un des problèmes réside dans le fait que personne ne veut témoigner contre les agents ou les gangs impliqués dans le trafic. Étant donné qu'il n'existe pas de programmes de protection de témoins dans ce domaine, la crainte de représailles est un facteur dissuasif. Peu d'affaires donnent donc lieu à une condamnation. Aux États-Unis, dans le cadre de la loi 2000 sur la protection des victimes de la traite des personnes et de la violence, un rapport est fourni chaque année sur les efforts menés dans 89 pays. Ceux-ci sont évalués selon leur niveau de conformité à la loi et leur engagement à lutter contre les activités criminelles, en particulier en ce qui concerne les poursuites judiciaires, la protection des victimes et l'éducation du public ". Ils sont répartis en trois groupes : le groupe 1 (efforts satisfaisants), le groupe 2 (résultats insatisfaisants, mais quelques efforts) et le groupe 3 (aucun effort).
Photo/Mikel Flamm

" Le Cambodge figure dans le groupe 3 depuis les deux dernières années et, en janvier dernier, a fermé la maison close Svay Pak, espérant ainsi recevoir une meilleure évaluation et figurer dans un autre groupe. C'est un pays pourvoyeur, de destination et de transit et, malgré les pressions exercées sur le gouvernement par diverses agences internationales établies au Cambodge, peu d'arrestations ont eu lieu. Parmi les autres pays d'Asie du Sud-Est classés dans le même groupe figurent la Birmanie et l'Indonésie où pratiquement aucune mesure n'est prise pour lutter contre l'exploitation sexuelle des femmes et des mineurs ", a ajouté Mme Crawford. " La Thaïlande, qui fait partie du groupe 2, demeure l'un des principaux pays pourvoyeurs, de destination et de transit pour le trafic des femmes et des enfants. Les victimes, originaires de pays voisins tels que la République démocratique populaire lao, la Birmanie et la Chine, transitent par la Thaïlande à destination d'autres pays comme les États-Unis, le Japon, Taiwan, l'Australie et l'Europe ", a-t-elle expliqué.

En Thaïlande, bien qu'une législation existe contre le trafic des êtres humains, il y a peu d'enquêtes et de condamnations. Il a été reconnu, avec preuves à l'appui, que la police, souvent complice, acceptant des pots-de-vin de la part des tenancières de maisons closes et préférant " fermer les yeux ", a entravé le succès des efforts menés pour éliminer l'exploitation des femmes et des enfants.

" En Thaïlande, la situation des enfants mineurs semble s'être améliorée ", estime Mme Christa. " Les mesures de répression ont soit forcé les organisateurs de réseaux à opérer moins ouvertement, soit à choisir la clandestinité pour échapper aux contrôles. Il a quelques années, les jeunes fille de moins de quinze ans etaient nombreuses. Aujourd'hui, ce sont celles de dix-sept ans. Il est plus facile pour un Thaïlandais que pour un étranger de solliciter les faveurs d'un garçon ou d'une fille mineure. "

La pauvreté continue d'être l'une des causes fondamentales de la prostitution des femmes et des enfants. En Asie et en Pacifique seulement, où vit environ un tiers de la population mondiale qui compte 7 milliards d'habitants, près d'une personne sur quatre vit avec moins d'un dollar par jour.

Le Rapport mondial sur la criminalité et la justice, publié récemment par l'ONU, fait état que 40 000 à 50 000 Thaïlandaises travaillent illégalement comme prostituées au Japon. Leur passeport leur est confisqué et elles se retrouvent prises au piège de la prostitution jusqu'à ce qu'elles puissent rembourser leur dette. Avant sa fermeture, Svay Pak, appelée K-11 et située à 11 km de Phnom Penh, était l'un des bordels réputés de la province. Y travaillaient principalement de jeunes Vietnamiennes, âgées de 11 à 20 ans, dont la majorité avait transité par le Viêt Nam et avait été vendue par les membres de leur famille ou par des amis. On estime à 900 le nombre de ces jeunes filles vivant dans cette communauté.

Dans le cadre de notre enquête entreprise pour la réalisation de notre livre sur les enfants des rues au Viêt Nam, Ngo Kim Cuc et moi avons visité une maison close où nous avons passé deux jours séparés avec la tenancière et ses filles. Pendant les allées et venues des clients, la mamasan (la maquerelle) a expliqué librement les détails de l'opération. La plupart des filles sont originaires des provinces du sud-ouest du Viêt Nam, à savoir Long An, An Giang, Song Be, Kein Giang, Cam Tho et Ho Chi Minh City.

" Un agent me présente les filles. Une jeune fille vierge me coûte entre 350 et 400 dollars et les autres entre 150 et 170 dollars. Lorsqu'un client demande une vierge, nous lui réservons une chambre d'hôtel où il pourra passer une semaine avec la jeune fille. Cela me rapporte entre 300 et 400 dollars ", a-t-elle expliqué. Pendant que nous bavardions avec elle, deux femmes sont arrivées accompagnées d'une jeune fille d'une quinzaine d'années. La mamasan s'est excusée et s'est entretenue avec les deux femmes pendant que la jeune fille se tenait dans un coin de la pièce, nous tournant le dos. L'une des filles s'est approchée d'elle, lui a dit quelques mots, l'a prise par la main et l'a emmenée. La mamasan a ouvert un tiroir, pris une liasse de billets et l'a remise à la plus jeune des deux femmes. Elles ont signé un papier et elles sont parties.
Photo/Mikel Flamm

Une fois la transaction effectuée, la mamasan nous a dit qu'elle était contente d'accueillir une nouvelle recrue. " Elle est très jolie et très jeune, à peine 15 ans. Mes filles sont heureuses de vivre avec ma famille. Nous vivons comme une famille. Je leur assure un toit et un travail, et elles gagnent de l'argent pour plus tard. Elles sont originaires de villages pauvres au Viêt Nam; en somme, nous nous aidons mutuellement. "

Lors d'une autre occasion, j'ai interviewé Sa, une jeune cambodgienne de 16 ans qui venait d'être libérée d'une maison close située près de Phnom Penh. Elle parlait d'une voix douce, presque inaudible. La terreur qu'elle avait éprouvée se révélait dans ses yeux. " J'ai été trompée par une amie de mon village ", a-t-elle expliqué.

Deux semaines plus tôt, elle avait été abordée par une fille de son village plus âgée qu'elle lui disant qu'elle connaissait un restaurant où Sa pouvait travailler pour aider sa famille. " Je l'ai crue. Je n'ai rien dit à ma mère parce que je voulais lui faire la surprise. Mon amie m'a emmenée dans un restaurant chinois en dehors de la ville où nous avons rencontré la femme du patron. Elle nous a dit qu'ils avaient besoin d'une employée dans un autre restaurant pas très loin d'ici. Lorsque nous sommes arrivées, j'ai tout de suite vu que cet établissement n'était pas un restaurant. On m'a emmenée dans une petite pièce et on m'a dit d'attendre. Mon amie m'a dit de ne pas m'inquiéter et elle est partie. Peu de temps après, une femme est venue et m'a dit qu'il n'y avait pas travail pour moi dans le restaurant mais qu'on m'avait trouvé un autre emploi, ajoutant que je ne pouvais pas partir et que je devais désormais rester dans ce lieu. C'est alors que j'ai compris qu'on m'avait trompée. Une femme a introduit un homme dans la pièce. Comme je n'avais jamais eu de relations sexuelles avec un homme, on m'a dit ce que je devais faire. J'étais terrifiée. Elle m'a dit que je serais battue si je ne faisais pas ce qu'on me demandait. "

La semaine suivante, Sa a été forcée de coucher avec plusieurs clients. Puis, la patronne du bordel l'a envoyée dans une autre maison close. Sa mère, ne sachant pas où elle était, s'est adressée à un ami policier. Après deux semaines de recherches dans les bordels des environs, il a fini par retrouver Sa. Il a fallu que le policier insiste pour que la patronne la laisse partir. Sa a eu de la chance d'avoir survécu à cette rude épreuve. Une organisation non gouvernementale locale située à Phnom Penh l'a envoyée dans un centre d'enfants. Puis elle a été prise en charge par une autre ONG qui aide les jeunes filles qui ont été victimes du commerce sexuel. " Nous ne pensions pas qu'elle était prête à rentrer chez elle. Elle avait besoin d'une aide psychologique importante, comme c'est le cas de la plupart des prostituées rescapées. C'est un traumatisme avec lequel elle devra vivre pendant très longtemps ", a commenté une assistante sociale de l'organisation.

Selon le Fond des Nations Unies pour le développement, on estime que 500 à 1 000 enfants cambodgiens mendient dans les rues en Thaïlande, principalement à Bangkok. Un grand nombre d'entre eux errent dans les quartiers des bars de la ville, vendant des fleurs, des chewing-gums, des bonbons et du sexe.

À plusieurs occasions, j'ai rencontré dans un des quartiers des bars de Bangkok des jeunes vietnamiennes accompagnées d'enfants cambodgiens et indiens. L'une d'elles, une petite fille de 11 ans, a dit qu'à plusieurs reprises des hommes étrangers qui se trouvaient dans les bars où elle vendait des fleurs voulaient coucher avec elle, mais qu'elle avait refusé et qu'elle était partie en courant. S'exprimant en anglais, elle a dit qu'elle et sa sour vivaient à Bangkok avec une famille thaïlandaise et des enfants originaires d'Inde et du Cambodge. Elles devaient vendre toutes les fleurs et rentrer à la maison avec la somme d'argent correspondant sinon elles étaient battues. Souvent, elles subissaient des pressions des policiers pour qu'elles leur remettent une partie de leur argent sous peine d'être arrêtées.

La pauvreté continue d'être l'une des causes fondamentales de la prostitution des femmes et des enfants. En Asie et en Pacifique seulement, où vit environ un tiers de la population mondiale qui compte 7 milliards d'habitants, près d'une personne sur quatre vit avec moins d'un dollar par jour. Pour sortir du cercle de la pauvreté, ces personnes sont entraînées dans des situations catastrophiques et exploitées à des fins commerciales par des intermédiaires et des agents. Les plus chanceuses arrivent à s'en sortir, mais qu'en est-il des autres qui sont à la merci des proxénètes ?



Mikel Flamm travaille depuis 1980 à Bangkok, en Thaïlande, comme journaliste reporter indépendant. Il a couvert de nombreux événements, principalement sur les questions concernant les réfugiés, les enfants des rues, les enfants soldats et prostitués ainsi que sur le trafic des enfants en Asie du Sud-Est. En 1996, il a écrit, en collaboration avec Ngo Kim Cuc, un livre intitulé, Children of the Dust.
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