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Les universités, agents du progrès social et économique
Par Erich E. Kunhardt

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L'article
Notre approche vise à associer la curiosité pour les sciences et la technologie avec, comme objectif principal, l'innovation.

Nombreux sont ceux qui reconnaissent que la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) est une responsabilité partagée des pays développés et des pays en développement. Les actions concrètes envisagées comprennent la réévaluation de l'aide financière fournie par les pays développés, la recherche de mesures quantitatives de succès, le renforcement des efforts entre et parmi les parties et la promotion des initiatives locales dans les pays en développement. Notons que dans cette dernière catégorie, les efforts visent à encourager les pays en développement à faire appel aux personnes qualifiées et compétentes qui, trop souvent, s'expatrient dans les pays développés.

Dans cet exposé, je montre que, dans les pays en développement, l'université peut jouer un rôle essentiel dans la réalisation des OMD. La mission que je propose ne s'inspire pas du modèle universitaire américain ou européen classique, qui met l'accent sur l'enseignement et la recherche universitaire des 1er et deuxième cycles ainsi que sur l'enseignement professionnel. Ce sont des objectifs importants à ne pas négliger mais qui ne suffisent pas à faire de l'université un agent du changement dans les pays en développement. À mon avis, l'université devrait plutôt chercher à combler les écarts sociaux et matériels entre les porteurs d'idées innovantes d'un côté et l'application de la technologie au service du progrès économique et social de l'autre. L'université devrait également être un pont qui favorise le développement social et économique. Au Stevens Institute of Technology, nous appelons cette mission " l'éducation fondée sur la technogenèse ", où l'université prend la responsabilité de participer directement à la formulation et à la satisfaction des besoins de la communauté.

Les arguments en faveur de cette mission sont fondés sur les questions suivantes : Pourquoi l'université est-elle particulièrement appropriée pour remplir ce rôle ? Comment ses fonctions traditionnelles peuvent-elles être améliorées pour qu'elle joue un rôle central dans le développement d'un pays ou, en d'autres termes, en quoi consiste une éducation fondée sur la technogenèse ? Et, dernier point, la technogenèse peut-elle constituer une base permettant de mieux tirer avantage de l'aide financière fournie par les pays développés ?

Dans les pays en développement, l'université a, aujourd'hui, une occasion unique de créer son propre modèle par le biais du processus d'autodéveloppement. Ceci peut avoir un effet important sur le développement économique et social d'une nation, ce qui va au-delà de l'éducation. J'explique ci-après le bien-fondé de cette approche. Premièrement, la situation mondiale se prête à un changement du rôle de l'université dans les pays en développement. Pendant des décennies, l'université a pris une part active aux batailles idéologiques et politiques qui ont marqué la guerre froide. Celles-ci n'ayant plus court pour le moment, les énergies peuvent être recentrées sur la bataille de l'autoréalisation. Cela est possible en se forgeant une direction personnelle, sans suivre aveuglément une fois de plus le chemin des " grandes nations ". La grandeur d'une nation se réalise par l'intégration de nombreux éléments. Il n'est pas toujours possible de transférer les modèles issus des pays développés, en particulier ceux de l'université. Les universités traditionnelles des pays développés s'inscrivent dans un ensemble sociopolitique plus complexe. Leurs préoccupations et leurs priorités ne correspondent pas nécessairement à celles des pays en développement. En outre, l'expérience d'autodéveloppement renforce l'estime de soi et est mieux à même d'assurer que l'université réponde aux besoins des pays en développement. Cela ne signifie pas que les nations et les universités doivent uniquement compter sur leurs propres forces mais que, dans la tradition de l'éducation universitaire, elles devraient entreprendre un processus d'autodéveloppement guidé. Dans les pays développés, un certain nombre de personnes et d'organisations sont prêtes à participer à des coentreprises et cette participation devrait être accueillie favorablement, bien qu'avec précaution. Une telle collaboration est certainement conforme à l'esprit de la Déclaration du millénaire. Deuxièmement, les universités des pays en développement n'ont pas à subir le poids des traditions. Cela ne signifie pas que les traditions sont nécessairement un attribut néfaste mais, trop souvent, elles engendrent une inertie institutionnelle. Par ailleurs, les universités n'ayant pas à défendre des intérêts directs, elles bénéficient d'une plus grande souplesse pour définir les nouveaux rôles et sont donc bien placées pour articuler les besoins des sociétés, créer un monde meilleur et relever les défis de la Déclaration. Et, dernier point, dans la plupart des pays en développement, voire même dans tous les pays en développement, les universités forment la " classe dirigeante ", composée principalement de professionnels, leur mission principale étant de fournir un enseignement professionnel. Faire en sorte que les universités participent au développement d'un pays est donc un prolongement naturel de leurs fonctions sociales et de leurs connexions sociopolitiques, ce qui signifie un développement économique et social, pas simplement une maturation politique. En fait, toutes les réformes politiques devraient être issues des développements économiques et sociaux, et non l'inverse.

Cela signifie qu'avec un consensus suffisant, la relation générale entre la classe dirigeante et les universités d'un pays peut amener les universités à devenir un instrument puissant d'autodétermination nationale et d'amélioration, sans préjugés ni excuses face à la mondialisation ou aux autres pressions extérieures.

Que doit faire l'université pour devenir un agent du développement économique et social ? Sachant pertinemment que les exemples des pays développés ne sont pas transférables, je suggère un modèle qui peut s'appliquer au processus d'autodéveloppement guidé. Au Stevens Institute, ce modèle s'appelle " l'éducation fondée sur la technogenèse ", un terme qui traduit l'esprit de l'environnement éducatif. La technogenèse comprend les éléments suivants :

  • le travail intellectuel créatif, qui comprend une recherche de pointe, des bourses d'études traditionnelles, l'analyse littéraire, la critique sociale et autres activités similaires;
  • l'enseignement traditionnel associé à des expériences d'apprentissage fondées sur des projets;
  • le développement d'idées créatrices et leurs applications allant de la conception à la réalisation;
  • le développement de relations avec des entreprises issues du processus éducatif (appelées les " entreprises innovantes ") et l'opportunité, pour ces entreprises, de participer à notre mission éducative; et
  • des programmes parallèles destinés à l'industrie et aux gouvernements en vue de trouver de nouvelles opportunités permettant de répondre aux besoins de la société.
Aucun de ces éléments n'est unique au Stevens Institute of Technology. Ce qui est unique, c'est qu'ils sont tous intégrés à la mission, aux objectifs et à la vision de notre communauté universitaire élargie. Ils constituent la politique de l'établissement et incarnent un engagement institutionnel ferme avec le soutien de notre communauté, allant du conseil d'administration au recteur, en passant par les enseignants, le personnel et les étudiants. Dans le cadre de cette vision et de cet engagement, les membres du corps enseignant sont invités à prendre un congé afin de poursuivre leurs intérêts commerciaux, s'ils en ont. En fait, ils sont encouragés à participer au processus éducatif jusqu'à la création d'entreprises commerciales. L'avantage de l'environnement académique est que le fruit de ces activités peut être réinvesti dans la mission éducative de l'institution. En réunissant ces éléments, une nouvelle caractéristique apparaît, à savoir le feed-back généré par la participation des étudiants aux activités des entreprises éducatives dans le cadre de leur éducation. Notre approche vise à associer la curiosité pour les sciences et la technologie avec, comme objectif principal, l'innovation. Nous nous attachons à façonner un environnement propice au développement des esprits créatifs. Les complexités de la mise en ouvre du concept et sa pertinence pour les pays en développement nécessitent une élaboration brève de nos processus qui doivent déboucher sur la création d'une entreprise innovante, ce qui est essentiel. En fait, ces entreprises représentent une forme de promotion de l'éducation.

Mais étant donné que dans l'environnement de la technogenèse, le processus maintient une relation uniforme entre les entreprises et les activités éducatives, cette subtilité est illustrée par le fait que nous n'appelons pas ce processus un transfert ou un développement de technologies ni n'appelons les entreprises commerciales issues de l'université des sociétés " spin-off ".

Il est vrai que l'un des éléments clés du développement économique et de la compétitivité aux États-Unis est la recherche et le développement technologique - le traditionnel R&D. Les gouvernements fédéral et des États, l'industrie, ainsi que les universités, ont mis en ouvre des programmes pour stimuler et faciliter la commercialisation des idées conçues dans les laboratoires nationaux, industriels ou universitaires. Les résultats de ces programmes sont mitigés et nous continuons de chercher des pratiques de transfert de technologies plus innovantes. Alors que nous cherchons à perfectionner le processus, nous sommes conscients que le savoir organisé à notre disposition est limité. D'après notre expérience au Stevens Institute, le goulet d'étranglement dans la réalisation réussie d'un transfert d'un laboratoire à la réalisation commerciale n'est pas le capital d'investissement mais la continuité du processus; ce qui manque le plus souvent, c'est le développement et le maintien des idées et des organisations du stade des laboratoires à celui du marché. Plus particulièrement, nous avons remarqué que l'aspect le plus problématique du développement d'un processus éducatif continu est l'étape initiale de la création du concept à la faisabilité de la démonstration.

Pour illustrer ce point, considérons les différences entre la façon dont les parents transmettent à leurs enfants leurs valeurs et leurs expériences et la façon dont les employés travaillent à la chaîne. Dans le cas parental, les idées, les compétences, les objectifs sont inculqués et peaufinés sur une longue période de temps avant que les enfants eux-mêmes deviennent des adultes, après avoir appris par la répétition et par l'exemple. Ce processus de transfert implique une continuité et un feed-back importants dans la transmission et la transformation des concepts d'une génération à l'autre. En revanche, ce type de continuité fait défaut dans le travail à la chaîne. Les travailleurs passent un produit au travailleur suivant sans partager l'information. Cette approche de travail " linéaire " est au mieux efficace si le processus comprend le développement de routine d'un produit qui peut donc être conçu a priori.

Photos ONU
Dans ce cas, l'absence d'un transfert des connaissances ne permet ni flexibilité ni feed-back. Il est évident que le transfert de technologies devrait être un processus continu, s'apparentant davantage au rôle parental dans l'éducation des enfants qu'au processus de fabrication à la chaîne. Le développement d'un produit devrait s'appeler l'" éducation technologique ". Mais peu nombreux sont les environnements éducatifs et commerciaux qui soutiennent ce type d'éducation. Certes, il existe d'innombrables exemples de sociétés spin-off créées par des professeurs d'université ou des étudiants. Dans la majorité des cas, le processus fonctionne davantage comme une chaîne de montage. Une personne lance une idée ou invente un produit, une équipe se charge de la fabrication du prototype, une autre de la formation du capital et de la mise sur pied d'incubateurs, d'autres de la production et d'autres encore de la fixation des prix et de la commercialisation.

Par le processus de technogenèse, nous introduisons dans le développement des technologies la continuité et l'engagement attribués à l'université, en créant non pas des sociétés spin-off (avec l'implication d'une séparation de l'environnement) mais des " entreprises innovantes " - qui encouragent les professeurs d'université et les étudiants à participer au développement des concepts créés au sein du Stevens Institute. Tout le monde ne participe pas nécessairement à chaque aspect de la réalisation mais le processus a lieu dans le cadre de l'éducation où les compétences, le talent et les connaissances de chacun contribuent au processus éducatif.

Par le biais de mesures incitatives, les professeurs et les étudiants sont donc encouragés à présenter des concepts candidats issus de leurs activités créatives. Nous recrutons ensuite d'autres personnes chargées d'appliquer ces concepts en vue de la commercialisation, en continuant d'impliquer les auteurs du projet tout en minimisant leur charge de travail. Les questions concernant la propriété intellectuelle ayant été clarifiées, la communauté du Stevens Institute entre alors en jeu. Au moment opportun, nous cherchons à attirer des investissements de capitaux (généralement pas des capitaux à risque), et une équipe de gestion est mise en place. Pendant la création de l'entreprise, chaque personne est récompensée de ses contributions et sollicitée à participer à la réalisation du projet. Plusieurs approches de mise en ouvre de ce modèle ont été passées en revue et un nombre d'entreprises/coentreprises commerciales ont été lancées. En règle générale, d'importantes lacunes existent entre la recherche académique, la technologie et un produit commercial. Dans notre cas, les entreprises innovantes se chargent de combler ces lacunes. Le Stevens Institute n'est ni en concurrence avec l'entreprise ni ne l'encourage à effectuer une opération de scission mais participe activement à promouvoir le processus de développement et bénéficie à la fois sur le plan éducatif et financier.

Dans le domaine de l'éducation, l'entreprise innovante est intégrée dans l'environnement éducatif, tandis que dans le domaine financier, le Stevens Institute prend des participations dans les entreprises et ne bénéficie ni du monopole des brevets ni de l'échange des droits de brevets. En fait, cela serait contraire au processus de maturation. En effet, dans l'environnement de la technogenèse, la propriété intellectuelle constitue une partie de l'environnement éducatif, avec la participation des professeurs et des étudiants. Plasmasol est un exemple d'entreprise innovante. Bien qu'étant principalement un véhicule pour la commercialisation d'une technologie mise au point par le processus d'innovation mentionné ci-dessus, Plasmasol participe également à la mission éducative du Stevens Institute. L'équipe de direction de l'entreprise a vu le jour pendant un cours suivi par un groupe d'étudiants préparant une maîtrise en technologie. En effet, dans le cadre de ce cours, il leur avait été demandé de mettre au point un plan commercial pour la technologie qui venait d'être mise au point au Stevens Institute. Leur enthousiasme et la technologie en jeu les ont amenés à prendre les rênes de l'entreprise ! L'histoire complète de ces développements ainsi que les succès de l'entreprise se trouvent à www.plasmasol.com. D'autres exemples de réussites sont également mentionnés à www.stevens-tech.edu.

Le processus d'innovation technologique enrichit les activités des professeurs d'université, stimule l'esprit d'entreprise de ceux qui participent à l'entreprise commerciale et encourage les apports en capital d'investissement. Pour réussir, la stabilité politique est essentielle et le processus doit pouvoir suivre son cours sans être soumis à des interférences arbitraires.

Le modèle éducatif incarné dans le technogenèse peut être utilisé comme guide afin de donner une nouvelle orientation aux universités des pays en développement. Avec un consensus et une volonté politique, la mission de l'université est dynamisée par les initiatives créatrices de la communauté académique et tire avantage de la valeur éducative des entreprises innovantes. L'université devient alors un facteur important de la croissance et de la prospérité économique. Dans les pays en développement, l'aide de la communauté internationale peut contribuer à la formation du capital, une partie de cette aide pouvant servir à établir un fonds spécial destiné à promouvoir les entreprises innovantes et leur création future. Cela est possible en établissant un programme pilote de technogenèse.



Erich E. Kunhardt est président du conseil des doyens et doyen de la School of Sciences and Arts à Stevens Institute of Technology (New Jersey). Il est également professeur George Meade Bond de physiques au Steven Institute et a été, de 1985 à 1992, directeur du Weber Research Institute au Polytechnic Institute à New York.
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