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Le Pacte Mondial
Pourquoi tant de bruit ?
Par Peter Utting

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Les deux rassemblements mondiaux les plus importants de 2002 consacrés au développement mondial, le Forum mondial social qui s'est tenu à Porto Allegre, au Brésil, et le Sommet mondial du développement mondial, qui a eu lieu à Johannesburg, en Afrique du Sud, ont mis au premier plan la question concernant les partenariats publics et privés, en particulier le partenariat entre les milieux d'affaires et l'ONU. L'un des plus grands événements est le Pacte mondial, lancé en juillet 2000, qui vise à obtenir le soutien de 1 000 entreprises sur une période de trois ans. Les participants se sont engagés à adhérer à neuf principes liés à la protection de l'environnement, aux réglementations du travail et aux droits de l'homme ainsi qu'à faire connaître sur le site Internet du Pacte mondial les exemples de " bonnes pratiques " qui démontrent leur adhésion à ces principes.

Les points de vue concernant le Pacte mondial sont clairement démarqués. Les adeptes considèrent généralement cette initiative comme une approche innovante et pragmatique qui peut encourager la responsabilité d'entreprise en mettant en ouvre de nouvelles valeurs et mobiliser les ressources des grandes entreprises en faveur du développement social et durable. Ce Pacte est considéré comme une forme exemplaire de " bonne gouvernance ", où la coopération et les efforts volontaires permettent de résoudre les conflits et de modifier les réglementations inadéquates. Il a également pour objectif de promouvoir " l'apprentissage social " ou " corporatif " où les divers protagonistes collaborent par le dialogue, l'analyse et la création de réseaux.

Les critiques se demandent si cette initiative ne servira pas davantage à améliorer la réputation des grandes entreprises plutôt qu'à aider l'environnement et les personnes dans le besoin. Ils s'inquiètent de voir les sociétés connues pour leurs violations des principes établis faire partie du Pacte ainsi que du manque de rigueur des conditions imposées. En effet, le pacte ne comprend aucun mécanisme de contrôle permettant de mesurer l'engagement des entreprises qui peuvent ainsi choisir les principes auxquels elles veulent adhérer. L'attention portée aux " bonnes pratiques " sert à faire oublier les mauvaises pratiques, la " mascarade écologique ", les facteurs structurels et autres qui encouragent l'irresponsabilité des entreprises et une attitude dominée par les intérêts commerciaux. Dans les deux camps, les avantages et les désavantages du Pacte mondial sont mis en valeur. Ceux qui considèrent cette initiative comme un développement institutionnel important devraient se rappeler qu'il existe 65 000 sociétés transnationales dans le monde, que quelques-unes seulement adhéreront au pacte et que peu de contraintes leur seront ensuite imposées. En outre, un nombre croissant de ces sociétés établies dans le Nord ayant déjà adopté des initiatives éthiques, il est peu probable qu'elles renforceront ou augmenteront leurs efforts en raison du Pacte mondial.

En fait, ces initiatives auraient été de toute façon adoptées, avec ou sans le Pacte mondial, (par exemple, la certification ISO 14001). " L'apprentissage social " et la transparence se sont avérées être des questions plus compliquées que prévues initialement. Après plus de deux ans, les commentaires des participants ne faisant pas partie du monde des affaires sur la performance des entreprises ne sont toujours pas disponibles sur Internet.

Certains critiques sous-estiment l'importance de l'infrastructure de l'ONU dans la création d'espaces où les questions de droits sociaux, de droits écologiques et de droits l'homme sont portées au premier rang des priorités de l'ordre du jour du développement international. Ceci est particulièrement important à une époque marquée par le néolibéralisme et le libre-échange, où les questions sociales et écologiques ont été reléguées au second plan. Dans les pays en développement, en particulier, le Pacte mondial peut jouer un rôle en sensibilisant davantage les chefs d'entreprise sur leur responsabilité sociale. En outre, de telles initiatives peuvent contribuer à renforcer certains aspects du " droit laxiste ", en particulier les Conventions de l'Organisation internationale du Travail (OIT) et la Déclaration universelle des droits de l'homme. Dans ce dernier cas, le Pacte mondial réaffirme le " principe de précaution " adopté lors du Sommet de la Terre en 1992. Ceci est important alors que la technologie non éprouvée des organismes génétiquement modifiés (OGM) transforme l'agriculture et a des répercussions sur l'aide et sur la consommation alimentaires. Il est également important que l'ONU centralise les informations et l'analyse des initiatives prises par les entreprises en vue d'améliorer leur performance.

Le principal problème du Pacte mondial ne concerne peut-être pas tant les personnes impliquées, la légitimisation des grandes entreprises, voire l'absence d'un mécanisme permettant de mesurer l'engagement des entreprises, mais plutôt les compromis et les diversions qu'il semble engendrer à dessein ou par défaut. Trois problèmes se dessinent.

Premier point : le Pacte mondial est devenu le symbole des vertus du " volontarisme ", à la fois au sens sociologique, à savoir que les actions et les valeurs individuelles ont davantage de portée que les changements structurels et l'autonomie comme facteur essentiel du développement et de la justice sociale, et au sens plus littéral, à savoir que les initiatives volontaires et l'autorégulation des entreprises ont plus de poids que les réglementations impliquant les organisations gouvernementales ou multilatérales.

Le bureau du Pacte mondial n'a jamais prétendu que l'initiative était destinée à remplacer les mesures de réglementation.

Concrètement, cependant, c'est l'initiative la plus importante parmi celles de l'ONU traitant de la responsabilité des entreprises. Alors que les énergies et les ressources des institutions de l'ONU sont de plus en plus orientées vers les partenariats, on constate une diminution des efforts menés dans les domaines de la recherche critique et de l'analyse des politiques portant sur les sociétés transnationales et leurs répercussions sur la société, l'environnement et le développement ainsi que sur la création d'autres mesures de réglementation. Et lorsque des solutions ont été proposées, certains se sont servis du Pacte mondial pour étouffer dans l'ouf toute tentative d'initiatives. Par exemple, plusieurs organisations commerciales importantes se sont opposées à la récente proposition des organisations non gouvernementales (ONG) de créer une convention internationale sur la responsabilité des entreprises, ainsi que la proposition du Groupe de travail de la sous-commission sur la promotion et la protection des droits de l'homme d'établir une série de " principes et de responsabilités en matière de droits de l'homme auxquelles devront souscrire les sociétés transnationales et les autres entreprises commerciales ". L'un des arguments mis en avant est que de telles initiatives sont nécessaires parce que les entreprises adhèrent déjà au Pacte mondial et que des mesures de réglementation saperaient la nouvelle relation établie entre les Nations Unies et les milieux d'affaires.

Lors du Sommet de Johannesburg, les accords entre les partenariats étaient censés compléter les accords intergouvernementaux traitant des problèmes sociaux et écologiques dans le monde. Certains craignent cependant que la création de partenariats ait permis aux gouvernements de se tirer facilement d'affaire. Alors que les partenariats peuvent aider de nombreuses populations et communautés, ils seront probablement peu efficaces dans la recherche de solutions visant à faire face aux problèmes fondamentaux du développement durable et de l'injustice sociale, tels que, par exemple, le déséquilibre profond dans les relations de pouvoir entre les groupes et les nations, les États faibles, la concentration de la richesse, la nature de la production et des modes de consommation dominants, le commerce nord-sud, la dette et certaines politiques et conditionalités macro-économiques associées à la libéralisation économique et à la réforme du secteur public.

Photo ONU
Ce qui nous amène au deuxième point. Un grand nombre de partenariats sont centrés sur des politiques d'entreprise spécifiques, les dons, des micro interventions ou des mesures de gouvernance et sont peu impliqués, voire pas du tout, dans le débat portant sur les grandes questions.

Ceci peut représenter un problème à deux égards. Premièrement, c'est ignorer les situations caractérisées par une politique de deux poids et deux mesures où les entreprises soutiennent des interventions apparemment progressives à un niveau mais maintiennent leur soutien, et leur lobbying, aux macro politiques ou aux pratiques qui sont régressives sur le plan social et écologique. Deuxièmement, les initiatives spécifiques lancées par les partenariats peuvent avoir des effets secondaires néfastes. On s'est inquiété de voir que des entreprises contournent les pouvoirs publics et mettent leurs projets en ouvre suivant leurs règles et leurs politiques propres, élargissent les capacités administratives des services publics pour s'occuper, par exemple, de dons importants de médicaments ou se concentrent sur la construction d'écoles ou de cliniques quand les services sociaux du pays pourraient être mieux assistés par des entreprises qui souscrivent à leurs responsabilités fiscales. Les partenariats peuvent également avoir des conséquences sur la consommation et les mondes de production locaux en popularisant les produits fabriqués par les sociétés transnationales au détriment des produits locaux.

Le troisième point concerne la politique du changement. L'histoire nous enseigne que d'importants progrès vers le développement durable et le respect des droits de l'homme sont habituellement réalisés suite aux changements dans les relations de pouvoir, et par le renforcement des coalitions et des alliances composées des partis politiques, des gouvernements, des organisations internationales, des acteurs de la société civile et des forces sociales qui sont concernés et affectés par le sous-développement et l'injustice sociale et écologique. Si l'ONU veut jouer un rôle dans ce processus politique, elle doit nouer des relations avec la société civile. Telle qu'elle est actuellement constituée, la relation étroite de l'Organisation avec les milieux d'affaires engendre des tensions avec certains secteurs de la société civile qui voient cette relation d'un mauvais oil. Cette critique ne peut pas être écartée sous prétexte qu'il s'agit d'ONG radicales centrées sur une seule question. Comme l'ont démontré les rassemblements impressionnants d'ONG et de groupes de citoyens lors du Forum mondial social et du Sommet mondial, ce sont ces voix qui sont au premier rang des réflexions et de la promotion d'une " mondialisation alternative " qui fait de plus en plus d'adeptes dans le monde.

Considérant ces inquiétudes mentionnées ci-dessus, il serait dommage que le processus d'apprentissage qui est central au Pacte mondial ne prenne pas compte de ces compromis et de ces contradictions. L'" apprentissage social " devrait concerner non seulement le caractère technique d'interventions spécifiques, le dialogue et les relations entre personnes intéressées, mais aussi les grandes questions mondiales. En fin de compte, ce sont ces questions qui seront essentielles pour l'avenir du développement durable et de la justice sociale.

La Biographie
Peter Utting est coordonnateur de recherche à l'Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD). Depuis quelques années, il dirige des projets de recherche sur les politiques en matière de protection de l'environnement dans les pays en développement et sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Il a également étudié pendant douze ans en Amérique centrale les questions liées à l'environnement et au développement.
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