UN Chronicle Online

Opinion
Que peut faire l'ONU pour préserver et promouvoir les ressources en eau douce ?
Par Bernard Barraqué

Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
Article
Ayant étudié de manière comparative et historique les politiques des États Membres de l'Union européenne en matière d'eau, je ne suis pas entièrement qualifié pour apporter une question précise à une question aussi vaste. Je crois, toutefois, que l'expérience européenne a été négligée dans le débat sur l'eau et la mondialisation. En gros, les questions des ressources en eau semblent être plus facilement abordées en Europe qu'aux États-Unis par exemple, parce qu'en Europe, l'eau n'a jamais été un bien privé que des personnes ou des gouvernements s'approprient. L'allocation des ressources en eau est basée sur les principes d'usage et fait l'objet d'une intervention de plus en plus importante des communautés sous le contrôle du gouvernement. Ceci permet d'assouplir les règles en matière d'allocation et d'abandonner les anciennes politiques fondées sur l'approvisionnement et les grands projets hydrauliques. Mais dans le sud de l'Europe, comme dans un grand nombre de pays en développement, l'irrigation et l'agriculture intensives représent un problème crucial. L'ONU devrait donc promouvoir de manière subsidiaire une utilisation raisonnable et équitable de l'eau ainsi qu'une politique mondiale visant à réorganiser les échanges de nourriture (plutôt que le transfert de l'eau) en faveur des régions et des populations pauvres privées d'eau.

Dans le débat public sur l'eau et la mondialisation, deux aspects semblent être confondus : l'eau en tant que ressource et l'eau en tant que services. Alors que ces derniers peuvent être privatisés, comme au Royaume-Uni ou au Pays de Galles, les systèmes juridiques mondiaux, à l'exception peut-être du Chili, sont opposés à l'idée que l'eau est un bien privé. En Europe en particulier, l'adoption générale d'une gestion intégrée de l'eau signifie une remise en question de la gestion privée des nappes d'eau, y compris des eaux souterraines dans les pays d'Amérique latine. Un nouveau paradigme " environnemental " remplace la confrontation entre le domaine privé et le domaine public qui a structuré la gestion de l'eau au XIXe siècle et pendant la plus grande partie du XXe siècle (en particulier dans les codes juridique et civil) : il oppose l'eau en tant que domaine public (propriété de l'État) à l'eau en tant que patrimoine commun partagé entre ses usagers. Les deux approches en matière de bassins fluviaux et la promotion de la participation publique ajoutent aux allocations traditionnelles réglementées par le gouvernement des approches basées sur la communauté et des incitations économiques. Les avocats et les économistes sont peu familiers avec le concept de propriété commune parce qu'il était associé à un partage des ressources en eau non démocratique et inéquitable avant le développement des États nations modernes et l'instauration de la démocratie, et a été remplacé par des approches libérales.

Au XXe siècle, l'utilisation de plus en plus importante de l'eau a engendré une concurrence en matière d'eau et a donné à l'État providence la possibilité de développer des projets hydrauliques, des mesures structurelles et des politiques de stimulation de l'offre sans précédent. Ce fut le cas des dictatures des pays méditerranéens. Plus récemment, ces politiques ont été critiquées pour leur inefficacité, particulièrement aux États-Unis, avec le retour du libéralisme et la sensibilisation sur les questions écologiques. Parallèlement, l'approvisionnement de services en eau par des entreprises privées a été généralisé avec la participation directe des collectivités locales soutenues par les subventions gouvernementales. Cependant, la crise à laquelle ont été confrontés les marchés publics en matière de gestion à long terme et de réforme de l'infrastructure a permis un retour de la privatisation. En Europe, à part le cas extrême de la Grande Bretagne, l'infrastructure est restée la propriété des autorités locales et supra locales, qui ont inventé un vaste éventail de partenariats publics et privés pour faciliter la reproduction à long terme de l'immense capital des services d'approvisionnement en eau. L'économie mixte dans le domaine des services et de la propriété commune des ressources caractérise l'évolution pragmatique de l'Europe au cours des trente dernières années.

En Europe, la question de la qualité de l'eau a conduit à créer de nouvelles institutions chargées de la gestion des ressources en eau. Parce qu'il demeure très difficile de modéliser les écosystèmes riverains ou les aquifères afin de déterminer les responsabilités de chacun des acteurs de l'État pollué, il est devenu crucial de les réunir pour essayer de mettre en place une meilleure allocation de l'eau et un meilleur contrôle de la pollution. Une question cruciale consiste à réintroduire la représentation communautaire et qualitative des consommateurs (règles en matière d'utilisation), mais avec la possibilité d'un contrôle démocratique (universel ou une personne, une voix). D'ailleurs, dans les années 1970, la plupart des pays européens se sont engagés dans un processus de décentralisation, ce qui a débouché plus tard sur ce qu'on appelle la gouvernance. En ce qui concerne l'eau, cela n'a pas été si difficile : dans les deux types de systèmes de droit — l'un dans la lignée du droit romain et l'autre davantage influencé par les coutumes germaniques — les nappes d'eau tombaient dans la catégorie de la propriété commune et non privée.

Parfois, les anciennes administrations, telles que celle des waterschappen néerlandaises ou celle chargée de l'irrigation dans la péninsule ibérique, ont servi de modèle à la gestion subsidiaire et décentralisée des ressources en eau. Il existe donc une complémentarité et une concurrence entre la centralisation et la planification communautaire au niveau des bassins hydrauliques. C'est certainement le cas en Espagne, qui a été le premier pays d'Europe à généraliser l'administration des bassins fluviaux, mais où le pouvoir des ingénieurs hydrauliciens est actuellement contrôlé par les gouvernements régionaux et même par les communautés qui utilisent les aquifères. Le cas de la France, où les fameuses Agences de l'eau ont été initialement développées pour mettre en place une planification intégrée de l'eau mais qui ont fini par devenir des médiateurs permanents entre les divers utilisateurs de l'eau, les incitations économiques et les parties contractantes est fascinant. Même au Royaume-Uni, où la centralisation a toujours été de mise, après la création des Autorités régionales de l'eau en 1973 et de l'autorité nationale des rivières quinze ans plus tard, la planification participative au niveau des bassins hydrauliques a été maintenue. Dans la majorité des pays, les politiques en matière d'eau confèrent un pouvoir aux administrations traditionnelles au niveau régional (ou au niveau de l'État dans les gouvernements fédéraux). Mais elles ont appris à coopérer dans la gestion des projets concernant les cours d'eau internationaux.

Aujourd'hui, l'Union européenne peut obtenir sans difficultés l'adoption d'une politique en matière d'eau basée sur les régions hydrauliques, même pour les rivières internationales. L'Europe est donc un cas où la Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation a été mise en ouvre.

Certains diront que l'Europe est une exception en raison de son climat tempéré. Pourtant, la population est telle dans certaines régions qu'elles ont atteint l'indice de pénurie d'eau. Certes, ce type d'indice est insuffisant parce qu'il tombe typiquement dans les politiques fondées sur l'approvisionnement par faute d'analyser la demande en eau et les possibilités de réutiliser l'eau ou de changer le mode de cultures. Il est meilleur marché d'importer des produits alimentaires que de l'eau pour irriguer les terres arides d'un pays. Cependant, ce n'est pas l'eau qui est un problème mais l'argent et les inégalités en matière de population mondiale. Un grand nombre de projets en matière d'eau comportent trois défauts : ils sont très insuffisants du point de vue économique; ils ont des conséquences écologiques directes et indirectes parce qu'ils encouragent l'agriculture intensive et polluante; et cette agriculture, qui produit des cultures industrielles, est généralement pratiquée dans de grandes fermes et ne profite pas aux paysans pauvres et à ceux qui ne sont pas propriétaires de terres. C'est pourquoi une gestion subsidiaire des ressources en eau sous contrôle démocratique, ainsi que l'abrogation de la Convention, devraient être encouragées par l'ONU pour faire de l'eau un outil de paix et pas de guerre.

Source: à partir de données tirées du Tableau FW1 dans World Resources 2000-2001, People and Ecosystems: The Fraying Web of Life, World Resources Institute, Washington DC, 2000.

La Biographie
Bernard Barraqué, ingénieur civil et urbaniste, est directeur de recherche dans un laboratoire interdisciplinaire Techniques, Territoires et Sociétés (LATTS), en France. Il a été choisi pour assumer les fonctions de Président de la Commission nationale française du Programme international d'hydrologie de l'UNESCO.
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
Copyright © Nations Unies
Retour  Haut