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" Un rendement agricole accru pour chaque goutte d'eau "
Par Tushaar Shah

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La pénurie d'eau est un problème auquel est confronté un grand nombre d'économies émergentes dans le monde. Mais, les causes sont parfois différentes. Les travaux de recherche menés à l'International Water Managament Institute (IWMI) ont montré que les défis en Afrique sont différents de ceux en Asie, les premiers étant principalement de nature " économique " et les deuxièmes de nature " physique ". En Afrique, il s'agit de promouvoir la création judicieuse d'un nouveau capital hydrique, tandis qu'en Asie la pénurie d'eau concerne un nombre très important de ruraux pauvres qui dépendent de ressources naturelles limitées, particulièrement en eau douce. Lors du Sommet du millénaire organisé en septembre 2000, le Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, s'est fait l'écho des recherches menées par l'IWMI depuis une décennie, soulignant la nécessité " d'une "révolution bleue" dans le domaine de l'agriculture qui vise à accroître le rendement agricole pour chaque goutte d'eau. "

D'après de nouvelles recherches effectuées à l'IWMI, il nous faudrait également " plus d'argent pour chaque goutte d'eau " et " plus d'emplois pour chaque goutte d'eau ".

Au cours des décennies de progrès économiques, le monde industrialisé a mis au point des méthodes qui lui permettent aujourd'hui de gérer l'eau douce de manière satisfaisante. Ces méthodes ont eu un impact important sur la manière dont la question de l'eau a été abordée au cours des dernières années et ont engendré des approches générales ayant pour leitmoviv la gestion intégrée de l'eau et les ressources en terres dans le cadre d'un bassin fluvial. Les prescriptions politiques impliquées sont : transformer la gestion fragmentée de l'eau par une gestion intégrée des bassins fluviaux; déterminer le prix de l'eau en fonction de la rareté des ressources en eau; instituer des droits de propriété négociables et créer des mécanismes juridiques et de réglementation pour une gestion efficace de la demande en eau.

L'adoption de ces politiques crée, cependant, de nouvelles difficultés et de nouvelles tensions parce qu'elles ne prennent pas en compte trois aspects des défis auxquels font face les pays pauvres en ressources en eau douce : pourquoi leurs économies pratiquent-elles l'irrigation; comment changer le comportement des consommateurs et comment la situation de l'eau douce répond à leur évolution économique générale.

L'irrigation est au cour du problème de la pénurie d'eau dans les régions faisant face au stress hydrique. Mais en ce qui concerne l'irrigation, l'Inde répondra plus facilement au défi. Et dans les pays industrialisés, l'irrigation n'a jamais été un problème de l'importance de celui des pays ayant à faire face au stress hydrique. Au total, 70 % des terres irriguées dans le monde se trouvent en Asie, et le développement futur des systèmes d'irrigation se produira en Afrique. Dans ces pays, l'irrigation est essentielle pour trois raisons : des conditions climatiques extrêmes, des contraintes démographiques ainsi que des niveaux bas du développement économique, ces facteurs se produisant tous en même temps.

Il serait plus facile de préserver l'eau douce dans les plaines situées en Asie du Sud et au nord de la Chine si ces régions avaient une densité de population moins élevée, comme en Australie ou en Israël, des ressources en eau abondantes, comme au Canada, des niveaux de précipitations et un climat plus modérés, comme en Europe, une économie de services et une industrie plus développées, comme dans les pays asiatiques, ou une ressource stratégique, comme le pétrole en Irak, en Iran ou en Arabie saoudite. Étant donné que ces régions n'ont rien de tout cela, leur seul espoir est de rentabiliser au maximum chaque goutte d'eau dans les cultures, les revenus et les emplois jusqu'à ce qu'elles soient en mesure de réduire les contraintes démographiques sur l'agriculture. Produire des cultures vivrières pour leurs importantes populations est déjà un exploit pour l'Asie du Sud et la Chine mais le défi d'assurer des moyens d'existence sûrs à de vastes segments de la population rurale dépendant de l'agriculture l'est davantage.

Dans le monde industrialisé, la manière dont la gestion de l'eau est pratiquée est conditionnée par la manière dont le secteur de l'eau est organisé. Après des siècles de croissance économique, les populations se sont concentrées dans les agglomérations urbaines situées près des estuaires. Les utilisations locales et industrielles de l'eau ont rapidement augmenté, tandis que l'efficacité de l'utilisation agricole de l'eau a diminué. La plupart des consommateurs d'eau sont desservis par des organismes qui sont responsables de la réglementation et de la gestion économique.

L'eau est devenue une " industrie " et, comme toute industrie, son prix représente un outil efficace pour gérer l'approvisionnement, ainsi que pour maintenir et améliorer les infrastructures hydrauliques. Le plus grand défi de la gestion de l'eau douce est l'allocation de l'eau entre les diverses utilisations. Une fois cette question réglée, la gestion des bassins fluviaux sera possible.

Or, il faudra des décennies avant que les pays en développement, en Asie et en Afrique, n'atteignent ce but. Ici, le secteur de l'eau est en grande partie informel. La majorité des consommateurs puisent directement l'eau dans le milieu naturel, que ce soit dans de petites réserves d'eau décentralisées ou dans les eaux souterraines, sans qu'aucune réglementation ni aucun contrôle ne soit mis en place. La gestion de l'approvisionnement est cruciale mais pratiquement impossible à cause des difficultés à réglementer l'utilisation d'un grand nombre de petits consommateurs.


Prenez le cas de la réglementation sur les eaux souterraines. En Asie du Sud et dans le nord de la Chine, les réserves d'eau douce provenant des aquifères ont diminué en raison d'un pompage intense dicté par une économie dont la croissance a cherché davantage à satisfaire aux besoins de la population qu'à tenir compte de la disponibilité des ressources (Debroy et Shah). L'est des États-Unis et le Mexique font face à un défi tout aussi important. Mais, en Asie, le problème est beaucoup plus complexe. Les États-Unis consomment 100 km3 d'eaux souterraines par an, mais la plus grande partie est pompée par quelque 200 000 grosses pompes et dessert seulement 2 % de la population américaine. Par contraste, en Inde, 150 km3 d'eaux souterraines sont pompées par an par 20 millions de petites pompes qui assurent l'approvisionnement en eau à la moitié de la population indienne. Et pourtant, les États-Unis et le Mexique n'ont pas été plus efficaces que l'Inde et la Chine à réglementer l'exploitation des aquifères surexploités (voir tableau) (Shah 2003a).

Photo/Horst Rutsch
Curieusement, la croissance économique pourrait être le meilleur remède aux écosystèmes aquatiques dégradés dans les pays où les ressources en eau ne sont pas abondantes. Tant qu'en Asie et en Afrique, l'agriculture à petite échelle continuera d'être le lot des pauvres ruraux, leurs gouvernements auront des difficultés à résister au développement de l'irrigation. Quand les progrès économiques permettent de fournir des moyens d'existence autres que l'agriculture, l'utilisation de l'eau douce pour l'agriculture diminue ou est plus facilement réglementée. Par exemple, pendant trois décennies de croissance rapide dans certaines parties de l'est de l'Asie, les zones irriguées ont diminué de 40 % et une tendance similaire s'amorce au Mexique.

L'analyse de l'IWMI, mise au point par les scientifiques Keel et Wallingford en se servant du nouvel Indice de pauvreté en eau, suggère que l'accès à l'eau ne dépend pas tant des ressources en eau d'un pays que de son PNB par habitant.

Cela montre que la qualité de l'eau douce semble également suivre la courbe inversée de Kuznet : en baisse dans les premières étapes de la croissance économique mais en hausse avec l'amélioration du niveau de vie, quelle que soit la richesse naturelle des ressources en eau (Shah 2003b). Le défi auquel sont confrontés les pays faisant face au stress hydrique est de tracer ce que Peter Gleick a appelé la " voie de l'eau souple " vers la croissance économique, qui cherche davantage à promouvoir la conservation de l'eau dans les choix stratégiques faits pour développer l'économie.

Les efforts des ONG visant à promouvoir des technologies de micro-irrigation peu coûteuses en Asie du Sud, les mouvements de citoyens préconisant des techniques de récupération de l'eau et le réapprovisionnement des aquifères en Inde de l'Ouest ainsi que dans les régions situées dans le nord de la Chine, l'enthousiasme à réinventer les usages sociaux des anciennes citernes et des étangs dans les systèmes d'approvisionnement en eau et d'irrigation dans le sud de l'Inde, en République unie de Tanzanie et au Ghana—toutes ces initiatives démontrent les réponses uniques apportées par les régions faisant face au stress hydrique.

Elles méritent une attention internationale plus soutenue et un soutien plus important qu'elles n'ont actuellement, en partie parce que l'on croit que les pays en développement résoudront leurs problèmes d'eau douce de la même manière que les pays industrialisés des décennies auparavant. Je doute fort que ce soit entièrement le cas. Il faut que la communauté internationale aide ces pays à élaborer des stratégies de gestion de l'eau douce adaptées à leur contexte socio-économique et à l'ingéniosité des populations.

L'ONU peut jouer un rôle très important en établissant une base commune plus large qui inclut les mesures sages entreprises dans le domaine de l'eau par les pays industrialisés, une compréhension des défis auxquels font face les régions souffrant de stress hydrique et les innovations uniques qui sont tentées en Asie et en Afrique.

References
Shah, Tushaar, Ian Makin, R. Sakthivadivel and M. Samad (2002) "Limits to Leapfrogging: Issues in Transposing Successful River Basin Management Institutions in the Developing World". Charles L. Abernethy, Ed. Intersectoral Management of River Basins. Colombo: International Water Management Institute.
Debroy, Aditi and Tushaar Shah (2003) "Groundwater Socio-ecology of South Asia". Custodio, E. and R. Llamas, Eds. Intensive Use of Groundwater: Challenges and Opportunities. Amsterdam: Swets & Zeillinger.
Shah, Tushaar (2003a) "Governing the Groundwater Economy: Comparative Analysis of National Institutions and Policies In South Asia, China and Mexico". Étude présentée à la Conférence de SINEX, à Valence, en Espagne, du 7 au 10 décembre 2002.
Shah, Tushaar (2003b) "Water Poverty of Nations: Its Causes and Remedies". Étude interne. Anand: International Water Management Institute.
La Biographie
Tushaar Shah, lauréat du prix " Scientifique de l'année 2002 " qui est décerné par le CGIAR, travaille à l'International Water Mangement Institute, à Colombo (Sri Lanka), un centre Future Harvest consacré à la recherche sur les moyens d'améliorer la productivité de l'eau à des fins alimentaires, sociales et naturelles.
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